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Mélissa Brun, La nuit ne finira jamais

Le recueil de poème La nuit ne finira jamais… Poèmes transpercés par le vent d’est de Denis Emorine est une invitation au voyage. Voyage dans l’espace, dans le temps, dans l’écriture, voyage de la vie vers la mort et de la mort vers la vie. Voyage effectif. Voyage symbolique. 

Dès le titre, on retrouve une source d’inspiration chère à l’auteur : son lien avec l’Est et avec la Russie. En effet, ces poèmes sont « transpercés par le vent d’est », ce qui sousentend un rapport affectif mais aussi douloureux à cette partie du monde. 

Par la suite, de nombreux lieux, réels et/ou symboliques sont mentionnés : « la courbe du Luxembourg », « Nîmes », « la Laune », « la toundra », « la taïga », « la Place

Széchenyi », ou encore « la lisière de ma vie », « un chemin défoncé », « les routes de l’exil », « l'isba du chagrin » etc., sans compter la mention du train qui revient à diverses reprises et qui permet de relier, de traverser ces différents lieux. Le voyage est donc tour à tour objet de rencontre, de solitude, de mouvement ou de statisme.

Mélissa Brun : La nuit ne finira jamais…
Poèmes transpercés par le vent d’est
de
Denis Emorine (éditions Unicité, 2019)

Ce voyage dans l’espace est également un voyage dans le temps. Un temps parfois défini : l’enfance, l’âge adulte, la vieillesse ; mais parfois beaucoup plus fuyant, sans chronologie distincte. Le poète mentionne ainsi l’Histoire avec un grand H et certaines de ses tragédies, et l’histoire d’un homme, de sa naissance à sa mort, et les lie ensemble grâce à l’écriture : 

 

Je suis retourné malgré moi  sur les 
chemins de l'Histoire 
 ou encore :  parce 
que l'Histoire me poursuit toujours 
 

 

Le je lyrique est donc pris en tenaille entre l’Histoire et ses atrocités, et l’histoire individuelle et sa propre tragédie. Les notions de retour et de fuite mentionnées dans ces vers sont primordiales dans l’œuvre. D’ailleurs, la dernière partie du recueil se nomme « labyrinthe » et elle est accompagnée de la mention « autoportrait ». Or, un labyrinthe est un lieu hors duquel il est difficile de s’échapper et dans lequel on tourne facilement en rond. De même, le poète explore la vie dans tous les sens grâce à ses mots, et même si certains thèmes sont récurrents dans l’œuvre, ils sont nécessaires à l’élaboration d’une poésie qui explore la vie dans toutes ses phases. 

Le voyage proposé par le poète dans son recueil est donc aussi méta-poétique, tel un manifeste de l’œuvre de l’auteur. Denis Emorine fait ainsi intervenir dans ce recueil tantôt des personnes réelles, comme Carmen, ou encore Agnès, tantôt des  personnages fictifs qu’il a créés, telles que Laetitia Valarcher et Nóra  , femmes issues de son roman, La mort en berne1, et interroge à travers ces diverses figures féminines le rapport du je poétique à la femme, à l’amour et à la mort. 

 Dès lors,  la poésie se fait  parole qui permet de garder le souvenir de l’être absent :  Je te regardais t'éloigner sans te retourner  mais ta voix me poursuivrait encore longtemps

Ainsi,  ce voyage à travers les mots serait une tentative désespérée mais nécessaire pour combler le manque engendré par la mort : Je continuerai à  rebrousser chemin  puisque je ne peux plus retrouver ton sourire  je me surprends à marcher à l'envers  pour te rejoindre  

 

même si je sais que l'échec sera mon seul compagnon

 

Seule la force de l’amour semble pouvoir sortir le je lyrique de sa détresse, et encore une fois, cela est immanquablement associé à l’acte d’écrire : 

 

je n'écrirai plus  puisque tu seras mon écriture 

 

Enfin, le je lyrique oscille entre renoncement et espoir en plaçant toujours sa poésie au service de l’homme et de son cheminement dans l’existence : 

 

Tu méprises ceux qui  en sacralisant la poésie  
croient se hisser tout en haut de l'Olympe

 

La poésie doit donc rester au niveau de l’homme et interroger son rapport à l’existence, face aux épreuves de la vie et au caractère éphémère du bonheur. 

La nuit ne finira jamais explore donc la tragédie de l’homme voué à la mort en un voyage qui transcende l’espace et le temps. Le je lyrique est propulsé dans un monde où Histoire et histoire sont mêlées et où le sens de la vie et de la mort lui échappe, tout comme le sens du poème ne se donne pas nécessairement au premier abord. Le poète semble ainsi inviter le lecteur à faire ce qu’il fait lui-même dans son écriture : revenir sur ses pas. 

 

Note

1    5 Sens Éditions, Genève 2017

Présentation de l’auteur

Denis Emorine

Denis Emorine  est né en 1956 près de Paris.  Il a avec l’anglais une relation affective parce que sa mère enseignait cette langue. Il est d’une lointaine ascendance russe du côté paternel. Ses thèmes de prédilection sont la recherche de l’identité, le thème du double et la fuite du temps. Il est fasciné par l’Europe de l’Est. Poète, essayiste, nouvelliste et dramaturge, Emorine est traduit en une douzaine de langues. Son théâtre a été joué en France, au Canada ( Québec) et en Russie. Plusieurs de ses livres ont été édités aux Etats-Unis. Il collabore régulièrement à la revue de littérature "Les Cahiers du Sens". 
En 2004, Emorine a reçu  le premier prix de poésie (français) au Concours International. L’Académie du Var lui a décerné le « prix de poésie 2009 ».
On peut lui rendre visite sur son site : denis.emorine.free.fr

Bibliographie (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

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