J’avais à l’esprit à la suite de la lec­ture du recueil de Gérard Bocholi­er que pub­lient les édi­tions de La Coopéra­tive, quelque chose qui tendrait à exam­in­er les notions d’avant et d’après. Pour mieux dire, je pen­sais même à l’image d’un fleuve, d’un cours d’eau, d’une sorte de Carte du ten­dre mais ori­en­tée par deux pôles  : l’amont et l’aval, la par­tie mon­tante et la par­tie descen­dante de l’amour. Car je crois que nous parta­geons avec ce livre les heures heureuses et les sou­venirs liés à une vie amoureuse qui elle aus­si suit un chemin de riv­ière, depuis le point haut de la ren­con­tre physique jusqu’au sou­venir et la con­ju­gai­son au passé de ces heures chaudes partagées avec l’être aimé, qui n’est peut-être plus là, absent  ? dis­paru  ? on ne sait.

Gérard Bocholi­er, Tisons, éd. La Coopéra­tive, 2018, 15€.

D’ailleurs, le titre même, Tisons, laisse enten­dre qu’il faut brûler d’amour, de façon physique (et qui sait ? spir­ituelle­ment), et tout comme le feu se défaire de sa nature de com­bus­tion pour aller dans le chemin des cen­dres, voie toute logique des brais­es. Y a‑t-il une idylle et la fin d’une idylle  ? En répon­dant par l’affirmative, c’est cette option de lec­ture que j’ai prise. D’ailleurs, les dates qui closent le livre cou­vrent une péri­ode de vingt ans, ce qui pour­rait faire penser que cet amour a duré, s’est péren­nisé longue­ment pour décroître (les poèmes ten­dant à cette supputation).

L’ouvrage est con­stru­it du reste en deux par­ties assez dis­tinctes, et qui suiv­ent cette fatal­ité de la célébra­tion de la chair, de l’œuvre physique de l’amour, et peut-être encore de la méta­physique ardente de la ren­con­tre d’autrui, et en ce sens on pense naturelle­ment aux très belles pages de Con­stan­tan Cavafy. Cette approche de la matéri­al­ité du désir est vrai­ment universelle.

En ce qui con­cerne la deux­ième par­tie, sans doute plus longue en vol­ume que la pre­mière, elle se con­jugue plus facile­ment au passé, et en ce sens fait l’ombre à la lumière des pre­miers poèmes, décrit la part som­bre de la pas­sion qui s’est éloignée et, si mon option de lec­ture est la bonne, sig­ni­fie com­ment on fait le deuil d’une rela­tion encore vivace. Car je per­siste à croire que le recueil est fait d’un amont et d’un aval, et que cette rela­tion amoureuse a suivi dans la vie du poète, ou au moins dans son imag­i­na­tion, un chemin du plein vers le vide, du corps au sou­venir, de quelque chose de vif et de chaud vers autre chose de plus froid et de plus réfléchi.

Citons un petit exem­ple à même de faire sen­tir ce bal­ance­ment et prenant tout sim­ple­ment cha­cun des deux poèmes qui ouvrent les deux parties :

 

Nous avons con­nu le meilleur du soir
Entre deux tem­pêtes furtives

Nos mains ont repris leurs chances

Nos voix se sont effleurées
Heureuses de leurs écarts

Nos yeux ont bu la même coupe
Des demi-aveux sous les larmes.

 

Et  :

 

J’apprends désor­mais le silence
Celui des pièces qui se vident

Celui du cœur nu qui déborde
Le froid de mes draps sans un pli

Ton blanc vis­age de fantôme
Comme une lame dans ma nuit

 

Nonob­stant, et même si mon idée d‘un cours mon­tant puis descen­dant au milieu de la vie amoureuse, de la com­bus­tion des corps vers l’intellection de la rela­tion à autrui, est arbi­traire, je crois que ces pages, dont l’écriture est très trans­par­ente, lyrique et retenue par­fois notam­ment au sujet des émo­tions, lesquelles ne débor­dent pas vers un faux roman­tisme, il y a une sagesse pro­pre à l’homme, pro­pre au poète ici qui par­le de vingt ans de vie sen­ti­men­tale. Et cela suf­fit ample­ment pour faire le chemin un moment avec ces textes où l’on partage, mais pudique­ment, une philoso­phie de l’amour. Et quoi qu’il puisse en être véri­ta­ble­ment de la vie de l’auteur, ces pages sont prenantes et fortes, tout comme le par­fum d’une tubéreuse, entê­tant et capi­teux. Avant de con­clure ces notes en com­pag­nie du poète cler­mon­tois, j’ajouterai que l’on pour­rait met­tre en exer­gue au recueil ce vers très célèbre d’Henri Michaux : Je cherche un être à envahir.

 

Com­ment faire dur­er le brasier ?

Et l’explosion de jasmin
L’or semé sur les épaules ?

La sueur sur les ombelles
L’herbe en extase après l’averse  ?

 

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Didier Ayres

Didi­er Ayres est né le 31 octo­bre 1963 à Paris et est diplômé d’une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voy­agé dans sa jeunesse dans des pays loin­tains, où il a com­mencé d’écrire. Après des années de recherch­es tant du point de vue moral qu’esthé­tique, il a trou­vé une assi­ette dans l’ac­tiv­ité de poète. Il a pub­lié essen­tielle­ment chez Arfuyen. Il écrit aus­si pour le théâtre. L’au­teur vit actuelle­ment en Lim­ou­sin. Il dirige la revue L’Hôte avec sa com­pagne. Il chronique sur le web mag­a­zine “La Cause Littéraire”.