Marie-Josée Christien, Alambic
parvenir au cœur du feu
pour que les mots
renaissent
de leur cendre
Ainsi s’énonce l’œuvre au noir de la poète Marie-Josée Christien. De quel « feu » s’agit-il ? La métaphore alchimique traverse tout ce nouveau recueil. En témoignent ces mots : alambic, élixir, alchimie, formes du passage.
Mais point de discipline ésotérique ici qui transforme les métaux en or. Non, il s’agit d’user de matériaux tels les rêves, le mystère, le secret, la nuit, l’inconnu, les mots de passe. Des termes récurrents, disséminés de part en part dans la cinquantaine de ces brefs poèmes. Ils sont l’aliment nourricier de ce processus alchimique qu’est la venue de la parole poétique.
Un élixir de mots
goutte à goutte
dans l’alambic de la nuit
sécrète du silence
L’exergue consacré à un vers de René Daumal dans Poésie noire poésie blanche conforte cette impression. Les images singulières, inventives, « le moût des rêves », et « un élixir de mots » vont dans ce sens. Elles déroulent la même idée originale de pressurer, de distiller la matière.

Marie-Josée Christien, Alambic, éditions Al Manar, 2025, 87 p, 19€.
Dans cette quête du poème, on mesure aussi la part du silence qui est véritable scansion des vers. « Le surgissement/a ses ressacs/de silence ».
La part de solitude est aussi un élément substantiel. Elle est haute exigence :
se dépouiller de tout
même
de l’attente.
Elle est cheminement intérieur :
Je refuse
les parentés qui rassurent.
C’est sur cette ligne ardue et ardente, tout à la fois, que se tient Marie-Josée Christien. D’une parole en état de feu intérieur, souvent proche de l’abstraction. Le titre de la première partie du recueil n’est-il pas « Genèse de l’étincelle » ?
Ce cheminement du poème se déroule sur fond « de l’extrême pointe / du désespoir ». Austérité lucide à mots contenus. Nous n’en saurons pas plus. Aucun pathos. Nul épanchement ne vient ici parasiter la discrétion et la simplicité des vers lapidaires.
Un effet Janus marquant se déploie dans Alambic. Il est tension entre le feu intérieur et la retenue de la parole poétique. Entre la solitude et le lien chaleureux aux autres poètes, Ghislaine Lejard, Guy Allix, Denez Prigent ou aux artistes, tels Marc Bernol à qui sont dédiés des poèmes. Lien aussi aux poètes Glenmor, Xavier Grall et Youenn Gwernig à qui la poète rend hommage. Le poème intitulé « Appel du vent au bord du chaos » semble reconnaître une connivence avec ces derniers qui ont choisi de mettre l'inconnu au cœur de leur inspiration. Saluons du même élan les belles encres de Laurent Noël qui viennent illustrer ce recueil.
La parole poétique en ce recueil de Marie-Josée Christien s’offre comme une ligne de crête. Concise, secrète, austère est ici la quête de poésie, dépourvue de narratif. Et, comme souvent dans ses recueils antérieurs, elle n’est pas dénuée d’une touche d’humour. Ainsi la clôture du recueil sur ce vers d’Alcools d’Guillaume Apollinaire : « Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire ». Voilà qui rappelle le motif de l’élixir et reboucle, sur un mode plaisant, l’image du titre. Une invite au lecteur à s’emparer de cette eau de vie qu’est le poème.
