« Je ne réalise pas, à pro­pre­ment par­ler, des livres d’artiste. Je com­pose en me prom­enant, entre l’encre et le papi­er, entre passé et présent, des livres pat­inés, fatigués avant même que d’être, mais d’autant plus émou­vants que les craque­ments de leurs pages chantent à nos oreilles des bribes de sou­venirs enfouis » note Robert Lobet dans ses Car­nets d’atelier qui tien­nent autant du lab­o­ra­toire de sa créa­tion que du jour­nal de ses voy­ages dont cer­tains, comme celui ini­tié en Égypte, furent fon­da­teurs de toute sa réflex­ion au fil de sa quête artistique. 

Retour aux gestes artis­tiques pour mieux explor­er les voix des poètes, à tra­vers l’élaboration de l’espace de la page, son ate­lier se révèle l’embarcation d’un explo­rateur, dans le por­trait qu’en dresse le poète, romanci­er et édi­teur Bruno Doucey : « Son vis­age pour­rait être celui d’un marin ayant écumé les sept mers et les cinq océans. Ses mains, celles d’un cap-hornier rompu à ten­dre les cordages. Son torse, celui des êtres qui ne craig­nent pas les embruns. »     

Invi­ta­tions aux voy­ages, les papiers de ses mains reposent alors « sur des séchoirs à claies comme les cartes marines des nav­i­ga­teurs », dans la géo­gra­phie revis­itée des con­trées qu’il réin­vente par la com­bi­nai­son du trait et de la couleur, à la jonc­tion de la mer et du soleil, ren­con­tre-déf­i­ni­tion de l’Éter­nité rim­bal­di­enne, dont des poètes de con­nivence des qua­tre points car­dinaux pro­lon­gent les périples aux semelles de vent avant de revenir à l’endroit où les Ate­liers de la Marg­eride ser­vent de bous­sole, ceux dont l’écrivain Bruno Doucey rap­pelle l’apport dans le cat­a­logue des com­pagnon­nages pre­miers : « l’Égypte d’Andrée Che­did, la Camar­gue ter­raquée d’Alain Freixe, les embardées méditer­ranéennes de Frédéric Jacques Tem­ple, les chemins métis­sés d’Imasango, la Cat­a­logne portée jusqu’aux portes du Min­neso­ta de Felip Costagli­oli, sans omet­tre l’homme aux mille livres de Lucinges, Michel Butor, l’empathie de la roman­cière Murielle Szac pour les naufragés de notre temps, ou les archi­voltes ver­bales de Marc-Hen­ri Arfeux. »

 Bruno Doucey et Robert Lobet, Pein­dre les mots. Gestes d’artiste, voix de poètesÉdi­tions Bruno Doucey, « Pas­sage des arts », 144 pages, 29, 50 euros.

Issue de tous ces paysages fan­tas­tiques, c’est à une danse des élé­ments que donne nais­sance la ren­con­tre des voix de poètes et des gestes d’artiste dont les Écrits d’Alexandrie, ce pre­mier voy­age ini­ti­a­tique, for­ment le sésame sous la plume de Robert Lobet : « La pierre, le minéral, / Le signe, l’écriture, / L’encre, le papi­er, / L’espace, l’architecture, / Le temps, la mémoire. / Quel des­sein nous gou­verne ? / Autant d’éléments qui s’associent, se croisent et par­ticipent de ma démarche au fil des jours. » Dès lors pour soulign­er les titres des qua­tre chapitres élaborés par Bruno Doucey, ce sont sous le signe, la poé­tique ou l’imaginaire de ces qua­tre principes, pour repren­dre la ter­mi­nolo­gie bachelar­di­enne, que se don­nent à décou­vrir les asso­ci­a­tions des arts et des let­tres à l’œuvre dans tout ce par­cours créatif : 1. Sur la pierre, 2. Par le feu, 3. Avec l’eau, 4. Dans un souf­fle. À l’instigation de son dessin archi­tec­tonique, c’est vers le trem­ble­ment de « L’incessante mobil­ité des choses » dont son tracé se fait le sis­mo­graphe, que les feuil­lets croisant vers poé­tiques et jets artis­tiques s’offrent aux regards.

Véri­ta­ble éloge de l’homme à l’œuvre, la présen­ta­tion de Robert Lobet par Bruno Doucey tire sa louange de l’acte artis­tique même envis­agé dans sa métic­u­losité et dans sa diver­sité : « deman­dez-vous com­bi­en d’années lui ont été néces­saires pour appren­dre à maîtris­er les tech­niques tra­di­tion­nelles mis­es en œuvre dans ses pub­li­ca­tions : typogra­phie, séri­gra­phie, taille-douce, pointe sèche, col­lage, col­la­gra­phie, car­borun­dum, inser­tion d’anciens imprimés ; voyez com­bi­en de métiers, par­fois oubliés, sont tenus dans le creux de ces mains qui manip­u­lent l’encre et le calame, le pinceau et les pig­ments, la lourde presse à bras et les cisailles -, et vous aurez une idée assez juste de ce qui se joue lorsqu’un artiste est à l’œuvre dans le monde qui est le nôtre. »

Justesse de l’engagement éthique de l’artisan pour ser­tir les mots, qui n’est que jus­tice ren­due à l’esthé­tique de sa gestuelle sans cesse redé­ployée de dessi­na­teur, de graveur, de pein­tre, pour mieux exprimer la poé­tique des écrivains invités à ces explo­rations à deux des ter­ri­toires du poème, à moins qu’il ne s’agisse d’un authen­tique dia­logue entre deux aven­turi­ers à la décou­verte d’un monde, à la croisée de leurs regards respec­tifs, tel celui sur­gis­sant comme un con­ti­nent englouti, lors des « Fouilles » décrites par la grande com­plice Andrée Ché­did : « Fouiller les sols / Jusqu’à saisir leur âme / Se déplac­er dans l’espace / De notre terre / Face à l’infini cos­mos / Se mou­voir d’un endroit / À l’autre / Faire face à l’énigme / Dans sa com­plex­ité / Épouser ses silences / Décou­vrir ses replis / Plonger dans ses lieux secrets / Pour accéder au mystère. »

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Rémy Soual

Rémy Soual, enseignant de let­tres clas­siques et écrivain, ayant con­tribué dans des revues lit­téraires comme Souf­fles, Le Cap­i­tal des Mots, Kahel, Mange Monde, La Main Mil­lé­naire, ayant col­laboré avec des artistes plas­ti­ciens et rédigé des chroniques d’art pour Olé Mag­a­zine, à suiv­re sur son blog d’écri­t­ure : La rive des mots, www.larivedesmots.com Paru­tions : L’esquisse du geste suivi de Linéa­ments, 2013. La nuit sou­veraine, 2014. Par­cours, ouvrage col­lec­tif à la croisée d’artistes plas­ti­ciens, co-édité par l’as­so­ci­a­tion « Les oiseaux de pas­sage », 2017.