Fran­copo­lis, revue en ligne, paraît tous les deux mois, pour cinq édi­tions dans l’an­née (relâche en juil­let-août), en appelant à toutes les fran­coph­o­nies, et priv­ilé­giant la poésie mais pas seule­ment, raf­folant des arts (visuels et autres)… 

D’i­ci un an, elle fêtera 20 ans d’ex­is­tence ! À tra­vers le numéro 166 de Mars-Avril 2021, c’est le partage du print­emps et du renou­veau qui est à l’hon­neur avec une édi­tion spé­ciale con­sacrée par ailleurs à  « L’adieu-clarté de Philippe Jac­cot­tet », lec­ture par Dana Shish­man­ian de La Clarté Notre-Dame, paru en févri­er 2021, aux édi­tions Gal­li­mard, dont la dédi­cataire, José-Flo­re Tap­py par­le en ces mots : « Il y a quelque chose de tes­ta­men­taire dans ce texte. On sent le poète prêt à franchir le dernier seuil, mais aus­si vouloir retenir quelque chose – ou se tenir à une main invis­i­ble pour ne pas gliss­er trop vite… le son d’une cloche, le mur­mure d’une eau vive, un vers de Hölder­lin, de Dante ou de Leop­ar­di, un haïku. C’est un vieil homme qui se pré­pare au dernier voy­age. » Véri­ta­ble madeleine de Proust d’où s’élève ce chant ultime !

Revue Fran­copo­lis, http://www.francopolis.net

Temps de la mémoire en prélude à la sai­son du mer­veilleux, dont cer­taines rubriques mon­trent les hori­zons, comme la nou­velle de Bib­lio­thèque Fran­copo­lis con­sacrée à Éloge de l’émerveillement de Jeanne Ger­val ARouff, livret représen­tant, tou­jours selon sa pré­facière Dana Shish­man­ian, « la quin­tes­sence d’une œuvre et d’une vie, dans l’expression de leur but ultime : retrou­ver le regard qui nous regarde quand nous regar­dons dans le monde… et en nous-même. », quête plongeant ses racines dans la philoso­phie antique de Socrate auquel on prête l’adage : « La sagesse com­mence dans l’émerveillement ». Spir­i­tu­al­ité d’une démarche aux yeux des poètes, dont les bil­lets d’humeur et apho­rismes en réflex­ions sur notre temps gar­dent la nos­tal­gie, tels Le temps d’oublier Dieu par Michel Ostertag : « Dieu est sor­ti de notre pen­sée, de  notre réflex­ion, nous sommes entrés dans un temps d’oubli, de lui de ses pré­ceptes. Mais pour­ra-t-on con­tin­uer ain­si indéfin­i­ment ? Le temps d’oublier Dieu est for­cé­ment un temps court, don­né sur une péri­ode cal­culée. Le tumulte du monde devra s’estomper un jour ou l’autre, la sérénité devra réap­pa­raître pour nous tous, qui ne souhaite pas cela ? Espérons que le temps d’oublier Dieu devi­enne un vague sou­venir dont plus per­son­ne ne se souviendra ! » 

Toute­fois, sans querelle de chapelles, riche de ses dif­férences, la revue offre autant d’occasions de péré­gri­na­tions à la fois célestes et ter­restres, comme ceux en quelques haïkus newyorkais, des notes de voy­age Dans la ville avide de Mireille Pod­ch­leb­nik, dans la rubrique pieds des mots « où les mots quit­tent l’abstrait pour s’ancrer dans un lieu, un per­son­nage, une ren­con­tre… » : « Sous un vent glacial, arrivés sur la 34ème rue par le métro à la sta­tion Brook­lyn Bridge, nous enta­mons à pied la longue tra­ver­sée du pont, nous retour­nant à chaque instant pour décou­vrir et admir­er la vue à couper le souf­fle sur ces tours immenses. / Mul­ti­tudes et con­trastes / Dans la ville avide / Un étranger nous sourit ». Appel au départ qui reten­tit égale­ment dans le Raga du voy­age, poème de Dana Shish­man­ian : « Par­tir juste par­tir / en rêvant de palmiers / sur une plage déserte / ton corps à l’abandon des flots / d’une marée mon­tante / dis­sout par le vent / pul­vérisé en mille graines / de sable fin / doré sous l’ardeur assagie / du cré­pus­cule ». Ves­tige de ce grand souf­fle, Juste le vent… poème inédit de Mireille Diaz-Flo­ri­an : « Je me suis arrêtée / À l’échancrure du vide / S’ouvriraient ce jour-là / Des pages de sable nu // Der­rière moi s’effritait le silence / Des mots / En taille dure / En blessure vive // Je me suis avancée / Au bord de la ligne d’horizon // Un pan entier du ciel avait dis­paru // Sur la ligne estom­pée / J’ai vu gliss­er le vent // Juste le vent »…

Ciel dis­paru, envers du monde que les plumes de Fran­copo­lis n’ont de cesse d’explorer, par-delà les car­cans de pen­sée et les prismes idéologiques, selon la philoso­phie de la charte dont « L’esprit du mul­ti­ple » retraduit cet esprit col­lec­tif : « Fran­copo­lis est ouvert à tous, il ne s’agit surtout pas pour nous de par­ticiper à une quel­conque entre­prise d’uniformisation par la langue, ou d’impérialisme d’une cul­ture unique, mais au con­traire d’établir et d’encourager la voie qu’au-delà même de cette langue des façons d’être, de penser et de sen­tir, ont été ren­dues pos­si­bles, sont ren­dues pos­si­bles ou vont être ren­dues pos­si­bles. » Expan­sion des poten­tial­ités de vie par la poésie, dont la revue, à tra­vers ses divers­es con­tri­bu­tions, en demeure une charnière ouvrière, des lec­tures, chroniques, essais, jusqu’aux fran­cose­mailles et à la créa­phonie, autant de con­tours inédits d’une créa­tion en partage, pour un « voy­age cos­mopo­lite » en hautes ter­res explorées !

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Rémy Soual

Rémy Soual, enseignant de let­tres clas­siques et écrivain, ayant con­tribué dans des revues lit­téraires comme Souf­fles, Le Cap­i­tal des Mots, Kahel, Mange Monde, La Main Mil­lé­naire, ayant col­laboré avec des artistes plas­ti­ciens et rédigé des chroniques d’art pour Olé Mag­a­zine, à suiv­re sur son blog d’écri­t­ure : La rive des mots, www.larivedesmots.com Paru­tions : L’esquisse du geste suivi de Linéa­ments, 2013. La nuit sou­veraine, 2014. Par­cours, ouvrage col­lec­tif à la croisée d’artistes plas­ti­ciens, co-édité par l’as­so­ci­a­tion « Les oiseaux de pas­sage », 2017.