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Yvon Le Men, prix Paul-Verlaine

Le poète breton Yvon Le Men vient d’obtenir le Prix Paul-Verlaine, Prix de poésie de   l’Académie française, prix annuel constitué en 1994 par le regroupement des Fondations Valentine Petresco de Wolmar et Anthony Valabrègue.

Yvon Le Men est récompensé pour deux de ses livres publiés en 2021. Le premier est La baie vitrée publié chez Bruno Doucey, livre dans lequel il évoque son expérience personnelle du confinement et qui a été présenté dans Recours au poème le 6 septembre 2021. Le deuxième s’intitule « A perte de ciel » et a été publié chez Bayard. Il est consacré à l’admiration que voue le poète au Mont saint-Michel.

Yvon Le Men (né en 1953) avait obtenu en 2019 le prix Goncourt de la poésie. Auteur d’une œuvre importante (poèmes, récits, essais…), il dit sur scène ses poèmes dans des récitals qui l’ont fait connaître largement au-delà de la Bretagne. Aujourd’hui, de sa rencontre avec le musicien multi-instrumentiste Nicolas Repac est né un spectacle et un CD publié aux Edition Kerig, intitulé « Lampe Tempête »  où l’on retrouve des extraits de  La baie vitrée  et de  A perte de ciel ».

Version longue de la rencontre avec Yvon Le Men, qui a eu lieu le 6 mai 2009 à la librairie Dialogues à Brest, à l'occasion de la parution du livre Si tu me quittes, je m'en vais (éditions Flammarion).

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A perte de ciel

L’épopée du Mont Saint-Michel sous la plume d’un poète : la démarche ne manque pas d’originalité. Mais Yvon Le Men va, ici, bien au-delà de son propre émerveillement devant la Merveille. C’est à un véritable pèlerinage spirituel qu’il nous convie, dont il est le principal acteur.

On ne compte dans ce livre le nombre de portes d’entrée au Mont Saint-Michel. Yvon Le Men les multiplie à souhait nous invitant à la fois à méditer sur ce lieu exceptionnel et à parcourir, dans son sillage, divers épisodes de sa propre vie. Lui qui est passé de la « foi du charbonnier » (celle de son enfance trégoroise) aux interrogations d’ordre métaphysique qui sont les siennes aujourd’hui. « Il faudrait que chacun vide sa propre abbaye/pour la remplir de ses chants et de ses rêves d’abbaye », écrit-il.  « Il faudrait /que tout monte en nous/quand on monte vers le Mont ».

Yvon Le Men gagné par la foi ? Après les Exercices d’incroyance de Gérard Le Gouic (Gallimard) assisterait-on ici à une forme « d’Exercices de croyance » de la part du poète breton (publié pour l’occasion par un éditeur catholique) ? Ce n’est pas si simple, même si Yvon Le Men n’a jamais caché sa quête d’une forme de transcendance. On connaît notamment les liens qui l’attachaient au poète juif Claude Vigée (qu’il évoque d’ailleurs dans ce livre) ou encore à Xavier Grall, à propos duquel il écrit : « Ensemble nous cherchions/lui Dieu/moi eux/les hommes et les femmes filles et fils de Dieu ». N’a-t-il pas aussi parmi ses amis le poète Gilles Baudry, « frère en l’abbaye de Landévennec/où je me rends une fois par an » ?

Yvon Le Men tourne donc autour du Mont – au risque de le perdre, parfois, un peu de vue – pour revisiter ses propres croyances (au sens large du terme) et introduire dans son livre des textes venus d’éminentes personnalités de l’Eglise. Il en est ainsi des prières à l’archange saint Michel, reprises fidèlement, écrites par Saint Bonaventure, saint Louis de Gonzague, Léon XII et même le pape François.

Yvon Le Men, A perte de ciel, Bayard 2021, 196 pages, 16,90 euros.

L’occasion aussi d’évoquer les figures de saint Colomban ou de saint Yves que l’on célèbre à Tréguier dans son Trégor natal. Evoquant les moines copistes comme ceux qui vécurent au Mont, il écrit : « Si j’avais été moine (…) j’aurais recopié/cet hymne sur le paradis de saint Ephrem de Syrie : « Personne n’y travaille/car chacun n’y a faim/personne n’y vieillit/car personne n’y meurt ».

On le voit. Ce livre est un patchwork de confessions, de réminiscences, de tranches d’histoire personnelle. Le poète n’évoque-t-il pas, à nouveau, les doigts des cantonniers (comme l’était son père) ou les yeux des couturières (comme l’était sa mère) ? Le Mont, dans sa magnificence surplombe le récit poétique en miettes de sa propre existence et devient le lieu d’une quête inassouvie, d’un vrai pèlerinage ascensionnel.

Le Men parle d’une « possibilité d’éternité » à propos d’un lieu qui lui était apparu pour la première fois, quand il était gamin, sur le calendrier des Postes et qu’il revisite cette fois par l’imagination «parce que je pouvais plus m’y rendre en vrai, avec le corps, entouré qu’il était, comme nous tous, de la pandémie, de la maladie, de la mort peut-être ». Et s’il fallait « s’inventer une seconde demeure », le poète breton fait même cet aveu : « Elle est/elle serait le Mont-Saint-Michel/comme un escalier que je prendrais pour le ciel ».

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Yvon Le Men derrière sa baie vitrée1

Un poète dans le confinement. Comme beaucoup d’écrivains, Yvon Le Men évoque ici son expérience personnelle de mise à l’écart forcé du monde lors des premiers mois de la pandémie. Le voici derrière la baie vitrée de sa maison de Lannion avec cette peur « de tomber dans la maladie / comme on tombe dans un cauchemar ». Mais le poète sait aussi nous mener ailleurs.

Ecriture lapidaire. Deux vers, trois vers, puis un blanc, puis de nouveau deux vers, un vers… Comme pour témoigner de cette vie en miettes que le/la Covid nous a imposée. Yvon Le Men nous parle de sa « maison enroulée autour de ses fenêtres », des fenêtres qui deviennent des hublots pour accéder à une nature environnante faisant comme si de rien n’était. Car les oiseaux sont bien là,  tout à leurs occupations (« la peur donne des ailes mais seulement aux oiseaux »), mais aussi les fleurs du mois de mars, sans oublier ses deux pommiers « côte à côte / branches à fleurs ».

Le poète a tout le temps de contempler, de s’émerveiller. Sa baie vitrée – comme le nom l’indique – ouvre de larges perspectives. Elle lui permet d’élargir la focale, sauf quand les volets roulants se bloquent et qu’il se trouve brutalement « confiné dans le confinement ». Heureusement un artisan viendra. « J’avais besoin de ses mains ». Opportune visite d’un réparateur accueilli comme le Messie. « J’avais besoin / de quelqu’un / d’un besoin d’humanité ». Besoin, aussi, du « pain de mots / produit de première nécessité » dont il est provisoirement privé quand il casse accidentellement son téléphone.

Yvon Le Men, La baie vitrée, éditions Bruno Doucey,  153 pages, 16 euros.

Mais le poète n’est pas là pour s’apitoyer sur son cas personnel. Il sait que le drame s’installe aux alentours. « La vieille dame qui est morte / hier // n’a pas vu la clochette / seule // parmi les primevères ». Cette mortalité galopante (« les morts débordent ») le ramène à une expérience intime de la mort à travers la figure d’un père trop tôt disparu. Mais s’il se met à l’écoute d’un passé douloureux, il ne se cantonne pas pour autant à son pré-carré trégorois. Le voici en correspondance avec un ami chinois. « J’étais inquiet pour lui / hier // Il est inquiet pour moi/aujourd’hui. »

Elargissant encore plus son champ de vision, Yvon Le Men nous fait envisager notre belle planète bleue (aujourd’hui bien abimée) à travers le regard de spationautes. L’art de prendre de la hauteur. Et il cite Jean-Loup Chrétien parlant de notre planète terre : « Seul un enfant dans son innocence pourrait appréhender la pureté et la splendeur de cette vision ». C’est, sans aucun doute, cet émerveillement que le poète nous invite, en dépit de tout, à retrouver. Et si la pandémie en était l’occasion ! Au fond, laver notre regard sur le monde pour que, à l’image de son ami poète Claude Vigée, récemment disparu, on sache écouter chanter le rouge-gorge « dans l’amandier / invisible ».

Note

  1. Article de Pierre Tanguy publié sur Recours au poème en septembre 2021.

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Ma langue est poésie : Yvon Le Men, Massimo Dean, Chris Ames, Les Cafés littéraires : Festival Saint-Malo Étonnants Voyageurs 2022 Du 4 au 6 juin 2022, toute l'actualité littéraire des derniers mois. En compagnie de Maette Chantrel et de Pascal Jourdana.

Image de Une © Frank Loriou.




Yvon Le Men, Les Epiphaniques

On connaissait Les Epiphanies aux accents libertaires d’Henri Pichette. Voici Les Epiphaniques d’Yvon Le Men, un livre qui nous renvoie, plus qu’à la fête religieuse bien connue,  à la racine grecque du mot. Epiphanie, autrement dit révélation, apparition.

Voici, en effet des hommes et des femmes « invisibles » sortis de l’ombre, mis sous la lumière par la grâce d’une écriture poétique qui se met au service de leurs récits de vie. Ils et elles vivent dans la marge, cassés voire broyés par la vie. Le poète breton les a écoutés et il raconte à la fois leurs itinéraires et leurs espoirs.

Pour Yvon Le Men tout démarre par une résidence d’auteur à Rennes. Comme il l’avait fait pour Les rumeurs de Babel (Dialogues, 2016 ) dans le cadre d’une autre résidence au cœur du quartier populaire de Maurepas, le poète va rencontrer des hommes et des femmes, jeunes ou moins jeunes. Ils s’appellent Mickaël, Louna, Thomas, Tiago, Myriam… La vie les a secoués. Ils sont tous dans la marge, parfois après des enfances de misère (« La goutte de gnole dans le biberon pour m’endormir », raconte l’un) ou l’expérience de lourds drames familiaux (le suicide d’une mère, confie un autre).  Anne-Laure, elle, raconte : « Mes ancêtres étaient des tueurs de loups / du Loup / mes arrière-grands-parents / des tueurs d’Arabes ». Pour Asma, la Somalienne, c’est de l’emprise du père qu’il faut se libérer. « Il faut que l’on soit comme mon père/veut qu’on soit ».

Yvon Le Men, Les Epiphaniques, Editions Bruno Doucey, 2022, 160 pages, 16 €.

Le poète écoute, met en vers leurs récits, ennoblit leurs destins de déclassés. Mais il établit aussi des correspondances avec sa propre vie. Quand cette fille-mère de 40 ans évoque sa vie dans une yourte, Yvon Le Men ne peut pas manquer de penser à son « amie  qui est morte au bord de ses quarante ans » ou encore à sa mère « qui a perdu son amour le jour de ses quarante ans ». Quand tel ou tel évoque sa révolte, Yvon Le Men rappelle qu’il fut aussi, à un moment de sa vie, ce « jeune révolutionnaire ». Mais un révolté qui estime que « la fin ne justifie jamais les moyens ».

C’est le Le Men de En espoir de cause (éditions PJ Oswald, 1975) et de Vie (L’harmattan, 1977) qui resurgit au détour d’un vers. C’est le jeune homme épris de justice et de fraternité qui regarde aujourd’hui avec sympathie ceux qui « marchent vers les ronds-points / main sur l’épaule », ceux qui « partagent sur les ronds-points / nuit et jour leurs nuits et leurs jours ».

C’est aussi son itinéraire personnel de poète qui refait surface lors d’une rencontre avec ce jeune qui fut orphelin très tôt et qui rêve aussi de devenir poète. Alors ce jeune lui  pose la question : « Tu crois / que l’on peut vivre / en poésie / de poésie ? ». La réponse est lumineuse : « En poésie / oui / il suffit d’y travailler / de poésie / c’est autre chose ». Et alors reviennent sous sa plume, comme une évidence, ces affirmations toute simples qui ont fondé sa propre aventure poétique. « Le bruit court qu’on peut être heureux » et « Il fait un temps de poème ». Les mots sont de  Jean Malrieu, un poète  qui a tant compté pour Le Men. Et l’on se pose la question : Le Men pourrait-il devenir le Malrieu de ce jeune qui se dit « pressé » et « déjà plus vieux que Rimbaud/quand il a commencé » ? Le poète répond en tout cas à ce jeune qui rêve de poésie : « C’est possible / pour toi / car ce le fut pour moi //  il suffit de croire en ceux qui étaient sur la route avant toi / et t’attendent ». C’est ce qu’on appelle sans doute une épiphanie.

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Le texte de ce livre  (illustré par Bernard Louvet) a été porté sur la scène du Théâtre national de Bretagne à Rennes, en mars 2022, par le metteur en scène Massimo Dean, sous le titre « La Rance n’est pas un fleuve ».

 

Présentation de l’auteur

Yvon Le Men

Textes

Yvon Le Men est l’auteur d’une œuvre poétique importante, de quatre récits et deux romans. A Lannion où il vit, il a créé, en 1992, les rencontres intitulées « Il fait un temps de poème ». En 1997, il y crée un espace poésie. De 2006 à 2008, il a publié une chronique hebdomadaire dans le journal Ouest-France : « Le tour du monde en 80 poèmes ». Ses textes, livres ou anthologies, sont traduits dans une douzaine de langues. Il travaille aussi depuis de nombreuses années dans les écoles, avec les enfants pour lesquels il a écrit. Il reçoit en 2012 le Prix Théophile Gauthier de l'Académie Française pour son recueil "A louer chambre vide pour personne seul" (Rougerie).

Poèmes choisis

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Yvon Le Men, La baie vitrée, Alda Merini, La folle de la porte à côté, Chantal Couliou, Du soleil plein les yeux

 

Yvon Le Men derrière sa baie vitrée

 

Un poète dans le confinement. Comme beaucoup d’écrivains, Yvon Le Men évoque ici son expérience personnelle de mise à l’écart forcé du monde lors des premiers mois de la pandémie. Le voici derrière la baie vitrée de sa maison de Lannion avec cette peur « de tomber dans la maladie / comme on tombe dans un cauchemar ». Mais le poète sait aussi nous mener ailleurs.

Ecriture lapidaire. Deux vers, trois vers, puis un blanc, puis de nouveau deux vers, un vers… Comme pour témoigner de cette vie en miettes que le/la Covid nous a imposée. Yvon Le Men nous parle de sa « maison enroulée autour de ses fenêtres », des fenêtres qui deviennent des hublots pour accéder à une nature environnante faisant comme si de rien n’était. Car les oiseaux sont bien là,  tout à leurs occupations (« la peur donne des ailes mais seulement aux oiseaux »), mais aussi les fleurs du mois de mars, sans oublier ses deux pommiers « côte à côte / branches à fleurs ».

Le poète a tout le temps de contempler, de s’émerveiller. Sa baie vitrée – comme le nom l’indique – ouvre de larges perspectives. Elle lui permet d’élargir la focale, sauf quand les volets roulants se bloquent et qu’il se trouve brutalement « confiné dans le confinement ». Heureusement un artisan viendra. « J’avais besoin de ses mains ». Opportune visite d’un réparateur accueilli comme le Messie. « J’avais besoin / de quelqu’un / d’un besoin d’humanité ». Besoin, aussi, du « pain de mots / produit de première nécessité » dont il est provisoirement privé quand il casse accidentellement son téléphone.

Yvon Le Men, La baie vitrée, éditions Bruno Doucey,  153 pages, 16 euros.

Mais le poète n’est pas là pour s’apitoyer sur son cas personnel. Il sait que le drame s’installe aux alentours. « La vieille dame qui est morte / hier // n’a pas vu la clochette / seule // parmi les primevères ». Cette mortalité galopante (« les morts débordent ») le ramène à une expérience intime de la mort à travers la figure d’un père trop tôt disparu. Mais s’il se met à l’écoute d’un passé douloureux, il ne se cantonne pas pour autant à son pré-carré trégorois. Le voici en correspondance avec un ami chinois. « J’étais inquiet pour lui / hier // Il est inquiet pour moi/aujourd’hui. »

Elargissant encore plus son champ de vision, Yvon Le Men nous fait envisager notre belle planète bleue (aujourd’hui bien abimée) à travers le regard de spationautes. L’art de prendre de la hauteur. Et il cite Jean-Loup Chrétien parlant de notre planète terre : « Seul un enfant dans son innocence pourrait appréhender la pureté et la splendeur de cette vision ». C’est, sans aucun doute, cet émerveillement que le poète nous invite, en dépit de tout, à retrouver. Et si la pandémie en était l’occasion ! Au fond, laver notre regard sur le monde pour que, à l’image de son ami poète Claude Vigée, récemment disparu, on sache écouter chanter le rouge-gorge « dans l’amandier / invisible ».

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Alda Merini : « La folle de la porte à côté »

 

C’est une grande écrivaine italienne mais son œuvre de prosatrice et poétesse reste encore méconnue en France. Alda Merini (1931-2009) sort des sentiers battus à la fois par son approche de la vie et de l’écriture. Il faut dire que son destin a été plutôt particulier puisque, atteinte de troubles bipolaires, elle a effectué des séjours en hôpital psychiatrique. Le titre du livre publié aujourd’hui en France (préface de Gérard Pfister) témoigne de cette « spécificité ». Elle y mêle souvenirs, réflexions, poèmes, avec cet art consommé de la provocation qui était le sien.

Vous avez dit folle ? « Je suis né le vingt-et-un du printemps / mais je ne savais pas que naître folle, / ouvrir les mottes, / pouvait déchaîner la tempête  », écrit-elle. Mais surtout, plus loin, elle retourne malicieusement la question : « Je fais tout pour être semblable à la folle de la porte à côté, vu qu’elle est incohérente et folle, mais que tous l’admirent ».Sur l’hôpital psychiatrique (qui sera en réalité son seul foyer) elle tient un discours, lucide, que l’on n’attend pas forcément. « Asile est un mot bien plus grand / que les gouffres obscurs du rêve, / et pourtant quelquefois venait au temps, / un filament d’azur ou la chanson/lointaine d’un rossignol ou s’entrouvrait / ta bouche mordant dans l’azur / le mensonge féroce de la vie ».

Alda Merini a publié son premier livre, La presenza de Orfeo  à 22 ans. Il est salué dès sa sortie par Pasolini lui-même. Son œuvre majeure, La terra santa, sortira en 1984. Mais sa vie d’écrivain restera chaotique. Elle recevra le prestigieux prix Librex Montale en 1993. Mais en 2004 la voilà de nouveau internée.

Alda Merini, La folle de la porte à côté, Arfuyen, 210 pages, 17 euros

Entre-temps, elle aura mené une vie plutôt débridée, notamment sur le plan sexuel. Provocatrice, elle écrit : « Il n’y aucune différence entre moi et la dernière des prostituées du monde. Pourquoi suis-je dans un hôtel qui loue à l’heure, pourquoi ai-je besoin d’un logeur ? Parce que, moi aussi, je veux être louée, achetée, vendue, insultée ». L’éditeur peut donc parler, à propos de ce livre, d’une « autobiographie fantasmée et lucide, follement romanesque, et, en dépit de tout, profondément joyeuse ». D’ailleurs, Alda Merini le dit elle-même : « Celui qui m’a affublée de l’épithète un peu douloureuse de « poétesse de l’amour » s’est trompé. Je n’ai jamais été une femme d’amour et pas non plus une femme futile, mais une femme d’action qui n’a écrit sur l’amour que par nécessité, comme un cri de vengeance. Parce que l’amour incite à la vengeance ».

  

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Chantal Couliou : « Du soleil plein les yeux »

 

« Au papillon je propose / d’être mon compagnon / de voyage ». En introduisant son recueil par ce haïku du Japonais Shiki, la Brestoise Chantal Couliou nous entraîne dans son propre voyage au cœur d’un périmètre finistérien balisé par quelques lieux emblématiques comme les Monts d’Arrée ou le phare du Créac’h. L’essentiel, pourtant, n’est pas le lieu (dans sa précision géographique) mais plutôt l’ambiance ou l’atmosphère d’un territoire que la poétesse habite assidument dans la traversée des saisons et dont les principaux points de repère sont l’école, le jardin public, le pont et le port, la plage et la dune… Autant de matières premières pour haïku, un genre poétique que Chantal Couliou pratique fidèlement depuis des années. « Rentrée des classes / les mots sur le tableau / effacés par le soleil ».

C’est la professeure des écoles – qu’elle est dans le civil – qui nous livre ici concrètement son vécu à travers ces quelques notations elliptiques qui font le charme du haïku. « Dans la cour d’école / un moineau esseulé - / marelle sous la neige ». Oui, la neige est là en hiver, si rare pourtant dans le Nord-Finistère, mais dont la rareté même  fait tout son prix quand on est haïjin : « Ipod aux oreilles / le joggeur en short / sous l’averse de neige ». Ou encore ceci : « Dans la boîte à lettres / quelques catalogues de Blanc / recouverts de neige ».

Passé l’hiver avec ses brumes, sa pluie et ses « rafales de vent » comme il sied à la ville de Brest, voici le printemps et « les frissons des jonquilles », « l’insolence des camélias » ou encore « la marée jaune » des champs de colza. Mais le vent est toujours là qui « retourne les parapluies ». A lire Chantal Couliou on a la sensation – et c’est heureux – de saisons toujours bien tranchées, en dépit des changements climatiques qui font aujourd’hui fleurir les camélias de printemps à la fin de l’automne.

Chantal Couliou, Du soleil plein les yeux, Unicité, 87 pages, 13 euros

L’été peut arriver dans son « odeur de grillades » même si dans les jardins « le fouet de la pluie » peut toujours faire son œuvre. Et quand ses pas l’amènent sur la côte, Chantal Couliou s’interroge : « Sur la dune/une multitude de petits chemins/lequel choisir ? » Une autre fois, partie sur la grande île voisine qu’on devine être Ouessant, elle s’amuse en écrivant : « Sur l’île, noirs ou blancs/compter les moutons - /un bon somnifère ». Ainsi va la vie sous les cieux capricieux du Ponant. Chantal Couliou en est le témoin attentif, toujours en état de veille comme elle l’est aussi auprès des êtres chers : « Ma mère/comme les feuilles mortes - /poumon en berne ».

Présentation de l’auteur

Alda Merini

Alda Merini est née le et a disparu le à Milan. C'est une poétesse et femme de lettres italienne contemporaine, personnage important du milieu culturel italien de son époque. Elle est considérée comme la plus grande poétesse italienne du xxe siècle. Le président de la République italienne, Giorgio Napolitano la définit une « inspirée et limpide voix poétique ».

© Crédits photos (supprimer si inutile)

  • Bibliographie 
  • La presenza di Orfeo, Schwarz, Milan, 1953
  • Paura di Dio, Scheiwiller, Milan, 1955
  • Nozze romane, Schwarz, Milan, 1955
  • Tu sei Pietro, Scheiwiller, Milan, 1966
  • Destinati a morire, Lalli, Poggibonsi, 1980
  • Le rime petrose, edizione privata, 1983
  • Le satire della Ripa, Laboratorio Arti Visive, Taranto, 1983
  • Le più belle poesie, edizione privata, 1983
  • La Terra Santa, Scheiwiller, Milan, 1984
  • La Terra Santa e altre poesie, Lacaita, 1984
  • L'altra verità. Diario di una diversa, Scheiwiller, Milan, 1986
  • Fogli bianchi, Biblioteca Cominiana, 1987
  • Testamento, a cura di Giovanni Raboni, Crocetti, 1988
  • Delirio amoroso 1989
  • Il tormento delle figure, 1989
  • Delirio amoroso, il Melangolo, Gênes, 1990
  • Il tormento delle figure, Gênes, Il Melangolo, 1990.
  • Le parole di Alda Merini, Rome, Stampa alternativa, 1991
  • Vuoto d'amore, Turin, Einaudi, 1991.
  • Valzer, Ts. 1991
  • Balocchi e poesie, Ts. 1991.
  • Cinque poesie, Mariano Comense, Biblioteca comunale, 1992
  • Ipotenusa d´amore, Milan, La Vita Felice, 1992
  • La palude di Manganelli o il monarca del re, Milan, La Vita Felice, 1992
  • La vita felice: aforismi, Osnago, Pulcinoelefante, 1992
  • La vita più facile: Aforismi, Osnago, Pulcinoelefante, 1992
  • Aforismi, Nuove Scritture, 1992
  • La presenza di Orfeo (Paura di Dio, Nozze Romane, Tu sei Pietro), Milan, Scheiwiller, 1993
  • Le zolle d´acqua. Il mio naviglio, Cernusco sul naviglio (Milan), Montedit, 1993
  • Rime dantesche, Crema, Divulga, 1993
  • Se gli angeli sono inquieti. Aforismi, Florence, Shakespeare and Company, 1993
  • Titano amori intorno, Milan, La Vita Felice, 1993
  • 25 poesie autografe, Turin, La città del sole, 1994
  • Reato di vita. Autobiografia e poesia, Milan, Melusine, 1994
  • Il fantasma e l´amore, Milan, La Vita Felice, 1994
  • Ballate non pagate, Torino, Einaudi, 1995
  • Doppio bacio mortale, Faloppio, Lietocollelibri, 1995
  • La pazza della porta accanto, Milan, Bompiani, 1995
  • Lettera ai figli, Faloppio, Lietocollelibri, 1995
  • Sogno e poesia, Milan, La Vita Felice, 1995
  • Aforismi, Milan, Pulcinoelefante, 1996
  • La pazza della porta accanto, Milan, Mondadori, 1996
  • La Terra Santa: (Destinati a morire, La Terra Santa, Le satire della Ripa, Le rime petrose, Fogli bianchi) 1980-987, Milan, Scheiwiller, 1996
  • La vita facile: sillabario, Milan, Bompiani, 1996
  • Refusi, Brescia, Zanetto, 1996
  • Un poeta rimanga sempre solo, Milan, Scheiwiller, 1996
  • Immagini a voce, Motorola, 1996
  • La vita felice: sillabario, Milan, Bompiani, 1996
  • Un´anima indocile, Milan, La Vita Felice, 1996
  • Sogno e poesia, Milan, La Vita Felice, 1996
  • La vita facile: aforismi, Milan, Bompiani, 1997
  • L´altra verità. Diario di una diversa, Milan, Rizzoli, 1997
  • La volpe e il sipario, Legnago, Girardi, 1997, (ISBN 88-17-86471-4)
  • Le più belle poesie di Alda Merini, Milan, La Vita Felice, 1997
  • Orazioni piccole, Syracuse, Edizioni dell'ariete, 1997
  • Curva in fuga, Siracusa, Edizioni dell´ariete, 1997
  • Ringrazio sempre chi mi dà ragione. Aforismi di Alda Merini, Viterbo, Stampa Alternativa, 1997
  • 57 poesie, Milan, Mondadori, 1998
  • Favole, Orazioni, Salmi, scritti raccolti da Emiliano Scalvini, Soncino, Editrice la Libraria, 1988
  • Eternamente vivo, Corbetta, L´incisione, 1998
  • Fiore di poesia (1951-1997) (a cura di Maria Corti), Torino, Einaudi, 1998, (ISBN 88-06-17377-4)
  • Lettere a un racconto. Prose lunghe e brevi, Milan, Rizzoli, 1998
  • Aforismi e magie, Milan, Rizzoli, 1999
  • Il ladro Giuseppe. Racconti degli anni sessanta, Milan, Scheiwiller, 1999
  • L´uovo di Saffo. Alda Merini e Enrico Baj, Milan, Colophon, 1999
  • La poesia luogo del nulla, Lecce, Manni, 1999
  • Le ceneri di Dante: con una bugia sulle ceneri, Osnago, Pulcinoelefante, 1999
  • L´anima innamorata, Milan, Frassinelli, 2000
  • Superba è la notte, Turin, Einaudi, 2000
  • Due epitaffi e un testamento, Osnago, Pulcinoelefante, 2000
  • Vanni aveva mani lievi, Aragno, 2000
  • Le poesie di Alda Merini, Milan, La Vita Felice, 2000
  • Tre aforismi, Osnago, Pulcinoelefante, 2000
  • Amore, Osnago, Pulcinoelefante, 2000
  • Vanità amorose, Bellinzona, Edizioni Sottoscala, 2000
  • Colpe d´immagini, Milan, Rizzoli, 2001
  • Corpo d´amore: un incontro con Gesù, Milan, Frassinelli, 2001
  • Folle, folle, folle d´amore per te, Milan, Salani, 2002
  • Maledizioni d´amore, Acquaviva delle Fonti (Ba), Acquaviva, 2002
  • Il paradiso, Osnago, Pulcinoelefante, 2002
  • Anima, Osnago, Pulcinoelefante, 2002
  • Ora che vedi Dio, Osnago, Pulcinoelefante, 2002
  • Un aforisma, Osnago, Pulcinoelefante, 2002
  • La vita, Osnago, Pulcinoelefante, 2002
  • Una poesia, Osnago, Pulcinoelefante, 2002
  • Magnificat: un incontro con Maria, Milan, Frassinelli, 2002
  • Invettive d´amore e altri versi, Turin, Einaudi, 2002
  • Il maglio del poeta, Lecce, Manni, 2002
  • La carne degli angeli, Milan, Frassinelli, 2003
  • Più bella della poesia è stata la mia vita, Torino, Einaudi, 2003
  • Delirio Amoroso, Gênes, Il Nuovo Melangolo, 2003
  • Alla tua salute, amore mio: poesie, aforismi, Acquaviva delle Fonti (Ba), Acquaviva, 2003
  • Poema di Pasqua, Acquaviva delle Fonti (Ba), Acquaviva, 2003
  • Il mascalzone veronese, Acquaviva delle Fonti (Ba), Acquaviva, 2003
  • Lettera a Maurizio Costanzo, Faloppio, Lietocollelibri, 2003
  • La clinica dell´abbandono, Turin, Einaudi, 2004
  • Cartes (Des), Vicolo del Pavone, 2004
  • Dopo tutto anche tu, San Marco dei Giustiniani, 2004
  • El Disaster, Acquaviva delle Fonti (Ba), Acquaviva, 2004
  • Lettera ai bambini, Faloppio, Lietocollelibri, 2004
  • La volpe e il sipario. Poesie d´amore, Milan, Rizzoli, 2004
  • La voce di Alda Merini. La dismisura dell´anima. Audiolibro. CD audio. Milan, Crocetti,2004
  • Poema della croce, Milan, Frassinelli, 2004
  • Uomini miei, Milan, Frassinelli, 2005
  • Il Tavor, Acquaviva delle Fonti (Ba), Acquaviva, 2005
  • Sono nata il ventuno a primavera. Diario e nuove poesie, Lecce, Manni. 2005
  • La presenza di Orfeo - La Terra Santa, Milan, Scheiwiller, 2005
  • Nel cerchio di un pensiero, Milan, Crocetti, 2005
  • Io dormo sola, Acquaviva delle Fonti (Ba), Acquaviva, 2005
  • Figli e poesie, Acquaviva delle Fonti (Ba), Acquaviva, 2005
  • Le briglie d´oro. Poesie per Marina 1984 - 2004, Milan, Scheiwiller, 2005
  • La famosa altra verità, Acquaviva delle Fonti (Ba), Acquaviva, 2006
  • L´Altra verità diario di una diversa, Milan, Rizzoli, 2006
  • Lettere di Pasolini, Acquaviva delle Fonti (Ba), Acquaviva, 2006
  • Recueil traduits en français
  • Après tout même toi / Dopo tutto anche tu, Oxybia Editions [archive], 2009
  • Délire amoureux / Delirio amoroso, Oxybia Editions [archive], 2011
  • La Terra Santa, Oxybia Editions [archive], 2013
  • Délit de vie, autobiographie et poésie, tim buctu éditions [archive], 2015
  • La folle de la porte à côté, suivi de Conversation avec Alda Merini, traduction de Monique Baccelli, préface de Gérard Pfister, éditions Arfuyen, 220 (ISBN 978-2-845-90317-3).
  • Notes et références

Poèmes choisis

Autres lectures

Présentation de l’auteur

Chantal Couliou

Chantal Couliou est née le à Vannes. Elle est professeur des écoles à Brest, et a publié une trentaine de recueils de poésie. Elle est membre de la Charte des auteurs et Illustrateurs pour la jeunesse.

  • Bibliographie

 

  • Horizons horizons, SGDP, 1984
  • Désordre, Maison Rhodanienne de poésie, 1988
  • De l'algue à la pierre, Encres vives, 1997
  • Le chuchotement des jours ordinaires, l'Épi de seigles, 1997, Prix Press-Stances 1997
  • Mémoire de pierre, Encre vives, 1998
  • Petite suite pour un été, Fer de Chances, 1998
  • Les petites blessures de la nuit, Cahiers Froissart, 1998
  • Petits bonheurs, Illustrations Claire Garralon, Dé bleu, 1999
  • Des chemins de silence, Blanc Silex, 2000
  • Il y a des jours, Fer de Chances, 2001
  • Point d’attache, illustrations Dany Lecuyer, Gros textes, 2003
  • Saint Denis, fenêtres ouvertes, photographies Pierre Douzenel, PSD, 2003
  • Lettres à Yvan, La Porte, 2003
  • Jours de pluie, Club Zéro, 2003
  • L’Avancée des jours, Éclats d’Encre, 2004
  • Carnet de petits bleus à l’âme, Les carnets du dessert de lune, 2004
  • A fleur de silence, SOC & FOC, 2007 - Liste de référence "Lectures pour les collégiens", 2012, Ministère de l'Education Nationale
  • Au cœur du silence, Éditions La porte, 2008
  • Pour apprivoiser le vent, S'Éditions, 2008
  • Ciel de traîne, Éditions Clarisse,2008
  • La rumeur de l'hiver, Éditions Encres Vives, 2008
  • Le soleil est dans la lune, Éditions Corps Puce, 2008
  • Géographie de l'eau, Éditions Corps Puce, Coll. Le Poémier, 2009
  • A cloche pied, Tertium éditions (jeunesse), 2009
  • Une poignée de mots et un peu de vent, Les Carnets du Dessert de Lune, coll. Dessert, 2009
  • Le vieux vélo de Jules, éditions La Renarde Rouge , 2010
  • Rapa Nui, éditions Rafaël de Surtis, 2012
  • Au creux des îles, éditions Soc et Foc, 2012, Prix Camille Le Mercier d'Erm décerné par l'Association des Ecrivains Bretons
  • Variations autour d'une île, éditions Encres Vives, Collection Lieu, 2012
  • Croqués sur le vif, éditions Les Carnets du Dessert de Lune, Collection la luneestlà, 2012
  • Le temps est à la pluie, La Porte, 2014
  • Fragments d'alphabet, Éditions Encres Vives, Collection Blanche, 2016
  • Le chuchotis des mots, Editions Les Carnets du Dessert de Lune, Collection la luneestlà, 2016, Prix Joël Sadeler - Ville de Ballon Saint Mars
  • Dans le silence de la maison, Editions du Petit Pois, coll. Prime Abord, 2016
  • Le temps en miettes, Editions Soc et Foc, 2017
  • Sans préavis, Editions La Porte, 2017
  • Sens dessus dessous, haïkus en collaboration avec Régine Bobée et Choupie Moysan, éditions Envolume, 2018
  • Sur les ailes du poème, collection AAA, éditions Voix Tissées, 2019
  • Légers frissons, collection Tango, éditions Donner à Voir, 2019
  • Insulaires (haïkus), collection Dessert, éditions Les Carnets du dessert de Lune, 2020
  • Dans les coulisses du jardin, collection AAA, éditions Voix Tissées, 2020
  • Du soleil plein les yeux (haïkus), éditions Unicité, 2020
  • Livre d'artiste
  • Grand large : encres et pastel, avec Marguerite Rolland, CMJN éditions, 2013
  • Pluie sur les rochers, avec la plasticienne Choupie Moysan, L3V,mt-galerie, 2014
  • Seul le bleu demeure, avec Lydia Padellec ( acryliques) , éditions de la Lune bleue, 2017
  • Infini et Un reste de lumière avec la plasticienne Maria Desmée, 2019, chez l'artiste
  • Papillotes, Atelier de Groutel, 2019
  • Macules, illustrations de FIL, Les Ateliers Miénnée de Lanouée éditions, 2019
  • Nouvelles
  • Une petite pluie : nouvelles, Les Découvertes de la Luciole, 2006
  • Pédagogie et Poésie
  • La clé des mots, éditions Buissonnières, 2012
  • Publications de fiches pédagogiques (poésie et arts plastiques) dans la revue La Classe.

Poèmes choisis

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Yvon Le Men est l’auteur d’une œuvre poétique importante, de quatre récits et deux romans. A Lannion où il vit, il a créé, en 1992, les rencontres intitulées « Il fait un temps de poème ». En 1997, il y crée un espace poésie. De 2006 à 2008, il a publié une chronique hebdomadaire dans le journal Ouest-France : « Le tour du monde en 80 poèmes ». Ses textes, livres ou anthologies, sont traduits dans une douzaine de langues. Il travaille aussi depuis de nombreuses années dans les écoles, avec les enfants pour lesquels il a écrit. Il reçoit en 2012 le Prix Théophile Gauthier de l'Académie Française pour son recueil "A louer chambre vide pour personne seul" (Rougerie).

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Yvon Le Men et Simone Massi, Les mains de ma mère

Les poèmes racontent-ils des histoires ? Oui, à coup sûr, sous la plume d’Yvon Le Men. Surtout quand ces poèmes parlent de l’enfance et racontent des aventures familières. Le poète breton s’associe pour le dire au grand dessinateur italien Simone Massi.

  Courir à perdre haleine sur la plage, jeter des bouteilles à la mer (avec, de préférence, un message d’amour à l’intérieur), s’approcher des oiseaux, regarder la lumière des phares clignoter la nuit sur la mer… Autant de petites « aventures » que tant d’enfants (surtout autrefois et plus particulièrement en Bretagne) ont bien connues. Ces aventures avaient déjà été publiées dans deux des trois tomes de l’autobiographie poétique d’Yvon Le Men (Une île en terre en 2016 et Le poids d’un nuage en 2017, aux éditions Bruno Doucey). Les voici réunies en forme de best-off dans la collection Poes’histoires chez le même éditeur. Ne boudons surtout pas notre plaisir de lire ou relire ces textes poétiques (destinés à tout public)  dont le dénominateur commun est l’enfance.

 

Yvon Le Men, Les mains de ma mère, Simone Massi,
éditions Bruno Doucey, collection Poes’histoires, 63
pages, 12 euros.

 

Si les mains d’une mère donnent le titre à ce livre, c’est parce qu’elles renvoient à une mère dont le poète a pris les mains « le jour où ses yeux se sont ouverts/une dernière fois ». Amour filial, retour sur « l’île » de parents aimés et aimants« quand les voyelles/pas si nombreuses/poussaient les consonnes/jusqu’au bout de leurs phrases/ de leurs chants ». Et puis, le temps passant, la famille s’élargit jusqu’à ces « inconnus mais pas étrangers » que le poète rencontrera en Castille, en Finlande, au Danemark « le jour de Noël », à Bamako « le jour de l’Aïd », et dans tant d’autres pays.

Qu’il soit en Bretagne ou au bout du monde, Le Men conserve le regard émerveillé de l’enfance. « Nous avons regardé/à travers le vitrail/passer la mer et le ciel », écrit-il à propos d’une chapelle qu’il a visitée. « Et comme les enfants/écoutant chanter la mer/dans un coquillage// nous avons écouté/chanter les images/qui trempaient leurs couleurs/dans l’eau profonde du ciel ».

Les très beaux dessins de Simone Massi, célèbre dans le monde du cinéma d’animation, apportent une touche particulière à ce recueil. On voit un enfant sous le regard des adultes, tenant ici la main d’un père, absorbé ailleurs par la lecture d’un livre ou levant des yeux vers le ciel… Dessins en noir et blanc ponctués, à l’occasion, d’une petite touche de couleur : l’orange d’une orange dans la main, le rouge d’un rouge-gorge posé sur la tête. Magnifique !

 

Présentation de l’auteur

Yvon Le Men

Textes

Yvon Le Men est l’auteur d’une œuvre poétique importante, de quatre récits et deux romans. A Lannion où il vit, il a créé, en 1992, les rencontres intitulées « Il fait un temps de poème ». En 1997, il y crée un espace poésie. De 2006 à 2008, il a publié une chronique hebdomadaire dans le journal Ouest-France : « Le tour du monde en 80 poèmes ». Ses textes, livres ou anthologies, sont traduits dans une douzaine de langues. Il travaille aussi depuis de nombreuses années dans les écoles, avec les enfants pour lesquels il a écrit. Il reçoit en 2012 le Prix Théophile Gauthier de l'Académie Française pour son recueil "A louer chambre vide pour personne seul" (Rougerie).

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Yvon Le Men : un poète à plein temps

 

       

Prix Goncourt 2019 de poésie

Yvon Le Men : un poète à plein temps

 

Il est une exception dans le paysage poétique français. Yvon Le Men vit de la poésie à plein temps. Poète professionnel ? L’expression ne lui plairait guère. Disons, plutôt, auteur-compositeur-interprète. A la manière d’un chanteur. D’un artiste.

  

  

Cette volonté de vivre de sa poésie lui est venue très tôt. Sans doute l’environnement culturel de ses débuts y a été pour beaucoup. Quand il publie, à 21 ans, son premier recueil intitulé Vie  (éditions Oswald),  la Bretagne connaît une effervescence musicale et littéraire (dans la foulée de mai 68)  d’où émergent les noms des chanteurs Stivell, Glenmor, Servat, Gwernig, Kerguiduff, et des écrivains et poètes Xavier Grall ou Paol Keineg. Yvon Le Men s’inscrit d’une certaine manière dans cette mouvance et commence à dire ses poèmes sur les tréteaux des fêtes bretonnes ou dans de petites maisons des jeunes et de la culture. Il est alors associé, au sein d’une coopérative appelée Névénoé, à des chanteurs nommés Gérard Delahaye, Patrick Ewen, Melaine Favennec, Christen Noguès…

Yvon Le Men et Yvon Boëlle, Bretagne, 
Editions Apogée,
collection Terre celte,
2000, 47 pages, 7,50 €.

Le Men dit la Bretagne  mais ce n’est pas un barde. Il dit surtout l’urgence de vivre. Il dit aussi son espoir d’un monde meilleur et défend les ouvriers « en lutte ». Car il sait de quoi il parle. Issu d’un milieu très populaire du pays de Tréguier (Côtes d’Armor), où il est né en 1953, le poète a l’humeur rageuse et le verbe haut. Mais il ne verse jamais dans l’idéologie ni le discours militant même si certains auteurs,  marqués très politiquement, l’ont profondément influencé, à l’image de Nazim Hikmet

En réalité, Yvon Le Men se cherche d’abord un père. Le premier et grand drame de sa vie a été la mort de son père alors qu’il avait 12 ans. Il trouvera très vite écoute et réconfort auprès de grands auteurs et poètes avec qui il correspondra et qu’il rencontrera : Jean Malrieu, Eugène Guillevic, Xavier Grall… Il dit leurs textes dans ses propres récitals. Et le bouche à oreille fait très vite son œuvre puisque l’on commencera à solliciter l’auteur de partout. Mais il aura fallu auparavant passer par quelques années de vraies vaches maigres. Le Men aura tenu bon « malgré le froid et presque la faim »,comme il le dira plus tard dans son recueil A l’entrée du jour (Flammarion, 1984)

La disparition d’êtres proches (notamment de jeunes femmes) accentuera très vite le côté intimiste de son œuvre. C’est le cas notamment dans L’échappée blanche (Rougerie, 1995) où il aborde aussi des questions d’ordre métaphysique.  Le Men resserre alors son écriture. Sa poésie, simple et limpide, flirte souvent avec la prose. Fini le temps de la fièvre et d’une forme d’exaltation. Le poète en vient même à approcher, avec talent, le haïku (Le chemin de halage,Ubacs, 1991). « Large courbe//don du temps/à la rivière »

Viendra ensuite sa grande période de découverte du monde, dans la mouvance de ces « Etonnants voyageurs » que réunit chaque année Michel Le Bris lors d’un important salon du livre à Saint-Malo. Le Men rencontre des auteurs étrangers, rend visite à certains d’entre eux dans les Balkans, en Afrique, au Canada, à Haïti… Il monte un véritable réseau de connivence et d’amitiés poétiques. Il devient le créateur de rencontres poétiques internationales sous le label « Il fait un temps de poèmes » au Carré magique de Lannion, la ville où il réside.  Il approfondit ses relations avec des poètes qui lui sont particulièrement chers : Claude Vigée, François Cheng et tant d’autres. Cette débauche d’énergie n’empêche pas des hauts et des bas, mais dans les moments difficiles il pourra toujours compter sur de fidèles soutiens.

 

Yvon Le Men, Un cri fendu en mille, Les Continents
sont des radeaux perdus, Tome 3
, Editions Bruno
Doucey, collection
Soleil noir, 2018, 153 pages, 16 €.

Après la publication de son autobiographie poétique en trois tomes chez Bruno Doucey (Les continents sont des radeaux perdus), il s’est signalé récemment par des ouvrages faisant état de résidence d’écriture dans un quartier populaire de Rennes (Les rumeurs de BabelDialogues, 2017) puis dans la campagne profonde de l’est de la Bretagne (Aux marches de BretagneDialogues, 2019)

 

Le Goncourt 2019 vient donc couronner l’œuvre d’un auteur qui a beaucoup publié et beaucoup donné pour la diffusion de la poésie. Et ce que l’on doit retenir de son œuvre (qui n’est pas achevée), c’est d’abord cette fidélité indéfectible à l’enfance, lui qui a été un enfant « aux poches pleines de crayons de couleurs » et qui est devenu un  homme « aux yeux perméables à la source » (A l’entrée du jour). « Un poète est quelqu’un de curieux qui,  comme l’enfant ne sait pas et qui avance vers quelque chose. La poésie commence là ou l’intelligence et le savoir finissent », déclarait-il en 1994 dans la Revue Blaireau.

De Yvon Le Men on peut dire enfin qu’il ne conçoit la poésie qu’en terme d’échange et de partage. De fraternité. Avec un regard toujours neuf sur le monde et une capacité d’émerveillement intacte. « Le bruit court qu’on peut être heureux ». Ces mots de Jean Malrieu auront été, de bout en bout, son sésame dans la vie.

Présentation de l’auteur

Yvon Le Men

Textes

Yvon Le Men est l’auteur d’une œuvre poétique importante, de quatre récits et deux romans. A Lannion où il vit, il a créé, en 1992, les rencontres intitulées « Il fait un temps de poème ». En 1997, il y crée un espace poésie. De 2006 à 2008, il a publié une chronique hebdomadaire dans le journal Ouest-France : « Le tour du monde en 80 poèmes ». Ses textes, livres ou anthologies, sont traduits dans une douzaine de langues. Il travaille aussi depuis de nombreuses années dans les écoles, avec les enfants pour lesquels il a écrit. Il reçoit en 2012 le Prix Théophile Gauthier de l'Académie Française pour son recueil "A louer chambre vide pour personne seul" (Rougerie).

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Rezâ Sâdeghpour, Yvon Le Men, Marc Baron

                 Rezâ Sâdeghpour : « Le bris lent des bouteilles »

 

Il est Iranien. Il a trente-quatre ans et il est déjà reconnu dans son pays comme un très grand poète. Rezâ Sâdeghpour – avocat dans le civil, à Ispahan – a obtenu en 2015 le « Prix du recueil de l’année » décerné lors du Festival de la poésie persane contemporaine pour son livre Le bris lent des bouteilles. Ce livre est aujourd’hui publié en France dans une édition bilingue.

Avec Rezâ Sâdeghpour  il ne faut pas s’attendre à des grandes envolées lyriques ou mystiques. Non, nous sommes ici dans le minimalisme, ce qui n’empêche pas que cette poésie soit riche de sens et garde des accointances avec la poésie classique iranienne.

 

Rezâ Sâdeghpour,Le bris lent des bouteilles, traduit du persan et préfacé par Amin Kamranzadeh et Franck Merger, éditions Cheyne, collection D’une voix l’autre, édition bilingue, 110 pages, 22 euros.

 

Le jeune auteur  a été marqué, comme tous les poètes de son pays, par l’écriture de Hafez (1320-1389) et aussi d’Omar Khayyam (1050-1123).   Mais Sâdeghpour aborde la poésie dans une autre « posture » que ses illustres prédécesseurs. Il est sans doute plus proche des banalités de la vie quotidienne et élabore une autre architecture des poèmes avec des mots comme empilés les uns sur les autres. Plus fondamentalement, « l’ambiguïté est le maître-mot de la poésie de Rezâ Sâdeghpour, qui compare sa poésie à un lac calme et limpide où viendraient se mêler les eaux noires de rivières agitées », note ses deux préfaciers.

Les poèmes – au nombre de 46 dans ce livre – sont brefs. Une dizaine, une quinzaine de mots. Souvent pas plus que dans un haïku, un genre poétique auquel on pense volontiers quand on lit certains de ses courts textes. « Cerisiers en fleurs/moineaux joyeux/une ligne blanche/fait du ciel deux moitiés,/mes dents/hélas/cette année/noircissent ».

Il faut dire que, pour ce qui est de la concision et de l’art de saisir la banalité des jours, Sâdeghpour a de qui tenir. Avant lui, Sohrab Sepehri (1928-1980) avait, dans L’Orient de la tristesse, repris l’atmosphère si particulière du haïku japonais (« Une ride plie la face d’un étang/Une pomme roule sur la terre/Un pas s’arrête, la cigale chante »). Plus récemment, Abbas Kiarostami (1940 – 2016) avait carrément fait le choix d’écrire des haïkus persans tels qu’on les découvre notamment dans ses deux livres Avec le vent (P.O.L.) et Un loup aux aguets (La Table ronde). Lisant Le bris lent des bouteilles, comment ne pas penser à ces quelques vers du cinéaste-poète. « Une bouteille cassée/déborde/ de pluie de printemps ».

On retrouve donc chez Sâdeghpour ce détachement propre au haïku et cette sensibilité au passage des saisons : « cette année l’automne/a duré quatre mois: /les feuilles du figuier/ne tombaient pas ».  Et  cette attention  soutenue à ce qui nous entoure : « Il interrompt sa prière/pour faire boire un oiseau/dans le creux de sa main…»

Mais contrairement aux grands maîtres japonais du genre, il y a dans ce livre une forte dose d’amertume. Si l’on devient poète à cause d’une femme que l’on a perdue (comme dirait Stendhal), alors on peut faire ici le constat de la perte et du manque. C’est ce qui signe fondamentalement ce recueil. « L’amoureux/ connaît ce sort: /une cigarette/à ses lèvres attristées/et des sanglots/tels des trémolos », écrit le poète.  Ou encore ceci : « les photos au-dessus du lit/les narcisses dans le vase/les bougies/peuvent témoigner/que personne n’était là/pas même moi/à l’heure/où tu n’es pas venue ».

                      Yvon Le Men : « Un cri fendu en mille »

 

Yvon le Men publie le 3tome de son autobiographie poétique. Après l’enfance et le terroir familial (tome 1 : Une île en terre), après la découverte du monde par la littérature et la peinture (tome 2 : Le poids d’un nuage), voici les carnets de voyage du poète breton sous le titre Un cri fendu en mille. Titre sans doute inspiré par les mots du poète ami Claude Vigée cités en exergue : « L’homme nait grâce au cri ».

On sait d’Yvon Le Men qu’il est un « étonnant voyageur ». Pas seulement parce qu’il anime, chaque année à Saint-Malo, des rencontres poétiques au salon du livre du même nom. Pas seulement parce qu’il convie des poètes du monde entier au Carré magique dans sa bonne ville de Lannion. Non, il est surtout cet étonnant voyageur parce qu’il a toujours eu l’humeur vagabonde. Auteur d’un Tour du monde en 80 poèmes (Flammarion), livre où il rassemblait, pays par pays, ses auteurs favoris, il est lui-même allé à la rencontre du monde,  bourlinguant de la Chine au Brésil en passant par l’Afrique et l’Europe. Pas pour nous décrire des paysages ou évoquer la nature mais pour parler, d’abord et avant tout, des rencontres qu’il a faites.

Yvon Le Men, Un cri fendu en mille (Les continents sont des radeaux perdus, 3) , éditions Bruno Doucey, 157 pages, 16 euros.

 

« Le métier de poète/n’est-il pas de vérifier le sens des mots ? », note Yvon Le Men qui part sans préjugés, avec un esprit d’ouverture teinté de compassion quand le drame et la folie des hommes viennent broyer des vies à Gaza, à Haïti, en Bosnie, au Liban et dans tant d’autres pays. « Il faut du silence/autour des morts/pour entendre leur vie ».

Citoyen du monde, il n’évacue pas pour autant les différences. « Toutes elles sont noires/je suis tout blanc/sauf une trop blanche parmi les noires », constate-t-il dans une école de Port-au prince. Parlant plus loin de son ami haïtien Bonel Auguste, il écrit : « Il ne vivrait pas dans mon pays/je ne vivrais pas dans le sien//trop silencieux pour lui/trop de trop pour moi//même si nous sommes frères/fils du même père/sur la même terre//malgré l’océan/le ciel/la moitié d’un globe/qui nous sépare ».

Tout le Men est là dans ce type d’affirmation. Dans le fond et dans la forme. Cette manière à lui de faire surgir les mots entre les blancs. De leur donner du poids, en poète qu’il est et dont il revendique le statut. « Dans l’avion, mon voisin m’avoue son métier. Policier en chef. Poète, je réponds. Il se rend à un congrès international contre le terrorisme et je vais rendre hommage à un ami dont les vers sont encore sur les lèvres des habitants de Sarajevo. Il y a trois ans, Izet Sarajilic mourait. De chagrin, mais en chantant, malgré les récents massacres ».

                            Marc Baron : « Ô ma vie »

Marc Baron écrit pour les enfants et pour les « grands enfants » que  nous pouvons devenir en lisant des poèmes. Ô ma vieson dernier recueil, est destiné à tout le monde. L’auteur nous parle – à mots feutrés – de sa vie. Et donc aussi de la nôtre.

Comment ne pas être saisi par les premiers vers de ce recueil : « Ô ma vie/tu m’en fais voir/de toutes les couleurs//La mort de mon père/et l’oiseau dans la boue ». Exercice de dédoublement. Le poète s’adresse à sa vie comme à quelqu’un à la fois d’extérieur et d’intime. Il lui parle comme à un compagnon de fortune et d’infortune. « Ô ma vie/tu m’en fais voir/de toutes les couleurs (…) moi le daltonien dont on se moque/lorsque je cueille une pomme verte ».

 

Marc Baron, Ô ma vieavec des dessins de Frédéric Coyère, éditions La rumeur libre, 47 pages, 14 euros.

Marc Baron ne durcit jamais le trait mais il sait nous dire qu’il a « des bleus partout » et qu’il fuit « la bêtise humaine ». Aussi appelle-t-il volontiers au sursaut. « Ô ma vie révolte-toi toujours/n’accepte plus bonimenteurs/ni compromis ». Mais comment faire face quand la vie vous bouscule ainsi, quand le sang coule « pour une broutille ou pour la guerre » ? Le poète part sur sa « voie verte » et « tire allègrement un wagon de poèmes ». Pour s’aérer l’esprit et carrément pour survivre, il fait aussi beaucoup de « pompes ». Soulevant des haltères, il peut soulever sa « rage ». Et en musclant ses « deltoïdes », il muscle son cerveau.

Marc Baron ne nous propose pas pour autant un traité de bien-être ou de résilience. Ses poèmes ne fredonnent pas les airs à la mode. Ils creusent le sens de nos existences au-delà des traités de sagesse que l’on voit fleurir dans les devantures. « Ô ma vie, ma bien vivante/et mon étoile morte quand je m’éteins/pour un oui ou pour un non ». Son livre est un hymne à cette vie qu’il chérit au fond. Mais sans illusion ni concession. « Pas d’amour qui ne fasse mal// Pas de moisson sans guérison ».  Le poète lit Rimbaud ou se met au piano, accueille le jour comme il le faisait enfant quand le soleil du matin inondait son lit.

Marc Baron a créé le salon du livre jeunesse de Fougères. Il n’a pas quitté sa jeunesse, son enfance. Et fait d’ailleurs cet aveu : « Ô ma vie/je ne fais pas mon âge ».

 




Il fait un temps de poèmes, textes rassemblés par Yvon Le Men

     Yvon Le Men, le passeur. Depuis vingt ans, le poète breton invite à Lannion, dans son Trégor natal, écrivains et poètes du monde entier. En moyenne cinq auteurs par an. Cela se passe au « Carré magique » de la ville. Et, à chaque rencontre, « il fait un temps de poème ». L’intitulé donné à ces rencontres, Le Men l’a choisi en hommage aux vers de Jean Malrieu : « Il fait un temps de poème/Ta chair neige j’écris la neige/Parce que c’est beau et parce que c’est vrai ».

         Un très beau livre (volume 2 de la série) rassemble aujourd’hui les contributions des auteurs invités à Lannion. Il s’agit de textes inédits pour la plupart. « La poésie, c’est sortir de soi et y faire entrer les autres ». Boualem Sansal, l’écrivain algérien en butte aux autorités de son pays, reprend dans son texte les mots du poète Gérald Neveu, relayés par Yvon Le Men, pour illustrer cette belle aventure culturelle menée au Carré magique.

     Andrée Chedid, Charles Juliet, Nedim Gursel, Claude Vigée, Vassilis Alexakis, Bernard Chambaz, Alexis Gloaguen, Valérie Rouzeau… (pour ne citer que quelques uns des auteurs présents dans ce livre) sont passés par Lannion. « C’est magique !». L’expression est galvaudée. Mais elle prend ici tout son sens.

    

     « J’ai écouté battre les paroles de mes invités », raconte en préambule Yvon Le Men. « Cerveau contre cerveau avec Edouard Glissant dont je craignais à chaque seconde perdre le fil du discours. Je ne le quittais pas du crâne, comme si, à travers l’os, j’apercevais sa pensée en archipel se fabriquer devant moi ».

     Et ils affluent les souvenirs de ces exceptionnels moments de partage autour de la poésie. « D’où nous vient, interroge Le Men, notre sentiment d’être en lévitation quand nous écoutons, à fleur de peau, circuler le souffle fragile de François Cheng au milieu du vide (…) D’où nous vient notre étonnement devant la capacité du Palestinien Elias Sanbar à ne pas baisser les bras en prenant appui sur les poèmes de son ami Mahmud Darwich ? »

         Qu’espérer, sinon que ce temps consacré au poème puisse se pérenniser. Il y a bien sûr Lannion. Mais aussi Saint-Malo, depuis quinze ans, lors du festival Etonnants voyageurs. Ou encore Archères, dans les Yvelines, depuis cinq ans. Parlant de Le Men, Boualem Sansal érit encore ceci : « Quel sacré guide touristique il aurait fait si les touristes étaient avant tout des poètes ». Eh oui !