« un poseur de gril­lage / rumi­nait son chô­mage / un soir en buvant sa bière / il inven­ta les fron­tières / telle­ment il gril­lageait / qu’il n’eût plus aucun con­gé » : en guise d’édito, la revue lit­téraire et péd­a­gogique Cairns 32 met à l’honneur la thé­ma­tique du 25ème Print­emps des poètes : « Fron­tières ». Ces quelques vers dis­ent avec justesse tant l’enfer quo­ti­di­en que la mul­ti­pli­ca­tion des car­cans que nous n’aurions de cesse de bâtir. Fron­tières omniprésentes, fron­tières à l’assaut de l’ « espace du dedans », fron­tières à braver peut-être pour libér­er ain­si notre « loin­tain intérieur », pour repren­dre les for­mules d’Henri Michaux qui déjà traçaient d’autres con­tours à notre géo­gra­phie intime, imag­i­na­tion d’un hori­zon plus grand que les regards ne sauraient embrass­er dans leur immensité…

De l’écriture sous l’influence de la forme brève du haïku sous la plume de Georges Friedenkraft à ce souhait peut-être partagé de « réin­ven­ter la lumière » au fil de l’itinérance dans l’extrait de Sur le rivage, Écho Optique d’Alain Boudet, les formes poé­tiques se mul­ti­plient pour explor­er ce thème. Au cœur des périples de toute l’humanité depuis le mythe fon­da­teur d’Ulysse, ces textes sont accom­pa­g­nés de clair­voy­antes pistes péd­a­gogiques en autant d’invitations à lire, à écrire, à réécrire ses pro­pres poèmes, à redé­cou­vrir des doc­u­ments, des pho­togra­phies, des œuvres maîtress­es, à recourir à ses véri­ta­bles ressources de créa­tiv­ité. Nous inter­rogerons mieux ain­si cha­cun, quelle que soit la tranche d’âge, notre rap­port au monde à tra­vers ce thème-clé dans tous ces reg­istres de nuances : épique, trag­ique, lyrique…

            Cer­tains dis­tiques par­mi les con­tri­bu­tions de la revue comme ceux rédigés par Michaël Gluck, Sur l’autre rive, réson­nent chez le lecteur en vœu secret d’être dans ce rôle de passeur, de pas­sage, de passerelle qui fait la grandeur de la poésie, des traces qui font rêver : « tu vas tu viens / tu ne sais // de quel côté du mur / s’adosse ta mai­son // de chaque côté du fleuve / s’élèvent les piles d’un pont // ne sois pas d’un côté / ne sois pas de l’autre // sois de l’espèce des passeurs / des poètes et traducteurs »…

Dans le foi­son­nement des frag­ments poé­tiques, ce sont mille-et-un éclats de miroirs de la diver­sité et de l’universalité de cette rela­tion aux fron­tières, le plus sou­vent à franchir, à dépass­er, du moins à tra­vers­er, qui révè­lent autant d’itinéraires pro­pres à chaque auteur et de retours néces­saires ici et main­tenant que de pos­si­bles départs vers des ailleurs qui n’attendent que nos pas…

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Rémy Soual

Rémy Soual, enseignant de let­tres clas­siques et écrivain, ayant con­tribué dans des revues lit­téraires comme Souf­fles, Le Cap­i­tal des Mots, Kahel, Mange Monde, La Main Mil­lé­naire, ayant col­laboré avec des artistes plas­ti­ciens et rédigé des chroniques d’art pour Olé Mag­a­zine, à suiv­re sur son blog d’écri­t­ure : La rive des mots, www.larivedesmots.com Paru­tions : L’esquisse du geste suivi de Linéa­ments, 2013. La nuit sou­veraine, 2014. Par­cours, ouvrage col­lec­tif à la croisée d’artistes plas­ti­ciens, co-édité par l’as­so­ci­a­tion « Les oiseaux de pas­sage », 2017.