1

Zéno Bianu, L’Éloge du Bleu

Dans ce petit livre, léger d’une centaine de pages, lourd de culture et de réflexions gaiement sérieuses, cédant à la facilité je dirai qu’on n’y voit que du bleu : sous prétexte d’ordre alphabétique structurant, Zéno Bianu, avec son habituelle et éclectique vivacité, décline toutes les variations qui lui chantent sur le thème du « bleu », thème qui touche forcément un natif de la Côte d’Azur tel que moi !

Il convoque à cet effet les références culturelles les plus diverses, écrivains, musiciens, peintres évidemment, etc. au cours de pages qui sont un festival où le clin d’oeil de connivence et de poésie, où la culture contemporaine, côtoient l’histoire de la pensée, et le Quattrocento y voisine avec Coltrane, le Zen, Rimbaud, la métaphysique, Wang Weï, la philosophie, la science-fiction, dans un optimiste et primesautier parcours en zigzag sous l’égide illimitée du Bleu, cet « emportement céleste » dont le peintre Yves Klein fut un des ardents promoteurs !

Du reste, ce merveilleux livre, qui tient si bien dans une poche, se place judicieusement dans la stratosphère de deux citations croisées, qui pour ainsi dire définissent son projet : « Ce vide merveilleusement bleu qui était en train d’éclore... » (Yves Klein), et « L’art suprême est celui de la variation... » (André Suarès).

 Zéno Bianu , L’Éloge du Bleu, (Coll. Folio, Gallimard.).

Le vide est évidemment ce qui appelle l’écriture et l’inspiration féconde de Zéno, et la variation son talent qui rivalise avec l’improvisation infinie du Jazz et de son blue’s. Dans Ouverture bleue, le prologue du livre, Zéno détaille toutes ses motivations, avec une clarté telle que je préfère, plutôt qu’en donner un aperçu maladroit, lui « céder l’écriture » : « Le bleu, on l’aura compris, se décline ici amoureusement. Telle une boussole qui marquerait sans relâche le Sud émerveillant. De A à Z, de l’Apnée au Zen, toute ma vie se retrouve sous la forme d’un abécédaire lumineux et virevoltant. Une histoire personnelle de l’azur en vingt-six épisodes. Une autobiographie au prisme du bleu.Un alphabet des exaltations, où découvrir les signes fervents de ma prédilection bleutée… Penser, voir, respirer avec le cœur, me souffle le bleu. Il se déploie en continu tel un kaléïdoscope d’états émotionnels. On dirait qu’il n’en finit jamais d’émettre son magnétisme. Pour qui l’écoute au plus vif, il permet de rayonner – et de rêver juste… Les noms changent, la source reste présente. D’où qu’on approche, le bleu ouvre un espace de pure immensité. Au fond du ciel comme au fond du cœur. Il mérite un éloge ardent. »

Qu’ajouter, sinon recommander la lecture de ce livre délicieux, profond, riche, inépuisable, dont la teneur rejoint l’intuition d’un autre Suarès, Carlo, ami de Joe Bousquet, qui écrivit « Le coeur du monde esr espace azuré et brise qui chante ». Zéno Bianu a sa manière à lui de chanter, foisonnante, en éventail, grave mais roborative et d’une sorte de nonchalance inimitable dans son voyage parmi les mots de la géographie terrestre aussi bien que culturelle. Un petit livre solide à fréquenter, surtout les jours de blue’s justement. Mon seul regret : rien sur le bleu touareg, ce bleu indigo qui déteint sur la face des Hommes bleus du Sah’ra, qui vivent sous un azur d’une intensité que renforce, ainsi qu’en le vers fameux d’Éluard, le safran ombré des dunes ondoyant jusqu’à l’horizon. Cela pourrait offrir à Zéno Bianu un programme de pérégrinations nouvelles, mais il lui faudra inventer une nouvelle lettre à l’alphabet latin !




Une sorte de bleu…

Barry Wallenstein, Tony's Bluestraduction par Marilyne Bertoncini
Zéno Bianu et Yves Buin, Santana De toutes les étoiles
Zéno Bianu, Petit éloge du bleu

« Une sorte de bleu », « A Kind of Blue », comme une pochette d'album jazz de Miles Davis toujours en quête de ce son cristallin qui s'avère la couleur secrète de sa musique : autre prince de la nuit, mais une nuit crasseuse à la musique revêche, Tony's Blues, ce recueil de poèmes de Barry Wallenstein écrit en anglais, choisi et traduit en français par Marilyne Bertoncini, avec un sens expert de la formule et de l'image, flirtant avec l'argot pour dire le soir poisseux de la ville que sillonne l'ombre de Tony, vagabond des temps modernes qui n'aurait pas pourtant la dégaine insolente d'un Arthur Rimbaud mais plutôt celle d'un « clochard céleste » surgi d'un roman de Jack Kerouac, adepte de ces vieux blues, chants de la misère quotidienne et de l’humanité profonde !

Avec une forme d'humour qui tient ainsi de la politesse du désespoir face à la détresse présente de cette Amérique urbaine, décor trop vaste embrassant toutes les classes sociales, des plus riches aux plus démunies, dans un même cri rageur, taillé au couteau de la pauvre lame de ce personnage fictif, tout à la fois symbole et symptôme de ce que façonnent ou rejettent nos sociétés étriquées...

Une autre nuance de bleu parcourt l'ouvrage co-écrit par Zéno Bianu, poète auteur d'une tétralogie musicale, et Yves Buin, écrivain critique de jazz créateur d'un livre entre la biographie et l'essai consacré à Thélonious Monk.

 

Barry Wallenstein, Tony's Blues, traduction par Marilyne Bertoncini, PVST ?, 92 pages, 10 euros.

 

 

Ce bleu spirirituel est celui déchirant de la guitare flamboyante de Carlos Santana, dont le concert incandescent qu'il donna, à la House of Blues de Las Vegas, en mars 2016, est la principale source d'inspiration de ces deux explorateurs en échos littéraires au voyage musical que propose, depuis son irruption fulgurante au festival de Woodstock en 1969, le guitar hero à la rencontre du monde amérindien, de la communauté afro-américaine et de la culture latino, dans une fusion rock, un métissage des traditions qui s'ouvre sur l'envolée sublime d'un solo étincelant à la guitare électrique...

Evil Ways, Carlos Santana, Live At The House Of Blues, Las Vegas, 2016.

 

Dans les vers libres où circule un tel feu spirituel, cette lumière qui semble s'élever du cœur brûlant de la musique de Carlos Santana, dont le long poème-récit d'un concert unique restitue, sur le fil des émotions, l'intensité d'un dialogue démultiplié dans les vibrations d'un chant « bleu nuit » partagé par-delà toutes les frontières érigées : « Santana de toutes les étoiles / à l'ombre portée du grand Tout / et des musiques du monde / au centre des lumières / sur le versant des paradis / et des retours / comme le bleu nuit des apparences. » Mystère encore d'une nuit originelle dont le « bleu » est la teinte primordiale du musicien en guide initiatique au grand voyage que relatent déjà les épopées antiques : « dans la vie des Ulysses sonores / je cherche / une seule note bleutée »...

Zéno Bianu et Yves Buin, Santana De toutes les étoiles, Le Castor Astral, 88 pages, 12 euros.

Et comme autant de variations en immersion, en abécédaire, dans tous ses éclats répertoriés, le Petit éloge du bleu également de Zéno Bianu, se veut moins un droit d'inventaire de toutes les formes bleutées que, selon le principe des mille entrées par le pouvoir de la couleur, une plongée comme en apnée, dans un bleu immense réunissant mer et ciel, dans laquelle tous les arts sont à la fête, mais plus particulièrement la musique encore une fois, toute en improvisations, en invitations à l'écoute de la note bleue chère aux grandes figures du jazz : du Born to be Blue de Chet Baker au Blue trainde John Coltrane, en passant par Am I blue ? de Billie Holliday...

 

La seule évocation des titres des chapitres de cet essai magistral donne tout un kaléidoscope à la lumière des profondeurs d'une telle intensité : Bleu Apnée, Bleu Blues, Bleu Chet, Bleu Daumal, Bleu Éveil, Bleu Flamme, Bleu Georges Bataille, Bleu Haïku, Bleu Iris, Bleu Jimi Hendrix, Bleu Klein, Bleu Lady Day, Bleu Miró, Bleu Noctambule, Bleu Orange, Bleu Phosphène, Bleu Quattrocentro, Bleu Rimbaud, Bleu Suprême, Bleu Tibet, Bleu Univers, Bleu Van Gogh, Bleu Wang Wei, Bleu XI, Bleu Ylem, Bleu Zen…

Zéno Bianu, Petit éloge du bleu, folio, 112 pages, 2 euros.

 

Véritable signature au plus profond en écho à Santana De toutes les étoiles, le bleu fauve, le blues du delta, s’ouvrant sur la Voie lactée, de l’autre guitar hero apparu au festival de Woodstock, le virtuose Jimi Hendrix à propos duquel Zéno Bianu a cette phrase définitive : « Bleu imprégné de beauté violente, peut-être la couleur même de la poésie, dont il a restitué la pure scintillation. » !                      

Chet Baker, Born to Be Blue, by Universal Music Group.

Présentation de l’auteur

Barry Wallenstein

Barry Wallenstein is the author of eight collections of poetry, the most recent being At the Surprise Hotel and Other Poems [Ridgeway Press, 2016] and Drastic Dislocations: New and Selected Poems [New York Quarterly Books, 2012].  His poetry has appeared in over 100 journals, including Ploughshares, The Nation, Centennial Review, and American Poetry Review. 

Among his awards are the Poetry Society of America’s Lyric Poetry Prize, (l985), and Pushcart Poetry Prize Nominations, 2010, 2011. He has had resident fellowships at The Macdowell Colony, Hawthornden Castle in Scotland, Fundación Valparaiso in Spain and Casa Zia Lina on Elba, Italy.

A special interest is the presentation of poetry readings in collaboration with jazz.  He has made seven recordings of his poetry with jazz, the most recent being Lucky These Days, to be released by Cadence Jazz Records in April 2012A previous CD, Euphoria Ripens, was listed among the “Best New Releases” in the journal, All About Jazz (December 2008).

Barry is an Emeritus Professor of Literature and Creative Writing at the City University of New York and an editor of the journal, American Book Review.  In his capacity as Professor of English at City College he founded and directed the Poetry Outreach Center, and for 35 years coordinated the all-inclusive citywide Annual Spring Poetry Festival. He remains an active advisor and participant in the program.

Textes

Autres lectures

BARRY WALLENSTEIN

  Je connais Barry Wallenstein et j'ai le plaisir de traduire ses poèmes depuis 2005 : j'enseignais alors à Menton, et je souhaitais que mes élèves rencontrent le poète, alors en résidence à [...]

Une sorte de bleu…

Barry Wallenstein, Tony's Blues, traduction par Marilyne Bertoncini Zéno Bianu et Yves Buin, Santana De toutes les étoiles Zéno Bianu, Petit éloge du bleu « Une sorte de bleu », « A Kind of Blue », comme une [...]

Barry Wallenstein, Tony’s blues

Tout est insolite dans ce minuscule recueil de 12 cm sur 16,5 cm de l’éditeur « Pourquoi viens-tu si tard ? » Seize poèmes de Barry Wallenstein sont sélectionnés par la poète-traductrice [...]

Présentation de l’auteur

Zéno Bianu

Zéno Bianu est né d'une mère française et d'un père roumain réfugié politique. Il est en 1971 l'un des signataires du Manifeste électrique, qui secoua la poésie des années 1970.

En 1973, il séjourne pour la première fois en Inde. L'Orient laissera une empreinte durable particulièrement prégnante dans Mantra (1984), La Danse de l'effacement (1990) et au Traité des possibles (1997). Son voyage au Tibet en 1986 marquera également son œuvre, dans laquelle il s'attache à restituer le chant des poétiques d'autres cultures. 

En 1992, il fonde Les Cahiers de Zanzibar, revue «hors de tout commerce», avec Alain Borer, Serge Sautreau et André Velter. Il traduit, pour une mise en scène de Lluís Pasqual, Le Chevalier d'Olmedo de Lope de Vega, qui sera créé en Avignon. Puis Le Livre de Spencer d'après Christopher Marlowe (1994) et Le Phénix de Marina Tsvétaiéva (1996).

Il a reçu le Prix international de poésie francophone Ivan Goll en 2003. Il a dirigé la collection Poésie aux Editions Jean-Michel Place. Il reçoit Le Prix Robert Ganzo pour l'ensemble de son oeuvre en 2017.

© Crédits photos Helie Gallimard.

Bibliographie (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

Autres lectures

Une sorte de bleu…

Barry Wallenstein, Tony's Blues, traduction par Marilyne Bertoncini Zéno Bianu et Yves Buin, Santana De toutes les étoiles Zéno Bianu, Petit éloge du bleu « Une sorte de bleu », « A Kind of Blue », comme une [...]

Zéno Bianu, L’Éloge du Bleu

Dans ce petit livre, léger d’une centaine de pages, lourd de culture et de réflexions gaiement sérieuses, cédant à la facilité je dirai qu’on n’y voit que du bleu : sous prétexte d’ordre alphabétique [...]

Présentation de l’auteur

Yves Buin

Yves Buin est un écrivain français né le 20 mars 1938. Il est médecin pédo-psychiatre.

Il publie de nombreux  romans policiers, mais écrit aussi sur le jazz et la psychiatrie, est l'auteur de biographies. Il a publié une vingtaine d'ouvrages, dont Maël (Christian Bourgois), Fou-l'Art-Noir, Thelonious Monk et L’oiseau Garrincha (Le Castor Astral), La Terre d'Arnhem (Plon), Bornéo, après la nuit (Grasset), Essai d'herméneutique sexuelle (Seghers), Kerouac (Jean-Michel Place), Kapitza et Borggi (Rivages Noir).

© Crédits photos (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

Autres lectures

Une sorte de bleu…

Barry Wallenstein, Tony's Blues, traduction par Marilyne Bertoncini Zéno Bianu et Yves Buin, Santana De toutes les étoiles Zéno Bianu, Petit éloge du bleu « Une sorte de bleu », « A Kind of Blue », comme une [...]