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Marc Alyn, Forêts domaniales de la mémoire

Marc Alyn rêvait jeune « d’une poésie verticale, toujours en marche ». Son vœu est exaucé. Qui mieux que les forêts peut rendre compte des « ressources infinies du Temps » ? Surtout lorsque, « domaniales », leur titre de propriété appartient à tout le monde ?

Comme le suggèrent le titre du livre et ses trois mouvements : « Forêts voyageuses », « Avant-postes de la mémoire » et « Marcheur des aubes violettes », il s’agit pour le poète de vivre le temps sous toutes ses dimensions, dont celle de l’espace, la mémoire étant perçue conjointement comme une marche dans le Temps et comme une vastitude à explorer, verticales et horizontales d’un même arbre.

Les forêts nous ressemblent, aussi voyageuses que nous. Les arbres « marchent » « en route vers les confins ». Ce compagnonnage dynamique a valeur d’interrogation sur ce que nous faisons au temps et sur ce qu’il fait de nous. Le traverse-t-on comme une forêt ou se laisse-t-on traverser par lui ? Que nous laisse-t-il et que lui laissons-nous ?

L’arbre, décrit comme un « inlassable pérégrin » porteur de « l’écriture initiale », est l’intercesseur qui conduit le « rêveur des sous-bois » à « la porte du temps ». Grâce à lui, le poète partage l’expérience physique et métaphysique de la « Durée » tout en vivant la forêt comme une géographie mentale, une « demeure onirique ». Les forêts, l’arbre, « orphique labyrinthe », assurent le passage vers d’autres espaces, ceux de « l’Image », de la pleine vision qui ramène à la vie, tel un phénix « monarque des braises ». Cette métaphore revient à plusieurs reprises dans le recueil, symbole du désir ardent. L’oiseau de feu, pour peu que sa flamme soit pure et non incendiaire à l’instar du vaniteux Érostrate destructeur du temple d’Artémis, offre une « seconde enfance », dans une sorte de résurrection permanente où se retrouvent paysages et êtres familiers.

Marc Alyn, Forêts domaniales de la mémoire, La rumeur libre, mai 2023, 136 pages, 17 euros.

Le poète, au contact des forêts, redevient l’enfant qu’il était, avide de mystère, émerveillé par le « cœur fertile de la rose ».  « Je suis arbre », écrit-il. C’est donc un retour aux origines, les siennes, mais aussi à celles, immémoriales, du monde qu’il nous donne à vivre. Les « siècles effarés » se mêlent aux paysages aimés, vignes et oliviers, ceux des Crémats, non loin d’Uzès où vécut longtemps Marc Alyn. (Le lecteur averti de sa vie et de son œuvre reconnaîtra aisément les lieux et événements évoqués.) Et c’est au tour du poète de s’interroger sur son propre temps sous l’écorce.

Le poète est un être toujours « entre deux éveils ». « Entaille irrécusable », il est biface sur son « entre-seuil », tel le dieu Janus, appartenant à deux temps, deux lieux, cet « outre-ciel » commun à tous. Canopées entrelacées, le présent peut se conjuguer au passé et la mémoire aux « battements ressuscités du cœur cosmique ». Car, au fil de la marche, le temps, présent, passé, nomadise au cœur des « branches inextricables des réminiscences » : âges, pays, paysages, expériences fondatrices, mirages, incandescences, illuminations, quête d’absolu, alphabets, signes, écriture… associés dans une sorte d’« incipit de l’éternité ». Le futur est convoqué lui aussi, comme interrogé à rebours par le « passeur des songes à venir », car tout s’inverse sur les chemins de la Mémoire, dans une remontée à la source. Le temps et l’espace se tricotent dans tous les sens : avant/après, haut/bas, dessus/dessous, ici/ailleurs, visible/invisible, la conscience poétique voyage à sa guise « par la fenêtre du rapide ».

On retrouve dans ces 96 poèmes ce qui fait la singularité de l’écriture de Marc Alyn. Déjà on dénombre dans les trois sections 30, 36 et 30 poèmes. Le lecteur pourra s’amuser à interpréter ces nombres selon la symbolique qui lui convient, la lecture étant magie elle aussi. La pensée ésotérique, chère à l’auteur, « bête et ange à la fois », est très présente car le « soleil alchimiste » garde ses entrées dans la « Chambre verte des voyances ». Le mot « prophéties », si on y songe, ne contient-il pas le mot « poésie » ?

Si les poèmes s’offrent sur la page de façon verticale et aérée, chacun, à l’image d’un arbre, brille avec densité et éclat. L’écriture, précieuse et diamantée, est sculptée avec précision. « Affranchi(e) du carcan des lexiques », elle possède ses luxuriances et ses ruptures de ton, ses écarts d’humour : « les morts bruts/de décoffrage/ne savaient sur quel pied danser ». Elle s’amuse à détourner les mots : « pèlerin aux pieds nus/s’acheminant vers le temple d’Encore», à associer le dissemblable : « Le Temps casseur d’assiettes / et de tours de Babel ». La liberté est grande entre la flamboyance des « vocables irradiés » à même la forge et les espiègleries de l’autodérision. L’enfantine fantaisie miroite, soleilleuse, entre les feuilles.

Le poète, qui est un érudit, allie dans ses vers les mythologies égyptienne, celtique, gréco-romaine, judaïque, chrétienne jusqu’au tarot divinatoire, tant tout fait sens dans la « chambre de l’imaginaire », du signe cabalistique dûment codifié au bec de l’oiseau frappant au carreau. Renaissant chaque fois à lui-même, ce « Veilleur / du Temps circulaire » voyage dans toutes les cosmogonies, depuis la Terre jusqu’aux lointaines galaxies, accordé à la grande roue de l’Univers. On s’avance avec lui dans la forêt des symboles, des légendes, des époques, le regard à hauteur de ramures, d’horizons et d’astres. Nombreux sont ses « mots de passe ». Nombreux ses entrelacs de sens, tours et détours, qui se donnent ou se dérobent au fur et à mesure qu’on pérégrine avec lui.

« À pas de racines et d’aubiers », c’est toute l’histoire humaine qui se met en marche en cercles concentriques sous les semelles du poète, le cœur des arbres rejoignant à des années-lumière, comme dans une sorte de dendrochronologie cosmique, les « vents stellaires », et les « collisions astrales ».

La poésie de Marc Alyn est une poésie de haut lignage à souffle d’épopée (on remarquera l’emploi fréquent de majuscules). Elle s’efforce depuis ses débuts « de soigner le temps par l’espace » afin de « se rencontrer ailleurs sous d’autres traits, faute de réussir à se perdre » (Revue Phœnix n° 1, janvier 2011).

Et c’est assez, pour le poète, d’entrer dans la Mémoire des forêts.

∗∗∗

Extrait 

Ai-je vraiment vécu
ou fus-je une fumée
entre les doigts du scribe,
cendre et semence
dans le vent ?

Sans cesse
obstinément
j’ai fait choix du non-être
pour m’approprier
le chant d’un merle de passage
ou d’un rai de soleil.

Aussi préférais-je me tenir immobile
dans la Mansarde natale de la Mémoire
où un poste à galène
m’informait du changement d’adresse
de Dieu.

(Page 84, in Avant-postes de la mémoire)

Présentation de l’auteur

Marc Alyn

Marc Alyn, né le 18 mars 1937 à Reims, en Champagne, reçoit vingt ans plus tard, le prix Max Jacob pour son recueil Le temps des autres (éditions Seghers). Auparavant, il avait fondé une revue littéraire, Terre de feu, et publié un premier ouvrage, Liberté de voir à dix-neuf ans. Ses poèmes en prose, Cruels divertissements (1957) seront salués par André Pieyre de Mandiargues, tandis que l’auteur doit revêtir l’uniforme et partir pour l’Algérie en guerre. De retour à Paris, en 1959, il donne articles et chroniques aux journaux :  Arts, La Table Ronde et le Figaro littéraire parallèlement à des essais critiques sur François Mauriac, Les Poètes du XVIe siècle et Dylan Thomas. En 1966, il fonde la collection Poésie/Flammarion  où il révèlera Andrée Chedid, Bernard Noël, Lorand Gaspar, publiant ou rééditant des œuvres de poètes illustres : Jules Romains, Norge, Robert Goffin, Luc Bérimont. Sa création personnelle s’enrichit alors d’un roman, Le Déplacement et de deux recueils : Nuit majeure et Infini au-delà, qui reçoit le Prix Apollinaire en 1973. 

A partir de 1964, il s’éloigne volontairement de Paris et vit dans un mas isolé, à Uzès. De ce port d’attache au milieu des garrigues, il accomplit de nombreux voyages en Slovénie (où il traduit les poètes dans deux anthologies, et étudie les vers tragiques de Kosovel), à Venise, puis au Liban où il rencontrera la femme de sa vie, la poétesse Nohad Salameh, qu’il épousera des années plus tard. De ses périples marqués par la guerre à Beyrouth, naîtra sa trilogie poétique Les Alphabets du feu (Grand Prix de poésie de l’Académie française) laquelle comprend : Byblos, La Parole planète, Le Scribe errant.

Revenu enfin à Paris, Marc Alyn connaîtra de douloureux problèmes de santé (cancer du larynx) qui le priveront quelques années de l’usage de sa voix. Contraint de substituer l’écrit à l’oralité, l’auteur entreprend alors une œuvre où la prose prédomine, sans perdre pour autant les pouvoirs du poème. Le Piéton de Venise (plusieurs fois réédité en format de poche), Paris point du jour, Approches de l’art moderne inaugurent une série d’essais fondés sur la pensée magique irriguée par l’humour :  Monsieur le chat (Prix Trente Millions d’amis), Venise, démons et merveilles. Notons enfin les poèmes en prose : Le Tireur isolé et les aphorismes, Le Silentiaire, Le Dieu de sable et Le Centre de gravité. En 2018, paraissent les mémoires de Marc Alyn sous le titre : Le Temps est un faucon qui plonge (Pierre-Guillaume de Roux).   

 

Autres lectures

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Avec Le temps est un faucon qui plonge, les éditions Pierre-Guillaume de Roux nous offrent de disposer, grâce à ces mémoires de Marc Alyn, du matériau complet composé par le poète. [...]

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Marc Alyn, L’Etat naissant

L’Etat naissant, comme une évidence ou une contradiction ?

Qui ne connait pas Marc Alyn, dans le petit monde parfois trop cloisonné de la poésie française contemporaine. Né en 1937 à Reims, de son vrai nom Alain-Marc Fécherolle, il est d’une étonnante précocité, et créé à l’âge de 17 ans, la revue, Terre de feu, dans laquelle il publie son premier recueil de poésie en 1956, « Liberté de voir ». En 1957,  il reçoit le prestigieux Prix Max Jacob pour son ouvrage « Le Temps des autres ».

Lauréat de nombreux prix littéraires importants, depuis,  dont le Grand Prix de poésie de l’Académie française en 1984, et le Goncourt de la poésie pour l’ensemble de l’œuvre en 2007, il est considéré à juste titre comme l’un des poètes majeurs de sa génération  surplombant très largement certains de ses aînés par la qualité et la profondeur de son inspiration ; comme en témoigne encore son dernier recueil intitulé modestement « L’ETAT NAISSANT »*, (peut-on imaginer un clin d’œil à Baudelaire, sans outrepasser une formulation strictement personnelle ?) paru tout récemment chez l’éditeur PHI dont la réputation n’est plus à faire dans l’hexagone – Recueil que je qualifierais volontiers de « pépite d’or » au sein de la production poétique du moment. Comme quoi nul besoin de courir après un grand éditeur parisien pour faire valoir un talent unanimement reconnu. D’emblée et dès les premières pages, Marc Alyn nous plonge dans son univers récurrent (d’œuvre en œuvre) dans un registre singulier qui juxtapose les contraires, mais dont les soubassements parfois issus de l’étrangeté, bien que toujours adroitement maitrisés, inventorient toutes sortes de « spiritualité (s) » dont les accès ciblés sont autant d’ouvertures possibles à un monde qui nécessairement nous échappe, perdu entre, « ombre et lumière », « ordre et désordre », « conscient et inconscient », « matérialité et immatérialité dénudées ».  Aussi bien que :

Marc Alyn, L’ETAT NAISSANT, édtions PHI, 107 pages, 15 euros, dans une version plus ancienne est paru pour la première fois en 2000, aux éditions l’Harmattan.

 

 

La mort présente dès le premier soupir
apparaissait sous des traits empruntés
de Diane nyctalope.  (P.6)

 

Figure de la féminité chasseresse, comme aussi bien éprouvante et délicate, et dont le choix n’a rien d’anodin, plongée « corps et âme » dans l’indistinct -ce qui voit la nuit- où « les pas s’effacent légers » comme pour conjurer les craintes discordantes d’une antériorité inégalée, mais subitement passagère, où la mort survit à elle-même, sans se déclarer.

 Et comme si écrire alors pour le poète hautement inspiré n’avait de sens qu’en vertu d’une âcre interrogation, ou bien que le passage de l’Espace au temporel et du temporel à l’alpha (comme un chemin inverse), soit simplement ce cri de l’enfermement ou de la dépendance du MOI, à ce qui lui fait défaut. La chair ?

 

Dès l’alpha d’exister : le cri, l’incise initiatique
le passage de l’Espace à l’espace
et de l’intemporel à la durée. 

 

L’Alpha ? Le cri ? Puis plus loin :

 

Le chef d’œuvre de l’existant consistait à devenir
sans cesser de rêver
la substance même de son rêve.
Dieu se créait puis s’annulait en son secret.  (P.11)

 

Et voilà que Dieu (ce) Dieu, mais quel Dieu au juste – surgit de nulle part pour « manger l’arbre de sa création » - ou bien que le rêve amputé de ses multiples « dons de SOI » s’en remettait à l’intuition de l’animal ; ici dénommé le chat. Et soudain l’alchimie qui opère :

 

Le sacré s’était réfugié dans des poèmes
qui se lisaient entre eux
et passaient le message
à des peuples absents, veufs du surnaturel.  (P.51)

 

Un « Sur-naturel », qui cependant ne révèle pas son Nom, et qui est d’ailleurs une constante significative dans l’œuvre du poète mystique. L’incidence de l’au-delà – sur la conscience – qui représente dans le même temps ses accès et ses excès circonstanciés, dans le poème – avec en arrière-plan l’idée, l’idée non dissimulée de messages attenants à… Sont-ils clarifiés pour autant, au regard des peuples absents ? Le veuvage devient alors fatalité, bien plus que complaisance du Dieu  maintes fois Invoqué pour finalement disparaitre, où ?

 

redoute de rencontrer l’Autre qui est toi-même
et que la nuit a libéré.  (P.64)

 

L’Autre en effet n’est pas l’absent, c’est un fait convenu ! L’Autre MOI, parfaitement identifiable et intelligible, qui jongle avec ses propres figures temporelles ou atemporelles… Contemplatives ?  C’est selon… l’Autre encore qui initie et parfois malgré lui la sourde interrogation (fragile) où les métaphores changent de peau, en désignant de nouveaux termes d’achoppement, qui consistent principalement à trouver une respiration plus adéquate, dans l’écart qu’elles génèrent.

 

Fatigué de durer parmi les pyromanes
Nous choisissons d’habiter la distance, l’altitude, l’écart,
Les voluptés à tirage confidentiel… (P.65)

 

L’écart en somme entre ce qui est et ce qu’il y  parait :

 

La transgression fut notre loi
et l’interdit notre bréviaire. » (P.65)

 

L’auteur inviterait-il volontairement ou involontairement à une sorte de rébellion propice « au chemin de garde », « sans cesse pénétrant dans le vif du sujet ». Or «  c’est en déshabillant le nu lui-même », que le poème, ou bien l’écrit magique revient – à l’endroit – interpeller sur le sens même de la quête.

La loi dans un tel cas, peut d’ailleurs paraître artificielle, mais pas forcément négative. Elle est un cadre parfois subtil qui évite bien des déconvenues, même si là encore la transgression n’a rien de factice en se positionnant sur la base, d’une certaine forme de détresse, ou plus justement d’attente.

 

Ce n’était pas vraiment le jardin des supplices :
nul ne souffrait à temps complet.
Sans cesse la victime rembobinait sa faute
pour jouir ou jouer aux billes avec le bourreau
        son complice. (P.73)

 

Il y a donc  -bien là – l’incidence d’une rémission passagère. Le supplicié copule avec le bourreau dans une sorte de jeu consenti qui n’a rien de sordide cependant, pourvu que la faute, elle, puisse soudainement s’effacer (momentanément) sans pour autant renier sa provenance et sa cause. Une faute peut-être assurément pardonnée. Pas oubliée certes, car une faute commise considère l’obligation de la réparation du tort fait : A l’Autre ou à Soi-même ;  et le bourreau n’agit quant à lui que sous ordre…. Nulle gratuité dans le châtiment encouru.  Ce n’est pas une affaire de fatalité, mais de droit. Celui de consentir adroitement au pardon, sans vaine prétention à réinterpréter la loi qui continue de s’exercer sans entraves d’aucune sorte, pourvu que le bourreau ne se contente pas de jouer aux billes,  en appliquant (envers et contre tout) la sentence requise, sachant que :

 

L’éternité n’était que le prologue, le lever de rideau
           avant la tragédie.
Tout débouchait sur le Commencement . (P.107)

 

Fin de partie……..

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Marc Alyn

Marc Alyn, né le 18 mars 1937 à Reims, en Champagne, reçoit vingt ans plus tard, le prix Max Jacob pour son recueil Le temps des autres (éditions Seghers). Auparavant, il avait fondé une revue littéraire, Terre de feu, et publié un premier ouvrage, Liberté de voir à dix-neuf ans. Ses poèmes en prose, Cruels divertissements (1957) seront salués par André Pieyre de Mandiargues, tandis que l’auteur doit revêtir l’uniforme et partir pour l’Algérie en guerre. De retour à Paris, en 1959, il donne articles et chroniques aux journaux :  Arts, La Table Ronde et le Figaro littéraire parallèlement à des essais critiques sur François Mauriac, Les Poètes du XVIe siècle et Dylan Thomas. En 1966, il fonde la collection Poésie/Flammarion  où il révèlera Andrée Chedid, Bernard Noël, Lorand Gaspar, publiant ou rééditant des œuvres de poètes illustres : Jules Romains, Norge, Robert Goffin, Luc Bérimont. Sa création personnelle s’enrichit alors d’un roman, Le Déplacement et de deux recueils : Nuit majeure et Infini au-delà, qui reçoit le Prix Apollinaire en 1973. 

A partir de 1964, il s’éloigne volontairement de Paris et vit dans un mas isolé, à Uzès. De ce port d’attache au milieu des garrigues, il accomplit de nombreux voyages en Slovénie (où il traduit les poètes dans deux anthologies, et étudie les vers tragiques de Kosovel), à Venise, puis au Liban où il rencontrera la femme de sa vie, la poétesse Nohad Salameh, qu’il épousera des années plus tard. De ses périples marqués par la guerre à Beyrouth, naîtra sa trilogie poétique Les Alphabets du feu (Grand Prix de poésie de l’Académie française) laquelle comprend : Byblos, La Parole planète, Le Scribe errant.

Revenu enfin à Paris, Marc Alyn connaîtra de douloureux problèmes de santé (cancer du larynx) qui le priveront quelques années de l’usage de sa voix. Contraint de substituer l’écrit à l’oralité, l’auteur entreprend alors une œuvre où la prose prédomine, sans perdre pour autant les pouvoirs du poème. Le Piéton de Venise (plusieurs fois réédité en format de poche), Paris point du jour, Approches de l’art moderne inaugurent une série d’essais fondés sur la pensée magique irriguée par l’humour :  Monsieur le chat (Prix Trente Millions d’amis), Venise, démons et merveilles. Notons enfin les poèmes en prose : Le Tireur isolé et les aphorismes, Le Silentiaire, Le Dieu de sable et Le Centre de gravité. En 2018, paraissent les mémoires de Marc Alyn sous le titre : Le Temps est un faucon qui plonge (Pierre-Guillaume de Roux).   

 

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Marc Alyn & Nohad Salameh, Ma menthe à l’aube mon amante, correspondance amoureuse

C’est magique, c’est plus haut que tous les discours, tentés pour dire « je t’aime » ! Cette correspondance entre deux immenses poètes que sont Nohad Salameh et Marc Alyn danse avec l’impossible : dire l’amour.

Les mots dans ce cas révèlent leur impuissance à restituer le paysage incandescent de la relation amoureuse, sa puissance verticale qui unit l’espace céleste aux corps, les âmes à la terre, pour réaliser le but ultime de nos incarnations : aimer, déployer les dimensions d’aimer, prendre soin d’aimer, faire grandir aimer, et devenir soi-même plus sage et plus humain en suivant ce chemin initiatique.

Les consonnes labiales qui ponctuent le titre disent la femme, menthe, mon amante… phonologie redondante qui évoque bien sûr la pénultième du mot « aime », mais aussi l’éternel féminin considéré dans toutes ses dimensions, à commencer par la feMMe première, la Mère, MaMan, retrouvée dans une infime parcelle du visage de l'aMante cette Menhte, Mienne, Ma feMMe, concaténation de toutes... Dans l’appareil tutélaire déjà l’aMour affleure. On ouvre notre cœur, notre âme. Lecteur, nous nous laissons porter, entraîner. Nous attendons ceci, qui va advenir lors de notre immersion dans les pages de cette correspondance : les mots de l'amour.

Marc Alyn & Nohad Salameh, Ma menthe à l'aube mon amante, correspondance amoureuse, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2019, 409 pages, 26 €.

Sur fond de guerre l’espace épistolaire dessine cette relation naissante qui sera si puissante que les amants jamais ne se sépareront. Malgré cette violence, cette folie des hommes, la haine et les combats, ce sentiment pure et immanent qu’est l’amour, ce socle qui sauvera notre humanité, recouvre tous les drames, vainc l'adversité, et tient à bout des épreuves. Ici il est vécu par deux êtres qui sentent que plus rien ne sera pareil, que l’un et l’autre devront compter avec l’un et l’autre. C’est cette magie, ce miracle, que chaque mot des poètes énonce. Quand bien même la forme de la lettre consacre la prose comme modalité énonciative dominante, ici entrecoupée par des vers, chaque signifiant est travaillé comme un orfèvre taille une pierre précieuse, et ouvre les dimensions pluri-sémantiques du langage.  Et cette prose est d’autant plus puissante que la guerre menace à chaque instant de séparer les amants. Alors transparaissent les inquiétudes, les angoisses, et l’immense soulagement à chaque fois exprimés avec une intensité grandissante lorsqu'il est question de retrouver l’être aimé.

L’univers feutré et limpide des amants, cocon de paix dans la tourmente, transparaît dés l’adresse de chaque missive, où apparaissent des périphrases, des surnoms, des mots qui disent cette transfiguration de l’être aimé, propre à la recollection proustienne. L’absence dessine aussi sûrement la silhouette de la personne fantasmée et réelle tout à la fois à qui ces mots s’adressent. Alors l’espace épistolaire devient le lieu de l’édification de cette relation, qui s’instaure aussi dans et par le langage… La présence du destinataire, constitutive des caractèristiques énonciatives du genre épistolaire, permet une actualisation du discours encore plus prégnante, et contribue à renforcer l'émotion amenée par le texte.

 

Nohad Salameh et Marc Alyn.

Elle lui dit « Marc, mon monde concret » et signe « Nouchette ».

 

Tu ne cesses de me parler à l’oreille et je continue de frôler l’infini à tes côtés dans les jardins et les souks de Bagdad, sur les gradins de Babel et parmi les vetsiges de Ninive ! L’Histoire est désormais sertie dans notre histoire : brûlure et ivresse qui, tour à tour, nous pourfendent et nous illuminent. (...)  Il a fait pleine nuit en moi aussitôt que tu t‘es dérobé à ma vue ».

 

Lui, l’appelle « Nohad, ma fiancée du bout du monde ».

 

Après déjeuner, chez Anne, 42 rue Bonaparte, dans l’immeuble où vécurent Sartre, Philippe Dumaine et Gaston Criel. Elle vient d’écrire un recueil qui reprend le vieux mythe platonicien de la séparation, en deux corps distincts de l’être primordial. Elle évoque la quête désespérée de ces deux fragments d’un même individu en vue de se rejoindre, s’étreindre, reconstituer leur primitive unité. Orphée cherche Eurydice. Eurydice trie l’unievrs dans l’espoir de trouver Orphée. Quête immense ! Le monde en est le théâtre, mais aussi l’histoire, car ils peuvent vivre, non seulement dans des pays étrangers, mais à des époques différentes. c’est le thème que j’ai moi-même traité, non sans émotion, à la fin des Poèmes pour notre amour, lorsque tout semblait perdu :

A force de mourir et vivre sans être
à des siècles parfois de distance, le temps
nous fera-t-il le don de nous aider à naître
ensemble pour unir nos corps à cœur battant ?

Je suis revenu à pied par la Seine, un œuil sur les livres des quais. Au Sarah-Bernhardt, quand je suis passé, un couple plus jeune occupait notre place…
Je te caresse, je t’embrasse, je t’aime.

 

Marc »

 

L’Histoire, avec « sa grande Hache »  ainsi que l’évoque Michel Leiris dans W ou le souvenir d’enfance, menace à chaque instant de briser des vies, de détourner des trajectoires, d’aspirer des visages. L’amour ici va venir à bout de toutes les épreuves, de tous les retournements. Et puis, il y a le temps, celui d’attendre le courrier, qui laisse un espace salutaire à l’imaginaire, celui du fantasme, celui du désir, et concourt à l’édification de ces échanges. Ainsi la joie de recevoir la trace d’une plume tenue par une main que l’on connaît, qu’on a serrée dans la sienne, n’en est que plus prégnante et perceptible dans les choix lexicaux opérés par les amants. Images et métaphores tissent des réseaux sémantiques d’une rare beauté. Aucune commune mesure avec les mails, qui remplacent majoritairement les lettres manuscrites… Et combien de correspondances finalement se perdront sur l‘interface d’un disque dur, ou pire, seront affecées avec leur support ! Et puis les paramètres de présentation diffèrent, un peu comme un texte abordé dans la globalité d’un livre, ou lu sur un écran… Il y a le paratexte, il y a les éléments incontournables de l’objet livre, de même que ceux de la lettre, qui différent de ceux du mail… La lettre, son écriture sur l’espace vierge du papier, son attente, et sa découverte, lorsque l’on a devant soi l’enveloppe encore scellée qui contient les mots, la lettre dans sa dimension physique, dit hors de toute lecture combien on tient à la personne aimée.

Combat d’une littérature qui a cherché tant de périphrases, tant d’images et d’échappatoires pour restituer la puissance des ressentis humains, en face de la violence et de la haine, et dans le recherche d’un discours qui puisse rendre compte de ce qu’est l’amour, en distiller l’émotion, l’envergure, la substance, dire la rencontre, dire ce sentiment ressenti près de qui on aime, et on est aimé… Gageure. Ma menthe à l’aube mon amante apporte une pierre à l’édifice des possibles.

 

Pour engourdir, et tromper la douleur de ton absence, je me drogue au travail : écrire, imaginer, n'est-ce pas la meilleure façon de demeurer en contact avec toi à travers les espaces ? Nos rêves coïncident mystérieusement et nous évoluons sans peine de l'un à l'autre, portés par le même élément. Est-il nécessaire de t'expliquer ce que tu devines si bien sans l'aide des mots, ma Nouche, grâce à ton intuition foudroyante de voyante ? L'amour est le point central, le soleil, la pierre de touche dont dépend l'ensemble de l'édifice ; sans lui, le monde n'est qu'un désert obscur. Je n'ai jamais écrit que pour préparer en moi sa venue. (Lettre 40)

Présentation de l’auteur

Nohad Salameh

L’un des poètes les plus marquants du Liban francophone.  Née à Baalbek. Après une carrière journalistique dans la presse francophone de Beyrouth, elle s’installe à Paris en 1989. De son père, poète en langue arabe et fondateur du magazine littéraire Jupiter, elle hérite le goût des mots et l’approche vivante des symboles. Révélée toute jeune par Georges Schehadé, qui voyait en elle «  une étoile prometteuse du surréalisme oriental », elle publie divers recueils dont les plus récents sont : La Revenante, Passagère de la durée (éditions Phi, 2010) et D’autres annonciations (Le Castor astral, 2012). Elle a été saluée par Jean-Claude Renard pour son « écriture à la fois lyrique et dense, qui s’inscrit dans la lignée lumineuse de Schehadé parmi les odeurs sensuelles et mystiques de l’Orient ». Elle a reçu le prix Louise Labé pour L’Autre écriture (1988) et le Grand Prix de poésie d’Automne de la Société des Gens de Lettres  en 2007. Elle est membre du jury Louise Labé.

Nohad Salameh

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Marc Alyn, né le 18 mars 1937 à Reims, en Champagne, reçoit vingt ans plus tard, le prix Max Jacob pour son recueil Le temps des autres (éditions Seghers). Auparavant, il avait fondé une revue littéraire, Terre de feu, et publié un premier ouvrage, Liberté de voir à dix-neuf ans. Ses poèmes en prose, Cruels divertissements (1957) seront salués par André Pieyre de Mandiargues, tandis que l’auteur doit revêtir l’uniforme et partir pour l’Algérie en guerre. De retour à Paris, en 1959, il donne articles et chroniques aux journaux :  Arts, La Table Ronde et le Figaro littéraire parallèlement à des essais critiques sur François Mauriac, Les Poètes du XVIe siècle et Dylan Thomas. En 1966, il fonde la collection Poésie/Flammarion  où il révèlera Andrée Chedid, Bernard Noël, Lorand Gaspar, publiant ou rééditant des œuvres de poètes illustres : Jules Romains, Norge, Robert Goffin, Luc Bérimont. Sa création personnelle s’enrichit alors d’un roman, Le Déplacement et de deux recueils : Nuit majeure et Infini au-delà, qui reçoit le Prix Apollinaire en 1973. 

A partir de 1964, il s’éloigne volontairement de Paris et vit dans un mas isolé, à Uzès. De ce port d’attache au milieu des garrigues, il accomplit de nombreux voyages en Slovénie (où il traduit les poètes dans deux anthologies, et étudie les vers tragiques de Kosovel), à Venise, puis au Liban où il rencontrera la femme de sa vie, la poétesse Nohad Salameh, qu’il épousera des années plus tard. De ses périples marqués par la guerre à Beyrouth, naîtra sa trilogie poétique Les Alphabets du feu (Grand Prix de poésie de l’Académie française) laquelle comprend : Byblos, La Parole planète, Le Scribe errant.

Revenu enfin à Paris, Marc Alyn connaîtra de douloureux problèmes de santé (cancer du larynx) qui le priveront quelques années de l’usage de sa voix. Contraint de substituer l’écrit à l’oralité, l’auteur entreprend alors une œuvre où la prose prédomine, sans perdre pour autant les pouvoirs du poème. Le Piéton de Venise (plusieurs fois réédité en format de poche), Paris point du jour, Approches de l’art moderne inaugurent une série d’essais fondés sur la pensée magique irriguée par l’humour :  Monsieur le chat (Prix Trente Millions d’amis), Venise, démons et merveilles. Notons enfin les poèmes en prose : Le Tireur isolé et les aphorismes, Le Silentiaire, Le Dieu de sable et Le Centre de gravité. En 2018, paraissent les mémoires de Marc Alyn sous le titre : Le Temps est un faucon qui plonge (Pierre-Guillaume de Roux).   

 

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Marc Alyn, T’ang Hayden, T’ang l’obscur, Mémorial de l’encre

Un livre absolument superbe, un  format A4 d’épais papier de qualité, blanc et soyeux, ponctué par les encres de T’ang Haywen qui rythment la lecture des textes et poèmes de Marc Alyn. On est tenté de se demander qui accompagne l’autre... Mais ce n’est pas du tout le propos de ce calice, il révèle bien plus qu’une simple juxtaposition même signifiante du texte et de l’image.

 

Il semble que la couverture trace un horizon d’attente révélateur de la haute portée du contenu. Elle donne à voir la trace de quatre mains qui supportent le titre, T’ang l’obscur, Mémorial de l’encre, chapeauté par le nom des deux artistes, Marc Alyn et T’ang Haywen. Deux fois deux mains, paume de créateurs s’il en est, pour un recueil publié chez Voix d’encre. Justement c’est à propos, car ces deux artistes et amis ont pour point commun de créer avec de l’encre l’un des poèmes, l’autre des images… La quatrième de couverture est explicative. Elle nous apprend cette belle amitié jamais tarie entre le calligraphe et le poète, et place le recueil sous le signe d’un hommage à un ami disparu. Marc Alyn signataire de ces deux paragraphes précise que l’œuvre du peintre est « de plus en plus visible à travers le monde » et « fait peu à peu de lui l’un des artistes marquants de la modernité ».

Marc Alyn, T'ang Hayden, T'ang l'obscur, Mémorial de l'encre, Voix d'Encre, 119 pages, 32 €.

Et, par une magie que je qualifierais de surnaturelle si je ne savais l’immense et unique poète qu’est Marc Alyn, ce recueil porte haut un discours sur l’essence de l’Art. En ceci je crois réside le plus bel hommage que l’on puisse rendre à T’ang l’obscur, artiste qui crée de la Lumière avec de l'encre noire,  présent tout entier dans l’épaisseur incompressible de ses tracés. Marc Alyn évoque le souvenir du calligraphe, restitué à travers divers prismes, le souvenir, son œuvre, la réminiscence de ses paroles, syncrétisme mnésique et artistique ( des reproductions des calligraphies de T'ang Haywen jalonnent ce recueil somptueux). Ce discours est aussi un discours sur l’Art, celui qui transcende les catégories génériques et la diversité des vecteurs de représentation, celui qui chevauche l’anecdotique et porte les archétypes en majesté. L’Art, cette voie du « Grand Œuvre », révélation des dimensions multiples de l'univers, et représentation de la pérennité et de la persistance d’une communauté, celle des Humains.

Grâce à des dispositifs tutélaires,  textuels et iconographiques, le poète parvient à juxtaposer les strates temporelles, des voix, et la portée du discours, qui laisse poindre dans l’évocation des souvenirs, des paroles, des visages du calligraphe une des réponses possibles à cette question : Qu’est-ce que l’Art ? Qu’est-ce que ça veut dire, représenter, et représenter quoi ? Justement, qu’y a-t-il dans les paumes de ces quatre mains façonneuses d’encre ?

Au milieu des reproductions des oeuvres picturales (encres et lavis) de T'ang Haywen, des poèmes courts et centrés, sans titre, sur les pages de gauche font face à des paragraphes en italiques pages de droite. Certains des poèmes n’ont pas de titre, d’autres qui apparaissent régulièrement portent le même titre « Paroles de T’ang ». La forme du poème n'est pas fixe, et les longueurs sont en général assez courtes, sortes de petits pavés justifiés pour la prose, centrés pour les vers, sortes d'évocations de l'esthétique graphique qui rythme les calligraphies qui accompagnent la poésie.

Paroles de T'ang

 

Le temps feignait de somnoler à l'écart
le compteur arrêté
quand j'atteignis le point de non-retour
en oeil insondable de l'ange.

Sans doute avais-je franchi par mégarde
le chemin de halage
au bord des soleils incréés ?

D'un seul élan l'invisible
clouait au sol sa proie
et je rêvais des vies déjà vécues
(tenues de fusillés robes de bal
subtilisés au vestiaire de l'Histoire)
à seule fin de me défiler
sans laisser plus de trace
qu'un flocon pris au piège
dans les closeries du cristal.

L’Art est la transcription d’une des modalités d’exister, mais nous ne sommes plus ni dans la restitution d’une perception du réel unique pensé comme unique dimension, ni dans la transcription des perceptions de l'artiste face à ce réel. C’est là que s’ouvre l’accès à un renouveau, qui fait de l’œuvre une trace de ce que recèle l’Univers des multiples dimensions perceptibles, tangibles ou perçues grâce à d'autres vecteurs que nos cinq sens... Des univers subtils, révélés grâce à une exploration méditative, et à une posture de témoin, celui qui regarde passer le fleuve, immobile, et qui dans le même temps se laisse emporter par le courant... Un paysage onirique restitué comme une dimension ni plus vraie ni moins réelle que celle de la matière. Et ceci est la voie que devra emprunter l'Art, à travers cette réconciliation des contraires explorés par les modes d'expression qui ont jalonné les siècles de représentations. Une synthèse de ce que furent les postures contraires adoptées par les artistes en manière de reproduction du réel. Les paragraphes des pages de gauche énoncent une voix qui est située dans une des strates temporelles indéfinie mais dont on pressent qu'il s'agit des pensées des deux artistes lorsqu'ils étaient réunis, de leurs silences aussi sûrement, de cette communauté d'esprit. 

 

Tout s'acheminait vers le vide : zéro pointé. Le
temps méticuleux biffait nos empreintes digitales
sur les objets compromis dans le meurtre. Une
certaine densité de ténèbres arrondissait les angles
de nos cellules monacales au fond des puits assoif
fés. Si proches et néanmoins inaccessibles, s'ou-
vraient d'inextricables galeries aux parois de sel
gemme menant à la chambre des Machines.
Quelques miroirs empoussiérés tenaient lieu de
fenêtres. Fatigués d'avoir trop escaladé les cieux,
les pendus arrimés aux lustres se contorsionnaient,
emmêlés au cordon ombilical.

Cette rencontre entre l'encre et l'encre, le jeu de pendus retenus par la chair, par le poids du corps, et l'exploration d'autres dimensions, dit l'objectif de T'ang Haywen et de Marc Alyn : tenter d'en offrir trace, découvrir comment, grâce à quel trait d'encre, à quel mot écrit sur l'espace infini de la page, restituer les empreintes que des hommes disparus ont laissées  comme effluve de leur passage. 

Il est possible d’y voir une réconciliation de ce que furent ces deux opposés qui ont façonné l’Histoire de l’Art : une représentation fidèle du réel et la transcription de la perception de l‘artiste, dans ce basculement du point focal du regard, qui prend naissance au dix-neuvième siècle. On représente alors ce qu‘on perçoit, le réel est soumis à caution, au doute (au vingtième siècle, Nathalie Sarraulte rend compte de cette suspicion envers le souvenir, la mémoire, dans son autobiographie L’Ere du soupçon). La psychanalyse, la photographie, le cinéma et les progrès scientifiques remettent en cause la lecture littérale de la réalité, on n'en voit qu'une infime partie. Dés lors, il est question de révéler ce que l'on perçoit face à des ressentis dont on ne maîtrise pas les motivations, pour la majeure partie inconnues.

Une thèse et son antithèse, dont la synthèse est ce qui est énoncé dans ce manifeste artistique : la lecture de nos perceptions d’une autre dimension du réel, les arcanes des mondes invisibles qui existent au-delà, en deçà de nos perceptions et restituées à travers un prisme spirituel. Celui qui encre, qui trace, qui dessine, qui décrypte les présences des réalités multiples et offertes à qui sait voir en l’immensité de l’Univers, voici qui fut T'ang Haywen, voici qui est Marc Alyn, voici qui sont ceux qui ouvrent la voie d’un renouveau artistique. Renouant avec l’image du mage, du démiurge qu’a incarné l’artiste durant des siècle, ils englobent également celle du révolutionnaire, porte parole des minorités, engagés dans la lutte pour une société égalitaire et humaine. Cette fois-ci l'Artiste ne met en avant aucune  obédience politique, religieuse, artistique, mais il ouvre l’espace d’un territoire commun, celui autrefois habité par nos âmes, lorsque nous étions un. L'Art, cette langue commune, cette langue des âmes réconciliées des Hommes, et ce miracle, comme un tao qui avale le silence dans le silence, pour restituer l'ampleur d'un langage qui est celui d'une communauté fraternelle.

Tel est T’ang l’obscur.

Paroles de T'ang

 

Quelle page contiendrait le poème du monde ?
-chuchotait-il-creusant les marches de la 
glace
afin de surprendre au nid le phénix
en léthargie dans son berceau torride.

L'allégeance d'un lézard d'un coq d'un coquillage
déploie devant mes pas
l'univers replié un milliard de fois sur lui-même.

Heureux ceux qui vont seuls dans l'amitié des 
      arbres !
Quand le vent papillonne
sous les jupes des amandiers
il est sage d'oublier la mort-balle perdue
en vue de chevauchées hors les murs
jusqu'au point où fini et infini s'étreignent
au confluent de l'étincelle et de la flamme.




Marc Alyn, T’ang l’obscur, Mémorial de l’encre, extraits

Paroles de T'ang

 

Le sommeil-confiait-il-est un lieu traversier
qu'empruntent nos géniteurs immémoriaux
nomades du clair-obscur
sujets à des absences
affublés d'oripeaux de pourpre rapiécés
porteurs de baluchons
que gonfle un passé rauque.

 

Les hors-venus des neiges morfondues
franchissaient d'une voltige les remparts
et l'eau serrée des douves
sur des radeaux de branchages.

Je parlerai encore-décrétait-il-
des espaces gordiens à l'intérieur de l'homme
où le désert s'unit aux vergers aux sépulcres : 
région de poussière et de suie
ultime retranchement de l'esprit en partance
au-dessous du niveau de la mort.

 

 

∗∗∗∗

 

 

La vie, songe éveillé, s'achevait par un sommeil
sans rêves ni rivages, au seuil des steppes, où croît
la solitude parmi chardons et ronces : barbelés du
règne végétal. Quand surgissaient, d'un vol acéré,
les oies sauvages dont l'aile nous frôlait hardiment
au passage, nous faisions halte sur les hauts pla
teaux de schiste noir afin de saluer les revenants
de nos vies à venir aux bras chargés d'icônes et de 
coquelicots. Un soleil flambant neuf nous guidait
vers les cimes. De l'autre côté de l'horizon s'éla
borait, dans des cuves gorgées de grappes écrasées,
la fermentation heureuse.

 

 

∗∗∗∗

 

L'au-delà ressemblait comme deux gouttes d'eau
à ces ombres chinoises
dont les doigts de l'aïeul peuplaient le papier
    peint
à la lueur échevelée
d'une lampe d'argile :
coq de bruyère errant dans le brouillard
chevreau de lait lapé par les ténèbres...

Á la fin
le loup dévorait la lumière.
Chacun demeurait seul
les mains sur ses genoux.

 

 

∗∗∗∗

 

Alchimiste inversé
sosie du Pendu des tarots
il restituait au brasier
l'or potable des chrysopées
à l'issue du Grand-OEuvre.

De son pinceau giclait
point-trait du morse des abîmes
flèche visant le coeur de la planète
au-delà des myriades d'années
et son oeil de huppe sagace
détectait les trésors dans le limon des fleuves.

Sisyphe de l'immatériel
nouveau-né du néant
agile gondolier
il édifiait des mausolées à la gloire de l'oubli
puis offusquait la nuit
d'un clignement de cils.

Présentation de l’auteur

Marc Alyn

Marc Alyn, né le 18 mars 1937 à Reims, en Champagne, reçoit vingt ans plus tard, le prix Max Jacob pour son recueil Le temps des autres (éditions Seghers). Auparavant, il avait fondé une revue littéraire, Terre de feu, et publié un premier ouvrage, Liberté de voir à dix-neuf ans. Ses poèmes en prose, Cruels divertissements (1957) seront salués par André Pieyre de Mandiargues, tandis que l’auteur doit revêtir l’uniforme et partir pour l’Algérie en guerre. De retour à Paris, en 1959, il donne articles et chroniques aux journaux :  Arts, La Table Ronde et le Figaro littéraire parallèlement à des essais critiques sur François Mauriac, Les Poètes du XVIe siècle et Dylan Thomas. En 1966, il fonde la collection Poésie/Flammarion  où il révèlera Andrée Chedid, Bernard Noël, Lorand Gaspar, publiant ou rééditant des œuvres de poètes illustres : Jules Romains, Norge, Robert Goffin, Luc Bérimont. Sa création personnelle s’enrichit alors d’un roman, Le Déplacement et de deux recueils : Nuit majeure et Infini au-delà, qui reçoit le Prix Apollinaire en 1973. 

A partir de 1964, il s’éloigne volontairement de Paris et vit dans un mas isolé, à Uzès. De ce port d’attache au milieu des garrigues, il accomplit de nombreux voyages en Slovénie (où il traduit les poètes dans deux anthologies, et étudie les vers tragiques de Kosovel), à Venise, puis au Liban où il rencontrera la femme de sa vie, la poétesse Nohad Salameh, qu’il épousera des années plus tard. De ses périples marqués par la guerre à Beyrouth, naîtra sa trilogie poétique Les Alphabets du feu (Grand Prix de poésie de l’Académie française) laquelle comprend : Byblos, La Parole planète, Le Scribe errant.

Revenu enfin à Paris, Marc Alyn connaîtra de douloureux problèmes de santé (cancer du larynx) qui le priveront quelques années de l’usage de sa voix. Contraint de substituer l’écrit à l’oralité, l’auteur entreprend alors une œuvre où la prose prédomine, sans perdre pour autant les pouvoirs du poème. Le Piéton de Venise (plusieurs fois réédité en format de poche), Paris point du jour, Approches de l’art moderne inaugurent une série d’essais fondés sur la pensée magique irriguée par l’humour :  Monsieur le chat (Prix Trente Millions d’amis), Venise, démons et merveilles. Notons enfin les poèmes en prose : Le Tireur isolé et les aphorismes, Le Silentiaire, Le Dieu de sable et Le Centre de gravité. En 2018, paraissent les mémoires de Marc Alyn sous le titre : Le Temps est un faucon qui plonge (Pierre-Guillaume de Roux).   

 

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Marc ALYN, Le temps est un faucon qui plonge

Avec Le temps est un faucon qui plonge, les éditions Pierre-Guillaume de Roux nous offrent de disposer, grâce à ces mémoires de Marc Alyn, du matériau complet composé par le poète.

Entre 2011 et cette dernière autobiographie, l’œuvre entière est devenue enfin visible. Les éditions du Castor Astral ont publié La Combustion de l’ange, intégralité de l’œuvre poétique d’Alyn de 1956 à 2011, puis Proses de l’intérieur du poème en 2015 rassemblant toute sa poésie en prose, publiant à part, fin 2017 Les alphabets du feu, chef d’œuvre du poète. Entre temps, début 2017, l’Atelier du Grand Tétras a édité Le centre de gravité, soit l’intégralité des aphorismes de l’auteur tandis qu’en 2012 les éditions des Vanneaux sortaient, dans sa collection Présence de la poésie, une anthologie des poèmes d’Alyn présentant le grand intérêt d’une belle étude générale de cette poésie par le poète André Ughetto.

Tout ce matériau enfin visible disions-nous car, outre l’accessibilité à la beauté d’une inspiration ininterrompue, nous est offert désormais, grâce aux mémoires du poète, de comprendre dans quelles conditions a pu émerger cette œuvre de haute tenue.

 

Marc ALYN, Le temps est un faucon qui plonge, Editions Pierre-Guillaume de Roux, avril 2018, 220 pages, 23 euros.

 

Ceci est d’un grand intérêt pour mesurer les métamorphoses d’un monde où le seul matérialisme étend son empire exclusif sur les êtres, à une époque, celle d’il y a finalement quelques secondes, où un homme pouvait décider « de devenir poète à temps complet pour le reste de (s)es jours, quoi qu’il pût (lui) en coûter. » Ceci ne fut pas sans sacrifices, naturellement, mais prendre aujourd’hui la même décision, les pages littéraires des journaux s’étant réduites comme peau de chagrin et la fonction de critique de poésie ayant disparu en même temps que l’intérêt du public pour le savoir que contient le poème, relèverait du suicide.

Aussi pouvons-nous lire ces mémoires de Marc Alyn avec nos deux yeux : notre œil gauche, celui du cœur, passionné par la vie d’un grand poète ayant donné une œuvre comme un guide de survie face à l’anéantissement programmé du transcendantal ; notre œil droit, celui capable de recevoir un enseignement pour les enjeux liés à ce que représente la poésie dans la réalité fragmentée actuelle. Et de cette vision complète tirer les conséquences pour sa propre vie. Autant dire que ces mémoires remplissent ainsi leur fonction de livre vital, de livre vivant pour qui souhaite tenir compte de la partition maintenant en cours sur le monde. Et donc choisir son camp par une transposition en nos conditions actuelles.

Marc Alyn est né en 1937 à Reims, terre du sacre de nos Rois. Reims est aussi la ville où se forma par l’amitié le cercle du Grand Jeu, réunissant les poètes René Daumal, André-Rolland de Renéville et Roger Gilbert-Lecomte, à l’ombre d’un surréalisme tapageur. Naître en ces terres d’authenticité dispose favorablement au spirituel et à la rectitude lorsqu’on se sent tôt investi par la parole poétique. Le premier souvenir qu’évoque Marc Alyn en ses mémoires est l’incendie de l’Eglise qu’il contemple depuis sa fenêtre d’enfance dans les bras de son grand frère. Ce baptême du feu le renvoie à la fascination de sa mère pour le personnage de Fantômas dont elle aimait tellement les aventures qu’elle donna pour prénom à son fils le nom d’un de ses auteurs, Marcel Allain. Enfance en temps de guerre, avec les privations que cela engendre, la solitude, faisant naitre le sens de l’observation : la grande école de la vie.

« L’excitation de la Résistance retombée, la France semblait ne plus avoir besoin de poètes (…) J’appartenais à une espèce en voie de disparition ». Cet aveu, dit avec soixante-dix ans de recul, mais appartenant à l’époque où Marc Alyn décide de consacrer sa vie à la poésie, nous dit quelque chose de ce qui s’est passé en France depuis lors. Nous dit aussi l’état de conscience du poète tôt engagé dans une cause qu’aujourd’hui encore l’on dit perdue. Le poète, espèce en voie de disparition, à l’instar du grand requin, du tigre du Bengal, de l’éléphant d’Asie, du panda géant, de l’acajou, de l’ébène ou du cèdre du Cap ? Il ne faut seulement croire qu’en l’illusion d’une modernité qui durerait toujours et qui serait l’apothéose du genre humain pour accorder crédit à la déconsidération de la poésie. Précoce, Alyn en prend conscience et s’engage dans une autre Résistance avec pour maquis le Poème.

Paris d’abord, et la publication de Le temps des autres qui recevra le prix Max Jacob alors que le poète vient d’avoir vingt ans. La reconnaissance, ou la gloire, est encore possible dans la France d’alors pour un poète : Alyn aura le plaisir d’entendre ses poèmes chantés par Jean-Louis Trintignant et Serge Reggiani. Il croise Aragon, Supervielle, Paulhan, Cocteau, Mac Orlan, et c’est sous cette constellation peut-être protectrice, cette pléiade poétique, qu’il partira pour la guerre d’Algérie avec toute sa génération. 1958, et ces mots, dans ses mémoires : « J’avais beaucoup à apprendre et à oublier, avide de connaissance plutôt que de savoir. Il convenait de laisser mûrir le Double des profondeurs à l’écart, loin des bains de la foule et du culte de la déesse raison. »

Qui n’entend pas cette question du Double n’entrera pas dans l’éminence de la parole de Marc Alyn, ni dans aucune poésie à vrai dire, du moins celle qu’Alyn définit ici parfaitement, la poésie des profondeurs. Entrer dans son œuvre, c’est-à-dire la lire ! Car lire la poésie permet d’être saisi par la réalité chamanique qu’elle contient, et ouvre à la chance d’établir en nous-mêmes ce lien avec notre propre profondeur, le Double singulier que chacun porte en soi.

Après la guerre, c’est le retour en France, l’installation à Aubervilliers avec sa femme d’alors, dans un minuscule appartement, ce qui lui fait écrire : « Je pris l’habitude de trouver en moi-même l’air que je respirais », sentence de survie liée à la respiration essentielle.

C’est à cette époque, il a 23 ans, qu’il rencontre François Mauriac, percevant dans l’œuvre du Prix Nobel le soubassement poétique de ses visions romanesques. Mauriac est alors moqué par toute l’intelligentsia parisienne tandis qu’Alyn entreprend de rendre hommage par un livre à la dimension poétique de Mauriac. Alyn deviendra par la suite critique de poésie au Figaro.

Des voyages et des rencontres capitales continuent de nourrir la vie de Marc Alyn, voyage en Slovénie, en Bosnie, rencontre avec le peintre T’ang Haywen. Il devient directeur de la collection de poésie que les éditions Flammarion viennent, grâce à lui, de créer. C’est le temps des alliés substantiels en les personnes de Bernard Noël, Lorand Gaspar, Andrée Chédid. Mais le parisianisme littéraire et les vues économiques présidant à l’existence des collections éditoriales décideront de son départ pour Uzès, où d’autres alliés, tels Pierre Emmanuel, Laurence Durrell, viendront agrandir ses horizons d’amitiés.

Mai 68 se profile, et dans le ciel nocturne du poète passe sa Nuit majeure, inspiré par sa rencontre avec le sud : « La structure verbale de mon recueil Nuit majeure s’organisait en vers de quatorze pieds réunis par strophes de cinq lignes elles-mêmes coupées de blancs - reposoirs de la musique. Ainsi naquit le poème conçu comme un labyrinthe dont le Minotaure eût été le poète lui-même captif de sa vie intérieure et, plus largement, du monde contemporain privé de ses racines spirituelles. »

Les années passent, sous ces coordonnées du sud qui l’aimantent, et la rencontre à lieu lors d’un voyage en Orient. La rencontre avec sa femme, alignée avec la rencontre avec sa grande vision née de la contemplation des paysages solaires : le fleuve Adonis, Baalbek, Byblos. Et la surimpression du visage de la poétesse Nohad Salameh, l’amour de sa vie. C’est là que lui est donné son chef d’œuvre, Les alphabets du feu, qu’il mettra plusieurs années à matérialiser en chant avant d’avoir perçu l’existence d’un « cadastre du sacré ».

Toutes ces années consacrées à la poésie, la sienne et celle des autres en tant que critique et directeur de collection, lui ont rendu, pourrait-on croire, ce qu’il avait donné. Il reçut le prix Max Jacob, le prix Apollinaire, le prix Goncourt de la poésie, le grand prix de poésie de la Société des Poètes français, remis par Senghor.

Mais qui, aujourd’hui, dans la rue, connaît le nom de Marc Alyn, c’est-à-dire qui a lu son œuvre ? Ce n’est pas le moindre des paradoxes destinée à la poésie.

Aussi après toute cette reconnaissance du milieu, son œuvre commence enfin à devenir visible. Ce en quoi elle agit, pour qui a choisi son camp dans la désacralisation de la matière. « Il n’y a pas d’autre issue à la crise que la transcendance, seule voie qui ne soit jamais menacée », écrivait Arnaud Desjardins.

La transcendance, pour qui choisit de lire la poésie des grands poètes, agit en contagion.

Les grandes images de Marc Alyn sont de cette contagion bienheureuse. Sa poésie conjure les hivernales de la modernité.