Col­lec­tion PO&PSY : le grand art de la forme brève

Les poèmes, tels des bijoux ou des par­fums, sont enfer­més dans de petits cof­frets.  La col­lec­tion PO&PSY, éditée par Erès, nous séduit d’abord par sa qual­ité formelle. On accède au poème un peu comme on le fai­sait autre­fois quand il fal­lait pren­dre con coupe-papi­er pour accéder au texte. C’est dire que, encore aujourd’hui, le poème sait se mériter.

Il y a, aus­si et surtout, dans cette col­lec­tion, la qual­ité intrin­sèque des œuvres présen­tées, en priv­ilé­giant, nous dit l’éditeur, des « formes ou antholo­gies brèves ».

Enfin, c’est une ligne édi­to­ri­ale très pré­cise qui pré­side à cette col­lec­tion dont l’ambition est de jeter des formes de pont entre la poésie et la psy­cholo­gie. Et de citer Freud par­lant des poètes : « Ils nous devan­cent beau­coup, nous autres hommes ordi­naires, notam­ment en matière de psy­cholo­gie, parce qu’ils puisent là à des sources que nous n’avons pas encore explorées pour la science ». 

Ces sources sont à chercher du côté de cette « foule de choses entre le ciel et la terre dont notre sagesse d’école n’a pas encore la moin­dre idée ».

Place, donc, à ces poètes dont la tâche pro­pre est, comme le dis­ait R.M.Rilke, de « traduire une sen­si­bil­ité à l’immédiat, à l’intime, à l’obscur ». Avec, en toile de fond, cette « angoisse »  dont il faut bien faire quelque chose et cette inquié­tude de l’esprit qui tour­mente les vrais créateurs.

 Rabih el-Atat : « Humeurs vagabondes »

Forme brève, poème court. En voici une par­faite illus­tra­tion avec ces ter­cets, large­ment inspirés du haïku, dont l’auteur est Libanais.

Rabih el-Atat, né en 1977, est médecin-chirurgien et l’art du détail et de la pré­ci­sion, qu’il cul­tive à coup sûr dans sa vie pro­fes­sion­nelle, trou­ve en quelque sorte un écho dans son art de saisir des échan­til­lons de la réal­ité, den faire une biop­sie scrupuleuse et, au final, de faire un diag­nos­tic dont on souligne tou­jours la justesse.

 

Repass­er mes chemises
me rap­pelle ta chaleur
mère

 Mon enfance
une bal­ançoire dans le jardin
qui refuse de bouger

Le cadavre d’un seul corbeau
blanchit
toute la neige

 

Rabih el-Atat , Humeurs vagabon­des, édi­tion bilingue, 
poèmes traduits de l’arabe (Liban) par Antoine Jockey, 
dessins de Odile Fix, édi­tions Erès, col­lec­tion PO&PSY,
12 euros.

 

San­dor Weöres : Filles, nuages et papillons

 

San­dor Weöres (1913–1989) est une des fig­ures majeures de la poésie hon­groise mod­erne. On trou­ve dans cette antholo­gie bilingue de l’auteur une grande var­iété de formes poé­tiques, allant de sim­ples vers d’une ligne (« La pous­sière se hâte. La pierre a le temps ») à des poèmes plus élaborés en pas­sant par des ter­cets ou des textes en forme de qua­trains ou encore par des formes d’aphorismes (« L’erreur de l’église baroque. Les fior­i­t­ures sont païennes »).

Cécile A.Holdban, elle-même poète, qui a com­posé et traduit cette antholo­gie, souligne que « mys­ti­cisme, éro­tisme et folie »ont été tou­jours les thèmes priv­ilégiés du poète hon­grois, tout en indi­quant le côté « pro­téi­forme et inclass­able »de ce poète. Il y en effet de tout dans cette anthologie/patchwork, depuis la « vision agreste » (L’oiseau/s’envole,/derrière lui l’herbe  folle redresse ») jusqu’à la « lumière frac­tale » (« Le soir bruisse cousu d’ombres,/tissu cou­vert de vagues sombres… ».

Tout, ici, est sur­prenant, plein de ques­tion­nements, nous ramenant par­fois au rêve et sans doute à Freud. « Je m’interroge – des oiseaux monstrueux/se posent en rangs lourds sur mes bras,/s’évanouissent et se fondent dans l’alphabet »

San­dor Weöres, Filles, nuages et papil­lons, bilingue,
antholo­gie com­posée et traduite par Cécile A.Holdban,
encres d’Annie Lacour, édi­tions Erès, col­lec­tion PO&PSY,
12 euros.

 

Amir Or : Entre ici et là

Amir Or est né à Tel Aviv en 1956. Sa poésie médi­ta­tive est tra­ver­sée par cette approche spir­ituelle si par­ti­c­ulière aux auteurs du Proche-Ori­ent. Elle se situe à la fois entre une forme légère de mys­ti­cisme et une sen­si­bil­ité par­ti­c­ulière à la nature et aux éléments.

Si Amir Or est du côté de la médi­ta­tion, c’est qu’il la pra­tique lui-même ou qu’il la fait pra­ti­quer dans tel ou tel cen­tre ou com­mu­nauté qu’il a créé à Jérusalem. Mais quand il écrit ses « poèmes-prières », il le fait en man­i­fes­tant sa lib­erté loin des dogmes et des impérat­ifs religieux. « L’arbre à ma fenêtre ne se tourne pas vers La Mecque./Vers lui seul je suis tourné./La prière de la pluie mur­mure dans ses feuilles/et le midi de son feuil­lage s’ouvre à la lumière ».

Amir Or cul­tive la forme brève. L’on croit même enten­dre Guille­vic quand il écrit : « Con­ver­sa­tion d’oiseau qui ne se lasse pas/de faire l’éloge du matin,/tranche la som­no­lence des branch­es ». Et c’est au haïku que l’on pense dans les ter­cets de son chapitre inti­t­ulé « Trav­el­ogue » : « Un pan­neau stop/sur la chemin du retour/un chat écrasé ». Ou encore ceci : « Aube dans la ruelle/le bal­ayeur ratisse/les mon­tic­ules d’hier ».

 

Amir Or, Entre ici et là, édi­tion bilingue, traduit de 
l’hébreu par Michel Eck­hard Elial, dessins de sylvie 
Deparis, édi­tions Erès, col­lec­tion Po&Psy, 12 euros.

 

Il y a, enfin, dans ce recueil, tous ces « poèmes épars » et cet amour de la femme exprimé avec ardeur : « Je suis le ser­pent de l’amour lové dans ta chair/dressé sur tes seins, je mords à ton ventre… »

 

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Pierre Tanguy

Pierre Tan­guy est orig­i­naire de Lesn­even dans le Nord-Fin­istère. Ecrivain et jour­nal­iste, il partage sa vie entre Quim­per et Rennes. En 2012, il a obtenu, pour l’ensemble de son œuvre, le prix de poésie attribué par l’Académie lit­téraire de Bre­tagne et des Pays de la Loire. Ses recueils ont, pour la plu­part, été pub­liés aux édi­tions ren­nais­es La Part com­mune. Citons notam­ment “Haïku du chemin en Bre­tagne intérieure” (2002, réédi­tion 2008), “Let­tre à une moni­ale” (2005), “Que la terre te soit légère” (2008), “Fou de Marie” (2009). Dernière paru­tion : “Les heures lentes” (2012), Silence hôpi­tal, Edi­tions La Part com­mune (2017). Ter­res natales (La Part Com­mune, 2022) Voir la fiche d’auteur