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Clara Régy, Ourlets II

Cet ouvrage instaure un face-à-face imprévu entre un père et sa fille Clara Régy : lun occupe les pages paires, l’autre les pages impaires. Chaque verso lié au recto suivant participe à ce dialogue entre les générations. Les paroles échangées se distinguent graphiquement : le père en caractères gras, la fille en caractères maigres.

De ces deux approches - paternelle et filiale - émane un monde simple de la campagne ou de la province, conforté par le tableau de la couverture1. Les membres de cette famille, dont l’âge se perçoit au langage distinct sont, d’une certaine manière, complémentaires dans leur appréhension sereine de la vie commune.

Dans ce vis-à-vis livresque, le père fait preuve d’esprit pratique et de précision. Il témoigne d’une autre manière de vivre plus ancestrale. Pragmatique, il nomme les choses par leur marque, à l’ancienne en quelque sorte : les plaquettes anti-mouches sont des Catch, la cuisinière est une Arthur Martin, les pensées en pot sont des Viola, le journal consulté est un réabonnement à Notre Temps à 32 € 50, la liste des commissions barrée lorsqu’elles sont faites« l’autorail arrive » enfin à 12h36. Autant de dénominations et de noms qui emportent notre mémoire vers un certain autrefois – surtout de jardinage - où il y avait moins de choix.

Clara Régy, Ourlets II, Ed.
Lanskine, 2019, 13€

L’autre voix, celle de la fille, est celle de l’observatrice. Elle est tour à tour attentive au corps et à l’âme de son père. Elle en perçoit la bouche (« ta bouche parle »), le bras (« ton bras fort »), la main (« des piécettes… dans ta main »), l’anatomie dans l’habit (« ton corps se dessiner sous la toile du jean ») et des gestes (« tu cramponnes le temps au creux des arrosoirs »).  Elle retient certains objets personnels  (« ton agenda noir» ou « ta blouse de travail bleu bugatti »). Elle présente les êtres vivants : les animaux (« ton chat »), et aussi … l’épouse (« ta femme »). Elle aborde enfin la parole portée par le langage  (« les femmes se succèdent dans tes mots », boulangère ou religieuses) lequel se développe et se mue parfois en « récits pulpeux » ou en écriture (« tu écris »). La personnalité se précise avec l’expression (« ton sourire ») ou un trait de caractère (« ta fierté », « ta malice »). L’autrice vit son ancêtre en le jaugeant dans sa totale autonomie : « ton, ta, etc. ». Cette réitération d’adjectifpossessifs – ton, ta, tes – non seulement dessinent un être, mais aussi une manière de se l’approprier, de dire ainsi l’affection qu’on lui porte (« j’habitue mon cœur à tes récits… »). Il serait amusant de reconstituer ce père avec ce qui le définit, de la bouche à l’agenda, de l’allure aux propos légers. Ces « ta, ton » projettent curieusement la fille dans la peau du père, confortant la symbiose affective qui culmine dans l’ultime constat : « tu es heureux ».

Quelques faits renvoient au temps qui passe : « le porte-monnaie géant » vu par la fillette devient minuscule lorsqu’elle le revoit en tant qu’adulte.  Devenue majeure, la jeune femme peut aussi écouter sans rougir ses récits pulpeux ou se remémorer ses pleurs d’enfant dans un parc. Ce temps, évoqué avec les poissons en bocal, est partout présent dans le regard de la fille, tandis que le père vit dans l’instant brut. La conjonction ultime père-fille se fait avec la météo pluvieuse constatée par le père ce 20 mars2, jour où l’éclipse du soleil est « ratée ». Il en découle un sentiment métaphysique chez la fille qui constate le phénomène et l’attente de ce père « suspendu au temps qu’il fait – en toi -», autrement dit en lui. Façon de dire la vieillesse, le grand âge.

Reste la bizarrerie du titre. Chacun et chacune peut l’interpréter selon ses caprices. Est-ce un vrai ourlet de couturier/e pour finir un vêtement en repliant l’étoffe ? Est-ce un ourlet au figuré symbolisant qu’un même être (le père) se plie comme un tissu pour devenir sa fille ? Une référence familiale ? Ainsi le titre reste ourlé de mystère, d’autant qu’il se décline en deux parties, dont nous n’abordons que la IIème !

Notes

(1) Une maisonnette rassurante tout en briques de Dorian Cohen, est enfouie dans la verdure et les fleurs. Elle pourrait aisément être habitée par ce père et sa fille.
(2) Après vérification c’est en 2015.

Présentation de l’auteur

Clara Regy

Clara Regy est née à Angers en 1959, Elle vit en Bretagne et publie depuis 2011 dans des revues imprimées et diverses revues numériques. Elle est l'auteure de Furet, Prix des Trouvères, collection Les Écrits du Nord, de Lycaons, éditions Henry, collection La Main aux Poètes, et d'Ourlets II, paru chez Lanskine.

 

Poèmes choisis

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Gérard Bocholier, Les Étreintes Invisibles

Je lis de loin en loin Gérard Bocholier en revues et je crois bien que c'est la première fois que je le lis dans un recueil, "Les Étreintes invisibles". Quatre ensemble de poèmes composent ce dernier. Le premier, intitulé Attentions, témoigne d'une enfance visitée par le présent. Si Gérard Bocholier fait allusion à sa croyance, c'est toujours avec beaucoup de légèreté, comme en passant, au détour d'un mot (âme, annonciation, prière, ange…). Seuls, peut-être, ces poèmes, "À genoux" et "Improvisation du jour" en disent plus mais rien qui n'impose ; mais ce n'est sans doute qu'un effet de l'indication du lieu qui leur a donné naissance ? Car Gérard Bocholier est profondément humain et tous les poèmes de cette suite sont placés sous le signe du partage.

Le deuxième ensemble, Frères de lumière, regroupe des poèmes qui sont des exercices d'admiration dans lesquels Gérard Bocholier rend à quelques poètes ce qu'il leur doit. Le point de départ semble (j'ai oublié mes lectures !) être un vers (indiqué en italiques) de l'auteur qui donne son nom au titre du poème. Exercices d'admiration car Bocholier prend son bien là où il se trouve pour en faire son miel.

Gérard BOCHOLIER, "Les Étreintes invisibles". L'Herbe qui tremble éditeur

 Gérard BOCHOLIER, Les Étreintes invisibles,
L'Herbe qui tremble éditeur, 112 pages, 15 €.

Sur commande chez l'éditeur :
25 Rue Pradier 75019 Paris
ou sur le site www.lherbequi tremble.fr

 Ce n'est sans doute pas un hasard si Jean Grosjean fait partie de ces frères de lumière, Jean Grosjean sous le signe de qui ce recueil est placé : "J'entends frémir les jours éternels", longtemps prêtre et qui traduisit La Bible. À son image, on peut définir Gérard Bocholier comme un "mystique toujours en questionnement", qui n'en finit pas de dire le temps, un certain temps (celui de son enfance) sur un ton d'une grande simplicité, sans effusions lyriques inutiles. Mais on trouve aussi dans cette partie un poème en hommage à Guillevic, le mystique sans dieu qui, pour reprendre les mots de Jean Rousselot, préfère la magie à la logique…

Du troisième ensemble intitulé Étreintes, je retiens le poème "Aux oiseaux" que traverse une approche franciscaine du monde, pour ne pas dire humble. J'ignore si Gérard Bocholier poursuit le questionnement du monde, mais je suis sûr qu'il se confronte sans cesse à ce qu'il pense être la lumière de l'univers. Certain également que si le passé n'est pas absent de ces poèmes (la place accordée aux morts est significative), le présent colore ces vers…

Dans la quatrième partie, Psalmodies, Gérard Bocholier continue de célébrer le monde tout en essayant de percer le mystère du poème qui est "une éraflure / Que l'âme rend plus profonde", à moins de se chercher soi-même. Alors peut-être faut-il se souvenir de la définition de la psalmodie qui désigne la manière de chanter les psaumes sur une note et qui, par extension, signifie une façon monotone de réciter ou de déclamer… Cette dernière partie, composée de 17 poèmes de deux quatrains d'heptasyllabes, si elle indique de Bocholier s'adresse à son dieu, peut être lue comme un partage offert aux lecteurs quelles que soient leurs croyances ou leur absence de croyance.

Et puisqu'il est question d'heptasyllabes, je ne peux m'empêcher de penser au poème d'Aragon, "La Rose et le Réséda", qui est écrit avec un tel mètre. Poème qui met sur un même plan "Celui qui croyait au ciel / Celui qui n'y croyant pas", le lecteur attentif remarquant que si les vendanges reviennent fréquemment sous la plume de Bocholier, le raisin muscat est présent dans le poème d' Aragon…

Présentation de l’auteur

Gérard Bocholier

Gérard Bocholier est né en 1947 à Clermont-Ferrand, il a fait ses études dans cette ville où il a ensuite enseigné la littérature française en classe de lettres supérieures. Originaire d’une famille de vignerons de la Limagne et franc-comtois par sa mère, il a passé son enfance et sa jeunesse dans le village de Monton, au sud de Clermont-Ferrand, qu’il évoque dans son livre Le Village emporté, paru en 2013 aux éditions L’Arrière-Pays.

En 1971, il a reçu des mains de Marcel Arland, directeur de la NRF, le prix Paul Valéry réservé à un étudiant. La lecture de Pierre Reverdy, à qui il consacre un essai en 1984, Pierre Reverdy le phare obscur (Champ Vallon) détermine définitivement sa vocation de poète. Il commence à publier des volumes de vers aux éditions Rougerie, le premier : Le Vent et l’homme en 1976. Cette même année, il participe à la fondation de la revue de poésie ARPA, avec d’autres poètes d’Auvergne et du Bourbonnais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis.

Gérard Bocholier

D’autres rencontres viennent éclairer sa route : celle de Jean Grosjean, puis de Jacques Réda, qui l’accueillent dans la NRF, où il publie des poèmes et où il devient chroniqueur régulier de poésie à partir des années 90. Il rencontre aussi Anne Perrier, grand poète de Suisse romande, avec qui il noue une amitié affectueuse et dont il préface les œuvres complètes en 1996 aux éditions de l’Escampette.

Il remporte le prix Voronca en 1979, pour Chemin de guet, puis le prix du poème en prose Louis Guillaume en 1987 pour Poussière ardente (Rougerie). En 1991, le Grand Prix de poésie pour la jeunesse du Ministère de la jeunesse et des sports lui est décerné pour un manuscrit de poèmes pour enfants qui sera publié en 1992 dans la collection du Livre de poche chez Hachette, sous le titre : Poèmes du petit bonheur.

Devenu directeur de la revue ARPA, il collabore également comme critique de poésie à La Revue de Belles Lettres de Genève, au Chemin des livres, à Recueil puis au Nouveau Recueil. Il rassemble certains de ses articles dans un essai, Les Ombrages fabuleux, aux éditions de L’Escampette en 2003. Il participe à plusieurs ouvrages collectifs, dont les cahiers 10 et 17 au Temps qu’il fait, consacrés à Pierre-Albert Jourdan et à Roger Munier. Deux livres de poèmes pour la jeunesse sont encore publiés, aux éditions Cheyne, illustrés par Martine Mellinette : Terre de ciel  et Si petite planète.

Il entre dans la prestigieuse collection des éditions Arfuyen en 2006 avec La Venue et en 2012 avec Belles saisons obscures.  En 2011, son livre de vers et proses, Abîmes cachés (L’Arrière-Pays), est couronné par le prix Louise Labé. Son engagement religieux se fait plus direct , il se consacre essentiellement à l’écriture de psaumes à partir de 2009 et publie chez Ad Solem : Psaumes du bel amour (2010), préfacé par Jean-Pierre Lemaire, et Psaumes de l’espérance (2012), avec un envoi de Philippe Jaccottet, récompensé par le prix François Coppée de l’Académie Française. D’autres livres de psaumes sont prévus chez le même éditeur. Un essai paraît en 2014 chez Ad Solem : Le poème exercice spirituel.

Il tient une chronique de lectures, Chronique du veilleur, depuis 2012, sur le site de Recours au poème.

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