Florence Saint-Roch, Au bout du fil, encres de Maud Thiria

Par |2022-12-21T09:50:32+01:00 21 décembre 2022|Catégories : Critiques, Florence Saint-Roch|

Pour présen­ter le sens de cette démarche d’une créa­tion à qua­tre mains ten­tant de con­jur­er l’oubli, la mal­adie et la mort, rien à ajouter à la pré­ci­sion déli­cate de la qua­trième de cou­ver­ture de cet ouvrage con­den­sé à l’essentiel, resser­ré, sur un fil, ce fil d’humanité si frag­ile : « Ce livre est une com­po­si­tion à deux voix, une écri­t­ure au cœur de la mal­adie d’Alzheimer.

Au bout du fil, la mémoire d’une mère s’effiloche jour après jour. Pour­tant, mal­gré l’éloignement des corps, le lien est encore là – vivant – chem­i­nant peu à peu vers l’inutilité des mots. » La pre­mière, Flo­rence Saint-Roch nous invite donc au plus intime de cette rela­tion, puis, la sec­onde, Maud Thiria en explore tous les aspects avec pro­fondeur, la poésie touchant ain­si à « l’expression nue de notre rap­port à l’inéluctable oubli ».

Cette écri­t­ure en dia­logue voit le pas­sage d’une voix à l’autre, dont l’effacement de la pre­mière devient l’écho de la sec­onde, des textes de Flo­rence Saint-Roch des pages 11 à 21 aux textes de Maud Thiara des pages 25 à 35, dont le poème lim­i­naire de la page 11 donne l’enjeu cru­cial : « au bout du fil, une heure par jour et plus encore, ma tête occupée par l’oubli qui évide la tienne, je ne sais pas exacte­ment à qui je par­le quand je t’appelle, tu t’effiloches, t’embrouilles, con­fonds tout, vite, je redéfi­nis les paramètres, pour toi je refais le monde avant qu’il ne s’effondre pour de bon », ain­si le ren­dez-vous quo­ti­di­en de l’appel télé­phonique sonne comme un dou­ble appel, appel à la lutte con­tre la mémoire défail­lante et appel au sec­ours dans un monde qui vacille…

Flo­rence Saint-Roch, Au bout du fil, encres de Maud Thiara, col­lec­tion Poésie, Édi­tions Musi­mot, 38 pages, 12 euros.

Les textes suiv­ants se tis­sent, se mêlent les uns les autres dans ce com­bat au jour le jour dont le con­texte du con­fine­ment exac­erbe le trag­ique : « con­fine­ment et mal­adie t’assignent à rési­dence, te fer­ment les portes à dou­ble tour, tu march­es à pas comp­tés dans ton deux pièces, un rien te désori­ente, t’enlève tes repères, pour te sor­tir de ton errance, en ce moment, je n’ai qu’une seule solu­tion, com­pos­er ton numéro tous les jours ». La bien­veil­lance de l’attention dans cet exer­ci­ce de la lenteur fait de la toile de fond des habi­tudes, la trame où se rejoignent l’infime et l’intime pour mieux dire l’éphémère de l’existence : « depuis des lus­tres, grâce à toi, j’ai appris l’attente et la patience, pen­dant si longtemps je t’ai regardée de loin, jumelles fer­ventes ou lunettes d’approche, quand désor­mais tu me racon­tes ta vie en ses détails infimes, bouts de vais­selle, menues lessives, là, change­ment de focale, je t’observe au microscope »…

Du macro­scopique au micro­scopique, ce « change­ment de focale » indique com­bi­en la vie est ténue, ne tient qu’à un fil, celui minus­cule, à l’unisson de ces deux voix dont l’une cherche l’autre, dont l’une a pour mis­sion de faire ten­dre l’autre à l’éveil, de venir la réveiller, de main­tenir dans la con­science lucide, les noms et les choses, le savoir du mot juste qui fait que cha­cun, cha­cune se trou­ve à sa place adéquate, en vain, à peine avant que les ter­mes per­dent leur sens et que le silence de con­nivence s’impose : « sept jours sur sept, opiniâtre, fidèle au ren­dez-vous, je t’épelle, implaca­ble­ment je te force à toi-même, je te redonne les noms et les choses, sachant que bien­tôt, il n’en sera plus ques­tion, tout sera oublié, nous serons dans la rela­tion à l’état pur, nous n’aurons plus besoin de mots »…

Enfin, c’est sous la plume de Maud Thiara, l’image du cor­don ombil­i­cal, sym­bole du lien de mère en fille comme de fille en mère dont l’écrivaine file la métaphore du rap­port à la matrice au bout du fil télé­phonique, en pas­sant par les chemins, le labyrinthe ou le cor­don lit­toral, vas­es com­mu­ni­cants où la fille qui repo­sait jadis con­tre l’épaule de la mère, voit cette dernière repos­er désor­mais con­tre son épaule, tant que dure la rela­tion, et même au-delà des lim­ites spa­tio-tem­porelles, dans ce lien indé­fectible jusqu’à l’ultime mur­mure : « tu tiens la corde lourde / du temps et de l’espace / où les murs et les heures / infi­nis se rejoignent / sur vos cad­rans lignés / méri­di­ens de vos pôles / tu es / piste terre géomètre / aimant au cœur rou­gi / ani­mant ani­mal éper­du en sa course / d’un bout à l’autre du fil / votre cor­don de chair / route de veines en ten­dons / vos vibra­tions de voix / échos désac­cordés / jusqu’à ce qu’il n’y ait / plus mots / que / soupirs sources souf­fles / nus crus absolus »

Présentation de l’auteur

Florence Saint-Roch

Née en 1965 à Saint-Omer (62) — pas de mer, mais beau­coup d’eau — où elle vit et tra­vaille. A pub­lié Le Sens du vent (Tara­buste, 2015), Embar­que (Les Ven­terniers, 2017), Par­celle 101 (P.i.sage intérieur, 2018), Éclipses (Vin­cent Rougi­er, 2018). Con­tribue à la revue “Décharge” et à “Terre à ciel”.  

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Rémy Soual

Rémy Soual, enseignant de let­tres clas­siques et écrivain, ayant con­tribué dans des revues lit­téraires comme Souf­fles, Le Cap­i­tal des Mots, Kahel, Mange Monde, La Main Mil­lé­naire, ayant col­laboré avec des artistes plas­ti­ciens et rédigé des chroniques d’art pour Olé Mag­a­zine, à suiv­re sur son blog d’écri­t­ure : La rive des mots, www.larivedesmots.com Paru­tions : L’esquisse du geste suivi de Linéa­ments, 2013. La nuit sou­veraine, 2014. Par­cours, ouvrage col­lec­tif à la croisée d’artistes plas­ti­ciens, co-édité par l’as­so­ci­a­tion « Les oiseaux de pas­sage », 2017.
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