Michel Dugué, Veille

Par |2023-03-06T08:44:44+01:00 1 mars 2023|Catégories : Critiques, Michel Dugué|

Etre en état de veille. N’est-ce pas, fon­da­men­tale­ment, le rôle d’un poète ? Michel Dugué regarde la nature qui l’habite, revis­ite des pans de son enfance, nous dit ce qu’il y a « ici » et main­tenant quand il scrute le monde. Le ter­ri­toire qu’il nous dévoile est aus­si, d’une cer­taine manière, celui de beau­coup d’entre nous. Com­ment ne pour­rait-il pas nous touch­er pro­fondé­ment avec son nou­veau recueil ?

On con­naît les attach­es de Michel Dugué (il vit dans la région ren­naise) avec les lieux qui lui sont fam­i­liers en Bre­tagne. Il en a notam­ment fait état dans un livre en prose poé­tique (Mais il y a la mer, Le Réal­gar, 2018) où il évo­quait son Tré­gor-Goë­lo intime du côté de Plougres­cant. On retrou­ve ici des couleurs et des into­na­tions qui nous ramè­nent à cette terre d’élection : le cor­don de galets, l’estran, les oiseaux cri­ards, les « mou­ve­ments mus­culeux des vagues », les « éclats d’eau bril­lante / que se dis­putent les pies », les « entailles de bleu », « la mer – sa présence le soir / flaque brève aperçue / par le car­reau de la cham­bre ». Michel Dugué ne joue jamais « couleur locale ». Surtout pas ! Ce qu’il veut, à tra­vers toutes ces nota­tions fugi­tives, c’est élargir la focale, creuser le mys­tère de ces grèves ou de ces sen­tiers qu’il arpente sans répit. « Chaque chose tra­vaille à son éter­nité », écrit-il, lui « instal­lé ici / à demeure, dirait-on ».

Toutes les man­i­fes­ta­tions de la nature que son œil recueille sont, le plus sou­vent, pétries de ques­tion­nements. « Croire à la rumeur de l’eau / mais non ! Ce serait plutôt / le bruit loin­tain d’une machine ». On croit enten­dre Philippe Jac­cot­tet s’interrogeant sur la sig­ni­fi­ca­tion d’un son loin­tain de cloche (La clarté Notre-Dame, Gal­li­mard, 2020) ou, à la lumière de sep­tem­bre, se posant la ques­tion : « Dans ce nid brumeux de lumière / qu’est-ce qui est cou­vé, / quel œuf ? » (La sec­onde semai­son, Gal­li­mard, 2004). Loin de la Drôme chère à Jac­cot­tet voy­ant le brouil­lard gag­n­er les flancs du Ven­toux, Michel Dugué, péré­gri­nant sur les rivages costar­mor­i­cains, peut écrire : « Il y a dans l’air / des écharpes de brume. / On dirait des fumées / après le feu éteint ».

    Michel Dugué, Veille, Folle avoine, 62 pages, 12 euros.

Il y a un autre feu qui cou­ve dans les pages de ce livre, c’est celui de l’enfance. Michel Dugué en rameute des « par­celles ». Visions fugi­tives, d’abord, comme sor­ties d’un rêve : « une mare d’eau », « le lavoir », « un vieil out­il lais­sé dans l’herbe », une vieille femme « de noir vêtue avec une coiffe blanche » … Le poète ne cul­tive pas pour autant une quel­conque nos­tal­gie. « Monde d’hier / ce n’était pas un roy­aume ». Mais dans ce monde d’hier tri­om­phait mal­gré tout une forme d’innocence. « Est-il pos­si­ble que cela fut / d’être aus­si légers ? », note-t-il. « Nous mêlions tout/éclats de rires et de larmes ». Michel Dugué (il est né en 1946) voit la vie qui défile. « C’était il y a longtemps / sans les mots pour dire / l’étonnement d’être là ».

Présentation de l’auteur

Michel Dugué

Michel Dugué est né à Vannes (Mor­bi­han) en 1946. Après des études de sci­ences économiques, il tra­vaille dans l’administration de l’éducation nationale qu’il quit­tera pour l’enseignement. Il est actuelle­ment pro­fesseur d’économie au Lycée de Fougères en Ille et Vilaine. Il habite dans la cam­pagne rennaise.

Bibliographie

    • Veille, Folle Avoine, 2022.
    • Mais il y a la mer, Le Réal­gar, 20183.
    • Tous les fils dénoués suivi de Noc­turnes, Folle avoine, 2014.
    • L’âme du cidre (textes accom­pa­g­nant des pho­togra­phies de Pas­cal Glais), Apogée, 2013.
    • Con­trée élé­men­taire, poèmes, La Porte, 2009.
    • Les alen­tours, poèmes, Folle Avoine, 2005.
    • Vannes pour mémoire, réc­it, édi­tions Apogée, 2004.
    • Le chemin aveu­gle, réc­it, édi­tions Apogée, 2002.
    • Césure, avec des pein­tures de Françoise Bail­ly, pho­togra­phie de Pierre Gaigneux galerie Ombre et lumière, 2001.
    • Élé­ments, formes, nuages, prose, Dana, 2000.
    • Le jour con­tem­po­rain, poèmes, Folle Avoine, 1999.
    • Le paysage, prose, Wig­wam édi­tions, 1993.
    • Le salut à l’hôte, poèmes, Folle Avoine, 1989.
    • Un hiv­er de Bre­tagne, roman, Ubacs, 1985.
    • Noc­turnes, in poésie partagée, poèmes, Folle Avoine, 1984.
    • Une escorte très nue, poèmes, Folle Avoine, 1983.
    • La mer, la mort poèmes, — col­lec­tion man­u­scrits — Encres vives, 1975.
    • Méta­tra­cas poèmes — col­lec­tion man­u­scrits — Encres vives, 1971.
    • Terre vig­i­lante, poèmes, Encres vives, 1969.

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Pierre Tanguy

Pierre Tan­guy est orig­i­naire de Lesn­even dans le Nord-Fin­istère. Ecrivain et jour­nal­iste, il partage sa vie entre Quim­per et Rennes. En 2012, il a obtenu, pour l’ensemble de son œuvre, le prix de poésie attribué par l’Académie lit­téraire de Bre­tagne et des Pays de la Loire. Ses recueils ont, pour la plu­part, été pub­liés aux édi­tions ren­nais­es La Part com­mune. Citons notam­ment “Haïku du chemin en Bre­tagne intérieure” (2002, réédi­tion 2008), “Let­tre à une moni­ale” (2005), “Que la terre te soit légère” (2008), “Fou de Marie” (2009). Dernière paru­tion : “Les heures lentes” (2012), Silence hôpi­tal, Edi­tions La Part com­mune (2017). Ter­res natales (La Part Com­mune, 2022) Voir la fiche d’auteur
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