Nohad Salameh, Le mandala et autres poèmes

2023-07-06T15:11:09+02:00

 

Lorsqu’on a la mal­adie du lieu
on perce un trou quelque part en son corps
et l’on y pénètre
n’ayant pour halte qu’un totem
en forme d’astérisque
alors le dedans se réduit au mandala
avec des parois en peau
et la pen­d­ule qui se remet en marche
remon­tée par le bec d’un oiseau.
Aus­sitôt on cesse de déchiffr­er les mots
que l’on prononce à son insu
afin de gom­mer les impuretés d’un dehors
daté de l’an zéro de l’Hégire.
 

∗∗∗

Celle venue d’Orient
escortée de ses phénicies
ses alphabets
et ses dieux d’outre-ciel
arbore la frac­ture de la terre
et la déchirure de vos regards.

Celle surgie des verg­ers d’Ève
avec ses oracles
ses nos­tal­gies douloureuses
et la fureur des songes
pro­gresse d’un pas de désert
vers le Centre
où se concentrent
l’exil et la mémoire de la rose.

La voyageuse de minuit
qui pose ses ailes sur vos aubes
toute entière tan­née par les couchants
incante en vos sommeils
un chant d’espace
par excès d’errances
et appel d’air.
 

∗∗∗

D’un vol preste de cigogne
je reviens tenir compagnie
à ceux qui dor­ment, les mains nouées
sous les jardins de l’épouvante.

De trans­parence en transparence
je patine vers mon halo premier.
Sans fracas
ni brisure
je chute dans la durée paresseuse du sable.

Je m’endors sous la trame des bouvreuils
— tout mon souf­fle pour liss­er la pierre
et je m’écris au hasard sur les lentes parois
d’où se penche le temps.

Revenante
de mer en mer
d’absence en absence
les chevilles ravivées de soleil et d’encens.
J’enjambe pêle-mêle des fortifications
d’absinthe et de ronces
afin de devenir l’épiphanie du retour.

 

∗∗∗

Lorsqu’on a la mal­adie du lieu
on perce un trou quelque part en son corps
et l’on y pénètre
n’ayant pour halte qu’un totem
en forme d’astérisque
alors le dedans se réduit au mandala
avec des parois en peau
et la pen­d­ule qui se remet en marche
remon­tée par le bec d’un oiseau.
Aus­sitôt on cesse de déchiffr­er les mots
que l’on prononce à son insu
afin de gom­mer les impuretés d’un dehors
daté de l’an zéro de l’Hégire.
 

∗∗∗

La douleur : notre fruit
plus écar­late que le sel.
Nous aimions comme on pleure en rêve
absents
et le cœur posé à côté de nous
sur la margelle.

Nous fûmes chute inopinée
peur merveilleuse
avec les pieds par-dessus tête :
flamme florale
saisie dans toute sa ferveur.

D’autres annon­ci­a­tions viendront
quand se rétré­ci­ra le monde
et que reten­ti­ra l’ordre
de s’effacer ensemble
sans masques ni parures
échap­pant à nos chairs
tel un feu à l’envers.
 

Présentation de l’auteur

Nohad Salameh

L’un des poètes les plus mar­quants du Liban fran­coph­o­ne.  Née à Baal­bek. Après une car­rière jour­nal­is­tique dans la presse fran­coph­o­ne de Bey­routh, elle s’installe à Paris en 1989. De son père, poète en langue arabe et fon­da­teur du mag­a­zine lit­téraire Jupiter, elle hérite le goût des mots et l’approche vivante des sym­bol­es. Révélée toute jeune par Georges Schehadé, qui voy­ait en elle «  une étoile promet­teuse du sur­réal­isme ori­en­tal », elle pub­lie divers recueils dont les plus récents sont : La Revenante, Pas­sagère de la durée (édi­tions Phi, 2010) et D’autres annon­ci­a­tions (Le Cas­tor astral, 2012). Elle a été saluée par Jean-Claude Renard pour son « écri­t­ure à la fois lyrique et dense, qui s’inscrit dans la lignée lumineuse de Schehadé par­mi les odeurs sen­suelles et mys­tiques de l’Orient ». Elle a reçu le prix Louise Labé pour L’Autre écri­t­ure (1988) et le Grand Prix de poésie d’Automne de la Société des Gens de Let­tres  en 2007. Elle est mem­bre du jury Louise Labé.

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