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Albertine BENEDETTO, Sous le signe des oiseaux

« Sous le signe » des oiseaux de toutes espèces – hirondelles, mouettes, rossignols -, pourquoi pas ? La poésie s'est toujours nourrie de nature et d'oiseaux.

Le recueil ici énonce donc le thème,  avec un lyrisme souvent convenu, une poétique « cousue » de nombreuses images textiles (« déplient leur étoffe », « cousant le calme », »piquer dans la trame/ leurs fils de couleur »), ou qui font poétique (plusieurs « suave », « je funambule », « ailes frissonnantes dans le frais de l'aube », « une plainte lancine au coeur »,  « diaphane », « les cris stridulent le ciel », etc.), et parfois par le biais de poncifs (« paysage mouvant », « décrochent les étoiles », « clairières du ciel » qui déparent l'ensemble.

On eut aimer les oiseaux, la nature, les célébrer, encore faut-il que la stylistique et l'émotion vous emportent. Hélas, ici, à faire trop poétique, trop doux, le livret nous tombe des mains, nous rappelant que la poésie doit être nécessaire, essentielle, et trouver un lieu d'échange. Sinon, c'est lettre morte.

Le livre, heureusement, est très bien et très finement illustré par Renaud Allirand : arabesques, taches d'encres, oiseaux stylisés en noir, trait vif qui tranche avec le contenu mièvre des poèmes.

 Albertine BENEDETTO, Sous le signe des oiseaux,
Collection Grand ours, L'Ail des ours/n°8, 2021, 74 p.,
6 euros ; Illustrations de Renaud Allirand.

Présentation de l’auteur

Albertine Benedetto

Albertine Benedetto, vit et travaille à Hyères depuis 1992. Ses poèmes ont paru en revue (Friches, Aujourd’hui Poèmes, Rehauts, …). Son premier recueil, "Lustratio", a été édité en 2001 sous le pseudonyme d’Albertine Héraut. En 2018 elle reçoit le Prix Jean Follain pour son recueil Le Présent des bêtes.

Poèmes choisis

Autres lectures

Albertine Benedetto, Vider les lieux

Sur la couverture l’aquarelle d’Hélène Baumel, un chemin d’automne d’une tristesse envoûtante, incite à la lecture de ce recueil ponctué d’autres lavis. Leurs ombres au brun subtil se glissent, s’étalent et se diffusent [...]

Le Lieu-dit L’Ail des ours

Les éditions L'Ail des ours est un Lieu-dit. Ce qui suppose qu'il s'y déploie de multiples dimensions. Une profondeur. Une amplitude. Tout ceci naît de la rencontre, des rencontres de la poésie et [...]

Albertine BENEDETTO, Sous le signe des oiseaux

« Sous le signe » des oiseaux de toutes espèces – hirondelles, mouettes, rossignols -, pourquoi pas ? La poésie s'est toujours nourrie de nature et d'oiseaux. Le recueil ici énonce donc [...]




Le Lieu-dit L’Ail des ours

Les éditions L'Ail des ours est un Lieu-dit. Ce qui suppose qu'il s'y déploie de multiples dimensions. Une profondeur. Une amplitude. Tout ceci naît de la rencontre, des rencontres de la poésie et de l'intensité, autre, de la représentation permise par les arts plastiques.

Ce partage d'espace entre un artiste plasticien et un poète n'est pas pour autant quelque chose de rare. Nombre de recueils proposent d'établir une dialectique entre ces deux polarité d'expression artistique. Alors il est intéressant de s'interroger sur ce qui fait la particularité de ces petits recueils publiés dans la Collection Grand ours de Michel Fiévet. Une grave et grande question...

Je crois qu'il s'agit d'abord de qualité éditoriale. Ces recueils de petit format sont imprimés sur un papier épais, doux, dont le grain légèrement palpable offre épaisseur à l'objet livre. Il y a ensuite la mise en page. Tout y est léger, c'est à dire aérien. Ceci façonne un écrin de papier qui permet de recevoir comme un cadeau à chaque fois unique le contenu de la page, poèmes centrés dont la typographie fine égraine de grandes lettres noires en police Garamond 13, 11, 10 et 8, que ponctuent des pages où des œuvres de plasticiens scandant le rythme d'apparition des poèmes. Un artiste et un poète se rencontrent.

Jacques Robinet, Brèches, L'Ail des ours, collection Grande ours / n°6, œuvres de l'artiste Renaud Allirand, La Roque d'Anthéron, 2020, 65 pages, 8€.

Pour les volumes 6, 7 et 8, respectivement Jacques Robinet et Renaud Allirand pour Brèches, Sabine Péglion auteure des poèmes et des œuvres plastiques pour Dans le vent de l'archipel, et Albertine Benedetto avec encore Renaud Allirand cette fois-ci pour des encres, réunis pour le recueil Sous le signe des oiseaux.  

Que dire de ce petit volume, Brèches, léger par la taille, mais épais, grave, grand, par le langage et les quelques œuvres qui ponctuent l'apparition des poèmes. Jacques Robinet agence les mots avec cette ambition partagée par les poètes : libérer le langage de ce carcan du sens, et ouvrir des horions. Là celui de l'existence, dans ce face à face de l'homme avec lui-même, dans une sorte de bilan, et en même temps d'étape, point d'orgue du parcours avant d'emprunter une autre route.

On consent à n'être plus
que ce voyageur épuisé
d'avoir trop confondu
ses rêves et ses captures

Sous le couvert d'un arbre
on s'abandonne
au bruissement de l'eau

Sans plus rien retenir.

Constats posés à mi chemin, et réflexions sur ce que peut être la vie, magnifiée par les mots, la poésie, écrire, qui afflue comme le sang régénère le corps.

 

La chambre s'éclaire
Pourquoi t'agites-tu 

Ecoute ton cœur qui bat

Les mots sont des colombes 
qui de l'infini s'abreuvent

Laisse-les s'ébrouer
avant qu'ils ne s'évadent
dans la clarté de l'aube

Ne dérobe pas
la poussière des songes

 

Les peintures de Renaud Allirand représentent ces strates de vie, couche après couche, l'une dévoilant l'autre, dans un magma coloré et presque organique. Fouiller l'espace, c'est ici ce que font poète et peintre, qui semblent unir leurs tentatives pour dévoiler le sens, ultime, du silence et du blanc de la page.

 

Jacques Robinet, Brèches, L'Ail des ours, collection Grande ours / n°6, œuvres de l'artiste Renaud Allirand, La Roque d'Anthéron, 2020, 65 pages, 8€, p. 19.

Le recueil de Sabine Péglion, accompagné par les œuvres plastiques de la poète, est intéressant à double titre. D'abord parce que cette poésie qui joue avec l'espace scriptural et les typographies laisse entrevoir les nuances de bleu de l'océan grâce à ces mises en scènes des textes, qui prennent pour univers référentiel la mer. Champs lexicaux et isotopies se conjuguent, et opèrent des va-et-vient entre des éléments biographiques, et des indications concernant les traversées et l'Histoire. Des noms de lieux et le métalangage de la navigation scandent les étapes topographiques, tandis que des épithètes viennent étayer une métaphore, car ce voyage est aussi celui de l'être qui avance dans les dédales de l'existence, que l'on devine parfois âcre, parfois initiatique, finalement, comme toute vie dès lors qu'elle est abordée en conscience. 

 

Du plus loin de la nuit
Eau si profonde
d'années enfouies
Blessure muette

D'autres îles d'autres terres
Dérivent au gré des vagues

Il est des lieux qui nous hantent

 

Les toiles de l'artiste sont alors une mise en abîme de ces strates de vie, de lieux, de lectures aussi, celles du poème, qui révèle sa puissance, mais jamais la même, à chaque lecture différente.

Sabine Péglion, Dans le vent de l'archipel, L'Ail des ours, collection
Grande ours / n°7, œuvres de l'artiste, La Roque d'Anthéron, 2020,
59 pages, 8€.

Sabine Péglion, Dans le vent de l'archipel, L'Ail des ours, collection
Grande ours / n°7, œuvres de l'artiste, La Roque d'Anthéron, 2020,
59 pages, 8€, p.25.

Albertine Benedetto pour le numéro 8 de ces petits volumes, place sa poésie Sous le signe des oiseaux. Une gageure, que la poète relève vaillamment tant le sujet porte de topos, tous plus usités les uns que les autres. Le plasticien qui accompagne ses textes est Renaud Allirand à nouveau. Tous deux ont choisi une littéralité qui recèle cependant bien des richesses, et bien des habiletés pour aborder cette thématique chargée de déjà bien des voix. La quatrième de couverture évoque ceci :

 

Une fois encore 
revenir longer
les souvenirs
pour allonger
le temps

une fois encore
célébrer
la fleur et l'oiseau
en épousant la terre

une fois encore
la lumière
fut ce lâcher de colombes sur la mer

 

C'est donc dans le sillage de ces prédécesseurs qu'est d'emblée placé le recueil. Le référentiel est une lignée diachronique assumée, mais jamais de manière gratuite. Le poème recèle l'énonciation de sa propre existence, et un tissu isotopique relayé par des choix paradigmatiques qui évoquent l'écriture dessine son propre reflet.

 

Dans ce qui se dit
l'ombre vacille
un peu

ainsi l'oiseau qui veille
toujours fait respirer la nuit
d'une ponctuation grave
cousant le calme
sur la risée

N'est-ce pas le poème, qui brode le silence sur le chant du langage ? De même le tracé du pinceau comme un acte de pure création est au cœur de cette mise en abyme de la création d'une création, de l'écriture d'une écriture, comme au centre d'une nature d'où tout part, et où tout revient toujours.

Dans l'arabesque
dansée à partir du poignet
par pressions du pinceau
crissant sur l'étoffe
les doigts serrent
le roseau
tracent les envols
martins-pêcheurs
le soir au bord
des rivières sans nom
tout le bleu et le vert
de leurs ailes
éclairent le trait

Pour Abdallah Akar, calligraphe

Albertine Benedetto, Sous le signe des oiseaux,
L'Ail des ours, collection Grande ours / n°8, œuvres
de l'artiste Renaud Allirand, La Roque d'Anthéron, 2021,
69 pages, 6€.

Albertine Benedetto, Sous le signe des oiseaux,
L'Ail des ours, collection Grande ours / n°8, œuvres
de l'artiste Renaud Allirand, La Roque d'Anthéron, 2021,
69 pages, 6 €, p.27.

Il se passe bien des choses dans les pages des recueils parus chez L'Ail des ours. On met les arbres, le sable et la mer dans des poèmes, on ose convoquer pour la énième fois le chant des oiseaux. Mais est-ce juste pour faire des livres ? Non, je dirai que justement, c'est en cela que L'Ail des ours est un lieu-dit. Il se passe qu'affleure la matière du poème, son origine et sa destinée, là où se conjuguent l'espace et le trait, dans ce lieu-dit, L'Ail des ours. Amplitude. Profondeur.

Présentation de l’auteur

Albertine Benedetto

Albertine Benedetto, vit et travaille à Hyères depuis 1992. Ses poèmes ont paru en revue (Friches, Aujourd’hui Poèmes, Rehauts, …). Son premier recueil, "Lustratio", a été édité en 2001 sous le pseudonyme d’Albertine Héraut. En 2018 elle reçoit le Prix Jean Follain pour son recueil Le Présent des bêtes.

Poèmes choisis

Autres lectures

Albertine Benedetto, Vider les lieux

Sur la couverture l’aquarelle d’Hélène Baumel, un chemin d’automne d’une tristesse envoûtante, incite à la lecture de ce recueil ponctué d’autres lavis. Leurs ombres au brun subtil se glissent, s’étalent et se diffusent [...]

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Présentation de l’auteur

Sabine Péglion

Sabine Péglion est une poète française dont l'œuvre est marquée par le voyage.

Poèmes choisis

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Sabine Péglion, Dans le vent de l’archipel

Petit livre tout de vent, d'écume, de sillage. Partir-revenir : le double voeu de ces poèmes simples, qui tracent l'errance à coup d'infinitifs du désir : « appareiller », « déposer », « découvrir ». La leçon [...]

Présentation de l’auteur

Jacques Robinet

Jacques Robinet , né en 1937, vit à Paris. Il est psychanalyste.

Publications :  Veille le Silence (éditions St Germain- des- Près, 1984 - épuisé)

En collaboration avec l'artiste peintre et graveur Renaud Allirand : Miroir d'ombres (2000) et Traces (2013) —  Frontières de sable (2013) et Feux nomades (2015) ont été publiés par les Editions la tête à l'envers à Ménetreuil ( 58330- Crux la Ville).

Poèmes choisis

Autres lectures

Chronique du veilleur (38) : Jacques Robinet

 Jacques Robinet a publié plusieurs livres de poèmes aux éditions La Tête à l’envers. En 2018, les éditions La Coopérative ont fait paraître son récit autobiographique, Un si grand silence, bouleversante évocation de [...]

Le Lieu-dit L’Ail des ours

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Jacques Robinet, Notes de l’heure offerte

« Seule compte l’heure  offerte qui vient à ma rencontre et cette branche qui tremble encore d’un oiseau envolé » (p.65) Ces notes sont à la fois méditation et dialogue, dialogue avec le lecteur et [...]

Jacques Robinet, Ce qui insiste

Dès le premier poème de ce recueil, l’univers intime du poète s’offre aux lecteurs ; la communion avec les éléments de la nature : l’arbre, l’oiseau, mais aussi la nuit qui est une porte ouverte [...]

Chronique du veilleur (53) : Jacques Robinet

Après La Monnaie des jours et Notes de l'heure offerte, Jacques Robinet nous offre des extraits de ses « notes » de l'année 2020, sous le titre L'Attente. Ce troisième volume me semble aller aussi [...]

Jacques Robinet, Clartés du soir

La nuit, c'est la "mort" qui vient, c'est l'heure où "la lumière décline", alors, il faut promouvoir au mieux cette clarté, annonciatrice du jour. Le poète oeuvre dans le [...]




Albertine Benedetto, Vider les lieux

Sur la couverture l’aquarelle d’Hélène Baumel, un chemin d’automne d’une tristesse envoûtante, incite à la lecture de ce recueil ponctué d’autres lavis. Leurs ombres au brun subtil se glissent, s’étalent et se diffusent en taches d’un orange ambré.

Vider les lieux est un titre rude et imprévu. Une injonction qui aurait pu se terminer par un point d’exclamation (!)? Un constat qui aurait pu se terminer par des points de suspension (…)? Une métaphore qui aurait pu…Mystère. Recevoir l’ouvrage le jour même du décès d’une amie d’adolescence1 lui a donné une portée imprévue : il s’est fait l’écho d’une évocation libre et autre de la mort.

Pour Albertine Benedetto, cette mort est si proche qu’elle harcèle jusqu’à nos propres mots : « Le monde est habité par les mots – il suffit d’enlever le R de mort ». Nous devenons des survivants, dont «  les mots » désormais prioritaires jonglent, fabriquent et rappellent l’histoire des absents2.

Albertine Benedetto, Vider les
lieux
, Ed. Al Manar, 2019, 16€

Il nous faut « conduire le deuil / en procession de mots », à « nos aimés ».  Que devient ce chagrin a posteriori, « toutes ces vies / en forme de récits / sur des carnets / illisibles » ? A décrypter donc. Les objets posthumes – cad sans propriétaire - devenus porteurs d’un sens libéré, proposent alors « un labyrinthe de signes / où s’égarer ». L’histoire de ces « meubles déchus » se continuera sans eux en ce « tombeau léger / des mots arrangés d’un poème ».  Les animaux domestiques rescapés deviennent aussi la proie de nos expressions et de notre vocabulaire. Même  « le mot cheval souffle doucement sur un pré / à la saison incertaine », en quelque sorte évadé du vrai corps de l’animal. Autant de termes qui sont « comme des cailloux / pour retrouver le chemin / de la chambre où dormaient les parents ». Des cailloux - repères et souvenirs - que suit la Petite Poucette poétesse. Pour preuve, son ouvrage à la poésie délicate est rythmé selon le découpage tripartite de sa pensée en deuil : « Lieux, Reliques, Je suis là ». Un découpage rassurant sans doute car il est un itinéraire possible à travers la mort, à travers l’expérience de la disparition, donc à travers le ou la défunt.e.  Un voyage dans le langage que l’autrice propose pourtant sans la moindre ponctuation, comme une lente coulée de sentiments et d’observations.

Il faut bien commencer quelque part ce voyage si particulier. Albertine Benedetto s’ancre d’abord en ce « lieu » où vécut et/où mourut le disparu. Qu’en reste-t-il ?  L’acte de se perdre ensuite dans une « ville des morts », ces catacombes, lieu collectif de deuils individuels. Là, les vivants cherchent sous la terre « comme un avant-goût des ténèbres / comme un mode d’emploi / ou quoi ?».

Les habitations sont également des lieux dans le lieu où se cherchent des traces infimes : Les « maisons / à l’heure du tri / saturées de choses / des petits riens ». Elles sont d’une banalité exemplaire : « La maison aux yeux clos/ que rien ne distingue d’une autre ».  Néanmoins des vestiges demeurent à l’intérieur, « des pacotilles de souvenirs / ces nids à poussière ». Elles capturent les vécus enfantins de ce temps d’avant : « Toujours l’enfance bondit / de pierre en pierre dans le lit du torrent ». Un vécu de nostalgie qui conduit à l’avenir de séparation d’avec sa propre enfance: « les draps enveloppent les restes / de l’enfance qui finira ». La disparition engendrera le départ de la maison après un grand ménage : « Bien enclos dans leurs chambres, les morts s’étonnent en novembre ».

Avec la présence des « reliques », un autre temps poétique survient. Tous les objets prennent un autre sens. Ils ont d’abord été une protection rassurante : « Etre dans ses meubles /comme être dans sa peau ». Ils sont ensuite engloutis dans le tourbillon de la mort. Ainsi les « meubles déchus/en bout de succession/ désossés / plus que morceaux de bois ». Laissés en tas sur le trottoir, ils participent au « tombeau ». Il conviendra ensuite de reconnaître la présence de l’être endeuillé (partie Je suis là), porteur de ces « mots tombés du tricot de la vie ».

Au fil de ces pages, partout, des « ombres » se glissent, composant secrètement un certain monde parallèle, fluctuant et fugace. Parfois réelles, parfois figurées. Nées en tout cas de la lumière qui éclaire l’opacité du défunt et du décès. Des choses d’abord : objet, arbre, nuage…  Ainsi « l’ombre d’un rabot / sur la planche équarrie », qui va se « fondre dans une autre ombre / un autre silence ». Ainsi  «  la lumière échappée de l’ombre d’un tilleul » qui laisse apercevoir les balançoires du jardin. Ainsi « on ne voit que des ombres / passantes sur le pré / des nuages flottent » : elles renvoient  aux ombrelles de couleur vive dont les « silhouettes » sont « découpées dans l’ombre des murs ».

Ombre des souvenirs personnels ensuite …Ainsi l’« ombre sur le drap »  où git la mémoire de jeux d’enfance avant de se transformer en linceul. Ainsi  « avec l’ombre de nos mains /nous nous toucherons encore ». Ombres de soi-même et du vivant, « avant de revenir /errer  dans nos ombres pâles/ ignorant de quelle déchirure nous sommes faits ». Mais toutes conduisent à l’ombre des morts et de leurs traces fantomatiques : « leurs ombres s’étirent se remuent / flottent en vapeur douce/au-dessus des marbres luisants ». D’évidence toutes ces ombres ont « un cœur », un seul, celui de la poétesse.

Les mots effleurent les moments du deuil qui, reconnaissons-le, sont  ici séparés par commodité, juste pour parvenir à penser la mort impensable. S’ils conduisent tous à ce « Je » qui récapitule le vécu de la séparation, un tel vécu est déjà présent dans le lieu et dans les reliques. Cette poétesse vit en outre sur  deux niveaux, lors de voyages bien réels qui rappellent aussi la mort. Une superposition qui fait ressurgir ça et là la mémoire du deuil et de la mort en d’autres lieux  (Catacombes San Callisto, Villa Adriana, Via Appia en Italie). Une superposition qui renvoie aussi à un poète contemporain, James Sacré. Autant de strates de soi qui coulent et s’écoulent vers l’affirmation de la vie, vers le Je suis là. Autre façon d’annoncer que nous sommes là aussi !

Notes

(1) Catherine Grupper qui défendit tant de causes justes du MRAP à la libération de Mumia.

(2) Le peintre Michel Julliard m’écrira en écho à cette disparition : « Les ami(e)s ne partent jamais tout à fait, tant que leurs ami(e)s pensent à eux, ils sont juste un peu absents ».