« C’est voy­ant comme je t’aime / C’est trou­blant de jouer ce thème / La céré­monie du Bap­tême / Qu’il est bon de faire ce qu’on aime » : sous les mots céré­monieux du Bap­tême, le jeune Matthieu Ché­did, lors de son pre­mier album solo, en 1997, der­rière les traits de son per­son­nage qu’il n’aura de cesse ensuite de réin­ven­ter, celui de ‑M-, entre en scène… Grâce à la fan­taisie de sa créa­tiv­ité, l’artiste a ain­si fait de lui-même ce dou­ble mul­ti­col­ore à la coupe de cheveux invraisem­blable, à la manière du grand David Bowie devenant l’emblématique Zig­gy Star­dust !

À la sig­na­ture de cette let­tre d’amour, la majus­cule M entourée de ses deux tirets, Matthieu Ché­did peut lâch­er désor­mais ses solos incan­des­cents à la gui­tare ain­si que toute sa part d’extravagances au fil de son humour mali­cieux ! Son art sera alors tou­jours au ser­vice d’un com­bat human­iste de défense et d’illustration de l’être humain dans ce qu’il peut avoir de meilleur comme l’indique déjà le refrain de cette chan­son ini­ti­a­tique Le Bap­tême : « Car j’opte pour l’homme / J’suis apte pour le M / J’ai changé mon matricule / Immac­ulé, je mets un M / J’opte pour l’âme / J’suis apte pour le M / Qu’il est bon de faire ce qu’on aime / À même la peau, à même les veines » …

Le bap­tême · M ℗ 1997 Par­lophone / Warn­er Music France, A Warn­er Music Group Company.

Ayant déjà accom­pli une car­rière de musi­cien mul­ti-instru­men­tiste quand il était encore à l’arrière de Sin­clair, NTM, Faudel ou Vanes­sa Par­adis, en fan indé­fectible de Jimi Hen­drix qui a influ­encé son jeu libéra­teur de gui­tare, ‑M- s’offre pour son sec­ond album, en 1999, la par­tic­i­pa­tion mag­nifique de sa grand-mère Andrée Ché­did aux paroles de la chan­son-titre de Je dis Aime qui expri­ment au plus juste le sym­bole du com­bat tout en poésie que mène le digne petit-fils : « Je dis Aime / Et je le sème / Sur ma planète / Je dis M / Comme un emblème / La haine je la jette / Je dis Aime, Aime, Aime ». La com­pag­nie fidèle de deux musi­ciens impro­visa­teurs ayant com­posé par ailleurs le groupe trip-hop Bum­cel­lo, Cyril Atef aux per­cus­sions et à la bat­terie et Vin­cent Ségal au vio­lon­celle, sous-tend l’écriture pleine de lib­ertés, d’audaces, de délires et de joies de vivre, dans un écrin musi­cal à la hau­teur de l’ambition scénique du créa­teur, de la légèreté nim­bée d’érotisme d’Onde sen­suelle à l’éclosion de l’univers de son Monde virtuel, en pas­sant par un sens décom­plexé de la par­o­die et de l’autodérision dans Le com­plexe du Corn Flakes déjà ini­tié depuis la danse débridée du Machis­ta­dor

Tou­jours sous la plume élé­gante d’Andrée Ché­did, la chan­son révéla­trice de son troisième album, en 2002, Qui de nous deux ?, dévoile la ten­sion entre la vérité de l’être et le masque qui n’a pour­tant rien de trompeur, mais tou­jours exac­erbe l’imaginaire de l’artiste, à l’aveu con­fi­den­tiel Je me démasque : « J’ai son côté fan­tas­ma­tique / Un peu BD et roman­tique / Réal­ité un brin mag­ique / Sou­vent lunaire sous mes tuniques / Je suis ici mais avec lui / J’l’ai dans la peau / Je monte aux tréteaux / Tout seul, moi-même / Avec le cœur bar­bouil­lé d’M / Je me démasque / M mon fan­tasque / Colle à mes basques / Réclame d’autres frasques ». De ce con­flit intime nais­sant entre le per­son­nage pub­lic et l’homme privé, la poète a for­mulé de façon défini­tive l’intuition de la réso­lu­tion de l’énigme essen­tielle qui fait le Mys­tère déjà annon­cé du Mis­ter : « Je vais, je viens en com­pag­nie / Avec ce dou­ble en utopie / Plus de jeu, plus de masque / Avec mon M tou­jours en place / Plus de jeu, plus de masque / Lui en dedans, moi en avant » …

Matthieu Ché­did, Qui de nous deux.

Pour pro­longer avec fidél­ité les let­tres de noblesse de sa rela­tion avec Andrée Ché­did, qui d’autre que Brigitte Fontaine, égale­ment poète et chanteuse, pou­vait mieux prêter son écri­t­ure à huit textes du qua­trième album de Matthieu Ché­did dont l’intrigant Mis­ter Mys­tère ? « Mis­ter Mys­tère / Aime l’hiver / Aux ciels de pierre / Mis­ter Mys­tère / Kiffe la chair / Glaciale et claire / Mis­ter Mys­tère / Aime l’éclair / Qui fend la terre / Mis­ter Mys­tère / A des posters / De sa grand-mère / Mis­ter Mys­tère / Tu gardes ton mys­tère, mis­ter / Mis­ter Mys­tère » ! Porté par les mots tru­cu­lents comme le brin de folie de son aînée, Le Roi des Ombres, pour repren­dre le cos­tume tail­lé dans une autre chan­son, l’auteur-compositeur-interprète sait quit­ter les ori­peaux fastueux de son théâtre pour priv­ilégi­er son dou­ble lien tant à la sur­réal­iste Brigitte Fontaine qu’à la pas­sion­née Andrée Ché­did, à tra­vers L’Élixir de leur poésie en partage lut­tant con­tre la mal­adie et l’oubli, avant l’effacement des traces : « Absorbé d’humeurs fan­toma­tiques / À mi-chemin d’une bal­lade en l’air / Une nuit comme les autres / Sous une pleine lune, une lumière / Une âme sen­si­ble, solaire et soli­taire / Réap­pa­raît comme l’éclair / Soudain j’me dis­sous / Soudain j’imagine une vie sans spleen / Est-ce vrai­ment un crime ? / Un bon­heur irréel, un mélange idéal / Infin­i­ment sub­til m’envahit et m’enflamme / Est-ce que tu sens / C’que j’ressens / Quand je respire / Est-ce que tu sens / L’élixir / Est-ce que tu sens » …

Matthieu Ché­did, Mis­ter mys­tère, Music video by M per­form­ing Mis­ter Mys­tère. © 2010 Barclay.

Ce sont plusieurs nou­veaux vis­ages d’Îl(s) comme plusieurs éclats de miroirs ten­dus à ses pairs que déploient alors les mélodies de ce cinquième album en invi­ta­tion à lâch­er l’énergie si vitale, si néces­saire, dans son urgence débridée d’une nou­velle choré­gra­phie rock, ce Mod­jo que cha­cun a en soi, par-delà bien et mal, beau et laid, norme ou folie, à libér­er l’animal en nous : « Pourquoi toutes ces caress­es iné­gales / Quand elles ressen­tent mes ondes ani­males ? / Momo­mo­mo mojo momo mojo / Laisse-toi aller dans les bras du mojo / Visions d’auras, d’orages mal mal­gré moi / J’ai pour­tant été sage jusque jusque-là / Momo­mo­mo mojo momo mojo / Laisse-toi aller c’est qu’ça c’est le mojo » ; « mojo » dont l’autre titre phare de cet album éclec­tique mais qui ne cède rien en fan­taisie reste l’hymne à la sin­gu­lar­ité, à l’altérité, à la fra­ter­nité et essen­tielle­ment à la vie qui nous relie cha­cun à tous, Océan dont l’écriture repose sur le jeu de mots par homo­phonie entre « Océan » et « Oh c’est en… » : « Quand je la regarde / Ça se voit tout de suite / C’est un océan paci­fique / Mais dis où est la haine / Au cœur de ton silence ? / C’est en toi, c’est en moi / Oh c’est en nous » …

Après l’aventure col­lec­tive de Mal­o­ma­li, album aux mul­ti­ples influ­ences africaines, en 2017, à tra­vers lequel ‑M- est par­ti à Bamako pour enreg­istr­er avec des artistes maliens comme les joueurs de kora Toumani et Sidi­ki Dia­baté et la chanteuse Fatouma­ta Dia­mawara, Matthieu Ché­did revient à la pop française enrichie de ses métis­sages, en sig­nant sa Let­tre infinie, en 2019, son six­ième album : « Une let­tre dans la let­tre en quelque sorte / (Let­tre infinie infinie) / Une page blanche avec au beau milieu en sim­ple M / Une sim­ple let­tre celle de l’amour avec des ailes / (Let­tre infinie) / Sans un mot tout est dit infin­i­ment et pour la vie / (Let­tre infinie) / (Let­tre infinie) / Est-ce l’être infi­ni qui me l’écrit / La let­tre infinie que je relis ? / (Let­tre infinie infinie) / Infin­i­ment et pour la vie / À l’être infi­ni que je suis / Je t’aime à l’infinie »…

Matthieu Ché­did, extrait de l’al­bum Let­tre Infinie à retrou­ver dans un grand petit Cof­fret col­lec­tor disponible le 20 novem­bre 2020. Clip réal­isé par Tim­o­th­ée Hilst & Le Singinoscope.

Magie retrou­vée avec la par­tic­i­pa­tion au chant de sa fille Bil­lie qui fait de Matthieu Ché­did / ‑M- L’Alchimiste de cette quête poé­tique, artis­tique, tout sim­ple­ment humaine, ini­tiée depuis Le Bap­tême, comme l’indique ce titre-clé entre sci­ence et sor­cel­lerie : « Je veux être une étoile / Pas un feu d’artifice / Je ne veux pas de voile / Pas de sac à mal­ice / Non j’suis pas l’être suprême / Je ne suis que moi-même / Et c’est pour ça qu’on m’aime / Oui je suis blond et je suis l’or / C’est cela qu’on voit qu’on adore / Oui je suis blond et je suis l’or / Un alchimiste je m’en foutiste »…

De cette inso­lente fran­chise con­ciliant et le masque et le vis­age, dans son sep­tième album Rêval­ité, en 2022, l’homme et l’artiste réu­nis obti­en­nent désor­mais la col­lab­o­ra­tion de Gail Ann Dorsey, l’ex-bassiste de David Bowie qui fut dès ses pre­miers pas en tant que ‑M- sa référence suprême, œuvre com­mune dans laque­lle elle et lui se rêvent en super héros d’une réal­ité rêvée ou d’un rêve devenu réal­ité, dont le pre­mier titre donne au réel mirac­uleux engen­dré l’étoffe des songes des débuts, à tiss­er le vête­ment imag­i­naire qu’il se réin­vente d’album en album, pour con­vi­er ceux qui veu­lent partager son aven­ture pro­lifique et pro­téi­forme, à leur tour, à oser, à rêver, à imag­in­er encore, forgeant par-delà les con­tra­dic­tions entre « Rêve » et « Réal­ité » la créa­tion du néologisme-oxymore-apogée-de-notre-part‑d’humanité : « Rêval­ité » : « À la fois si près, si loin des choses / Aveuglés sur les écrans-névros­es / D’évidence, on s’invente / Des vies qui s’opposent / Au cœur du cœur de la nuit, le jour / Au cœur du cœur de ma vie, l’amour / Atome ultime dans un ulti­ma­tum / Voilà l’homme / Rêve / Réal­ité / Être l’un et l’autre sans rival­ité / Rêve / Réal­ité / je vis dans ce rêve en réal­ité / Rêvalité » !

Matthieu Ché­did, Rêval­ité.

image_pdfimage_print
mm

Rémy Soual

Rémy Soual, enseignant de let­tres clas­siques et écrivain, ayant con­tribué dans des revues lit­téraires comme Souf­fles, Le Cap­i­tal des Mots, Kahel, Mange Monde, La Main Mil­lé­naire, ayant col­laboré avec des artistes plas­ti­ciens et rédigé des chroniques d’art pour Olé Mag­a­zine, à suiv­re sur son blog d’écri­t­ure : La rive des mots, www.larivedesmots.com Paru­tions : L’esquisse du geste suivi de Linéa­ments, 2013. La nuit sou­veraine, 2014. Par­cours, ouvrage col­lec­tif à la croisée d’artistes plas­ti­ciens, co-édité par l’as­so­ci­a­tion « Les oiseaux de pas­sage », 2017.