« Dans une autre vie / Les marguerites s’effeuillent au ralenti / Personne n’est vainqueur / Les proies les prédateurs / Savourent le nectar / D’une pomme d’api / Api apiculteur » : ces paroles de L’apiculteur reprises par Raphaël résument la quête de ce nectar, dans l’influence des plus grands de la chanson française, Alain Bashung, Christophe, Gérard Manset, qui font le bonheur fugace de l’ « happy » faiseur de tel miel, ce trésor qu’il fabrique depuis L’Hôtel de l’Univers jusqu’à Haute fidélité, lui qui s’est présenté d’emblée, dès son premier album, comme un outsider, un laissé-pour-compte de La meute avant de toucher le Graal du succès populaire avec Caravane : « Je dois à tout prix te montrer ma force / Moi le laissé-pour-compte / De cette meute animale / De ce monde catastrophe / Qui s’emballe qui s’emballe » !
Théâtre d’une planète en perte de repères, où chacun lutte pour sa survie, on songe déjà à Animal, On Est Mal du Voyageur Solitaire qui vit dans le jeune talent la tentation d’Être Rimbaud : « Être Rimbaud, ni laid, ni beau, / Comme Pierrot et roder dans la ville / Avec le rire cruel et le regard haineux. / Être de ceux jamais content, / Jamais heureux, / Au long des quais mouillés, / Allant comme un noyé de la maladie bleu / Car l’homme n’est pas aimé. / Qui cherche la vraie vie ? »
Raphaël, Hotel de l’univers ℗ 2000 Parlophone / Warner Music France, a Warner Music Group Company, compositeur C. Manset Composer, texte Raphael Haroche.
Hymne(s) à la fuite, toutes les chansons de ce troisième album, au succès foudroyant, s’écoutent en autant de messages d’urgence à partir, à aimer, à vivre, et puisque le temps est compté, seule prévaut l’intensité à garder, cette beauté de l’instant à saisir, car qu’importe ce que nous serons dans 150 ans : « Et dans 150 ans, on s’en souviendra pas / De ta première ride, de nos mauvais choix, / De la vie qui nous baise, de tous ces marchands d’armes, / Des types qui votent les lois là-bas au gouvernement, / De ce monde qui pousse, de ce monde qui crie, / Du temps qui avance, de la mélancolie, / La chaleur des baisers et cette pluie qui coule, / Et de l’amour blessé et de tout ce qu’on nous roule, / Alors souris. » Alors sur un tel sourire, sans partir fâché(s), Raphaël esquisse déjà, en équilibre sur la corde de la chanson-poème, son numéro de funambule, avant d’oser d’autres expérimentations, à suivre…
« Vive le vent de l’hiver / Et la chanson de Prévert / Continue sa route à l’envers / Je ne suis pas chrétien / Mais de tout je me souviens » : ainsi entonne le chantre des lettres de noblesse de ses prestigieux aînés, dans Le Vent de l’hiver, affirmant avec désinvolture : Je sais que la terre est plate, et laissant déjà filer Le Petit train de sa jeunesse, embarquant désormais dans la locomotive du Pacific 231 pour renouer tant avec le charme de la modernité que l’élégance de ce mystère profond qui innerve ses chansons contre ce qui ruine le quotidien, de la guerre à La Petite misère à l’élan vers l’enchantement de La Fée, la signature de ce quatrième album marquant un retour aux sources énigmatiques d’une poésie à décrypter, coulant dans toutes les rivières de diamants de ses disques suivants, boxant avec les mots, dans sa catégorie Super Welter, livrant ce combat de la vie décuplée par les chœurs d’enfants, sur le fil des Somnambules, donnant en offrande son véritable Chant d’honneur : « J’ai fait la guerre à mes misères / J’ai fait la guerre à mes colères / Et j’ai tué quelques cris / Fait exploser ma jalousie / Combattu ce qui me tue / Et battu pour l’honneur / Aux médailles, aux vertus / J’ai combattu à mains nues », dans ce pugilat de l’existence qu’il transforme en noble art, avant d’être emporté par le grand tourbillon de l’Anticyclone qui témoigne du réchauffement climatique et de la disparition de l’espèce, dans L’Année la plus chaude de tous les temps, à donner cette envie irrépressible de Retourner à la mer, chanson en clin d’œil à son recueil de nouvelles du même titre, dont la finesse de l’écriture avec sa galerie de second rôles emblématiques, entre ouvrier d’abattoir, vigile, strip-teaseuse, et fils indigne, dévoile une part d’humanité à la fois pathétique et touchante, balayant l’image du Vagabond qui lui colle à la peau…
Haute fidélité, extrait de l’album Haute fidélité, https://Raphael.lnk.to/hautefidelite — Réalisation : Jean-Baptiste Mondino Production exécutive : ICONOCLAST.
C’est alors à prolonger ce sillon d’une Haute fidélité que s’applique la création de Raphaël, dont le dernier album, caractéristique de ce sens de la loyauté, de la parole donnée aux autres, dans son habileté à côtoyer cette part déjà évoquée et toujours inexpliquée, faisant de chacun des titres de cette œuvre de poésie sonore, une histoire troublante, un secret à demi-mots, invitant des interprètes féminines à en partager le récit, du Train du soir avec Pomme à Si tu pars ne dis rien avec Clara Luciani, jouant du Maquillage bleu, conviant également son jeune partenaire en ses hautes terres, Arthur Teboul, dans La Jetée et dans Personne n’a rien vu, à mettre en pleine lumière la grandeur du sentiment amoureux, malheureusement resté dans l’ombre, passé sous silence, si brûlant encore, mais comme menacé : « Personne n’a rien vu de mon amour, mon amour / Ho, personne n’a rien vu combien j’étais pâle en plein jour / Sauf les rayons toxiques de la lune / De la couleur d’un fusil chargé à bloc (Personne n’a rien vu) / Je suis sorti dehors pour me calmer un peu / Elle m’a envahi comme le feu (Personne n’a rien vu) / Elle a brûlé les vaisseaux, changé de peau / Brûlé les vaisseaux, changé de peau / Et les vaisseaux extra-terrestres sous nos peaux (Personne n’a rien vu) » ! L’implicite des seconds degrés dans le surréalisme de l’écriture reliant les deux paroliers garde là aussi ses mille-et-un sens cachés, à peine dévoilés, le Mystère reste entier, Raphaël et Arthur Teboul en étant devenus les explorateurs enhardis, sans fin…
Raphaël, Le bleu du ciel · Haute fidélité ℗ 2020, Sony Music Entertainment.
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