1

Alain Brissiaud, La Parole solide

Lui montrant la vallée derrière la colline
invisible
il connut l’irruption de la douleur
se souvenait-il
mais comment oublier

ce qu’il était venu chercher
pourquoi
être allé si loin
rejetant le passé

il dit encore quelque chose
qu’il est épuisé
qu’il veut rester dans la lumière
 et ne peut se poser

dire sa marche
et au-delà

aussi
partir vivre comme on va mourir

 

∗∗∗∗∗∗

 

Nous dormions séparés par la glace
depuis ce jour d’autrefois
au premier temps
de vous

déjà oublieuse de ma présence

allant  selon votre mémoire
indistinctement
sans rien écouter du remous des blés
derrière la maison
et voir
la main tendue des vents

ni soupir

ô
votre belle indifférence
je la vois maintenant
si nette et
si présente

dans l’altérité du matin finissant

 

∗∗∗∗∗∗

 

Une autre fois il pleuvait
si fort
tu t’es t’allongée  près de moi
dans le silence
ta peau reflétait une lumière crue
il n’y avait plus de dehors

et cette pluie plus forte plus puissante à mesure
sonnait dans le ciel
donnait tout d’elle
elle était notre toit de fortune
nous ne pouvions comprendre
tes yeux
immenses vibraient de la folie

devant le miroir
nous avons déjeuné de pain
doucement
à se dévisager

étions-nous ces amants si pâles

dis-moi
es-tu celle qui n’est pas

 

∗∗∗∗∗∗

 

Tu ne sais pas où mettre tes pensées
ronces que cela
étourderies
descendant le chemin tu songes
à ces choses
qui surgissent venues
et t’obligent à dire
parler
pour comprendre avec eux
tous

qui sont-ils tu songes
à leurs regards
avec eux recouverts de feu de terre
d’or diront-ils
non
pas cela
ceux qui passent ont plus que de l’or
juste le visage d’homme
et toi
tu veux tenir tout au bout de ta main
leurs beaux regards bariolés

étourdie ne pas lâcher
la fraiche blessure
qu’ils t’apportent tenir bon

tu sais
ce n’est pas pour rien le maintien
leur belle allure
derrière la haie cortège de flammèches
tu songes à mettre en ordre tes pensées
ronces que cela
personne ne t’attend ils passent

juste

 

∗∗∗∗∗∗

 

Et si profonde dit-elle de ne s’user
qu’en ta présence
c’est écrit dans tes mains tu sais ces mots parlés
dits et ressassés sans cesse
usés                                                                                                                         
à force d’être là
si près
collés à toi qu’ils se rendent détestables
qui disent quelque chose d’une langue
qui ne se parle pas
vont te broyer te faire disparaitre
déjà tu chavires tu te perds
tu t’absentes

où sont tes mains Jeanne

l’arbre de la cour n’arrête pas le vent
tu le dis dans l’herbe
quand tu cours les mots à nus
tant
ça fait trop mal de ne pas exister

c’est dommage

elle épie
présence ôtée

 

 

 

Présentation de l’auteur

Alain Brissiaud

Né à Paris en 1949. Librairie et éditeur depuis 1973. Vit entre le Vaucluse et Paris. Le temps qui lui est aujourd’hui donné est partagé entre l’écriture et la vie.

 

 

 

Alain Brissiaud

Autres lectures

Alain Brissiaud, Jusqu’au cœur

Au-delà des obédiences, des écoles et des mouvements, des mesures et des règles édictées, des discours et des gloses, existe la poésie. Elle échappe à toute tentative d’exégèse, car miraculeusement elle distend le [...]

Carole Carcillo Mesrobian, Alain Brissiaud, Octobre

« L’impossible distance irréductible de l’existence » Un échange épistolaire poétique pour dire « l’impossible distance irréductible de l’existence ». Là où des lettres de feu pourraient suffire, et les exemples sont légion [...]