Marie-Josée Christien, Sentinelle, Guy Allix, Vassal du poème

Par |2021-09-05T12:54:30+02:00 6 septembre 2021|Catégories : Guy Allix, Marie-Josée Christien|

Marie-Josée Christien, Sen­tinelle

Tout poète est sen­tinelle, veilleur, qu’il(elle) soit au bord de l’es­tran ou bien sur les sen­tiers d’un quel­conque ubac, il doit au monde la clarté du regard et la trans­for­ma­tion du silence en une forme de sub­stance vive des mots.

Les Édi­tions Sauvages vien­nent de pub­li­er le dernier ouvrage de Marie-Josée Christien inti­t­ulé juste­ment Sen­tinelle. Et qui mieux que Marie-Josée Christien, tou­jours en veille dans sa terre fin­istéri­enne assail­lie par les tem­pêtes, pour incar­n­er cette sen­tinelle, depuis son poste d’observation dans la revue Spered Gouez qu’elle ani­me. Observ­er les mots, les siens et ceux des autres, à tra­vers le corps, observ­er le corps à tra­vers la poésie, le silence, quand “Le corps / prend le chemin / de l’e­sprit”.

Car Marie-Josée Christien est une autrice en veille con­tin­uelle, tou­jours en avance d’une per­cep­tion, qui con­tin­ue d’a­vancer vers où “l’hori­zon s’ef­face / retranché der­rière son écho”. Et demeure con­stam­ment à l’é­coute des “Souf­fles du monde / portés / par le silence”.

Poète “d’une sobre sagesse / aux aguets”, voilà bien trois mots clés pour décrire cette autrice. Et après les aguets, pas­sons à la sagesse et l’humilité :

Marie-Josée Christien, Sen­tinelle,
Les Edi­tions Sauvages, 2021, 
54 pages, 12 €.

“Nous sommes ces atom­es quan­tiques / cap­tifs d’une autre légende.” et la poésie ne fait qu’accélérer ces par­tic­ules de lan­gage semées à la volée. Et qui con­naît Marie-Josée Christien sait qu’elle fuit les pré­ten­tieux, les arro­gants imbus de leur talent…

Sa poésie ne recule pas dans l’af­fron­te­ment avec les élé­ments, comme bon nom­bre de poètes bre­tons. Une poésie qui ne craint donc pas le ver­tige du silence, le “rebond de la tem­pête”, “le silex du vent”, mais aus­si “l’u­nivers à vif”. En prise avec les élé­ments comme les îles bre­tonnes qui com­posent une “escapade insu­laire” en sec­onde par­tie de l’ou­vrage qui ne fig­u­rait pas dans le recueil ini­tiale­ment pub­lié par Emmanuelle Le Cam aux édi­tions Citadel Road. Ici c’est tout naturelle­ment qu’elle rend hom­mage aux phares qui, la nuit éclairent et guident les navigateurs.

En évi­tant le je par­fois pesant des poèmes, Marie-Josée Christien fouille dans les allu­vions de nos vies quand “La peur de vivre / à vif / nous habite / jusqu’à l’os”. A sig­naler aus­si, cet ouvrage d’une belle poésie est com­plété par des col­lages des plus oniriques de l’artiste Marie-Josée Christien. Un jour, la Bre­tagne saura ce qu’elle doit à Marie-Josée Christien…

 

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Guy Allix, Vas­sal du poème, Elé­ments pour une poétique

Les poètes ne sont-ils jamais que les vas­saux du poème ? C’est en tout cas ce qu’af­firme Guy Allix dans son dernier ouvrage pub­lié aux édi­tions sauvages. Être au ser­vice du poème, Guy Allix le pra­tique depuis plus de quar­ante ans.

Il écrit, il lit, il a enseigné, il dif­fuse ses notes de lec­tures, il chante ses textes et ceux des autres. Et tout cela, tou­jours dans l’ami­tié et le souci du partage. Et c’est main­tenant, défini­tive­ment posé en Bre­tagne, son pays de cœur à défaut de nais­sance, après toute une vie en poésie et en chan­son, qu’il nous invite à réfléchir à une forme d’éthique de l’écri­t­ure, ce qu’il appelle sa poéthique.

Mais ici point de doctes pré­ceptes, assénés à coups de grands principes péremp­toires et com­mi­na­toires. Tout se passe ici dans la mod­estie de celui qui cherche, et non pas celui qui affirme avoir trou­vé. Dans l’hu­mil­ité de l’homme qui ne perd pas de vue cette des­ti­na­tion humus qui nous attend tous et qui nous rend si frag­iles. Humil­ité et mod­estie sont l’essence même de la sagesse et de la noblesse d’âme comme le courage, l’hu­man­isme, la fra­ter­nité, la générosité. Que des mots à replac­er en une de nos jour­naux, nos dis­cours, nos réseaux sociaux…

Guy Allix, Vas­sal du poème, Les Édi­tions Sauvages, 2020, 124 pages, 12 €.

Guy Allix a le « courage de l’hu­mil­ité » tel que l’évo­quait André Comte-Sponville. Car il faut du courage pour écrire de la poésie et n’en tir­er aucun béné­fice. Il faut du courage pour y affirmer son humil­ité face à la van­ité des préoc­cu­pa­tions matérielles, face à l’im­men­sité des con­nais­sances qui nous font défaut. Pour qui con­naît l’homme, son humil­ité n’est pas feinte. Aucun orgueil ne se déguise der­rière cette mod­estie d’un poète, injuste­ment mécon­nu du pub­lic que l’on dit grand…

Cette humil­ité de Guy Allix se man­i­feste donc quand il s’affirme“vassal du poème”, au ser­vice des mots. Il est de cette école des Cadou « Je ne conçois pas le poème sans un mir­a­cle d’hu­mil­ité à la base. », des Chris­t­ian Bobin « Les orgueilleux m’ont appris l’hu­mil­ité […] », des Jean Fol­lain « La seule con­nais­sance que nous apporte le poème est cette con­nais­sance d’une impos­si­bil­ité de con­nais­sance. » Quant au soi-dis­ant her­métisme de la poésie, Guy Allix y voit une con­sid­éra­tion liée à l’im­pa­tience des lecteurs qui veu­lent chercher à com­pren­dre, quand il ne s’ag­it juste que de ressen­tir « le poème est ouvert comme un corps vers tous ses pos­si­bles de sens, dans l’in­fi­ni de ses pos­si­bles », de tra­vailler à ressen­tir « Car là même où il tra­vaille la langue avec le plus d’acharne­ment pour décou­vrir du nou­veau et éclair­er le monde, il nous demande aus­si notre effort et notre par­tic­i­pa­tion. C’est ce tra­vail sur la nuit de l’âme, cette aven­ture aux portes de l’indi­ci­ble, cette ouver­ture ver­tig­ineuse du poème qui éloigne et ferme le lecteur. »

Guy Allix con­sacre égale­ment un chapitre à la poésie pour enfants (voir ses Poèmes pour Robin­son aux édi­tions Soc et Foc) en affir­mant « Oui, la poésie pour les enfants me sem­ble, hélas, le plus sou­vent la forme la plus cen­surée qui soit. Parce que, enfin, il ne faudrait parait-il, ne par­ler que de choses gaies, mignonnes. Ne jamais évo­quer de choses graves et douloureuses. » Pro­pos à rel­a­tivis­er cepen­dant quand on voit la masse d’ou­vrages pour enfants racon­tant des his­toires autour de la mort…

Les fig­ures tutélaires de Guy Allix sont Eugène Guille­vic et Jean Fol­lain. L’analyse qu’il fait de leur œuvre se focalise sur leur façon d’abor­der les objets : plutôt en les mon­trant du doigt pour Fol­lain, et en les touchant, les pal­pant, les cares­sant pour Guille­vic. Jean Fol­lain, poète dis­cret et sin­guli­er cul­ti­vait sa sin­gu­lar­ité en refu­sant les métaphores et en s’at­tachant aux faits anodins.

Guy Allix nous livre donc ici une œuvre aux valeurs salu­taires quand cynisme, égo­cen­trisme, haines et théories para­noïaques sont assénés à longueur de jour sur les écrans.

Présentation de l’auteur

Marie-Josée Christien

Marie-Josée Christien, née en 1957 dans la Cornouaille mor­bi­han­naise, vit dans le Finistère à Quim­per. Poète, auteur jeunesse, cri­tique littéraire, col­lag­iste, elle est respon­s­able de la revue annuelle Spered Gouez / l’esprit sauvage qu’elle a fondée en 1991.
En tant que cri­tique, elle col­la­bore régulièrement à la revue bimestrielle
ArMen et occa­sion­nelle­ment au mag­a­zine numérique Uni­divers. Vents d’ouest, sa chronique consacrée aux maisons d’édition, est accueil­lie dans la revue Inter­ven­tions à Haute Voix.

Présente dans une cinquan­taine d’anthologies et d’ouvrages col­lec­tifs, traduite en alle­mand, bul­gare, espag­nol, por­tu­gais et bre­ton, elle a pub­lié une quar­an­taine de livres et col­la­boré à des livres d’artistes.
Deux ouvrages lui sont consacrés :
La poésie pour via­tique (Chien­dents n°118, Edi­tions du Petit Véhicule, 2017) et Marie-Josée Christien passagère du réel et du temps (Ed. Spered Gouez, coll. Par­cours, 2020).

Pour l’ensemble de son œuvre, elle est lauréate du Prix Xavier-Grall et du Grand prix inter­na­tion­al de poésie francophone.

Site : https://mariejoseechristien.monsite-orange.fr

Egale­ment sur wikipédia

Bib­li­ogra­phie

Poésie
Affole­ment du sang
(préface de Jean-François Mathé, encres de André Gue­noun), Al Man­ar, 2019
Aspect du canal, Sac à dos Edi­tions, 2010
Con­stante de l’arbre, avec le pho­tographe Yann Cham­peau, Les Edi­tions Sauvages, coll. Carré de création, 2020
Con­ver­sa­tion de l’arbre et du vent (pho­togra­phies de Jean-Yves Gloaguen), coll. jeunesse A la cime des mots, Ter­tium éditions 2007, Tapabord, 2018, Liste de référence de l’Education Nationale
Cor­re­spon­dances, recueil à deux voix avec Guy Allix, Les Edi­tions Sauvages, coll. Dia­logue, 2011
Las­caux & autres sanc­tu­aires, Jacques André Edi­teur, 2007
Marais secrets, en col­lab­o­ra­tion avec le pho­tographe Yann Cham­peau, Les Edi­tions Sauvages, coll. Carré de création, 2022
Les extraits du temps (préface de Guy Allix), Les Edi­tions Sauvages, coll. Askell, 2009, Prix des Bre­tons de Paris
Temps morts (préface de Pierre Maubé, encres de Denis Heudré), coll. La Pensée Sauvage, Les Edi­tions Sauvages, 2014
Quand la nuit voit le jour (pho­togra­phies de Yann Cham­peau), coll. Jeunesse A la cime des mots, Ter­tium éditions, 2015

Prose
Eclats d’obscur et de lumière
(col­lages de Ghis­laine Lejard), Les Edi­tions Sauvages, coll. La Pensée Sauvage, 2021
Petites notes d’amertume (préface de Claire Fouri­er, land art de Roger Dau­tais), coll. La Pensée Sauvage, Les Edi­tions Sauvages, 2014

Autres lec­tures

Chiendents n° 118, consacré à Marie-Josée CHRISTIEN

Marie-Josée Christien est née en 1957 à Guis­cri­ff en Cornouaille mor­bi­han­naise. Sa poésie est très mar­quée par sa Bre­tagne natale où elle vit. “La poésie pour via­tique” est bien­v­enue. Gérard Cléry, Guy Allix, […]

Marie-Josée Christien, Constante de l’arbre

L’arbre est dans le vent. On l’enlace, c’est bon pour la san­té. On fait une marche en forêt et tout va pour le mieux. Mais le poète  — et pas seule­ment les thérapeutes […]

Marie-Josée Christien, Eclats d’obscur et de lumière

Les apho­rismes de Marie-Josée Christien Faire halte, regarder le monde sans com­plai­sance, mais aus­si savoir s’émerveiller. La poétesse quim­péroise Marie-Josée Christien dis­tille des graines de sagesse sous forme d’aphorismes ou de pen­sées lapidaires. […]

Marie-Josée Christien et Yann Champeau, Marais secrets

Marais secrets Le marais est une belle matière poé­tique. Monde entre deux mon­des (la terre et l’eau), il con­fine par déf­i­ni­tion au mys­tère au point d’être con­sid­éré, notam­ment du côté des Monts d’Arrée, […]

Présentation de l’auteur

Guy Allix

Né en 1953 à Douai (59). Vit à Rouen (76). Poète, cri­tique lit­téraire, auteur jeunesse, auteur-com­­pos­i­­teur-inter­prète. Nom­breux recueils de poésie aux édi­tions Rougerie, au Nou­v­el Athanor, aux édi­tions sauvages et à l’ate­lier de Grou­tel. Par­mi les dernières pub­li­ca­tions : Le sang le soir (poésie)Le Nou­v­el Athanor, 2015. Au nom de la terre (poésie), Les édi­tions sauvages, 2017. En chemin avec Angèle Van­nier (essai), édi­tions Unic­ité, 2018. Oser l’amour suiv­ie de D’amour et de douleur (poésie, bib­lio­philie), Ate­lier de Grou­tel, 2018. Je suis… Georges Brassens, co-écrit avec Michel Baglin, Jacques André édi­teur, 2019.
En pré­pa­ra­tion : Les amis, l’amour, la poésie, CD chan­sons et poèmes inter­prétés par Guy Allix, auto­pro­duc­tion. Vas­sal de la poésie, (recueil d’ar­ti­cles), Les édi­tions sauvages. 

Autres lec­tures

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Denis Heudré

né en 1963 à Rennes, denis heudré cul­tive son jardin dis­cret dans un coin de la web­sphère sur son site inter­net

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