Christophe Dauphin nous appelle à décou­vrir ou redé­cou­vrir Jacques Tau­rand, poète, nou­vel­liste, cri­tique, auto­di­dacte français qui, après une vie lit­téraire un peu dans l’om­bre mal­gré de nom­breuses ren­con­tres, s’est défini­tive­ment éteint en 2008. Et cette pub­li­ca­tion vient juste­ment (au sens où ce n’est que jus­tice) remet­tre un peu en lumière cet auteur non dénué de tal­ents. Ce recueil est un hom­mage à l’ami­tié, en par­ti­c­uli­er à celle entre Christophe Dauphin, Jacques Simonomis et Jacques Tau­rand. Et un hom­mage surtout à la fidél­ité en ami­tié, à tra­vers cette antholo­gie revenant sur près de trente ans de poésie.

Jacques Tau­rand, Les étoiles saig­nent bleu, Les Hommes sans Épaules éditions

Son enfance, bercée par un imag­i­naire famil­ial aux couleurs du Brésil et mar­quée par les réc­its de chevauchées dans la pam­pa, d’oiseaux mul­ti­col­ores et de tem­pêtes trop­i­cales, l’a éveil­lé à la puis­sance du réc­it. “A vouloir faire des nœuds avec le vent/à bou­ton­ner le cœur avec la raison/le bon­heur dans la cage prend sa voix de faus­set

Bien enten­du, Jacques Tau­rand n’est pas le seul poète à être attiré par la lumière, “entre Hélios et Séléné”, ce n’est pas si fréquent de lire une antholo­gie per­son­nelle autant tra­ver­sée par les reflets “vous me rencontrerez/dans les reflets de l’eau sous les voûtes du soir”, les faux-jours, les miroirs, la lumière d’un “parc en févri­er” à Flo­rence. C’est toute la per­ti­nence du choix de poèmes opéré par Christophe Dauphin. Et l’on se laisse aisé­ment emmen­er quand Tau­rand cherche à “faire du poème un vais­seau de lumière

 

La lumière/puisait son ardente révolte/à la source du futur/entre l’é­paule et le cœur

 

Dans ses faux-jours Tau­rand place sou­vent un peu de nos­tal­gie comme ce retour sur le début des trente glo­rieuses : “Il y avait des rires/sur les noirs décombres/La lumière retrouvée/libérait son fro­ment”.

Lui qui reçut de Louis Guil­laume ce con­seil, qui vaut encore pour de nom­breux appren­tis poètes : tra­vailler dans le sens du dépouille­ment, de la com­pac­ité, laiss­er tomber les voca­bles trop rares, les adjec­tifs inutiles et favoris­er l’é­clo­sion de l’im­age, de la métaphore analogique.

Le “descen­dant des descen­dants” de l’É­cole de Rochefort rend un “sim­ple hom­mage” à Cadou : “Toutes les riv­ières du printemps/bondissent dans tes yeux cet amour qui gon­fle ta poitrine / tien­dra la promesse d’un blé

Ce recueil est suivi d’un entre­tien avec Jacques Simonomis où l’on en retien­dra entre autres, cette cita­tion de Louis Guil­laume : “Un poème doit être un objet que l’on peut tenir dans la main sans qu’il dégouline ou s’é­va­pore”.

Je partage aus­si l’opin­ion de Jacques Tau­rand à pro­pos de la cri­tique de la poésie : “J’ai com­pris assez tôt que par­ler des autres, écrire sur leurs œuvres, c’é­tait aus­si faire vivre et com­pren­dre la poésie. Et puis, c’est la meilleure façon de “sor­tir de soi”, d’ou­bli­er son “ego”, de décou­vrir d’autres paysages affec­tifs, d’autres géo­gra­phies sen­ti­men­tales…[…] Pour moi c’est aus­si un devoir min­i­mum envers la poésie.”

Jacques Tau­rand n’est pas resté étranger aux soucis de son époque, les guer­res au Liban, au Koso­vo. “Quelle parole de lumière/Fera taire les canons/L’espoir à bout de ba/porte les hiéro­glyphes du sang”. Et  dans son poème Les longs con­vois, dédié “aux Kosovos passés, présents et à venir”, il écrit ce pas­sage ter­ri­ble de pré­mo­ni­tion “Demain l’arbre/sur le charnier/portera les bourgeons/de l’in­dif­férence”…

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Denis Heudré

né en 1963 à Rennes, denis heudré cul­tive son jardin dis­cret dans un coin de la web­sphère sur son site inter­net