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Christian Monginot, Coups de marteau en forme de ciel

La longue marche du poème

Coups de marteau en forme de ciel : Antonin Artaud, auquel l’auteur fait référence, aurait aimé ce livre de Christian Monginot où la langue, avec ses flux et reflux, s’insinue dans les anfractuosités, les plis, les replis de ce qui fait corps et se déploie au fil du poème. Car ce corps est plus que le corps, il est l’entour où irradient le monde, l’immonde, les guerres, le Mal, mais aussi l’ouverture épisodique du chant vers le ciel, vers la chair vivante de la nature et d’un monde qui retrouve, par instant, son humanité.

Comme l’affirme ce grand poème, il faut pour qu’apparaisse l’ouvert que se fracture le roman truqué de l’espèce/Le faux poème des choses, ce trucage que les gens dits « raisonnables » nomment « la réalité » ; il faut, toujours à nouveau, marteler la scansion, le rythme dans un long murmure qui, s’il procède du désespoir, c’est de celui par lequel une lumière authentique peut percer :

 

C’est pourquoi tu martèles sur ton billot

Ou tailles avec ton couteau

Ces instants qui sont autant

De degrés vers ce livre de chair

Réel

Christian Monginot, Coups de marteau en forme de ciel, éditions L’herbe qui tremble, Billère, 2021, 154 pages.

Car c’est dans la faille à maintenir ouverte que séjourne en secret « l’homme réel », hors des faux-semblants, des simulacres, hors de tout ce qui se donne à nous comme évidences, ce « roman » d’une réalité qui ressemble à un mauvais jeu de dupe, alors même que l’homme du quotidien, à la fois acteur et spectateur, se croit éveillé. Sont requis le souffle et le flux du Poème qui seuls peuvent frayer une voie là où semblait écrit « Sans issue » ; mais, pour cela :

 

Il ne suffit pas de frapper juste, il faut encore

Frapper fort

Et frapper sans cesse

Pour que la brèche des saveurs et des rêves

Ne se referme pas …

 

Alors se met à l’œuvre le poète, lui qui semble sans arme, avec sa fragilité, sa vulnérabilité, que sublime cependant son poème. Dès le matin, il se met en marche dans la langue, à travers les chemins du verbe, la langue qui souvent se perd/Dans ses fables, ses reflets, ses mensonges, et qui poursuit, envers et contre tout, sa route, malgré les obstacles, avec L’obstination limpide de la pluie :

 

Ce matin tu écriras vers cette infinité de plis

Où se dissimulent tant d’autres plis

Et tu déplieras

Ceux que tu peux

 

Mais le poète n’est point un doux rêveur retiré du monde ; il se retrouve à certains moments comme Au sommet du Golgotha, face aux Guerres inexpiables, non encore expiées ; il connaît Satan « l’imbécile » et Le Règne de la Bête. Ces titres de poèmes, qu’il nous faut comprendre loin des diableries et des bondieuseries vulgaires, nous donnent à entendre que se trouve ici posée la question du Mal et, corrélativement, celle d’un salut possible par la grâce de l’art. Il y a, dans le grand souffle des poèmes que nous livre Christian Monginot, une dimension métaphysique au sens le plus littéral du terme. Il y séjourne une attente pure, celle qui n’attend rien, pourtant ouverte à la venue de ce qui fatalement va venir :

 

Les choses passent,

Doivent passer,

Rien n’attend rien,

Et pourtant tout arrive

 

Arrive essentiellement le livre. Non un livre qui se paierait de mots, de « littérature », comme le demande l’« Autre du social » (Lacan), un objet qui ferait compromis, consensus, un produit culturel consommable, ainsi que le réclame le système de l’Argent, ce système qui avait déjà tant obsédé Péguy ou Bernanos à leur époque. La démarche de Christian Monginot affirme au contraire une poétique, une esthétique, une épopée à contre-courant, ô combien salutaire ! Il nous faut ici lui en rendre grâce. Car, ce que le poète espère, ce à quoi il travaille, c’est à :

 

Un livre 

Tenu sur sa ligne de rift,

Écrit au plus près

Des dents, de la langue, des os,

Un livre d’organes,

De blessures,

De commotions

 

Un livre, donc, tel que le voulait Artaud avec lequel le poète avoue être « en écho » et en « sympathie ». Et si le livre fait corps, c’est en englobant tout le dehors, avec ses lumières et ses ombres, son désenchantement et son espérance, ses crimes et sa beauté qui demeure, et que le poème saisit. Christian Monginot est en quête d’une innocence renouvelée, ayant traversé ce qu’il y a d’irrémédiable dans notre condition humaine. Et la question reste posée :

 

Comment s’éloigne-t-on,

À l’intérieur de soi,

Des anciens crimes et des nouveaux ?

 

Le livre, par son acte même, par son existence, constitue une forme de réponse… Quant aux dessins percutants de Denis Pouppeville, par la force de leur présence, ils accompagnent en harmonie le mouvement des poèmes.

 

Présentation de l’auteur

Christian Monginot

Christian Monginot, né en 1947 à Béziers. Famille maternelle d’origine italo-croate venue de Pula, famille paternelle champenoise. Enfance et une partie de l’adolescence à Rabat, Maroc. Vit en Aquitaine. Écrit depuis toujours. Publié beaucoup moins. Sur le tard.

Christian Monginot

Textes publiés aux éditions de L’Atlantique :

Poésie :
Ce que l’on ne peut dire
Voix inverse
Le syndrome d’Orphée
Sous la dictée de l’eau (en écho au Yi King)
Le livre de l’onde et du rocher (en écho au Livre des Psaumes, préface de Pierre Dhainaut)

Aphorismes :
Le livre de la stupeur et du vertige

Contes :
L’idiot et son tourment

 

Textes publiés aux éditions de L’herbe qui tremble :

Poésie :
Le miroir des solitudes (en écho à La Divine Comédie de Dante et illustré par Alain Dulac)
Le dit de l’horizon
Après les jours (en écho à l’œuvre et à la correspondance de Rimbaud et illustré par caroline François-Rubino)
Le radeau d’Ulysse (en écho à l’œuvre d’Homère et illustré par Denis Pouppeville)

 

En préparation aux éditions de L’herbe qui tremble :

Coups de marteau en forme de ciel (en écho à l’œuvre et aux cahiers d’Artaud, illustré par Denis Pouppeville)

 

Inédits :

Poésie :
Le livre du souffle et de l’écho (en écho au Livre de la Genèse)
Le livre de l’innocence et de ses fins
L’avaleur d’échanges et d’usages
Pour un jour d’exercice sur la terre (en écho à l’œuvre de Pascal)

Récit :
Patchwork
Articles publiés ou pas dans des revues et rassemblés en recueil :
L’innocence, l’erreur, l’écho
Publications sur les réseaux sociaux rassemblées en recueil :
Un souffle entre deux pierres, notes rapides au point du jour

Articles, poèmes, aphorismes publiés dans les revues :

Saraswati, Arpa, Nu(e), Poésie/première, Thauma, Rivaginaire, Glyphes, Lieux d’Être, Le Journal des Poètes, Encres Vives, Mange Monde.

 

En cours d’écriture :

Les chroniques de l’inconnaissance (journal de bord depuis les années 70)

L’insecte du placard (Livre entre réflexions et poésie en écho à l’œuvre et à la vie de Kafka)

 

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