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Philippe Mac Leod, Supplique du vivant et Variations sur le silence

Le poète (ancien sacristain de la cathédrale de Saint-Bertrand de Comminges, chroniqueur à La Vie) disparu en février de l’année 2019 continue de nous mener par la main sur la voie de la concorde de soi. Mais qui donc pince les cordes ? 

(…) Le silence place ses nœuds et ramène tout l’espace au profond giron, écrit Philippe Mac Leod dans Supplique du vivant (poème Jusqu’à l’épuisement) : texte prémonitoire. Impossible lecture de Philippe Mac Leod, tant sa disparition pèse ligne après ligne. Au hasard de la lecture, page 54 (poème On ne sait pas comment) : Mais qui donc cherches-tu ? Le sais-tu au moins ? La vie n’est plus là — elle bourdonne en ses cristaux éphémères sans cesse renouvelés, atomes de lumière dans l’immensité de l’oubli. Mais qui donc cherches-tu ? As-tu trouvé ?

Peut-être déjà une fêlure dans le silence : (…) Comment le pied dans la déchirure a touché la terre ferme s’accordant aux semelles volontaires et mordantes.

Le pied dans la déchirure : on ne peut s’empêcher d’aller rendre visite à Pascal Quignard décryptant Masachio qui, en 1414, entra dans la chapelle Brancassi de l’église Santa Maria del Carmine à Florence et peignit Adam et Ève chassés du paradis. Adam laissant son pied droit traîner sur la terre d’Éden.

Philippe Mac Leod, Variations sur le silence,
Ad Solem, Paris, 2019, 92 pages, 14,50 euros

 

Le secret de l’image tient tout entier par le pied pris dans la porte, écrit Quignard (fuir le paradis veut dire avoir encore un pied dedans). Le pied droit est empreint dans le paradis. Seul le sinister (le gauche) court le monde convenu.

 

Un seul pas, et sûr, agile, (…), un pas, un oui, une trace peut-être (…). Viens — ce n’est plus l’heure. C’est le temps qui t’appelle.

 

Mac Leod conclut Supplique du vivant (poème À quai) d’un :

 

tout s’efface
l’espace est de retour

 

Il dédicace le livre à sa mère : comme lui, faisons retour… un retour En ville, premier poème du livre-espace, et écoutons (car lire, c’est écouter la voix) :

 

 

Et qui doutera de la traversée ?
Puisque l’enflement des solitudes nourrit le bourgeon d’un baiser
La vie au-dedans de la vie
Le monde quand il s’éloigne du monde
Se rapprochant de ce qui a toujours été.

 

 

Philippe Mac Leod , Supplique du vivant,
Ad Solem, Paris, 2019, 88 pages, 14 euros

Rappelons le nom des poèmes/chapitres de cette Supplique : En ville / Si loin si proche / Les chemins de la lumière / Rose d’un jour / D’un pays disparu / Jusqu’à l’épuisement / On ne sait pas comment / L’irréductible et l’inachevé / Le poème de la montagne / À quai. On peut choisir de lire tel ou tel, on peut choisir de se laisser glisser vers un autre, et bercer, et aimer.

Les éditions Ad Solem ne se contentent pas d’éditer ce texte travaillé dans le marbre vif, sensible, d’une poésie emprunte de foi vibrante (que chacun peut reconnaître, y compris celui qui s’en croit éloigné), non, elles publient également Variations sur le silence du même Mac Leod, ouvrage construit en deux parties : Terres du silence et Demeures du silence. Ainsi le pied gauchi (sinister), par la grâce du poète si bien aimé de l’éditeur, retrouve le pied qui n’a jamais quitté le paradis dans la fresque de Masachio. Mac Leod écrit :

 

J’ai bien quitté cette vie — je ne sais plus comment — pour abriter celle qui ne peut pas mourir puisqu’elle n’est d’aucun temps. 

 

Le silence est musique.

 

Présentation de l’auteur

Philippe Mac Leod

Philippe Mac Leod est né en 1954, et est décédé en février 2019. Il a vécu dans les Pyrénées, où il a mèné une vie contemplative qui a inspiré sa poésie axée autour de la quête de transparence qui est au cœur de son expérience spirituelle.

Poèmes choisis

Autres lectures




Chronique du veilleur (8) – Philippe Mac Leod, Le vif, le pur

Pour Philippe Mac Leod, la poésie n’a jamais été un art. C’est ce qu’il déclarait en conclusion de La liturgie des saisons (Le Castor Astral), après avoir obtenu en 2001 le prix Max-Pol Fouchet. Quoi donc ? Une « conquête » de soi-même, une aventure spirituelle, une lecture lente et passionnée du grand livre de la nature.

Philippe Mac Leod vit dans les Pyrénées, dans un village à l’écart des tumultes de ce monde, une vie solitaire et contemplative. Il a publié récemment, chez Ad Solem, un livre de méditations, Avance en vie profonde, d’une très grande richesse, d’une force entraînante où l’émerveillement devant l’énigme de la création est l’énergie principale. Son lyrisme, nourri par une foi profonde, prend de plus en plus d’ampleur au fil des volumes, il sait dire l’indicible et l’impalpable avec une sensibilité rare, qui émeut et illumine à la fois.

 Le vif, le pur (Le Passeur éditeur) réunit des poèmes qui interrogent le jour, « à la pointe extrême de l’univers », dans un paysage de montagnes où tout semble purifié, resté intact :

 O jour –chair du monde- vierge sur la pierre quand l’hiver aiguisé te prête ses transparences et que la terre se creuse comme un berceau-
tu nous parles de résurrection, nous l’attendons mais tu étais là et nous ne le savions pas !

Philippe Mac Leod,Le vif, le pur, Le Passeur éditions, 2013, 92 pages, 15 euros.

Philippe Mac Leod, Le vif, le pur, Le Passeur éditions, 2013, 92 pages, 15 euros.

Bien sûr, comment ne pas penser alors à la présence du Ressuscité, dont le corps radieux s’élève depuis l’aube de Pâques dans l’infini de la lumière ? Tout est lié à lui, invisiblement, par la puissance vivifiante de l’Esprit. L’homme de prière, qui est aussi poète, laisse sa prière « devenir présence », laisse monter du fond de l’âme, dans le silence, la vie divine qui y est enclose. Pour que cette aube advienne, il faut faire silence, s’ouvrir au plus loin et au plus haut.

le clair ! l’ouvert !
où tu respires enfin
sans qu’il soit besoin d’être grand
l’infini au bout des mains
et le silence, son fouet à pleine gorge
 mais sans ivresse, pas à pas
 jusqu’au sommet où vivent les humbles.

C’est sur cette cime que nous engage à monter Philippe Mac Leod. Il nous invite à voir le plus ténu, à respirer l’air le plus vif, à écouter « un murmure de la terre », à avancer sur un chemin « haut dressé », tout intérieur mais « tissé d’un fil d’horizon ». S’adressant à ce chemin lui-même, il termine ce très beau livre en s’exclamant :

apprends-moi l’oubli, la perfection du bleu, pour avancer plus léger que l’oiseau blanc, plus rapide que l’écume grisante
jusqu’au bout
jusqu’au bout d’un élan qui te revient.

Son œuvre dessine une sorte de ligne de crête poétique et spirituelle, où la vraie vie, pure, fraîche, nous est offerte, « la vie lisse / dans un grand regard bleu/ qui pourrait être le nôtre. »

Chronique du veilleur

Retrouvez l'ensemble de la Chronique du veilleur, commencée en 2012 par Gérard Bocholier