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Marilyne BERTONCINI, Mémoire vive des replis, Sable

Marilyne BERTONCINI – Mémoire vive des replis

La poésie de Marilyne Bertoncini est singulière, en ce qu’elle s’appuie fréquemment sur des choses matérielles, pour prendre essor, à la façon d’une nageuse qui a besoin de donner un coup de talon contre le fond pour gagner la surface de son élément, en l’occurrence la fluidité de la langue. 

Cela peut engendrer des poèmes issus de peintures, d’une sculpture rêvée, ou comme c’est ici le cas, de photos suggestives des replis issus de la nature, veines de bois, feuillures, écorces, tissus, sédimentations indéfinissables ou, pour l’autre volume, de pages sableuses, étranges, palimpsestes virtuels qui révèlent une part synecdotique de ce qu’elles dissimulent : on imagine un corps enfoui là où, comme rose des sables désenlisée par le vent, transparaît sa seule main d’or.

On pourrait voir dans ces deux recueils l’envers et l’endroit d’une parabole qui, d’une part, rêve sur le repli où se dissimule l’énigme de l’humain ; et de l’autre sur le dépli qui offre à lire toutes sortes de traces et d’empreintes de cette énigmequi chemine à travers les sablons du temps. Et de fait, les deux livres se commentent réciproquement. Ainsi dans le premier (Mémoire…page 23) on peut lire :

Marilyne BERTONCINI, Mémoire vive des replis, 
Ed ; « Pourquoi viens-tu si tard », Poésie N° 20.

Les mots crissent comme le sable dans l’infini du sablier
que je renverse en ma mémoire où bat l’aile de
l’éventail

 

                 et s’envolent mes souvenirs   
                  à l’horizon des goélands

Un horizon « volatile » qui présente « ...l’air un peu flou d’un lointain paysage/dans le brouillard ». On sait que lorsqu’il y a du flou, c’est que le loup n’est pas loin, mais juste au-delà du visible, tel un amer dissimulé par le grand large ! Cependant, le questionnement du poème est une façon d’interroger un « au-delà » qui n’est pas obligatoirement religieux, mais le refuge inatteignable de ladite énigme. Un « au-delà de la conscience ». Je ne tenterai pas de me hisser au niveau des commentaires de la préface de Carole Mesrobian, à qui notre poétesse est familière. Je vois cependant cette poésie moins comme fouillant les replis de la mémoire pour en faire surgir une enfance, que pour en faire surgir ce qui, d’une enfance, est la composante irréductible, l’étincelle insaisissable et inextinguible qui nous intéresse lorsque les années nous ont permis de constater que son mystère, pour peu qu’on y prête attention, est intact. C’est donc moins à l’enfance, qu’à mettre le doigt de l’écriture, grâce à la réminiscence, sur ce que l’enfance recèle et qui demeure jusqu’à la fin d’une vie, à quoi le poème bertoncinien s’attache. (Cfr le poème de la page 67) :

 

 

Ainsi 

 dans d’autres temps   jadis
j’ai vécu d’autres vies
et c’était déjà moi
j’étais pourtant une autre

 Je rebrousse le temps au fil de l’écriture
Le rêve me ramène au flot des leurre
où se réverbère le monde

 Mémoire vive des replis
où se cache la vérité

 

Qui dit replis, évidemment dit « mer », dit dunes, dit océan, océan de sable, par ex. Sahara (cfr. Sable,p.32.) Ainsi le livre du « Sable » complète, du déploiement des replis, l’exposition troublante de l’irréductibe poétique dont je parlais, qui se propage à travers les mots à la façon d’une onde secrète. Évidemment, « mer », c’est aussi mère, femme, engendrement, enfance, avec tout ce que cela comporte de fascinants mystères originels, que M. Bertoncini a désignés du mot de « vérité ». Il n’est donc pas surprenant que Sable s’ouvre sur la dédicace :« À ma mère », celle qui a transmis l’onde de l’élan vital. Lorsque les mots en effet donnent l’intuition de propager cette onde, à travers le sablier du temps, le langage n’est plus le plat transmetteur d’informations habituel. Un frémissement secret le parcourt, fait apparaître parfois quelque éclat doré, traduit une couleur, ostend une goutte de rosée, ou quelques traces de cet inconnu, au plus obscur de l’être humain (ou disons de l’être « humanité »), toujours nouveau, -  selon l’injonction de  la quête baudelairienne – qui est à la fois le trait majeur de la poésie, et celui de la spiritualité qui nous caractérise, homme et femmes, en tant que membres de l’Humanité.

 

 

Marilyne Bertoncini, Sable, poèmes en français avec
trad. en allemand d’Eva Maria Berg, et Wanda Mihuelac
pour
 les œuvres graphiques,  Editions Transignum, Paris, 2019.

Présentation de l’auteur

Marilyne Bertoncini

Marilyne Bertoncini : poète, traductrice (anglais-italien), revuiste et critique littéraire, membre du comité de rédaction de la revue Phoenix, elle s'occupe de la rubrique Musarder sur la revue italienne Le Ortique, consacrée aux femmes invisibilisées de la littérature, et mène, avec Carole Mesrobian, la revue numérique Recours au Poème, à laquelle elle collabore depuis 2013 et qu'elle dirige depuis 2016. 

Autrice d'une thèse, La Ruse d'Isis, de la Femme dans l'oeuvre de Jean Giono, et titulaire d'un doctorat, elle a été vice-présidente de l’association I Fioretti, pour la promotion des manifestations culturelles au Monastère de Saorge (06) et membre du comité de rédaction de la Revue des Sciences Humaines, RSH (Lille III). Ses articles, essais et poèmes sont publiés dans diverses revues littéraires ou universitaires, françaises et étrangères. Parallèlement à l'écriture, elle anime des rencontres littéraires, Les Jeudis des Mots, à Nice, ou les Rencontres au Patio, avec les éditions PVST?, dans la périphérie du festival Voix Vives de Sète. Elle pratique la photographie et collabore avec des artistes, musiciens et plasticiens.

Ses poèmes sont traduits en anglais, italien, espagnol, allemand, hébreu, bengali, et chinois.

 

bibliographie

Recueils de poèmes

La Noyée d'Onagawa, éd. Jacques André, février 2020

Sable, photos et gravures de Wanda Mihuleac, éd. Bilingue français-allemand par Eva-Maria Berg, éd. Transignum, mars 2019

Memoria viva delle pieghe, ed. bilingue, trad. de l'autrice, ed. PVST. Mars 2019

Mémoire vive des replis, texte et photos de l’auteure, éd. Pourquoi viens-tu si tard – à paraître, novembre 2018

L’Anneau de Chillida, Atelier du Grand Tétras, mars 2018 (manuscrit lauréat du Prix Littéraire Naji Naaman 2017)

Le Silence tinte comme l’angélus d’un village englouti, éd. Imprévues, mars 2017

La Dernière Oeuvre de Phidias, suivi de L'Invention de l'absence, Jacques André éditeur, mars 2017.

Aeonde, éd. La Porte, mars 2017

La dernière œuvre de Phidias – 453ème Encres vives, avril 2016

Labyrinthe des Nuits, suite poétique – Recours au Poème éditeurs, mars 2015

 

Ouvrages collectifs

- Le Courage des vivants, anthologie, Jacques André éditeur, mars 2020

- Sidérer le silence, anthologie sur l’exil – éditions Henry, 5 novembre 2018

- L’Esprit des arbres, éditions « Pourquoi viens-tu si tard » - à paraître, novembre 2018

- L’eau entre nos doigts, Anthologie sur l’eau, éditions Henry, mai 2018

- Trans-Tzara-Dada – L’Homme Approximatif , 2016

- Anthologie du haiku en France, sous la direction de Jean Antonini, éditions Aleas, Lyon, 2003

Traductions de recueils de poésie

-Soleil hésitant, de Gili Haimovich, éd. Jacques André (à paraître 2021)

-Un Instant d'éternité, bilingue (traduit en italien) d'Anne-Marie Zucchelli, éd. PVST, 2020

- Labirinto delle Notti (inedito) nominé au Concorso Nazionale Luciano Serra, Italie, septembre 2019

- Tony's blues, de Barry Wallenstein, avec des gravures d'Hélène Bauttista, éd. Pourquoi viens-tu si tard ? , mars 2020

- Instantanés, d‘Eva-Maria Berg, traduit avec l’auteure, éditions Imprévues, 2018

- Ennuage-moi, a bilingual collection , de Carol Jenkins, traduction Marilyne Bertoncini, River road Poetry Series, 2016

- Early in the Morning, Tôt le matin, de Peter Boyle, Marilyne Bertoncini & alii. Recours au Poème éditions, 2015

- Livre des sept vies , Ming Di, Recours au Poème éditions, 2015

- Histoire de Famille, Ming Di, éditions Transignum, avec des illustrations de Wanda Mihuleac, juin 2015

- Rainbow Snake, Serpent Arc-en-ciel, de Martin Harrison Recours au Poème éditions, 2015

- Secanje Svile, Mémoire de Soie, de Tanja Kragujevic, édition trilingue, Beograd 2015

- Tony’s Blues de Barry Wallenstein, Recours au Poème éditions, 2014

Livres d'artistes (extraits)

Aeonde, livre unique de Marino Rossetti, 2018

Æncre de Chine, in collection Livres Ardoises de Wanda Mihuleac, 2016

Pensées d'Eurydice, avec  les dessins de Pierre Rosin :  http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-pierre-rosin/

Île, livre pauvre avec un collage de Ghislaine Lejard (2016)

Paesine, poème , sur un collage de Ghislaine Lejard (2016)

Villes en chantier, Livre unique par Anne Poupard (2015)

A Fleur d'étang, livre-objet avec Brigitte Marcerou (2015)

Genèse du langage, livre unique, avec Brigitte Marcerou (2015)

Daemon Failure delivery, Livre d’artiste, avec les burins de Dominique Crognier, artiste graveuse d’Amiens – 2013.

Collaborations artistiques visuelles ou sonores (extraits)

- Damnation Memoriae, la Damnation de l'oubli, lecture-performance mise en musique par Damien Charron, présentée le 6 mars 2020 avec le saxophoniste David di Betta, à l'ambassade de Roumanie, à Paris.

- Sable, performance, avec Wanda Mihuleac, 2019 Galerie

- L'Envers de la Riviera  mis en musique par le compositeur  Mansoor Mani Hosseini, pour FESTRAD, festival Franco-anglais de poésie juin 2016 : « The Far Side of the River »

- Performance chantée et dansée « Sodade » au printemps des poètes  Villa 111 à Ivry : sur un poème de Marilyne Bertoncini, « L’homme approximatif » , décor voile peint et dessiné,  6 x3 m par Emily Walcker  :

l’Envers de la Riviera  mis en image par la vidéaste Clémence Pogu – Festrad juin 2016 sous le titre « Proche Banlieue»

Là où tremblent encore des ombres d’un vert tendre » – Toile sonore de Sophie Brassard : http://www.toilesonore.com/#!marilyne-bertoncini/uknyf

La Rouille du temps, poèmes et tableaux textiles de Bérénice Mollet(2015) – en partie publiés sur la revue Ce qui reste : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-berenice-mollet/

Préfaces

Appel du large par Rome Deguergue, chez Alcyone – 2016

Erratiques, d’ Angèle Casanova, éd. Pourquoi viens-tu si tard, septembre 2018

L’esprit des arbres, anthologie, éd. Pourquoi viens-tu si tard, novembre 2018

Chant de plein ciel, anthologie de poésie québécoise, PVST et Recours au Poème, 2019

Une brèche dans l'eau, d'Eva-Maria Berg, éd. PVST, 2020

 

(Site : Minotaur/A, http://minotaura.unblog.fr),

(fiche biographique complète sur le site de la MEL : http://www.m-e-l.fr/marilyne-bertoncini,ec,1301 )

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