Alain Brissiaud, Livres pauvres

Par |2024-02-02T11:55:33+01:00 7 janvier 2024|Catégories : Alain Brissiaud, Poèmes|

La terre blanchie sous le pas
réprou­ve la trace laissée
air
l’air suf­foque dans le paysage
comme aboiement le feu
dit l’ivresse ten­due du retour

  

La terre cogne con­tre la porte
mais tu restes muet
de l’eau
l’eau des pous­sières inaudi­bles disent
l’improbable
tu sais cela

 

De la terre coule de tes yeux
dessi­nant une brèche
ligne
au fond du ciel
entachée

 

Terre immo­bile
bas­cule sous l’horizon
laisse venir
s’emparer des failles du langage
tes mains ne peu­vent y parvenir
indécence

Me force à garder le vis­age ouvert
attentif
tenace comme la langue
la terre épouse le vent d’ici
où si peu de réalité

 

La terre marche sous ton pas
sai­sis­sant dia­logue entre chemin
et
désir quand les mots
devi­en­nent langue
alors l’espace a la taille de tes mains

 

La terre se penche
au chevet des pierres
sur­plomb improbable
dis­con­ti­nu­ité de la parole

 

Il y a une lec­ture de la terre
hap­pée par le vent d’ici
failles et ruissellements
la façonnent

Reviens
reviens
terre d’encre
ultime tentative
mémoire bouche coupée
oubliée
qu’importe

 

Qui nous apporte un rêve
une tentation
sous l’ourlet de l’âme
abîmée
quelle chute pour cette
rédemption

  

Juste un regard
ivre
sup­pli­cié donne à voir
le désor­dre des choses
qui nous lient

  

Ce naufrage est une vapeur de feu
un frémisse­ment de la peau
alors vient le silence
comme pierre sor­tie de
terre

  

Et nous prends
tout
brassée d’indulgences feintes
descen­due des collines poussières
cailloux
innocence

 

Terre au souf­fle écorché
l’écho des apparences
noie la suie de tes yeux
délaye le souvenir
destruc­tions et carnages
ce que l’on sait
ignorance

 

Ravins terre
meurtrie
talus     haies    broussailles
quand soudain muet
vient l’oubli

 

La terre qui se voit
archipel boueux
joliesse de ces moments
ensevelis

 

Terre improb­a­ble
tu cherch­es le repos
en vain
nue
elle est celle que tu ne vois pas

 

Alors
tu lèves ton regard
songe qui est un signe
où s’ensevelissent
les derniers incendies

demeurent les mots tombés à terre

 à rebours

Le poème est un ciel               

qui s’assombrit

en cours de route

Même décousu le poème

pousse au cœur de l’homme

avec une con­stance fiévreuse

Paroles de voix
son­nent et se souviennent
dessi­nent le chemin
vers toi
à la parole absente

vien­nent à mesure
de la marche
et buttent
sur la pierre
dans la vérité
de cet instant

il écrit
l’écriture du mot
ramassé accroupi
dans le souffle
effacé
il écrit

grat­té
gommé
avec l’étoile du bâton
avec les ongles
en venir à bout

aujourd’hui ce silence
demain le cri
au-delà
un éboulement

Je feuil­lette l’album de pho­tos de ma mère.
Ma grande soeur, Marie- Hélène paraît tou­jours frag­ile et Françoise la plus jeune, telle­ment espiègle.

Mon père pose debout, très droit, sérieux. Jamais il ne regarde vers l’arrière et s’enferme dans le silence.
Ma mère, une femme douce, dis­paraît sou­vent à l’intérieur jusqu’au lointain.

Les pho­tos mentent et jouent.
D’elles s’échappe la tristesse.
Alors, mon regard se perd ; demain est déjà si loin.

Tu piétines sous le monde comme les pierres
et tes rêves bas­cu­lent vers la nuit.

Cette jouis­sance s’ouvre sur un chemin de cendres.

Juste, tu enlaces mes mem­bres apeurés.

Nous n’étions tenus que par la nuit
ain­si marchant
jusqu’au jour
séparés de peu
et pour­tant si pleins de la tendresse
des choses simples

à ce moment
sans le savoir

vibrant loin­tain
oui
si loin

Par­tie de voix
cède
au ciel qui s’enflamme

le manche de la nuit s’en empare
et succombe
avec le silence comme équipage

mais bien­tôt
nous mar­chons sur la terre hostile

pour l’ultime embardée

Eau de roche ne veut pas venir
elle dort sous le siège
du grand cinéma

sa frayeur rejoint le ciel incertain
sous la nuit que je lui porte

alors de grandes idées l’encerclent
de leurs doigts féconds

plus tard nous reprenons
cette impens­able discussion

je suis comme le livre
diras-tu

près de la bouche

Déjà je cours
juste au devant tu cris lâchez-moi
lâchez-moi
bras de fer dans le bois de bouleaux
vers quelle immensité
indéchiffrable immensité
et tu hurles le vis­age muet
parole con­tre parole
trop humain ton beau vis­age désaccordé

déjà ce visage
l’immensité persona
couché sur le soleil
tu cris lâchez-moi lâchez-moi
te lâchent
sous l’arbre
brutalisée
ta pau­vre chevelure cette immensité
en finir juste un murmure
venez
venez voir
je suis trop faible j’exhibe ma sotte mélancolie

nos yeux désemparés

répéti­tion répétition
ce petit corps en fuite
gisant au sol ainsi
ficelle d’herbe

immen­sité
Deux dis­cordes accordées
mêlées
à ne plus voir
qui rançonne l’autre

deux vies mêlées
qui se chassent
ça n’est pas possible
une dérive
retournée ça n’est pas possible
tous les accords affirmés
ajoutés l’un à l’autre
son­nent et tressaillent
se rac­crochent aux accords donnés

alors tu hurles
ta haute voix aux anges
aux anges survoltés
la vie
la vie
aux papil­lons ôtée raccommodée
aux mille instants saturés
et toute l’énergie vole de l’un à l’autre
ne laisse pas de paix les hauts les bas
ta voix
ta voix d’amour vie vie donne donne
voix voix ne laisse pas en paix
s’envole aux flots donnée

pur esprit

Il pleut sur ta voix c’est le matin
nous allons et venons dans la chambre
tout con­tre le miroir
j’ai enten­du ton rêve frissonner
au creux de ma peau

avons-nous le temps

assise der­rière ma main tu souris
comme un éclat de ciel
entre les branches
sans bruit le livre chute au bas du lit

aurons-nous le temps

dire l’autre parole de l’errance
sur quelles rives débar­quer nos vies
est-ce la vérité cela
tes yeux se trou­blent et puis s’effacent
comme un unique bien

le temps donné

L’autre rive à bord de l’embarcation
suf­foque de lumière
nous sommes allés chercher le passeur
l’éreintement
sa main tient fer­me­ment la corde
tirée de l’eau
des éclats de voix dansent dans l’air
les hommes marchent en silence jusqu’à la nuit
et s’éteignent un à un

aban­don­nés de ce coté-ci du monde
seule la terre liq­uide nous accueille
elle nous prend dans sa main et nous agite en riant
pau­vres rien que de nous

nous sommes sous la voix en dessous
dans la con­trainte du mot
un ciel de cen­dres nous tient lieu d’église
où nos corps désossés flot­tent au vent

 

Présentation de l’auteur

Alain Brissiaud

Né à Paris en 1949. Librairie et édi­teur depuis 1973. Vit entre le Vau­cluse et Paris. Le temps qui lui est aujourd’hui don­né est partagé entre l’écriture et la vie.

 

 

 

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