Yvon Le Men : un poète à plein temps

Par |2019-06-03T12:10:10+02:00 4 juin 2019|Catégories : Focus, Yvon Le Men|

 

       

Prix Goncourt 2019 de poésie

Yvon Le Men : un poète à plein temps

 

Il est une excep­tion dans le paysage poé­tique français. Yvon Le Men vit de la poésie à plein temps. Poète pro­fes­sion­nel ? L’expression ne lui plairait guère. Dis­ons, plutôt, auteur-com­pos­i­teur-inter­prète. A la manière d’un chanteur. D’un artiste.

  

  

Cette volon­té de vivre de sa poésie lui est venue très tôt. Sans doute l’environnement cul­turel de ses débuts y a été pour beau­coup. Quand il pub­lie, à 21 ans, son pre­mier recueil inti­t­ulé Vie  (édi­tions Oswald),  la Bre­tagne con­naît une effer­ves­cence musi­cale et lit­téraire (dans la foulée de mai 68)  d’où émer­gent les noms des chanteurs Stiv­ell, Glen­mor, Ser­vat, Gwernig, Ker­guiduff, et des écrivains et poètes Xavier Grall ou Paol Keineg. Yvon Le Men s’inscrit d’une cer­taine manière dans cette mou­vance et com­mence à dire ses poèmes sur les tréteaux des fêtes bre­tonnes ou dans de petites maisons des jeunes et de la cul­ture. Il est alors asso­cié, au sein d’une coopéra­tive appelée Névénoé, à des chanteurs nom­més Gérard Dela­haye, Patrick Ewen, Melaine Faven­nec, Chris­ten Noguès…

Yvon Le Men et Yvon Boëlle, Bre­tagne, 
Edi­tions Apogée,
col­lec­tion Terre celte, 
2000, 47 pages, 7,50 €.

Le Men dit la Bre­tagne  mais ce n’est pas un barde. Il dit surtout l’urgence de vivre. Il dit aus­si son espoir d’un monde meilleur et défend les ouvri­ers « en lutte ». Car il sait de quoi il par­le. Issu d’un milieu très pop­u­laire du pays de Tréguier (Côtes d’Armor), où il est né en 1953, le poète a l’humeur rageuse et le verbe haut. Mais il ne verse jamais dans l’idéologie ni le dis­cours mil­i­tant même si cer­tains auteurs,  mar­qués très poli­tique­ment, l’ont pro­fondé­ment influ­encé, à l’image de Naz­im Hikmet

En réal­ité, Yvon Le Men se cherche d’abord un père. Le pre­mier et grand drame de sa vie a été la mort de son père alors qu’il avait 12 ans. Il trou­vera très vite écoute et récon­fort auprès de grands auteurs et poètes avec qui il cor­re­spon­dra et qu’il ren­con­tr­era : Jean Mal­rieu, Eugène Guille­vic, Xavier Grall… Il dit leurs textes dans ses pro­pres réc­i­tals. Et le bouche à oreille fait très vite son œuvre puisque l’on com­mencera à sol­liciter l’auteur de partout. Mais il aura fal­lu aupar­a­vant pass­er par quelques années de vraies vach­es mai­gres. Le Men aura tenu bon « mal­gré le froid et presque la faim »,comme il le dira plus tard dans son recueil A l’entrée du jour (Flam­mar­i­on, 1984)

La dis­pari­tion d’êtres proches (notam­ment de jeunes femmes) accentuera très vite le côté intimiste de son œuvre. C’est le cas notam­ment dans L’échappée blanche (Rougerie, 1995) où il abor­de aus­si des ques­tions d’ordre méta­physique.  Le Men resserre alors son écri­t­ure. Sa poésie, sim­ple et limpi­de, flirte sou­vent avec la prose. Fini le temps de la fièvre et d’une forme d’exaltation. Le poète en vient même à approcher, avec tal­ent, le haïku (Le chemin de halage,Ubacs, 1991). « Large courbe//don du temps/à la rivière »

Vien­dra ensuite sa grande péri­ode de décou­verte du monde, dans la mou­vance de ces « Eton­nants voyageurs » que réu­nit chaque année Michel Le Bris lors d’un impor­tant salon du livre à Saint-Malo. Le Men ren­con­tre des auteurs étrangers, rend vis­ite à cer­tains d’entre eux dans les Balka­ns, en Afrique, au Cana­da, à Haïti… Il monte un véri­ta­ble réseau de con­nivence et d’amitiés poé­tiques. Il devient le créa­teur de ren­con­tres poé­tiques inter­na­tionales sous le label « Il fait un temps de poèmes » au Car­ré mag­ique de Lan­nion, la ville où il réside.  Il appro­fon­dit ses rela­tions avec des poètes qui lui sont par­ti­c­ulière­ment chers : Claude Vigée, François Cheng et tant d’autres. Cette débauche d’énergie n’empêche pas des hauts et des bas, mais dans les moments dif­fi­ciles il pour­ra tou­jours compter sur de fidèles soutiens.

 

Yvon Le Men, Un cri fendu en mille, Les Continents 
sont des radeaux per­dus, Tome 3
, Edi­tions Bruno 
Doucey, col­lec­tion
Soleil noir, 2018, 153 pages, 16 €.

Après la pub­li­ca­tion de son auto­bi­ogra­phie poé­tique en trois tomes chez Bruno Doucey (Les con­ti­nents sont des radeaux per­dus), il s’est sig­nalé récem­ment par des ouvrages faisant état de rési­dence d’écriture dans un quarti­er pop­u­laire de Rennes (Les rumeurs de BabelDia­logues, 2017) puis dans la cam­pagne pro­fonde de l’est de la Bre­tagne (Aux march­es de Bre­tagneDia­logues, 2019)

 

Le Goncourt 2019 vient donc couron­ner l’œuvre d’un auteur qui a beau­coup pub­lié et beau­coup don­né pour la dif­fu­sion de la poésie. Et ce que l’on doit retenir de son œuvre (qui n’est pas achevée), c’est d’abord cette fidél­ité indé­fectible à l’enfance, lui qui a été un enfant « aux poches pleines de crayons de couleurs » et qui est devenu un  homme « aux yeux per­méables à la source » (A l’entrée du jour). « Un poète est quelqu’un de curieux qui,  comme l’enfant ne sait pas et qui avance vers quelque chose. La poésie com­mence là ou l’intelligence et le savoir finis­sent », déclarait-il en 1994 dans la Revue Blaireau.

De Yvon Le Men on peut dire enfin qu’il ne conçoit la poésie qu’en terme d’échange et de partage. De fra­ter­nité. Avec un regard tou­jours neuf sur le monde et une capac­ité d’émerveillement intacte. « Le bruit court qu’on peut être heureux ». Ces mots de Jean Mal­rieu auront été, de bout en bout, son sésame dans la vie.

Présentation de l’auteur

Yvon Le Men

Textes

Yvon Le Men est l’auteur d’une œuvre poé­tique impor­tante, de qua­tre réc­its et deux romans. A Lan­nion où il vit, il a créé, en 1992, les ren­con­tres inti­t­ulées « Il fait un temps de poème ». En 1997, il y crée un espace poésie. De 2006 à 2008, il a pub­lié une chronique heb­do­madaire dans le jour­nal Ouest-France : « Le tour du monde en 80 poèmes ». Ses textes, livres ou antholo­gies, sont traduits dans une douzaine de langues. Il tra­vaille aus­si depuis de nom­breuses années dans les écoles, avec les enfants pour lesquels il a écrit. Il reçoit en 2012 le Prix Théophile Gau­thi­er de l’A­cadémie Française pour son recueil “A louer cham­bre vide pour per­son­ne seul” (Rougerie).

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Pierre Tan­guy est orig­i­naire de Lesn­even dans le Nord-Fin­istère. Ecrivain et jour­nal­iste, il partage sa vie entre Quim­per et Rennes. En 2012, il a obtenu, pour l’ensemble de son œuvre, le prix de poésie attribué par l’Académie lit­téraire de Bre­tagne et des Pays de la Loire. Ses recueils ont, pour la plu­part, été pub­liés aux édi­tions ren­nais­es La Part com­mune. Citons notam­ment “Haïku du chemin en Bre­tagne intérieure” (2002, réédi­tion 2008), “Let­tre à une moni­ale” (2005), “Que la terre te soit légère” (2008), “Fou de Marie” (2009). Dernière paru­tion : “Les heures lentes” (2012), Silence hôpi­tal, Edi­tions La Part com­mune (2017). Ter­res natales (La Part Com­mune, 2022) Voir la fiche d’auteur
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