à propos des Elégies de Bierville de Carles Riba

 

Des douze élé­gies de Car­les Riba, il est dif­fi­cile de ren­dre la forme hyp­no­tique des vers, la den­sité de la tex­ture. On ne trou­ve que des mots comme : énigme, mys­tère, présence mys­tique, pour for­mer une escorte intel­lectuelle à cet ouvrage d’une grande inten­sité. Cepen­dant, on peut peut-être dégager deux choses : le rap­port du poète à la matière (aux matières devrait-on mieux dire) et sa rela­tion à Dieu. Il faut aus­si par­courir les deux pré­faces de l’au­teur, pour solid­i­fi­er son idée. On y trou­ve une réflex­ion du poète sur la poésie, dans des ter­mes généraux mais très per­ti­nents, qui facilite l’ac­cès à cette poésie pleine, habitée, à la fois spir­ituelle et sensuelle. 

 

[…] La Poésie, il faut la chercher là où l’on sait qu’elle est. […] Elle attend, comme la vérité à laque­lle elle est unie, comme la source la plus cachée et la plus pure vers laque­lle la soif ouvre le chemin. Comme l’Amour, dont on s’ap­proche en aimant, comme Dieu qui s’aime en celui qui apprend à s’aimer. 

 

 

 

Tout est là, au croise­ment de l’homme dans sa nature char­nelle, son habi­tus physique, et la divinité, présence lumineuse et com­plexe. Il s’est avéré assez vite que la per­spec­tive de la sym­bol­ique empé­do­cléenne pou­vait être un accès. C’est-à-dire, une per­ti­nence de l’évo­ca­tion des qua­tre élé­ments fon­da­men­taux de la cos­molo­gie d’Em­pé­do­cle : l’eau, le feu, l’air et peut-être encore ici, la terre. Car cette poésie qui nous vient de la prosodie cata­lane, offre une sorte d’u­nivers un peu archaïque, une pro­fondeur antique dis­ons, où l’on peut ren­con­tr­er Homère, Orphée et bien sûr les paysages hel­lénis­tiques et méditer­ranéens qui hantent ces élégies.

 

[…] Oh grand coeur sat­is­fait, oh plus pleine
pos­ses­sion de moi depuis l’idée d’un dieu !
Pur en mon énigme, j’ai chan­té, sûr que la flamme
qui par­lait en moi ne toucherait que mon corps; 

 

Et puisque nous évo­quons la Méditer­ranée, on pour­rait élargir le pro­pos à la sci­ence des frac­tales — que l’on com­pare par­fois aux déchirures des côtes mar­itimes. Car l’ob­ser­va­tion de ces déchirures, cette ren­con­tre avec l’in­frac­tu­osité, ici dans le texte français, per­met de com­pren­dre et d’en­glober les nom­breuses sig­ini­fi­ca­tions qui ani­ment ce chant un peu dés­espéré du poète cata­lan. Mais il faudrait alors faire un ouvrage sci­en­tifique pour cette recherche et là n’est pas notre propos.

 

Dieux frater­nels ! Ain­si abreuvé et inondé de mon propre
pur retour, j’ai tra­ver­sé, par le dedans de mon âme, vers où vous êtes […]

ou encore

[…] Tu veilles, blanc sur la hauteur, 
sur le marin qui grâce à toi voit son cours bien guidé; 
sur l’homme, ivre de ton nom, qui au tra­vers de la gar­rigue nue,
vient te chercher, extrême comme la cer­ti­tude des dieux;

 

Il reste cepen­dant très cer­tain que la rela­tion du poète à Dieu com­pose un arrière-fond imag­i­naire, un réper­toire presque mys­tique qui lui aus­si pour­rait faire l’ob­jet d’une étude à part entière. Car cette rela­tion au sacré n’empêche pas le recours aux élé­ments empé­do­cléens. Nous con­nais­sons tous ce ver­set de Paul : “Notre Dieu est un feu dévo­rant”. On pour­rait aisé­ment dis­courir par exem­ple sur ce sim­ple mot de Rosée, auquel le poète met une majus­cule, pour entrevoir com­ment cette sim­ple man­i­fes­ta­tion matuti­nale et liq­uide, dépend du feu des cieux et se ressent autant qu’une larme, peut-être, une sorte de coupe de lacrima christi avec son ivresse et sa joie. Cette poésie énig­ma­tique et belle, entê­tante comme un un vin, pro­fonde en même temps comme un mou­ve­ment intérieur et per­son­nel, per­met de saisir l’om­bre et la lumière de la Méditer­ranée, comme une clair­ière qui se jus­ti­fie par la forêt.

 

La recherche de la pureté, de l’ab­solu : dans les mots, dans les rêves pro­fonds de la nuit (ceux dans lesquels on retrou­ve l’in­spi­ra­tion, qui sait si plus loin encore). Toute inno­cence est antérieure et est intime (l’âme sem­plicetta). Attire (?) : peut-être que là où il nous est don­né de le sen­tir le mieux c’est dans l’amour.

 

Et là sera notre con­clu­sion, à laque­lle il faut ajouter que l’ensem­ble du livre, en dehors des douze élé­gies de l’au­teur, en présen­ta­tion bilingue, s’as­sor­tit des deux pré­faces aux édi­tions de 1949 et 1951, d’une petite biogra­phie suc­cincte mais suff­isam­ment out­il­lée, d’un avant-pro­pos du tra­duc­teur, et des notes man­u­scrites de Car­les Riba lui-même écrites en regard de la plu­part des élé­gies. Donc, cet ouvage nous livre en français une bonne part de cet auteur, et nous instru­it d’une poésie orig­i­nale et pénétrante.

 

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Didier Ayres

Didi­er Ayres est né le 31 octo­bre 1963 à Paris et est diplômé d’une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voy­agé dans sa jeunesse dans des pays loin­tains, où il a com­mencé d’écrire. Après des années de recherch­es tant du point de vue moral qu’esthé­tique, il a trou­vé une assi­ette dans l’ac­tiv­ité de poète. Il a pub­lié essen­tielle­ment chez Arfuyen. Il écrit aus­si pour le théâtre. L’au­teur vit actuelle­ment en Lim­ou­sin. Il dirige la revue L’Hôte avec sa com­pagne. Il chronique sur le web mag­a­zine “La Cause Littéraire”.