Daniel Kay, Vies silencieuses

Par |2019-11-14T10:43:05+01:00 25 septembre 2019|Catégories : Daniel Kay|

Les « vies silen­cieuses »du bre­ton Daniel Kay sont celles que don­nent à voir les plus grandes œuvres pic­turales. Vies silen­cieuses des hommes, des bêtes, des plantes, des fleurs… tous vis­ités par le pinceau du pein­tre. Le poète, lui, se met à leur écoute. Il redonne vie à tout un univers et nous pro­pose sa pro­pre mise en musique. Un exer­ci­ce d’interprétation qui ne manque pas de sel et d’originalité. Suiv­ons le guide…

 

Daniel Kay, Vies silen­cieuses, Gal­li­mard, 127 pages, 14,50 euros.

Faire par­ler les pein­tures. Le ciné­ma en a fait l’expérience. Peter Green­away nous a livré en 2008 sa ver­sion de La ronde de nuit de Rem­brandt. En 2014, c’est Lech Majew­s­ki qui avait mis en scène Le porte­ment de croix de Bruegel (tableau de 1564) en réal­isant le film Le moulin et la croix. 

Les écrivains ou poètes ne sont pas en reste. On pense notam­ment au beau recueil Archives de neige de la Fin­istéri­enne Anne-José Lemon­nier (Rougerie, 2007), inspiré par les tableaux de l’Ecole de Pont-Aven ou les dessins de Jean Moulin exposés au musée des beaux-arts de Quimper.

Daniel Kay, lui, va plutôt chercher sa pro­pre inspi­ra­tion du côté de la Renais­sance ital­i­enne et de l’art baroque. Appa­rais­sent dans son recueil les villes emblé­ma­tiques de Flo­rence, Venise, Assise, Sienne, les œuvres du Quat­tro­cen­to mais aus­si celles de l’école hol­landaise. Voilà, en tout cas, un livre sur­prenant sur la créa­tion artis­tique et sur la capac­ité d’une œuvre pic­turale à fécon­der l’imagination. Mieux: l’imaginaire, le fan­tas­tique, le surnaturel.

 Car il s’agit bien, ici, d’une réin­ter­pré­ta­tion très per­son­nelle des plus grands tableaux de maîtres. Le faisant, Daniel Kay aigu­ise notre regard. Mais, finale­ment, n’est-ce pas là le rôle du poète : nous révéler ce que nos yeux ne voient pas ou tra­quer le mer­veilleux der­rière le vis­i­ble. Ain­si, sur ce tableau, « Le cré­pus­cule n’est qu’une chemise rouge/qui flotte sur les cyprès/et brûle les leu­co­cytes ». Ailleurs, voici « les angelots bouff­is qui tombent comme des corps stel­laires dans les champs d’oliviers ». Plus loin, ce sont les anges, « ces mes­sagers célestes sem­blables à de grands papil­lons bar­i­olés qui buti­nent, par­mi les fleurs des champs, le suc d’une nou­velle aurore ».

Daniel Kay ouvre aus­si la porte de l’atelier du pein­tre. En Ital­ie, il voit « dans la cuve d’indigo/le bleu du ciel et la robe de la Vierge ».Près de chez lui, dans l’atelier de Jean-Luc Bourel, dont il con­tem­ple les toiles, il s’interroge : « Com­ment l’espace donne-t-il du temps à ce regard/qui s’épuise dans le bleu ? »

Ah ! Le bleu. Il éclaire et par­court le livre. Il l’inaugure même dans ce pre­mier chapitre inti­t­ulé « Le bleu à l’âme » mais le poète sait met­tre en garde con­tre « les fauss­es promess­es du bleu »et même sa « per­fi­die ».Il nous dit aus­si que « les Grecs ne pos­sé­daient pas de mots pour le bleu ». Et que n’aurait-il pu dire sur les Bre­tons pour qui le bleu et le vert se con­fondent dans le mot « glaz ».

Le poète nous ouvre vrai­ment, dans ce livre, de nou­velles per­spec­tives sur la pein­ture. Il la dépous­sière, lui fait endoss­er (quand il s’agit d’œuvres anci­ennes) les cos­tumes d’une cer­taine moder­nité en faisant entr­er dans ses poèmes des mots d’aujourd’hui. Ou encore des mots du lan­gage triv­ial. Voici sa Madeleine de Georges de la Tour qui « s’applique à remon­ter sur ses cuisses/la dou­ble soie duveteuse des jarretelles/tendue comme une corde autour du cou ».Voici les Sad­ducéens qui ont « éraflé/les portes des bag­noles ».Voici « le dos cabossé des anges ».

Les stat­ues, aus­si, ont leur mot à dire. Silen­cieuses pas déf­i­ni­tion, elles « susurrent une langue étrangère/un curieux idiome/que seuls peu­vent comprendre/les enfants et les muets ».  Et sans doute, aus­si, le poète quand il se met à leur écoute.

 

Présentation de l’auteur

Daniel Kay

Daniel Kay est un poète français né à Mor­laix en 1959. 

Après des études sec­ondaires à Mor­laix, Daniel Kay est  agrégé de let­tres mod­ernes, dis­ci­pline qu’il enseigne.

Il a pub­lié des poèmes dans des revues et pub­lie plusieurs recueils. Il écrit égale­ment sur la pein­ture et peint lui-même.

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Pierre Tanguy

Pierre Tan­guy est orig­i­naire de Lesn­even dans le Nord-Fin­istère. Ecrivain et jour­nal­iste, il partage sa vie entre Quim­per et Rennes. En 2012, il a obtenu, pour l’ensemble de son œuvre, le prix de poésie attribué par l’Académie lit­téraire de Bre­tagne et des Pays de la Loire. Ses recueils ont, pour la plu­part, été pub­liés aux édi­tions ren­nais­es La Part com­mune. Citons notam­ment “Haïku du chemin en Bre­tagne intérieure” (2002, réédi­tion 2008), “Let­tre à une moni­ale” (2005), “Que la terre te soit légère” (2008), “Fou de Marie” (2009). Dernière paru­tion : “Les heures lentes” (2012), Silence hôpi­tal, Edi­tions La Part com­mune (2017). Ter­res natales (La Part Com­mune, 2022) Voir la fiche d’auteur
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