« Dans une autre vie / Les mar­guerites s’ef­feuil­lent au ralen­ti / Per­son­ne n’est vain­queur / Les proies les pré­da­teurs / Savourent le nec­tar / D’une pomme d’api / Api apicul­teur » : ces paroles de L’apiculteur repris­es par Raphaël résu­ment la quête de ce nec­tar, dans l’influence des plus grands de la chan­son française, Alain Bashung, Christophe, Gérard Manset, qui font le bon­heur fugace de l’ « hap­py » faiseur de tel miel, ce tré­sor qu’il fab­rique depuis L’Hôtel de l’Univers jusqu’à Haute fidél­ité, lui qui s’est présen­té d’emblée, dès son pre­mier album, comme un out­sider, un lais­sé-pour-compte de La meute avant de touch­er le Graal du suc­cès pop­u­laire avec Car­a­vane : « Je dois à tout prix te mon­tr­er ma force / Moi le lais­sé-pour-compte / De cette meute ani­male / De ce monde cat­a­stro­phe / Qui s’emballe qui s’emballe » !

Théâtre d’une planète en perte de repères, où cha­cun lutte pour sa survie, on songe déjà à Ani­mal, On Est Mal du Voyageur Soli­taire qui vit dans le jeune tal­ent la ten­ta­tion d’Être Rim­baud : « Être Rim­baud, ni laid, ni beau, / Comme Pier­rot et roder dans la ville / Avec le rire cru­el et le regard haineux. / Être de ceux jamais con­tent, / Jamais heureux, / Au long des quais mouil­lés, / Allant comme un noyé de la mal­adie bleu / Car l’homme n’est pas aimé. / Qui cherche la vraie vie ? »

Reprise de l’échappée poé­tique en Homme aux semelles de vent, c’est un chant de Vau­rien, de Voy­ou, de Vagabond, tou­jours Sur la route pour faire allu­sion à son duo aventurier(s) avec Jean-Louis Aubert enreg­istré dans son sec­ond album La réal­ité, qu’entonne Raphaël en invi­ta­tion au voy­age à l’apostrophe limpi­de de Car­a­vane : « Est-ce que rien ne peut arriv­er / Puisqu’il faut qu’il y ait une jus­tice / Je suis né dans cette car­a­vane / Et nous par­tons allez viens / Allez viens // Et parce que ma peau est la seule que j’ai / Que bien­tôt mes os seront dans le vent / Je suis né dans cette car­a­vane / Et nous par­tons allez viens / Allez viens / Allez viens » ! 

Raphaël, Hotel de l’u­nivers ℗ 2000 Par­lophone / Warn­er Music France, a Warn­er Music Group Com­pa­ny, com­pos­i­teur C. Manset Com­pos­er, texte Raphael Haroche.

Hymne(s) à la fuite, toutes les chan­sons de ce troisième album, au suc­cès foudroy­ant, s’écoutent en autant de mes­sages d’urgence à par­tir, à aimer, à vivre, et puisque le temps est comp­té, seule pré­vaut l’intensité à garder, cette beauté de l’instant à saisir, car qu’importe ce que nous serons dans 150 ans : « Et dans 150 ans, on s’en sou­vien­dra pas / De ta pre­mière ride, de nos mau­vais choix, / De la vie qui nous baise, de tous ces marchands d’armes, / Des types qui votent les lois là-bas au gou­verne­ment, / De ce monde qui pousse, de ce monde qui crie, / Du temps qui avance, de la mélan­col­ie, / La chaleur des bais­ers et cette pluie qui coule, / Et de l’amour blessé et de tout ce qu’on nous roule, / Alors souris. » Alors sur un tel sourire, sans par­tir fâché(s), Raphaël esquisse déjà, en équili­bre sur la corde de la chan­son-poème, son numéro de funam­bule, avant d’oser d’autres expéri­men­ta­tions, à suivre…

« Vive le vent de l’hiv­er / Et la chan­son de Prévert / Con­tin­ue sa route à l’en­vers / Je ne suis pas chré­tien / Mais de tout je me sou­viens » : ain­si entonne le chantre des let­tres de noblesse de ses pres­tigieux aînés, dans Le Vent de l’hiver, affir­mant avec dés­in­vol­ture : Je sais que la terre est plate, et lais­sant déjà fil­er Le Petit train de sa jeunesse, embar­quant désor­mais dans la loco­mo­tive du Pacif­ic 231 pour renouer tant avec le charme de la moder­nité que l’élégance de ce mys­tère pro­fond qui innerve ses chan­sons con­tre ce qui ruine le quo­ti­di­en, de la guerre à La Petite mis­ère à l’élan vers l’enchantement de La Fée, la sig­na­ture de ce qua­trième album mar­quant un retour aux sources énig­ma­tiques d’une poésie à décrypter, coulant dans toutes les riv­ières de dia­mants de ses dis­ques suiv­ants, box­ant avec les mots, dans sa caté­gorie Super Wel­ter, livrant ce com­bat de la vie décu­plée par les chœurs d’enfants, sur le fil des Som­nam­bules, don­nant en offrande son véri­ta­ble Chant d’honneur : « J’ai fait la guerre à mes mis­ères / J’ai fait la guerre à mes colères / Et j’ai tué quelques cris / Fait explos­er ma jalousie / Com­bat­tu ce qui me tue / Et bat­tu pour l’hon­neur / Aux médailles, aux ver­tus / J’ai com­bat­tu à mains nues », dans ce pugi­lat de l’existence qu’il trans­forme en noble art, avant d’être emporté par le grand tour­bil­lon de l’Anti­cy­clone qui témoigne du réchauf­fe­ment cli­ma­tique et de la dis­pari­tion de l’espèce, dans  L’Année la plus chaude de tous les temps, à don­ner cette envie irré­press­ible de Retourn­er à la mer, chan­son en clin d’œil à son recueil de nou­velles du même titre, dont la finesse de l’écriture avec sa galerie de sec­ond rôles emblé­ma­tiques, entre ouvri­er d’abattoir, vig­ile, strip-teaseuse, et fils indigne, dévoile une part d’humanité à la fois pathé­tique et touchante, bal­ayant l’image du Vagabond qui lui colle à la peau…

Haute fidél­ité, extrait de l’al­bum Haute fidél­ité, https://Raphael.lnk.to/hautefidelite — Réal­i­sa­tion : Jean-Bap­tiste Mondi­no Pro­duc­tion exéc­u­tive : ICONOCLAST.

C’est alors à pro­longer ce sil­lon d’une Haute fidél­ité que s’applique la créa­tion de Raphaël, dont le dernier album, car­ac­téris­tique de ce sens de la loy­auté, de la parole don­née aux autres, dans son habileté à côtoy­er cette part déjà évo­quée et tou­jours inex­pliquée, faisant de cha­cun des titres de cette œuvre de poésie sonore, une his­toire trou­blante, un secret à demi-mots, invi­tant des inter­prètes féminines à en partager le réc­it, du Train du soir avec Pomme à Si tu pars ne dis rien avec Clara Luciani, jouant du Maquil­lage bleu, con­viant égale­ment son jeune parte­naire en ses hautes ter­res, Arthur Teboul, dans La Jetée et dans Per­son­ne n’a rien vu, à met­tre en pleine lumière la grandeur du sen­ti­ment amoureux, mal­heureuse­ment resté dans l’ombre, passé sous silence, si brûlant encore, mais comme men­acé : « Per­son­ne n’a rien vu de mon amour, mon amour / Ho, per­son­ne n’a rien vu com­bi­en j’é­tais pâle en plein jour / Sauf les rayons tox­iques de la lune / De la couleur d’un fusil chargé à bloc (Per­son­ne n’a rien vu) / Je suis sor­ti dehors pour me calmer un peu / Elle m’a envahi comme le feu (Per­son­ne n’a rien vu) / Elle a brûlé les vais­seaux, changé de peau / Brûlé les vais­seaux, changé de peau / Et les vais­seaux extra-ter­restres sous nos peaux (Per­son­ne n’a rien vu) » ! L’implicite des sec­onds degrés dans le sur­réal­isme de l’écriture reliant les deux paroliers garde là aus­si ses mille-et-un sens cachés, à peine dévoilés, le Mys­tère reste entier, Raphaël et Arthur Teboul en étant devenus les explo­rateurs enhardis, sans fin…

Raphaël, Le bleu du ciel · Haute fidél­ité ℗ 2020, Sony Music Entertainment.

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Rémy Soual

Rémy Soual, enseignant de let­tres clas­siques et écrivain, ayant con­tribué dans des revues lit­téraires comme Souf­fles, Le Cap­i­tal des Mots, Kahel, Mange Monde, La Main Mil­lé­naire, ayant col­laboré avec des artistes plas­ti­ciens et rédigé des chroniques d’art pour Olé Mag­a­zine, à suiv­re sur son blog d’écri­t­ure : La rive des mots, www.larivedesmots.com Paru­tions : L’esquisse du geste suivi de Linéa­ments, 2013. La nuit sou­veraine, 2014. Par­cours, ouvrage col­lec­tif à la croisée d’artistes plas­ti­ciens, co-édité par l’as­so­ci­a­tion « Les oiseaux de pas­sage », 2017.