Florence Saint-Roch, L’Autre chemin, extraits

Par |2020-04-08T14:00:06+02:00 6 mars 2020|Catégories : Florence Saint-Roch, Poèmes|

Poèmes écrits en regard des encres de Rose­lyne Sibille.

 

Pour les som­bres lueurs, II, col­lec­tion particulière.

 

Le chemin donne sa parole

Là-bas vois-tu je t’emmènerai

Les loin­tains confirment

L’arbre te laisse pass­er porte son ombre du bon côté

Com­ment ne pas y croire

 

Pays pro­fond te fait signe

Toi aus­si tu veux t’engager

 

 

 

Avant le silence, II, col­lec­tion particulière.

 

D’un bord à l’autre tu interroges

Quel nom s’écrit tan­dis que je marche 

Une échan­crure s’est ouverte

Le silence a pris ses quartiers

Tu touch­es du doigt la pais­i­ble réponse

Tous les mots ont déjà parlé

 

Avant le silence, III, col­lec­tion particulière.

 

Le chemin avance sous le couvert

Tes yeux se plissent

Tu cherch­es à deviner

L’épaisseur pal­pite

Rien à crain­dre à éluder

Aller jusqu’au bout de l’énoncé

 

 

Avant le silence I.

 

Ce pays comme par­fois les heures

Som­bres abat­tis élans brisés

 

Tu enjambes les troncs inclinés

Tu tra­vers­es tu tires un trait

 

Les oiseaux s’essayent

Leurs cris tour­nent un soleil

Le ciel approu­ve la relance

Je me refor­mule voudrais rencontrer

Chem­i­nant, II, col­lec­tion particulière.

 

La riv­ière dirait-on est l’événement

Chemin faisant elle invente ses rives

 Les abor­de doucement

 

Matin ou après-midi qu’importe

Joncs et feuil­lages eux-mêmes ne savent pas

Le temps est là

Tu en ignores l’aval comme l’amont

Pourquoi tou­jours étreindre

En ciels fins se rêvent les collines au loin.

 

À peine devant je suis dedans

Collines endurantes épais­seurs des forêts

Tu te frottes à ce qui vient

 

Tu prends l’accent des montagnes

T’accordes aux herbes et aux broussailles

Chaque con­tour devient le tien

 

A PROPOS DES ENCRES

Rose­lyne SIBILLE

 

Durant l’été 2011, j’é­tais en rési­dence d’écri­t­ure en Corée du Sud. C’é­tait la mous­son. Il pleu­vait tant et si fort qu’il m’é­tait à peu près impos­si­ble d’aller marcher dans la val­lée, con­traire­ment au séjour que j’avais fait dans ce même lieu en automne 2009. Écrire toute la journée, impossible.

Un jour que j’é­tais allée au super­marché de la ville la plus proche (Won­ju) pour acheter de la nour­ri­t­ure, je suis passée au ray­on papeterie, regarder (parce que j’aime les mer­veilles papetières) et chercher – peut-être – un sty­lo. Mon atten­tion a été attirée par des rouleaux de papi­er de riz très fin, celui dont se ser­vent les enfants pour leurs exer­ci­ces de cal­ligra­phie. J’en ai acheté un rouleau, et aus­si de l’en­cre de Chine et des feu­tres cal­ligraphiques. Puis, dans ma cham­brette, devant la baie vit­rée me pro­tégeant de toute l’eau de la mous­son, j’ai cher­ché com­ment utilis­er ce matéri­au qui m’é­tait incon­nu. Un papi­er extrême­ment fin, se déchi­rant très ‑trop- facile­ment dès qu’il est mouil­lé. Cette encre très noire, ces feu­tres avec leurs biseaux, feu­tres gris, beige, noir. Que faire de cela ?

J’ai expéri­men­té et com­mencé à créer ce que j’ai appelé des “poésies graphiques” : il s’agissait de formes abstraites ‑des tach­es- déchirées et rec­ol­lées sur un papi­er de fond plus solide, blanc ou noir, assem­blées pour créer un équili­bre visuel. J’ai passé des heures dans le son de la pluie et ma cham­bre cocon, à chercher, pos­er de l’en­cre, déchir­er, assem­bler et puis écrire dans les inter­stices quelques mots des poèmes brefs qui me venaient en tête dans cette ambiance asi­a­tique. Comme les poèmes inscrits dans les pein­tures chi­nois­es, japon­ais­es, coréennes. Et dif­férem­ment. Ces mots s’installaient dans l’équilibre des mass­es, ils roulaient comme les tor­rents à la sor­tie des riz­ières, ils créaient du sens en mou­ve­ment. Ils étaient néces­saires et j’avais grand plaisir à les inscrire à la place qu’ils demandaient. Ils fai­saient par­tie de l’ensemble. Ces créa­tions ont été exposées au Cen­tre Cul­turel Toji avant la fin de ma rési­dence. Je les ai rem­portées en France, et rangées soigneuse­ment dans un port-folio.

Occupée à répon­dre à mille sol­lic­i­ta­tions, je me met­tais peu à créer d’autres encres. Ecrire me sem­blait plus sim­ple que de me retrou­ver en chantier avec les papiers que j’avais rap­portés. Quelques-unes sont nées à mon retour, pas beau­coup. Et surtout un trip­tyque for­mat carte postale alors que celles que j’avais créé en Corée étaient de grands ou longs rec­tan­gles. Des années ont passé, mes encres entre elles, rangées à l’ombre.

Invitée au Salon du Livre d’artiste de Rives en sep­tem­bre 2018, il m’a été demandé d’exposer sur les pan­neaux der­rière mon emplace­ment. Que met­tre qui ne soit pas un livre d’artiste ? Ce trip­tyque, encadré, y a tout à fait trou­vé sa place. Ain­si il était remon­té à la surface.

Encore quelques mois de ges­ta­tion, et voilà qu’un soir de soli­tude et de jan­vi­er 2019, m’est venue l’envie de ressor­tir l’encre, les papiers de leurs rouleaux et de créer, sim­ple­ment, pour moi-même.

J’ai déroulé une feuille et fait des tach­es puis une autre feuille et d’autres sortes de tach­es avec des instru­ments dif­férents. J’ai com­mencé à déchir­er, rec­oller, chercher ce qui venait grâce à ces petits fragments.

Ce qui est apparu, sur un papi­er de sup­port de for­mat 13,5 x 17,5 c’est un de mes paysages intérieurs. Juste des tach­es qui, s’assemblant, deve­naient paysage. J’étais éton­née, ravie de ma créa­tion comme un enfant devant son château de sable.

Et, de soir en soir, je me suis don­né ren­dez-vous avec mes papiers et mon encre. J’ai eu besoin de créer un plus grand nom­bre de « bases », de feuilles tachées. J’ai cher­ché com­ment obtenir de la var­iété : j’ai ramassé des petits bouts de bois filan­dreux lors de mes prom­e­nades en colline, j’ai util­isé des instru­ments improb­a­bles, con­sti­tué une sorte de « tachothèque », chaque sorte dans une pochette trans­par­ente, toutes gardées pour cet usage.

Ain­si cette créa­tion s’est mise à m’habiter : dénich­er, met­tre en réserve, appari­er ce qui doit l’être : l’encre et le bois, les morceaux de papi­er et leurs enveloppes… et puis m’installer devant mon bureau et me lancer, sur ce petit for­mat, dans des con­struc­tions visuelles de toutes petites tach­es se con­frontant. Les paysages nais­sent, sim­ple­ment de leur équili­bre de noirs et de blancs, pen­dant que je me mets au ser­vice de l’image qui veut se hiss­er hors de la page. Je suis sur­prise et enchantée.

Les heures passent dans le silence, je me sens très proche d’un mys­tère. Je lui offre mes doigts qui s’imprègnent de colle et que je vais laver de temps en temps, ce qui me per­met d’oublier le paysage nais­sant et de le retrou­ver avec une dis­tance de quelques instants. Je vois alors autrement la direc­tion de l’ensemble, ce qui manque, là où il faut un élan vigoureux, un espace, un four­mille­ment de minus­cule, un autre angle…

Aujourd’hui, un an plus tard, j’ai créé qua­tre vingt encres, toutes dif­férentes mais je con­state qu’elles for­ment des séries, par­fois des trip­tyques, par­fois des dip­tyques, comme si mes paysages avaient besoin de s’associer en ambiances visuelles du même ordre. Je ne con­trôle pas telle­ment. Je reste tran­quille, juste avec l’envie d’être là, seule devant mon bureau, avec ce papi­er éton­nant dont je décou­vre sans cesse des pos­si­bil­ités qui m’intéressent, avec ces tach­es qui ne ressem­blent à rien indi­vidu­elle­ment mais qui peu à peu, extéri­orisent ce que je porte en moi.

D’où vien­nent ces paysages ? Vus, arpen­tés, admirés, en tous cas alchimisés. Je ne sais pas qu’ils sont en moi, je les vois appa­raître et je sais alors à peu près où je les ai cap­tés. Plus que des lieux géo­graphiques, ce sont des ressen­tis de collines caill­ou­teuses, sèch­es, cal­caires, des mon­tagnes enneigées aux arbres noirs, des flancs de mon­tagnes au print­emps quand la neige fon­dant dévoile des noirs dans le blanc ou le con­traire, des lacs entourés de reliefs, des ambiances de Camar­gue, d’eau plate dans des rives esquis­sées, des côtes rocheuses, des îles et puis des arbres, des arbres, des arbres, des troncs, des feuil­lages, des frondaisons, des arbres touf­fus, des sous-bois clairs. Ain­si il y a déjà trois séries qui se nom­ment L’épais des forêts du nom de l’anthologie de poésie du même nom ini­tiée par une amie poète.

Vient ce qui veut, ce qui se pro­pose. Par­fois un paysage très dif­férent de celui de la veille. Cha­cun demande son moment pour exis­ter. Je me sens hum­ble, appliquée, soigneuse et je jubile aus­si de ce qui appa­raît, ces sortes de minia­tures qui ne sont que tâch­es, fouil­lis qui s’ordonne, force de cer­taines abstrac­tions, douceur d’autres, pré­cis­es ou énergiques, les tâch­es sim­ple­ment qui for­ment des plans, des entrées dans le paysage, des ouvertures.

Dans beau­coup des encres, il y a des espaces blancs, très blancs. Du vide, ce vide qui per­met de respir­er, de s’installer, de s’élargir, de se calmer, de s’inviter à être. Ils sont néces­saires à l’ensemble visuel assuré­ment et ils dis­ent aus­si de moi ce que je ne peux presque plus dire en mots. Ils por­tent ma poésie en silence. Dans ces blancs, je pour­rais écrire des poèmes comme je l’ai fait en Corée mais non : j’ai moins de mots dans ma tête, ma poésie se mon­tre ain­si main­tenant. Elle s’est transformée.

Les encres ne m’empêchent pas d’écrire. Rien n’est incom­pat­i­ble bien sûr : elles mon­trent déli­cate­ment et suiv­re leur mou­ve­ment me com­plète et me comble. Cha­cun peut-être pour­rait trou­ver ou écrire dans ces vides ses pro­pres mots de silence, de sub­til­ité, ces mots si fins qu’ils ne peu­vent être pronon­cés, ni même conçus peut-être.

Voilà où se passent les heures de pas mal de mes soirées, jusqu’à ce que piquent trop mes yeux, et que j’aie abouti à un équili­bre sat­is­faisant me per­me­t­tant d’aller dormir. Le lende­main, mon pre­mier élan est de venir voir ma créa­tion de la veille. M’apparait alors avec évi­dence, le minus­cule endroit à retouch­er, la tache à pro­longer, l’ajustement.

J’appose enfin au ver­so mon sceau à l’encre rouge (Sim­ple­ment mon nom Rose­lyne Sibille, en alpha­bet coréen). Ce nou­veau Paysage intérieur va rejoin­dre une enveloppe sur laque­lle est inscrit le nom de la série. Ou bien elle néces­site une enveloppe sup­plé­men­taire parce qu’une nou­velle série se dessine.

Mes mots muets se con­cen­trent dans les titres de ces séries. Ain­si exis­tent déjà (out­re L’épais des forêts) :

 

En ciels fins se rêvent les collines au loin
Pour les som­bres lueurs
Dans le silence des pier­res blanches
Frôle un souf­fle d’étoiles 
Au milieu des vagues
Des chants pour les trois montagnes
La terre lèche l’eau, ses risées, ses échos
Loin là 
Cheminant
Aux libel­lules bleues
Voy­age dans le monde des rivières
A l’écoute
Et les oiseaux jouent dans le vent
Au-delà des monts visibles

 

Cer­taines des encres créées en Corée et le pre­mier petit trip­tyque ont été exposés dans la mag­nifique salle pat­ri­mo­ni­ale de la Bib­lio­thèque d’agglomération de Saint-Omer, dans le Pas de Calais, où j’étais invitée en rési­dence pour le Print­emps des Poètes en mars 2019. D’autres expo­si­tions sont à venir. J’en suis la pre­mière éton­née ! Ma poésie a changé de forme, elle laisse plus de place à mon silence, au souf­fle du vide médi­ancomme dis­ent les taoïstes.

 

Rose­lyne

31 jan­vi­er 2020

Présentation de l’auteur

Florence Saint-Roch

Née en 1965 à Saint-Omer (62) — pas de mer, mais beau­coup d’eau — où elle vit et tra­vaille. A pub­lié Le Sens du vent (Tara­buste, 2015), Embar­que (Les Ven­terniers, 2017), Par­celle 101 (P.i.sage intérieur, 2018), Éclipses (Vin­cent Rougi­er, 2018). Con­tribue à la revue “Décharge” et à “Terre à ciel”.  

Présentation de l’auteur

Roselyne Sibille

Rose­lyne Sibille est née en 1953 en provence  elle vit. Géo­graphe de for­ma­tion, bib­lio­thé­caire. Elle est écrivain de voy­ages et poète

Elle co-crée avec de nom­breux artistes, fait des lec­tures musi­cales et par­ticipe à des expositions.
Ses poèmes ont été traduits en anglais, alle­mand, espag­nol, ital­ien, tchèque, écos­sais, et en qua­tre langues de l’Inde (hin­di, ben­gali, tamil, manipuri).

Bibliographie

  • Au chant des trans­parences — Lavis de BANG Hai Ja  — Éd. Voix d’encre — 2001
  • Éclats de Corée  in Antholo­gie Triages — Éd. Tara­buste — 2002
  • Ver­sants – Pré­face Jamel Eddine BENCHEIKH  — Éd. Théétète — 2005
  • Préludes, fugues et sym­phonie - Ed. Rap­port d’étape — 2006
  • Tournoiements — Éd. Champ social — 2007
  • Un sourire de soleil — Pho­tos Hélène SIMMEN — Trad. Masa­mi UMEDA — Edi­tion japon­aise bilingue — 2007
  • Par la porte du silence — Pein­tures BANG Hai Ja — Trad. Michael FINEBERG / MOON Young-Houn — Edi­tion coréenne trilingue — 2009
  • Lumière frois­sée — Encres Lil­iane-Ève BRENDEL — Éd. Voix d’encre — 2010
  • Implore la lumière, pein­tures de Sylvie Deparis, Édi­tions SD — 2011
  • L’ap­pel muet, Édi­tions La Porte — 2012
Roselyne Sibille

Publications en revue

  • 1998 - Éclats de Corée — Revue Cul­ture coréenne49 et 50
  • 2003 - Trois jours d’avant-printemps au tem­ple des sept Boud­dhas — Revue Cul­ture coréenne n°64
  • 2010 — in Antholo­gie poé­tique « Ter­res de femmes »
  • 2010Calmes aven­tures au Pays du Matin Calme — Revue Cul­ture coréenne n°80
  • 2011 — Les points car­dinaux du temps — Revue Terre à ciel
  • 2011L’Om­bre-monde — extraits (tra­duc­tions en anglais) — Revue Pratilipi
  • 2011 — Les marchés de Corée : un présent mul­ti­ple - Revue Cul­ture coréenne n°84
  • 2012 — L’Om­bre-monde — extraits (tra­duc­tions en anglais) — Revue Asymp­tote
  • 2012 — Entre sable et ciel — Revue Qan­tara n°85 (Insti­tut du monde arabe — Paris)
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