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Dominique Sampiero, Ne dites plus jamais c’est triste

« Ne dites plus jamais / c’est triste / pour dire c’est moche / c’est raté / c’est quoi cette merde / genre tu ferais mieux de faire autre chose / que du triste quoi » : dès la première strophe, le « la » est donné, et c’est à partir de cette note tenue de bout en bout, au fil des vers libres au rythme saccadé, entre rires et larmes, que se déploie la musique d’un silence, tout juste une plainte hésitant entre sourire et sanglot, une émotion à peine contenue en appel à la sensibilité du lecteur, en ostinato poussé ad libitum

Dominique Sampiero semble, dans ce dernier ouvrage, faire une confidence, en aveu de réussite, qui mettrait, une bonne fois pour toutes, la fatalité du sort, échec et mat, dont la note biographique à la fin du recueil résume sa pensée sur la vanité comme sur le bienfondé de telle démarche : « car finalement la vie se joue entre la fureur des larmes et du rire, non ? À quoi bon tirer des plans sur la comète, un jour ou l’autre, toutes les étoiles s’éteindront »

Dès lors le poète ne saurait faire ni l’économie du malheur ni le diktat du bonheur, éprouvant peut-être ce « mal de vivre », pour reprendre la formule de Barbara, qui ne saurait le convier à nier la tristesse ; essuyer les larmes, certes, mais non congédier la tragédie de la vie dont quelques mots mal avisés seraient le présage, quelques maux d’une maladie transmissible, quand on saigne du sens ? « Ne dites plus jamais / c’est triste un poème / parce que vous ne comprenez pas / et qu’il y a le mot / mort douleur blessure / dedans / ces mots qui vous font peur / que vous avez bannis / de vos yeux de vos larmes / des fois on ne sait jamais / c’est contagieux la mort la douleur / ou la blessure / ça s’attrape non ? » 

À chacun de recourir par conséquent aux pouvoirs de l’imagination, à explorer encore les contrées merveilleuses d’un ré-enchantement possible de la vie rendue plus vaste par les yeux qui décillent à la rencontre de l’inattendu ou de l’insoupçonné qui vous foudroie sur place, vous laisse abasourdi, désarmé, à nu, et dont le pitoyable qualificatif de « triste » n’est que le cache-misère d’une réalité plus grande qui vous contient tout entier dans la pitié comme dans la joie !

Dominique Sampiero, Ne dites plus jamais c’est triste, La Boucherie Littéraire, 2020, 12 €.

« Finissez-en justement / avec le c’est triste / qui tombe à plat / ou qui fait mal / dites plutôt c’est grave / c’est profond / c’est tellement vrai / c’est tout moi ça / c’est de la balle / c’est vrai de vrai / c’est magnifique et troublant / envoûtant / délicat / c’est insupportable de beauté ».

Et quand le mot juste, pile, adéquat, est rendu à la démesure des sentiments, c’est jusqu’à l’adjectif trop usité qui se défait du manteau gris, grisâtre, grisaille, pour revêtir les fastes oripeaux de toutes les nuances émotives, rouge passion, bleu espoir ou jaune brûlant, et donner à entrevoir, écho en écho, la résonnance de cette si profonde, si désarmante tristesse, dans un mot-à-mot voisin : « triste d’amour / triste comme Yseult / triste ciel / triste acier / triste éternel / triste sommet / triste étoile / triste infligé / triste défait / Tristan même temps / triste Voie lactée / triste sauvage »

Et de ces variations de tonalités s’échappe comme un message secret, une lettre dans la lettre, l’ouverture du deuxième poème de ce recueil intitulée Manifeste à l’envers, dévoilant les coulisses, l’envers du décor, la généalogie du théâtre intime à ce plaidoyer pour la noblesse des sentiments qui nous relient, nous dépassent, poète et lecteur, possible fraternité humaine, sans fard, sans hypocrisie, révélant de l’enfance à la maturité le vœu farouche de porter haut et la joie, et la peine de ses semblables : « Soyez beau, soyez propre, efficace et joyeux ! Non. Vous avez droit à la tristesse, à la dépression, au deuil, confiez-moi vos peurs vos doutes et tout ce qui vous isole des autres. Mes mots, mes bras sont là pour vous. J’écrirai vos chagrins. »

Présentation de l’auteur

Dominique Sampiero

Dominique Sampiero est né dans l’Avesnois, région de prairie, de forêt, de bocage du Nord de la France, l’hiver où l’abbé Pierre lance son appel pour les sans-logis, quelques jours après la mort de Matisse et le même mois que la démission de Marguerite Duras du Parti Communiste.

Instituteur et directeur en école maternelle à partir de 1970 et pendant une vingtaine d’années, militant des pédagogies Freinet, Montessori, Rudolph Steiner et de la pensée humaniste de Françoise Dolto, il démissionne de l’Education nationale en 2000 pour se consacrer entièrement à l’écriture.

Poète (Prix Ganzo 2014 pour La vie est chaude, éditions Bruno Doucey et pour l’ensemble de son œuvre), romancier (Le rebutant, Gallimard, prix du roman Populiste 2003), auteur de livres jeunesses (P’tite mère, Prix sorcière 2004) mais aussi scénariste (Ça commence aujourd’hui, Prix international de la critique à Berlin, et Holy Lola, deux films réalisés par Bertrand Tavernier) auteur de théâtre (TchatLand / Le bleu est au fond) et réalisateur de courts métrages (La dormeuse / On est méchant avec ceux qu’on aime), il reste profondément attaché à sa région natale et une grande partie de son écriture parle de la lumière des paysages et des vies minuscules en lutte avec leur propre silence et l’oubli.

Son dernier roman Le sentiment de l’inachevé paru en Avril 2016 chez Gallimard est une plongée dans l’enfance à travers laquelle il raconte une histoire d’amour qui laissera une empreinte forte dans son élan vers l’écriture. La petite fille qui a perdu sa langue (Gallimard jeunesse Giboulées. Illustrations Bruno Liance ) a été écrit avec des enfants en difficulté scolaire. Les éditions de la Rumeur Libre ont publié le premier tome de l’ensemble de ses textes poétiques.

Photo de Jacques Van Roy.

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