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Claude Luezior, Un Ancien Testament déluge de violence

Peu de temps après Golgotha, voici que paraît Un Ancien Testament déluge de violence. Diable ! Claude Luezior aurait-il une âme de cistercien ? On ne peut en effet qu’admirer le travail préalable à la rédaction de l’ouvrage : une belle cueillette de citations bibliques. Un travail qui exige une vocation de copiste, au sens médiéval et donc noble du terme.

Certes, il est aisé de se procurer le texte originel dans ce monde de prosélytes. La modernité nous permet même de le télécharger gracieusement au format pdf, ce qui s’avère moins encombrant que les stèles ou les tablettes d’argile. Mais de là à en faire un livre !

Faut-il se rassurer ou s’en inquiéter, Claude Luezior n’utilise pas ce matériau pour nous assener une énième herméneutique, exercice ô combien sérieux. Il commente ces extraits à la façon d’un catéchumène irrévérencieux. Moquer un livre sacré ? Il n’oserait pas !

Et pourtant, si : il ose ! Et ce, dès le début : « Adam fit donc l’amour avec Eve, issue de sa propre côte. // Vous avez dit consanguinité ? » Certains déclencheraient un jihad pour moins que cela. Et ça continue ! Caïn et Abel sont qualifiés de « Dramatique engeance ! ». L’odyssée de l’arche de Noé est vue comme la parade d’une ménagerie déjantée, non comme un sauvetage à dimension universelle. L’abolition par Yahvé en personne de la xénoglossie qui régnait à Babel se révélera une décision néfaste puisqu’elle sera la cause du « Désespoir des potaches du monde entier ».

Claude Luezior, Un Ancien Testament déluge de violence, octobre 2020 Librairie-Galerie Racine, Paris, 168 pages.

Et tant d’autres épisodes passés à la moulinette de l’ironie toute socratique de Claude Luezior. A l’instar du philosophe grec, en effet, il feint l’ignorance pour mieux démontrer l’inanité des arguments des auteurs de l’Ancien Testament. Auteurs que l’on ne connaît pas, d’ailleurs, mis à part Moïse, si on admet son existence. Notre pseudo-exégète farceur profite de cette aubaine pour produire des « Lignes apocryphes ». Par exemple, concernant les animaux de l’arche : « Bien entendu, les girafes, toujours un peu guindées, se plaignirent d’un torticolis ».

Cependant, au fil des pages, perce une forme d’indignation face à certains diktats de Yahvé. Ainsi à propos de la destruction de Sodome et Gomorrhe : « Le Très-Haut et ses émissaires prétendirent qu’il n’y avait en ces villes pas un seul juste. // Et les enfants ? // Et les bébés ? ». Cette indignation s’amplifie jusqu’à devenir sidération lorsqu’il envisage les holocaustes préconisés par Dieu. Moïse, David, le roi Salomon sont tour à tour évoqués, non comme des héros antiques mais comme des monstres assoiffés de sang. Ainsi, Moïse se voit qualifié d’« exterminateur », et pour cause : «Moïse les envoya en campagne […] Ils combattirent contre Madiân, selon ce qu’avait commandé Yahvé et ils tuèrent tous les mâles […] Ils brûlèrent par le feu toutes les villes ». Face à David, il ne fait pas bon être Araméen, Philistin, Edomite, ou Moabite, toutes peuplades vouées au massacre ou à l’esclavage. Quant au roi Salomon, il avait en plus le sens des affaires. Pour bâtir son temple, il inventa la main d’œuvre bon marché : « ceux que les fils d’Israël n’avaient pas exterminés, Salomon les leva pour la corvée ».

Et lorsqu’ils ne s’entre-tuaient pas, ces braves gens, à quoi passaient-ils donc leur temps ? Hélas ! Les mœurs à la cour ne sont pas en reste. Histoires d’incestes, orgies, empoisonnements, etc. « Une société phallocrate » qui plus est, comme le rappelle l’auteur en citant Ecclésiaste : « Et je trouve la femme plus amère que la mort, parce qu’elle est un piège, son cœur est un filet, et ses bras sont des liens ». Mesdames, vous apprécierez !

Doit-on insister sur les horribles pandémies que s’acharne à déverser le ciel sur la terre : « On était dans les jours de la moisson des blés, quand Yahvé envoya la peste en Israël […] et il mourut soixante-dix mille hommes ». Pas mal, vue la densité de la population à l’époque !

En achevant cette lecture parfois drolatique, souvent effarée, on peut se demander pourquoi toute une civilisation se réclame de cet Ancien Testament, un texte aux accents barbares, effectivement déluge de violence. Comme si le mal s’avérait être une dimension sinon nécessaire de l’humanité, du moins inévitable. Cette question du mal obsède les philosophes depuis toujours — à juste titre. Comprendre pourquoi un pays aussi riche de culture que l’Allemagne ait pu se faire nazie. Etablir un parallèle entre le sort des villes de Sodome et de Gomorrhe et celui d’Hiroshima et de Nagasaki. Dans sa conclusion, l’auteur se pose lui aussi cette question du mal, composant de la nature humaine : « L’Ancien Testament […] décrit un Yahvé violent et jaloux qui façonne nos délires. Nous a-t-il fait à son image ou l’avons-nous plutôt fait à la nôtre ? ».

Claude Luezior, d’une plume inspirée et insolente, indignée et rebelle, par sa pensée que l’on devine profondément humaniste, nous invite à réfléchir à cette grande question. Et si le salut du monde passait par l’amour, la compassion, l’universelle empathie ? semble-t-il suggérer. Mais ceci est une autre histoire, qui se nomme : Le Nouveau Testament.

Présentation de l’auteur

Claude Luezior

Claude Luezior, auteur suisse d’expression française, naît à Berne en 1953. Il y passe son enfance puis étudie à Fribourg, Philadelphie, Genève, Lausanne, Rochester (Minnesota) et Boston. Médecin, spécialiste en neurologie (son nom civil est Claude-André Dessibourg), il devient chef de clinique au CHUV puis professeur titulaire à l’Université de Fribourg. Parallèlement à ses activités scientifiques, il ne cesse d’écrire depuis son jeune âge et commence à publier depuis 1995. 

Sortent dès lors une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart à Paris : romans, nouvelles, recueils de poésie, haïkus, ouvrages d’art. Tout comme en médecine, il encourage la collaboration multidisciplinaire, donne des conférences, participe à des expositions et à des anthologies, écrit des articles dans des revues littéraires ainsi que des préfaces.

Les éditions Librairie-Galerie Racine à Paris ont publié en 2018 et 2020 trois livres de Claude Luezior : Jusqu'à la cendre (recueil de poèmes), Golgotha (poème lyrique et dessins) ainsi qu' Un Ancien Testament déluge de violence (critique humoristique et pacifiste).

Certains de ses livres sont traduits en langues étrangères et en braille.  Luezior reçoit de nombreuses distinctions dont le Prix européen ADELF-Ville de Paris au Sénat en 1995 ainsi qu’un Prix de poésie de l’Académie française en 2001. Il est nommé Chevalier de l’Ordre national des Arts et des Lettres par le Ministère français de la Culture en 2002. En 2013, le 50e prix Marie Noël, dont un ancien lauréat est Léopold Sédar Senghor, lui est remis par l’acteur Michel Galabru de la Comédie française.

www.claudeluezior.weebly.com

 

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