Dominique Sampiero, Ne dites plus jamais c’est triste

Par |2023-05-06T08:28:27+02:00 29 avril 2023|Catégories : Critiques, Dominique Sampiero|

« Ne dites plus jamais / c’est triste / pour dire c’est moche / c’est raté / c’est quoi cette merde / genre tu ferais mieux de faire autre chose / que du triste quoi » : dès la pre­mière stro­phe, le « la » est don­né, et c’est à par­tir de cette note tenue de bout en bout, au fil des vers libres au rythme sac­cadé, entre rires et larmes, que se déploie la musique d’un silence, tout juste une plainte hési­tant entre sourire et san­glot, une émo­tion à peine con­tenue en appel à la sen­si­bil­ité du lecteur, en osti­na­to poussé ad libi­tum

Dominique Sampiero sem­ble, dans ce dernier ouvrage, faire une con­fi­dence, en aveu de réus­site, qui met­trait, une bonne fois pour toutes, la fatal­ité du sort, échec et mat, dont la note biographique à la fin du recueil résume sa pen­sée sur la van­ité comme sur le bien­fondé de telle démarche : « car finale­ment la vie se joue entre la fureur des larmes et du rire, non ? À quoi bon tir­er des plans sur la comète, un jour ou l’autre, toutes les étoiles s’éteindront »

Dès lors le poète ne saurait faire ni l’économie du mal­heur ni le dik­tat du bon­heur, éprou­vant peut-être ce « mal de vivre », pour repren­dre la for­mule de Bar­bara, qui ne saurait le con­vi­er à nier la tristesse ; essuy­er les larmes, certes, mais non con­gédi­er la tragédie de la vie dont quelques mots mal avisés seraient le présage, quelques maux d’une mal­adie trans­mis­si­ble, quand on saigne du sens ? « Ne dites plus jamais / c’est triste un poème / parce que vous ne com­prenez pas / et qu’il y a le mot / mort douleur blessure / dedans / ces mots qui vous font peur / que vous avez ban­nis / de vos yeux de vos larmes / des fois on ne sait jamais / c’est con­tagieux la mort la douleur / ou la blessure / ça s’attrape non ? » 

À cha­cun de recourir par con­séquent aux pou­voirs de l’imagination, à explor­er encore les con­trées mer­veilleuses d’un ré-enchante­ment pos­si­ble de la vie ren­due plus vaste par les yeux qui décil­lent à la ren­con­tre de l’inattendu ou de l’insoupçonné qui vous foudroie sur place, vous laisse aba­sour­di, désar­mé, à nu, et dont le pitoy­able qual­i­fi­catif de « triste » n’est que le cache-mis­ère d’une réal­ité plus grande qui vous con­tient tout entier dans la pitié comme dans la joie !

Dominique Sampiero, Ne dites plus jamais c’est triste, La Boucherie Lit­téraire, 2020, 12 €.

« Finis­sez-en juste­ment / avec le c’est triste / qui tombe à plat / ou qui fait mal / dites plutôt c’est grave / c’est pro­fond / c’est telle­ment vrai / c’est tout moi ça / c’est de la balle / c’est vrai de vrai / c’est mag­nifique et trou­blant / envoû­tant / déli­cat / c’est insup­port­able de beauté ».

Et quand le mot juste, pile, adéquat, est ren­du à la démesure des sen­ti­ments, c’est jusqu’à l’adjectif trop usité qui se défait du man­teau gris, grisâtre, gri­saille, pour revêtir les fastes ori­peaux de toutes les nuances émo­tives, rouge pas­sion, bleu espoir ou jaune brûlant, et don­ner à entrevoir, écho en écho, la réson­nance de cette si pro­fonde, si désar­mante tristesse, dans un mot-à-mot voisin : « triste d’amour / triste comme Yseult / triste ciel / triste aci­er / triste éter­nel / triste som­met / triste étoile / triste infligé / triste défait / Tris­tan même temps / triste Voie lac­tée / triste sauvage »

Et de ces vari­a­tions de tonal­ités s’échappe comme un mes­sage secret, une let­tre dans la let­tre, l’ouverture du deux­ième poème de ce recueil inti­t­ulée Man­i­feste à l’envers, dévoilant les couliss­es, l’envers du décor, la généalo­gie du théâtre intime à ce plaidoy­er pour la noblesse des sen­ti­ments qui nous relient, nous dépassent, poète et lecteur, pos­si­ble fra­ter­nité humaine, sans fard, sans hypocrisie, révélant de l’enfance à la matu­rité le vœu farouche de porter haut et la joie, et la peine de ses sem­blables : « Soyez beau, soyez pro­pre, effi­cace et joyeux ! Non. Vous avez droit à la tristesse, à la dépres­sion, au deuil, con­fiez-moi vos peurs vos doutes et tout ce qui vous isole des autres. Mes mots, mes bras sont là pour vous. J’écrirai vos chagrins. »

Présentation de l’auteur

Dominique Sampiero

Dominique Sampiero est né dans l’Avesnois, région de prairie, de forêt, de bocage du Nord de la France, l’hiver où l’abbé Pierre lance son appel pour les sans-logis, quelques jours après la mort de Matisse et le même mois que la démis­sion de Mar­guerite Duras du Par­ti Communiste.

Insti­tu­teur et directeur en école mater­nelle à par­tir de 1970 et pen­dant une ving­taine d’années, mil­i­tant des péd­a­go­gies Freinet, Montes­sori, Rudolph Stein­er et de la pen­sée human­iste de Françoise Dolto, il démis­sionne de l’Education nationale en 2000 pour se con­sacr­er entière­ment à l’écriture.

Poète (Prix Gan­zo 2014 pour La vie est chaude, édi­tions Bruno Doucey et pour l’ensemble de son œuvre), romanci­er (Le rebu­tant, Gal­li­mard, prix du roman Pop­uliste 2003), auteur de livres jeuness­es (P’tite mère, Prix sor­cière 2004) mais aus­si scé­nar­iste (Ça com­mence aujourd’hui, Prix inter­na­tion­al de la cri­tique à Berlin, et Holy Lola, deux films réal­isés par Bertrand Tav­ernier) auteur de théâtre (Tchat­Land / Le bleu est au fond) et réal­isa­teur de courts métrages (La dormeuse / On est méchant avec ceux qu’on aime), il reste pro­fondé­ment attaché à sa région natale et une grande par­tie de son écri­t­ure par­le de la lumière des paysages et des vies minus­cules en lutte avec leur pro­pre silence et l’oubli.

Son dernier roman Le sen­ti­ment de l’inachevé paru en Avril 2016 chez Gal­li­mard est une plongée dans l’enfance à tra­vers laque­lle il racon­te une his­toire d’amour qui lais­sera une empreinte forte dans son élan vers l’écriture. La petite fille qui a per­du sa langue (Gal­li­mard jeunesse Giboulées. Illus­tra­tions Bruno Liance ) a été écrit avec des enfants en dif­fi­culté sco­laire. Les édi­tions de la Rumeur Libre ont pub­lié le pre­mier tome de l’ensemble de ses textes poétiques.

Pho­to de Jacques Van Roy.

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Rémy Soual

Rémy Soual, enseignant de let­tres clas­siques et écrivain, ayant con­tribué dans des revues lit­téraires comme Souf­fles, Le Cap­i­tal des Mots, Kahel, Mange Monde, La Main Mil­lé­naire, ayant col­laboré avec des artistes plas­ti­ciens et rédigé des chroniques d’art pour Olé Mag­a­zine, à suiv­re sur son blog d’écri­t­ure : La rive des mots, www.larivedesmots.com Paru­tions : L’esquisse du geste suivi de Linéa­ments, 2013. La nuit sou­veraine, 2014. Par­cours, ouvrage col­lec­tif à la croisée d’artistes plas­ti­ciens, co-édité par l’as­so­ci­a­tion « Les oiseaux de pas­sage », 2017.
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