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Florence Saint-Roch, Au bout du fil, encres de Maud Thiria

Pour présenter le sens de cette démarche d’une création à quatre mains tentant de conjurer l’oubli, la maladie et la mort, rien à ajouter à la précision délicate de la quatrième de couverture de cet ouvrage condensé à l’essentiel, resserré, sur un fil, ce fil d’humanité si fragile : « Ce livre est une composition à deux voix, une écriture au cœur de la maladie d’Alzheimer.

Au bout du fil, la mémoire d’une mère s’effiloche jour après jour. Pourtant, malgré l’éloignement des corps, le lien est encore là – vivant – cheminant peu à peu vers l’inutilité des mots. » La première, Florence Saint-Roch nous invite donc au plus intime de cette relation, puis, la seconde, Maud Thiria en explore tous les aspects avec profondeur, la poésie touchant ainsi à « l’expression nue de notre rapport à l’inéluctable oubli ».

Cette écriture en dialogue voit le passage d’une voix à l’autre, dont l’effacement de la première devient l’écho de la seconde, des textes de Florence Saint-Roch des pages 11 à 21 aux textes de Maud Thiara des pages 25 à 35, dont le poème liminaire de la page 11 donne l’enjeu crucial : « au bout du fil, une heure par jour et plus encore, ma tête occupée par l’oubli qui évide la tienne, je ne sais pas exactement à qui je parle quand je t’appelle, tu t’effiloches, t’embrouilles, confonds tout, vite, je redéfinis les paramètres, pour toi je refais le monde avant qu’il ne s’effondre pour de bon », ainsi le rendez-vous quotidien de l’appel téléphonique sonne comme un double appel, appel à la lutte contre la mémoire défaillante et appel au secours dans un monde qui vacille…

Florence Saint-Roch, Au bout du fil, encres de Maud Thiara, collection Poésie, Éditions Musimot, 38 pages, 12 euros.

Les textes suivants se tissent, se mêlent les uns les autres dans ce combat au jour le jour dont le contexte du confinement exacerbe le tragique : « confinement et maladie t’assignent à résidence, te ferment les portes à double tour, tu marches à pas comptés dans ton deux pièces, un rien te désoriente, t’enlève tes repères, pour te sortir de ton errance, en ce moment, je n’ai qu’une seule solution, composer ton numéro tous les jours ». La bienveillance de l’attention dans cet exercice de la lenteur fait de la toile de fond des habitudes, la trame où se rejoignent l’infime et l’intime pour mieux dire l’éphémère de l’existence : « depuis des lustres, grâce à toi, j’ai appris l’attente et la patience, pendant si longtemps je t’ai regardée de loin, jumelles ferventes ou lunettes d’approche, quand désormais tu me racontes ta vie en ses détails infimes, bouts de vaisselle, menues lessives, là, changement de focale, je t’observe au microscope »…

Du macroscopique au microscopique, ce « changement de focale » indique combien la vie est ténue, ne tient qu’à un fil, celui minuscule, à l’unisson de ces deux voix dont l’une cherche l’autre, dont l’une a pour mission de faire tendre l’autre à l’éveil, de venir la réveiller, de maintenir dans la conscience lucide, les noms et les choses, le savoir du mot juste qui fait que chacun, chacune se trouve à sa place adéquate, en vain, à peine avant que les termes perdent leur sens et que le silence de connivence s’impose : « sept jours sur sept, opiniâtre, fidèle au rendez-vous, je t’épelle, implacablement je te force à toi-même, je te redonne les noms et les choses, sachant que bientôt, il n’en sera plus question, tout sera oublié, nous serons dans la relation à l’état pur, nous n’aurons plus besoin de mots »…

Enfin, c’est sous la plume de Maud Thiara, l’image du cordon ombilical, symbole du lien de mère en fille comme de fille en mère dont l’écrivaine file la métaphore du rapport à la matrice au bout du fil téléphonique, en passant par les chemins, le labyrinthe ou le cordon littoral, vases communicants où la fille qui reposait jadis contre l’épaule de la mère, voit cette dernière reposer désormais contre son épaule, tant que dure la relation, et même au-delà des limites spatio-temporelles, dans ce lien indéfectible jusqu’à l’ultime murmure : « tu tiens la corde lourde / du temps et de l’espace / où les murs et les heures / infinis se rejoignent / sur vos cadrans lignés / méridiens de vos pôles / tu es / piste terre géomètre / aimant au cœur rougi / animant animal éperdu en sa course / d’un bout à l’autre du fil / votre cordon de chair / route de veines en tendons / vos vibrations de voix / échos désaccordés / jusqu’à ce qu’il n’y ait / plus mots / que / soupirs sources souffles / nus crus absolus »

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