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Marilyne Bertoncini, Alma Saporito, Scatti di luce / Instantanés de lumière

"Quand les mystères sont très malins, ils se cachent dans la lumière." Avec cette phrase de Jean Giono, Marilyne Bertoncini parvient à résumer le sens du précieux petit livre photo-poétique écrit conjointement par elle et Alma Saporito, inspiré des évocatrices images photographiques en noir et blanc du poète Francesco Gallieri, d'authentiques haïkus visuels.

À la Bibliothèque Guanda de Parme a eu lieu, le mercredi 27 septembre, une présentation d'une grâce rare, où alternaient les voix critiques des poètes Luca Ariano et Giancarlo Baroni parmi le public, les explications techniques de Francesco Gallieri en tant que photographe naturaliste et les lectures de poèmes en italien et en français par les autrices.

Comme sortant des pages blanches du livre et du brouillard des marécages, des mots vibrants surgissent des clichés de Francesco, des « écailles paniques », ainsi que Marilyne  a parfaitement défini le haïku, des calligrammes sonores émergeant du silence. Les vers d’Alma Saporito sont de forme parfaite, plus libres ceux de Marilyne Bertoncini, mais tous capables de cueillir et traduire en son et fragment intérieur, le battement d'ailes ravi par la caméra, l'instant fugace devenu paradigme universel, tige de roseau qui déploie l'infini.

, Scatti di luce / Instantanés de lumière, éditions Pourquoi viens-tu si tard ?, 2023, 85 pages, 12 €.

Les 12 poèmes de Bertoncini sont 12 heures du jour, diversement captées sans souci de chronologie, pour un cercle temporel qui tourne sur lui-même,  aiguilles sans cadran, oasis hors du temps. Nous sommes dans le marais, l’espace oxymorique par excellence, où se confondent la vie et la mort, la lumière en germe dans l’ombre, le mouvement dans la stase. « Sillon de lumière / labourant l’obscur / tu deviens semence » écrit Alma, tandis que Marilyne suggère « Le marécage sent le silence / sous le clapotis de l'eau / une odeur d'algue et d'herbe morte ».

En français, les vers frémissent et résonnent comme des bruissements d'ailes, se propagent plus loin et résonnent longtemps à l'intérieur de nous. Sur les pages blanches s'opère la métamorphose de l'art, de la noire chrysalide d’encre, du signe alchimique et vertical du corps de l'oiseau, d’où surgit le papillon, la vision de  lumière, éphémère peut-être, mais indélébile dans la parenthèse du souvenir, touchant l'âme et dévoilant une beauté qui est la vérité.

Et tout cela, tout est dans Scatti di luce / Instantanés de lumière.




Marilyne Bertoncini, Il libro di sabbia

Avec ce nouvel ouvrage qui regroupe trois recueils parus en français et publiés ici dans leur version uniquement italienne, Marilyne Bertoncini – qui écrit aussi bien en italien qu’en français – nous offre l’immensité d’un univers de sable, d’eau et de vent traversé de senteurs, de couleurs où tout est mouvance, fluidité et métamorphoses, à l’image des dunes de sable qui illustrent la couverture. Le titre reprend celui-là même d’un livre – et d’une nouvelle – de Borges.

Ce livre entretient-il un lien avec Le livre de sable de l’auteur argentin ? À priori, non. Cependant, force est de constater d’évidentes affinités : y est présente la dimension du mystère de même que celle du fantastique. En effet, chez Marilyne Bertoncini, les paysages d’une enfance flamande se transforment et le sable au « parfum minéral intense » (c’est celui des souvenirs) devient Sabbia, prénom d’une créature onirique et fantasmatique, peut-être légendaire, le plus souvent désigné par Lei (Elle), femme-dune sans visage, âme errante aux yeux de fleurs, à la fois resplendissante et pâle, ceinte d’une couronne d’épine, privée de parole, suffocant, étouffée par le caractère même de sa propre constitution ! Car si la fluidité du sable laisse imaginer une ressemblance avec l’océan : « La duna mima l’oceano » (la dune mime l’océan), elle n’est pas l’océan : le sable est une « écume sèche » : il aspire, il étouffe, il tue !

La sabbia nella sua bocca la soffoca come un bavaglio

Le sable dans sa bouche l’étouffe comme un bâillon

Marilyne Bertoncini, Il libro di sabbia (Le livre de sable), Préface de Giancarlo Baroni, Bertoni editore 2022, 63 pages, 15€.

et plus loin :

L’orco di sabbia ocra divora la sua parola

L’ogre de sable ocre dévore ses paroles

L’autrice, « fille des sables », et fille symbolique de Sabbia, « Sono figlia di Sabbia/ma le parole/sono mie » (Je suis fille de Sable/mais les mots/m’appartiennent) se projette dans ses souvenirs et cette femme de sable qui ne peut parler mais qui vit en elle et s’exprime à travers sa poésie – Io grido/ Io SCRIVO (Je crie/ J’ÉCRIS) – pourrait être l’âme secrète de son passé, car nous allons voir que les temps s’entremêlent et c’est là une autre affinité avec Borges : la conception du temps (ici aussi au cœur de l’écriture), un temps sans début ni fin – n’oublions pas que le recueil commence par ce vers : « Non ho nessun ricordo dell’avvenire, disse Lei (Je n’ai aucun souvenir de l’avenir, dit-Elle). Un temps qui n’est pas linéaire mais labyrinthique faisant fi de toute chronologie : les souvenirs affleurent de manière improbable et désordonnée, comme des fragments de vie reflétés dans des miroirs cassés rapportés par les marées et dans lesquels tout se mélange et fusionne. « Si l'espace est infini, nous sommes dans n'importe quel point de l'espace. Si le temps est infini nous sommes dans n'importe quel point du temps1. »

Dans Le livre de sable de Marilyne Bertoncini, les terrains vagues et jardins ouvriers du Nord surgissent derrière les bruissements d’ombre, le chuchotement des fontaines, se superposent à la douceur envoûtante de fragrances quasi orientales, et au silence qui dévore les statues en ruines d’un jardin peuplé d’âmes mortes au-dessus duquel le ciel entre en fusion et brûle les étoiles. Le paradis jouxte l’enfer.

« Passo i confini assegnati alle cose/dalle parole » (je franchis les limites assignées aux choses/ par les mots) écrit-elle. Il n’y a plus de frontière entre le passé et le présent, l’ombre et la lumière, le réel et l'imaginaire, la vie et la mort, le français et l’italien « Nude nues denudate » lit-on dans le même vers page 19.

Autre figure mythique du recueil : Leila, prénom intimement lié à la fleur de lilas. Les poèmes dédiés à l’une et à l’autre s’entremêlent créant l’effet sinon d’un dialogue, tout du moins d’un écho, au cœur d’un long poème intitulé La notte di Lilla (La nuit de lilas) Leila, au prénom couleur de nuit2, objet d’un amour impossible, absolu et éternel du poète bédouin Majnûn, apparait ici comme la « sœur de cœur » de l’autrice.

      Dolce           sorella
                nella mia lingua
                    segreta

         Douce        sœur
dans ma langue
    secrète

Un aveu ponctué de silences. La poète n’en dira pas plus, à nous de lire la douleur de l’absence dans le blanc de la page, car Le livre de sable est, par définition, un livre insaisissable. Un livre qui peut s’interpréter de différentes manières, sur lequel le lecteur peut projeter ses propres images dans le « labyrinthe des nuits ».

Si, chez Borges, des signes, des illustrations disparaissent mystérieusement des pages à peine lues, et de ce fait, ne sont visibles qu’une seule fois, ici c’est l’éternelle mouvance du sable qui transforme tout, ne garde les traces que de manière éphémère nous rappelant ainsi que toute chose se vit une seule et unique fois.

Ainsi en est-il des souvenirs qui sont à l’image des empreintes de pas dans le sable mou aussitôt recouvertes par les vagues de l'océan. La mémoire elle-même est appelée à disparaître…

la sabbia aspira la mia caviglia
aspira la mia memoria
l’impronta del mio piede si riempie di un minuscolo frammento di specchio
l’onda successiva lo ingoia

le sable aspire ma cheville
aspire ma mémoire
l’empreinte de mon pied s’emplit d’un minuscule éclat de miroir
et la vague suivante l’engloutit

Ce livre de l’impermanence nous parle d’absence, d’infini et de rêve, de visions fugitives que seule la parole peut fixer. Livre de souvenirs où aucun événement n’est dévoilé mais suggéré à travers la finesse des perceptions (couleurs, sons, odeurs) révélatrices d’émotions intactes. Parmi celles-ci, notons une prédilection pour le violet, décliné dans toutes ses nuances (lilas, lavande, lie-de-vin, mauve…) et qui ne doit sans doute rien au hasard. Si la ville de Parme n'est jamais citée, elle est bien présente dans la symbolique des couleurs. Un livre contre l’oubli ? Sans doute.

L’autrice écrit avec justesse et délicatesse une impermanence hantée par la mythologie et les légendes et qui se termine dans une danse macabre où la mort couronnée d’étoiles entraîne aussi bien les rêves des morts que les souvenirs des vivants. Mais où vont-ils ? … RECAPITO…. IMPOSSIBILE… est la réponse donnée dans le dernier vers du recueil, que l’on peut traduire par « inconnus à cette adresse » ou « échec de la distribution ».

Notes

[1] Le livre de sable, Borges, Folio bilingue Gallimard 1990, traduction François Rosset.

[2] Leila (ليلى en arabe) signifie la nuit. L’autrice fait allusion ici à une légende persane.

Présentation de l’auteur

Marilyne Bertoncini

Marilyne Bertoncini : poète, traductrice (anglais-italien), revuiste et critique littéraire, membre du comité de rédaction de la revue Phoenix, elle s'occupe de la rubrique Musarder sur la revue italienne Le Ortique, consacrée aux femmes invisibilisées de la littérature, et mène, avec Carole Mesrobian, la revue numérique Recours au Poème, à laquelle elle collabore depuis 2013 et qu'elle dirige depuis 2016. 

Autrice d'une thèse, La Ruse d'Isis, de la Femme dans l'oeuvre de Jean Giono, et titulaire d'un doctorat, elle a été vice-présidente de l’association I Fioretti, pour la promotion des manifestations culturelles au Monastère de Saorge (06) et membre du comité de rédaction de la Revue des Sciences Humaines, RSH (Lille III). Ses articles, essais et poèmes sont publiés dans diverses revues littéraires ou universitaires, françaises et étrangères. Parallèlement à l'écriture, elle anime des rencontres littéraires, Les Jeudis des Mots, à Nice, ou les Rencontres au Patio, avec les éditions PVST?, dans la périphérie du festival Voix Vives de Sète. Elle pratique la photographie et collabore avec des artistes, musiciens et plasticiens.

Ses poèmes sont traduits en anglais, italien, espagnol, allemand, hébreu, bengali, et chinois.

 

bibliographie

Recueils de poèmes

La Noyée d'Onagawa, éd. Jacques André, février 2020

Sable, photos et gravures de Wanda Mihuleac, éd. Bilingue français-allemand par Eva-Maria Berg, éd. Transignum, mars 2019

Memoria viva delle pieghe, ed. bilingue, trad. de l'autrice, ed. PVST. Mars 2019

Mémoire vive des replis, texte et photos de l’auteure, éd. Pourquoi viens-tu si tard – à paraître, novembre 2018

L’Anneau de Chillida, Atelier du Grand Tétras, mars 2018 (manuscrit lauréat du Prix Littéraire Naji Naaman 2017)

Le Silence tinte comme l’angélus d’un village englouti, éd. Imprévues, mars 2017

La Dernière Oeuvre de Phidias, suivi de L'Invention de l'absence, Jacques André éditeur, mars 2017.

Aeonde, éd. La Porte, mars 2017

La dernière œuvre de Phidias – 453ème Encres vives, avril 2016

Labyrinthe des Nuits, suite poétique – Recours au Poème éditeurs, mars 2015

 

Ouvrages collectifs

- Le Courage des vivants, anthologie, Jacques André éditeur, mars 2020

- Sidérer le silence, anthologie sur l’exil – éditions Henry, 5 novembre 2018

- L’Esprit des arbres, éditions « Pourquoi viens-tu si tard » - à paraître, novembre 2018

- L’eau entre nos doigts, Anthologie sur l’eau, éditions Henry, mai 2018

- Trans-Tzara-Dada – L’Homme Approximatif , 2016

- Anthologie du haiku en France, sous la direction de Jean Antonini, éditions Aleas, Lyon, 2003

Traductions de recueils de poésie

-Soleil hésitant, de Gili Haimovich, éd. Jacques André (à paraître 2021)

-Un Instant d'éternité, bilingue (traduit en italien) d'Anne-Marie Zucchelli, éd. PVST, 2020

- Labirinto delle Notti (inedito) nominé au Concorso Nazionale Luciano Serra, Italie, septembre 2019

- Tony's blues, de Barry Wallenstein, avec des gravures d'Hélène Bauttista, éd. Pourquoi viens-tu si tard ? , mars 2020

- Instantanés, d‘Eva-Maria Berg, traduit avec l’auteure, éditions Imprévues, 2018

- Ennuage-moi, a bilingual collection , de Carol Jenkins, traduction Marilyne Bertoncini, River road Poetry Series, 2016

- Early in the Morning, Tôt le matin, de Peter Boyle, Marilyne Bertoncini & alii. Recours au Poème éditions, 2015

- Livre des sept vies , Ming Di, Recours au Poème éditions, 2015

- Histoire de Famille, Ming Di, éditions Transignum, avec des illustrations de Wanda Mihuleac, juin 2015

- Rainbow Snake, Serpent Arc-en-ciel, de Martin Harrison Recours au Poème éditions, 2015

- Secanje Svile, Mémoire de Soie, de Tanja Kragujevic, édition trilingue, Beograd 2015

- Tony’s Blues de Barry Wallenstein, Recours au Poème éditions, 2014

Livres d'artistes (extraits)

Aeonde, livre unique de Marino Rossetti, 2018

Æncre de Chine, in collection Livres Ardoises de Wanda Mihuleac, 2016

Pensées d'Eurydice, avec  les dessins de Pierre Rosin :  http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-pierre-rosin/

Île, livre pauvre avec un collage de Ghislaine Lejard (2016)

Paesine, poème , sur un collage de Ghislaine Lejard (2016)

Villes en chantier, Livre unique par Anne Poupard (2015)

A Fleur d'étang, livre-objet avec Brigitte Marcerou (2015)

Genèse du langage, livre unique, avec Brigitte Marcerou (2015)

Daemon Failure delivery, Livre d’artiste, avec les burins de Dominique Crognier, artiste graveuse d’Amiens – 2013.

Collaborations artistiques visuelles ou sonores (extraits)

- Damnation Memoriae, la Damnation de l'oubli, lecture-performance mise en musique par Damien Charron, présentée le 6 mars 2020 avec le saxophoniste David di Betta, à l'ambassade de Roumanie, à Paris.

- Sable, performance, avec Wanda Mihuleac, 2019 Galerie

- L'Envers de la Riviera  mis en musique par le compositeur  Mansoor Mani Hosseini, pour FESTRAD, festival Franco-anglais de poésie juin 2016 : « The Far Side of the River »

- Performance chantée et dansée « Sodade » au printemps des poètes  Villa 111 à Ivry : sur un poème de Marilyne Bertoncini, « L’homme approximatif » , décor voile peint et dessiné,  6 x3 m par Emily Walcker  :

l’Envers de la Riviera  mis en image par la vidéaste Clémence Pogu – Festrad juin 2016 sous le titre « Proche Banlieue»

Là où tremblent encore des ombres d’un vert tendre » – Toile sonore de Sophie Brassard : http://www.toilesonore.com/#!marilyne-bertoncini/uknyf

La Rouille du temps, poèmes et tableaux textiles de Bérénice Mollet(2015) – en partie publiés sur la revue Ce qui reste : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-berenice-mollet/

Préfaces

Appel du large par Rome Deguergue, chez Alcyone – 2016

Erratiques, d’ Angèle Casanova, éd. Pourquoi viens-tu si tard, septembre 2018

L’esprit des arbres, anthologie, éd. Pourquoi viens-tu si tard, novembre 2018

Chant de plein ciel, anthologie de poésie québécoise, PVST et Recours au Poème, 2019

Une brèche dans l'eau, d'Eva-Maria Berg, éd. PVST, 2020

 

(Site : Minotaur/A, http://minotaura.unblog.fr),

(fiche biographique complète sur le site de la MEL : http://www.m-e-l.fr/marilyne-bertoncini,ec,1301 )

Autres lectures

Marilyne Bertoncini, Aeonde

Petit livret, grand livre. Encore une fois, après La dernière œuvre de Phidias, Marilyne Bertoncini fait appel à la dimension mythique pour dire la condition humaine.

Les 101 Livres-ardoises de Wanda Mihuleac

Une épopée des rencontres heureuses des arts Artiste inventive, Wanda Mihuleac s’est proposé de produire des livres-objets, livres d’artiste, livres-surprise, de manières diverses et inédites où la poésie, le visuel, le dessin [...]

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Marilyne Bertoncini, Sable

Marilyne Bertoncini nous emmène vers la plage au sable fin, vers la mer et ses vagues qui dansent dans le vent pour un voyage tout intérieur… Elle marche dans [...]

Marilyne BERTONCINI, Mémoire vive des replis, Sable

Marilyne BERTONCINI – Mémoire vive des replis La poésie de Marilyne Bertoncini est singulière, en ce qu’elle s’appuie fréquemment sur des choses matérielles, pour prendre essor, à la façon [...]

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Marilyne Bertoncini et Florence Daudé, Aub’ombre, Alb’ombra

Quelle belle idée que cette rencontre, dans la pénombre, des vers de Marilyne Bertoncini avec les photographies de Florence Daudé, pour une réconciliation de l'ombre et de la lumière, leurs épousailles engendrant une lueur tout en nuances et en force dans le même temps.

Dans sa préface, Giancarlo Baroni souligne combien « Il est difficile d'associer images et mots, de les faire dialoguer », que les uns ne l'emportent pas sur les autres et réciproquement. Pari réussi pour ce livre. C'est l'intérieur empreint de mystère de l'église St Michel de Nantua que Florence Daudé a photographié. Plus que les éléments constitutifs de cette abbatiale d'influence clunisienne, c'est bien, selon ses propres mots « la promesse d'une lumière au fond des gouffres les plus noirs, la certitude que sur la nuit s'ourle toujours le début d'un nouveau jour. », ce qu'énonce Marilyne Bertoncini dès les vers initiaux :

Au début l'ombre
avant le premier balbutiement de l'aube

All'inizio, l'ombra
prima del primo balbettio dell alba

 

Marilyne Bertoncini et Florence Daudé, Aub'ombre / Alb'ombra, éditions pourquoi viens-tu si tard ?, Nice, 2022, 100 pages, 15 €.

Car il s'agit d'un livre bilingue français-italien, cette dernière langue, ajoutant par sa musicalité intrinsèque, un supplément de chant.

Les poèmes sont brefs (de deux à huit vers), concentrant l'essence des sensations.

Au début, l'ombre
et la main qui tâtonne où la pensée trébuche

Le livre est construit en trois parties : Première, deuxième et troisième leçon des ténèbres, référence aux Leçons de ténèbres pour le Mercredi saint écrites par le musicien François Couperin pour les liturgies de la semaine sainte de 1714. Marilyne Bertoncini explique à propos de son travail : « la musique de François Couperin s'est immédiatement greffée sur mon imaginaire – sans doute parce qu'entre-temps, j'avais moi aussi éprouvé le mystère de cette église, dépouillée et sonore, dans laquelle j'avais ressenti ce que l'orgue ou le chant pouvaient y produire. »

Une musique propre à l'église, en correspondance avec les teintes de la pierre, la lumière filtrée par les vitraux, dans les grands pans d'ombre, une musique intérieure aussi sans doute, est exprimée dans les vers de Marilyne Bertoncini :

Du bleu obscur émerge puis s'éteint
poignante une lueur
qui sourd à peine dans le silence

Puis :

non, sourd ne convient pas -
l'abbatiale est sonore
et toutes les formes bruissent dans l'absence de voix

Comme la lumière et l'ombre indissociables – d'où le néologisme AUB'OMBRE créé par l'auteure et qui sert de titre à l'ouvrage – le silence propre aux églises, ce silence habité pour qui se laisse pénétrer  par le mystère trouve son écho dans un chant, un murmure assourdi que l'on ressent au dedans de soi.

Si les photographies de Florence Daudé montrent les colonnes, les vitraux, les voûtes, la statue d'un ange, ainsi que peuvent le faire les mots de Marilyne Bertoncini, les images comme les vers transcendent la simple réalité objective :

Et les fûts fantômes de forêts debout
obscurs simulacres de formes

Ou encore :

Immatérielle la lumière flotte derrière les vitraux
le verre la porte et la transmue

C'est bien cette alchimie de l'art poétique ou photographique qui transforme l'objet simple et vulgaire en quelque chose de hautement noble.

la couleur lève comme une pâte
et la lumière est son levain

Toutes ces promesses de beauté des éléments architecturaux, de leurs symboles, des jeux subtils de la lumière sont ici tenues, dans ce livre de grande élégance.

Présentation de l’auteur

Marilyne Bertoncini

Marilyne Bertoncini : poète, traductrice (anglais-italien), revuiste et critique littéraire, membre du comité de rédaction de la revue Phoenix, elle s'occupe de la rubrique Musarder sur la revue italienne Le Ortique, consacrée aux femmes invisibilisées de la littérature, et mène, avec Carole Mesrobian, la revue numérique Recours au Poème, à laquelle elle collabore depuis 2013 et qu'elle dirige depuis 2016. 

Autrice d'une thèse, La Ruse d'Isis, de la Femme dans l'oeuvre de Jean Giono, et titulaire d'un doctorat, elle a été vice-présidente de l’association I Fioretti, pour la promotion des manifestations culturelles au Monastère de Saorge (06) et membre du comité de rédaction de la Revue des Sciences Humaines, RSH (Lille III). Ses articles, essais et poèmes sont publiés dans diverses revues littéraires ou universitaires, françaises et étrangères. Parallèlement à l'écriture, elle anime des rencontres littéraires, Les Jeudis des Mots, à Nice, ou les Rencontres au Patio, avec les éditions PVST?, dans la périphérie du festival Voix Vives de Sète. Elle pratique la photographie et collabore avec des artistes, musiciens et plasticiens.

Ses poèmes sont traduits en anglais, italien, espagnol, allemand, hébreu, bengali, et chinois.

 

bibliographie

Recueils de poèmes

La Noyée d'Onagawa, éd. Jacques André, février 2020

Sable, photos et gravures de Wanda Mihuleac, éd. Bilingue français-allemand par Eva-Maria Berg, éd. Transignum, mars 2019

Memoria viva delle pieghe, ed. bilingue, trad. de l'autrice, ed. PVST. Mars 2019

Mémoire vive des replis, texte et photos de l’auteure, éd. Pourquoi viens-tu si tard – à paraître, novembre 2018

L’Anneau de Chillida, Atelier du Grand Tétras, mars 2018 (manuscrit lauréat du Prix Littéraire Naji Naaman 2017)

Le Silence tinte comme l’angélus d’un village englouti, éd. Imprévues, mars 2017

La Dernière Oeuvre de Phidias, suivi de L'Invention de l'absence, Jacques André éditeur, mars 2017.

Aeonde, éd. La Porte, mars 2017

La dernière œuvre de Phidias – 453ème Encres vives, avril 2016

Labyrinthe des Nuits, suite poétique – Recours au Poème éditeurs, mars 2015

 

Ouvrages collectifs

- Le Courage des vivants, anthologie, Jacques André éditeur, mars 2020

- Sidérer le silence, anthologie sur l’exil – éditions Henry, 5 novembre 2018

- L’Esprit des arbres, éditions « Pourquoi viens-tu si tard » - à paraître, novembre 2018

- L’eau entre nos doigts, Anthologie sur l’eau, éditions Henry, mai 2018

- Trans-Tzara-Dada – L’Homme Approximatif , 2016

- Anthologie du haiku en France, sous la direction de Jean Antonini, éditions Aleas, Lyon, 2003

Traductions de recueils de poésie

-Soleil hésitant, de Gili Haimovich, éd. Jacques André (à paraître 2021)

-Un Instant d'éternité, bilingue (traduit en italien) d'Anne-Marie Zucchelli, éd. PVST, 2020

- Labirinto delle Notti (inedito) nominé au Concorso Nazionale Luciano Serra, Italie, septembre 2019

- Tony's blues, de Barry Wallenstein, avec des gravures d'Hélène Bauttista, éd. Pourquoi viens-tu si tard ? , mars 2020

- Instantanés, d‘Eva-Maria Berg, traduit avec l’auteure, éditions Imprévues, 2018

- Ennuage-moi, a bilingual collection , de Carol Jenkins, traduction Marilyne Bertoncini, River road Poetry Series, 2016

- Early in the Morning, Tôt le matin, de Peter Boyle, Marilyne Bertoncini & alii. Recours au Poème éditions, 2015

- Livre des sept vies , Ming Di, Recours au Poème éditions, 2015

- Histoire de Famille, Ming Di, éditions Transignum, avec des illustrations de Wanda Mihuleac, juin 2015

- Rainbow Snake, Serpent Arc-en-ciel, de Martin Harrison Recours au Poème éditions, 2015

- Secanje Svile, Mémoire de Soie, de Tanja Kragujevic, édition trilingue, Beograd 2015

- Tony’s Blues de Barry Wallenstein, Recours au Poème éditions, 2014

Livres d'artistes (extraits)

Aeonde, livre unique de Marino Rossetti, 2018

Æncre de Chine, in collection Livres Ardoises de Wanda Mihuleac, 2016

Pensées d'Eurydice, avec  les dessins de Pierre Rosin :  http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-pierre-rosin/

Île, livre pauvre avec un collage de Ghislaine Lejard (2016)

Paesine, poème , sur un collage de Ghislaine Lejard (2016)

Villes en chantier, Livre unique par Anne Poupard (2015)

A Fleur d'étang, livre-objet avec Brigitte Marcerou (2015)

Genèse du langage, livre unique, avec Brigitte Marcerou (2015)

Daemon Failure delivery, Livre d’artiste, avec les burins de Dominique Crognier, artiste graveuse d’Amiens – 2013.

Collaborations artistiques visuelles ou sonores (extraits)

- Damnation Memoriae, la Damnation de l'oubli, lecture-performance mise en musique par Damien Charron, présentée le 6 mars 2020 avec le saxophoniste David di Betta, à l'ambassade de Roumanie, à Paris.

- Sable, performance, avec Wanda Mihuleac, 2019 Galerie

- L'Envers de la Riviera  mis en musique par le compositeur  Mansoor Mani Hosseini, pour FESTRAD, festival Franco-anglais de poésie juin 2016 : « The Far Side of the River »

- Performance chantée et dansée « Sodade » au printemps des poètes  Villa 111 à Ivry : sur un poème de Marilyne Bertoncini, « L’homme approximatif » , décor voile peint et dessiné,  6 x3 m par Emily Walcker  :

l’Envers de la Riviera  mis en image par la vidéaste Clémence Pogu – Festrad juin 2016 sous le titre « Proche Banlieue»

Là où tremblent encore des ombres d’un vert tendre » – Toile sonore de Sophie Brassard : http://www.toilesonore.com/#!marilyne-bertoncini/uknyf

La Rouille du temps, poèmes et tableaux textiles de Bérénice Mollet(2015) – en partie publiés sur la revue Ce qui reste : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-berenice-mollet/

Préfaces

Appel du large par Rome Deguergue, chez Alcyone – 2016

Erratiques, d’ Angèle Casanova, éd. Pourquoi viens-tu si tard, septembre 2018

L’esprit des arbres, anthologie, éd. Pourquoi viens-tu si tard, novembre 2018

Chant de plein ciel, anthologie de poésie québécoise, PVST et Recours au Poème, 2019

Une brèche dans l'eau, d'Eva-Maria Berg, éd. PVST, 2020

 

(Site : Minotaur/A, http://minotaura.unblog.fr),

(fiche biographique complète sur le site de la MEL : http://www.m-e-l.fr/marilyne-bertoncini,ec,1301 )

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Marilyne Bertoncini nous emmène vers la plage au sable fin, vers la mer et ses vagues qui dansent dans le vent pour un voyage tout intérieur… Elle marche dans [...]

Marilyne BERTONCINI, Mémoire vive des replis, Sable

Marilyne BERTONCINI – Mémoire vive des replis La poésie de Marilyne Bertoncini est singulière, en ce qu’elle s’appuie fréquemment sur des choses matérielles, pour prendre essor, à la façon [...]

Marilyne Bertoncini, La Noyée d’Onagawa

Chant du silence du fond de l’eau, celui où divague le corps de la femme de Yasuo Takamatsu. Flux et reflux du langage devenu poème, long discours sur le vide laissé par la [...]

Marilyne Bertoncini, La noyée d’Onagawa

Cette suite poétique, à la construction musicale, points et contrepoints, bouleverse et interroge. Inspirée d’une dépêche d’AFP, elle fait osciller le lecteur entre plusieurs réalités, temporalités et espaces. Continuité et rupture, matérialité et [...]




Marilyne bertoncini, La Plume d’ange

La lecture du conte « La plume d’Ange » nous ouvre à la magie d’un style et d’un univers. Nombreux sont ceux qui, tel le modeste auteur de cette chronique, sont fatigués par l’inlassable écriture post-célinienne d'écrivaillons sans talent ni imagination, bien loin de l'auteur du Voyage au bout de la nuit qui détestait la facilité et la démagogie.

Aux amoureux de la littérature digne de ce nom, travaillée avec amour, Marilyne Bertoncini donne à lire dans un style magnifique, enchanteur, ciselé un apologue mystérieux. En harmonie avec l’histoire étrange du professeur Ange Tardini, le lecteur entre dans le récit et, l’ensorcellement le gagnant, n’en sort que malgré lui – la dernière page dévorée. En me gardant de dévoiler quoi que ce soit de l’envoûtante histoire, que l’on me permette de donner deux courts extraits qui illustreront le talent de Maryline Bertoncini : « Il se rappela alors très vivement la plume qui l'avait tant fait rêver, et il resta longtemps les yeux fixés sur les signes du matin. Peut-être que, s'il avait essayé d'écrire avec elle, peut-être qu'il aurait écrit le livre du monde. Elle avait les couleurs du mystère, elle aurait peut-être dévoilé les secrets de l'univers. Peut-être... Il rêvait les yeux ouverts. » ; ou encore, quand le narrateur affirme qu’il n’existait « rien d'aussi fascinant que le jeu de clair-obscur qui se modelait autour d'elle ; rien de plus étrange que cette fragilité aérienne, qui évoquait pourtant l'impénétrable dureté du métal. Avant de se coucher, il la posa délicatement sur la table de chevet. On aurait dit un joyau d'où jaillissaient d'imperceptibles éclairs noirs dans la pénombre. »

Marilyne Bertoncini, La Plume d'ange, illustrations Emilie Walcker, éditions Chemins de plume, 2022, 16€.

Le récit lui-même, sa lecture finie depuis bien longtemps, continue de nourrir l’âme du lecteur. Comme toutes les œuvres d’art, cet apologue fait naître nombre de questions, notamment existentielles, sur le rapport que nous établissons avec l’acte d’écriture, ou encore sur ce que ce dernier peut avoir – ou oublier d’avoir – avec l’altérité. Posons-en quelques-unes, sur lesquelles « La plume d’Ange » se garde d’apporter des réponses réductrices.

Les passionnés du livre, de l’écriture, comme l’est Ange Tardini, le savent : la littérature n’est un remède aux maux intérieurs que dans la mesure où l’esprit critique et l’ouverture au monde accompagnent le mouvement. Nullement à l’abri des préjugés, le personnage en fera l’expérience bénéfique vis-à-vis des êtres qui l’entourent, qu’il a enfermés un peu tôt derrière des épithètes définitives. De même, jusqu’où n’était-il pas aliéné, emprisonné dans quelque geôle spirituelle, jusqu’à la mystérieuse découverte de la plume ? Sa vie vieillie « avant l’âge » derrière d’interminables « habitudes » étaient-elles choisie ou subie ?

Rien n’est affirmé ici, tout est subtilement raconté, et nous vivons son périple pour comprendre le mystère de cette sublime et ensorcelante plume, belle allégorie de toute activité littéraire.

Ce conte magnifique s'enrichit d'un dialogue constant entre la narration et les illustrations d'Emily Walcker. Ces peintures donnent à voir une interprétation personnelle de l'artiste qui, déployant dans l'espace et la couleur l'impression de mouvement féerique du conte, offre au lecteur le talent et la vision d'Emily Walcker. Cet apport d'une grande richesse, cette perception originale d'une artiste sont un don précieux pour le lecteur.

 




A propos de XXL…S — entretien avec Marilyne Bertoncini

Marilyne Bertoncini, XXL… S, éditions L’Atelier du Grand Tétras, mars 2022, 56 pages, 12 euros

En exergue du livre, publié récemment à l’Atelier du Grand Tétras, la réflexion de Victor Hugo,  stipulant que l’homme tout entier tient dans l'alphabet, dont les lettres distinguées, Y, mais également X, L, seront reprises en échos dans votre texte : « L, c’est la jambe, le pied […] L’X, l’Y, ce sont les épées croisées, c’est le combat ; qui est le vainqueur ? » Peut-on lire dans votre réflexion une allusion amusée à la guerre des sexes dont vous vous détachez dans un éloge souverain des lettres féminines, donc des femmes dans les lettres, reprenant un combat féministe, à travers ce poème-essai, dans lequel vous déployez la signature d’une écriture sous-jacente dans l’alphabet universel ?
J’ai depuis longtemps en tête cette remarque de Hugo – la fourche du Y, si difficile à placer dans mon prénom, m’y invitait – mais ce n’est que récemment que j’ai réalisé combien  la lecture du poète était strictement masculine et guerrière, alors que les découvertes de la génétique ont depuis attribué le double X au féminin, et que la vision graphique du poète (ne pas oublier son art de dessinateur) était limitée à une vision corporelle et de postures, et négligeait nombre de possibilités auxquelles me portait ma fascination pour l’alphabet, notamment hébraïque :  dans ce dernier,  purement consonantique, chaque lettre porte un univers, de telle sorte qu’elles ne se touchent pas mais impliquent la présence de blancs, comme des respirations, qui rythment le texte – d’où la mise en page du livre, qui joue des marges, et des formes évoquant des calligrammes (ainsi le L formé par la liste des autrices du passé) et portant à une sorte de cantillation (un parlar cantando) qui sous-tend et « construit » le texte de mon poème. Plus qu'aux voyelles rimbaldiennes que tu avais évoquées dans un échange précédent, ce livre – par son titre surtout – doit beaucoup à mon admiration pour le Livre des Questions d'Edmond Jabès, et notamment le dernier du cycle,  El ou le dernier livre , dont le titre est en fait un simple signe de ponctuation (.)  À la stérilité de ce point final choisi par le poète,  j'ai opposé, je pense, la fertilité des lettres X et L – et tu as raison de parler d' « alphabet universel » en ce sens que la génétique est le langage primordial de la vie, tout comme El, la divinité sémitique, est le dieu pancréator. Ainsi, ce n’est pas une énième «guerre des sexes » qui m’inspire, ni un «combat» féministe (même si, évidemment, les lettres portent une revendication à être)  : c'est une tentative d’élargissement (le XXL du titre y invite) de la lecture de l’alphabet, tout simplement en suivant les pentes des rêveries que les lettres suscitent aux différents niveaux, sonore, formel, lexical… qu’elles portent et évoquent.
Ainsi, en déroulant le fil des lettres du titre, en jouant sur les suggestions de sens opérées par les homophonies, en faisant vôtres les jeux de sonorités – entre procédé à la Raymond Roussel et  interprétation fantaisiste des alphabets sémitiques - vous interrogez la langue, notre rapport à elle, en débobinant cette pelote malicieuse comme autant de signes distincts « d’une potentialité libératrice lorsque comme ici les mots tissent leur propre paysage inédit et neuf grâce au travail de la poésie » ainsi que le souligne Carole Mesrobian dans la présentation en 4ème de couverture
En fait, je ne « déroule » pas le fil des lettres, mais j’en tire plusieurs dans l’écheveau qu’elles me proposent. Le livre se compose de 8 brefs chapitres, développant à chaque fois une notion « encyclopédique » liée à chacune des lettres du titre – à l’exception du …S.  Ce dernier est venu tardivement dans le titre – signe de pluralité du féminin, mais aussi, à bien y regarder, signe de l'inversion des représentations. Au centre du poème, le chapitre « ablation/lallation » évoque une lettre absente, le O – l’unique « voyelle », liée à l’amputation du nom dont se sert George Sand afin de pouvoir écrire. Procédé à la Raymond Roussel, ai-je suggéré dans un échange précédent, car chaque chapitre déploie toutes les possibilités incluses dans l’épigraphe qui l’ouvre et lui sert de pré-texte – et Carole Mesrobian a parfaitement décrit le procédé : les lettres tissent elles-mêmes le texte et ouvrent des chemins de fuite, que je me suis contentée de suivre sans leur opposer de résistance : j’ai ressenti, en écrivant ce livre, avec force,  qu’il y a bien une « pensée du poème », une force puissante qui agit – on parlera de muse, d’inspiration ou d’inconscient selon les époques et les écoles – mais je soutiens que les lettres et les mots s’imposent et pensent avec/à travers le scripteur – c'est en cela sans doute que la poésie et la science (notamment mathématique) sont sœurs : les mots dans le poème fonctionnent et se déroulent comme des équations, avec leur logique propre, ouvrant une pluralité de sens que la langue commune et la pensée rationnelle n'atteignent pas. Ce n'est pas sans raison que me viennent à l'esprit les chemins de fuite : les mots comme les lettres (dont la typographie accentue l'importance et la répétition génératrice de sens) jouent dans l'espace, tracent, proposent des voies à voir autant qu'à entendre, et à suivre.
A travers  la figure lettrée de George Sand, vous rappelez la ruse de l’hétéronyme de convenance masculin comme masque libérateur de l’écriture personnelle de l'écrivaine  : « pour parler, se faire entendre, / devoir se camoufler / George plutôt qu’Aurore / comme une gorge d’où jaillit le geyser enfin libre des mots » !
Pas seulement George (sans S – au contraire de mon titre !) mais toutes les figures privées de parole dans la mythologie (et elles sont nombreuses, mutilées ou rendues muettes) – George apparaît dans le chapitre central, qui exprime la violence de cette répression/inexpression. C'est la force d’Aurore Dupin, qui ne se « cache » pas sous un hétéronyme, mais se forge un nom, SON propre nom, en amputant celui de son amant-écrivain-journaliste. Le O est originel en tant qu'il lui ouvre le champ de l'écriture – le chant même. Cet acte est fondamentalement poiétique, car créateur.
De la même manière donc, dans un passé plus lointain, plus occultée, la critique littéraire que vous êtes invite à gommer la réécriture masculine de l’Histoire, à en réhabiliter l’écriture féminine, dressant la longue liste de « ces dames / du temps jadis / écrivaines et / clergesses / du Moyen-Âge », accusant le mépris misogyne de l’histoire officielle : « combien de noms aujourd’hui oubliés / et combien d’autres jamais publiés / combien de voix à jamais étouffées » ? 
Oui, même si le terme « gommer » me semble inapproprié – il ne s’agit pas de supprimer, d’effacer, mais de restituer leur place aux femmes de lettres, à travers ce jeu de restitution du féminin dans les lettres de l’alphabet. Cette liste, qui prend la forme calligrammatique d'un L majuscule, invite à considérer l'histoire littéraire comme incomplète et à en proposer une lecture qui tienne compte à la fois des effacées, et des raisons pour lesquelles elles le furent. Je repense à un passage qui m'a marquée et m'accompagne, dans l'oeuvre de Louise Michel (je ne sais plus si dans ses Mémoires ou plutôt dans L'Histoire de la Commune) où elle évoque toutes ces femmes confinées au ménage et à l'enfantement, dont les œuvres potentielles forment une sorte de galaxie ignorée : il s'agit d'enrichir le patrimoine (on n'évoque guère le « matrimoine ») culturel en lui rendant les deux parties qui le composent. Non pas gommer, mais réparer une perte, pour un avenir plus riche.
Ainsi, au fil de votre poème-essai qui mêle idées philosophiques, références mythologiques et données historiques, ce sont bien les AILES en puissance de toutes ces ELLES en acte qui prennent leur envol vers un autre monde, à l’harmonie non feinte, à créer : « en forme d’AILE / ne plus en découdre / mais recoudre / résoudre / faire sourdre / un nouveau monde / androgyne peut-être / multiple / utopique sans doute / et / Libre »…




De la Performance aux poésies-performances

C'est à partir des années 50, et surtout dans les années 70 du 20ème siècle, que la performance acquiert son statut d'expression artistique à part entière : c'est la grande époque de l'art conceptuel, et la performance devenait une mise en œuvre des idées exprimées par cet art des idées - de nombreux centres d'art, des musées, des écoles d'art y consacrèrent des espaces, ou des festivals.

1 – la performance en bref – de sa préhistoire au années 80

En 1979 paraît la première histoire de la performance, jusqu'alors omise des analyses de l'évolution de l'art, peut-être parce qu'il s'agit d'un geste éphémère manifesté en public, et difficilement fixé par l'image mais aussi, peut-on penser, parce que ce geste disruptif est en fait souvent une arme en réaction aux conventions de l'art officiel, qui seul occupe les livres.

La radicalité de ce geste le rend essentiel dans l'histoire de l'art du 20ème siècle : chaque nouvelle école - cubisme, futurisme, minimalisme, art conceptuel - marqua, à travers la performance, la nécessité d'une rupture et de nouvelles orientations. Intimement liée à l'histoire des avant-gardes, elle en est l'activité fondatrice. Ainsi la plupart des dadaïstes furent-ils des comédiens et artistes de cabaret zurichois, avant de créer objets et poèmes exposables comme tels. Il en est de même en France, où le livre d'André Breton, Le Surréalisme et la peinture (1928) tente a posteriori de transposer au domaine pictural les idées surréalistes, jusqu'alors présentées par le même André Breton comme un acte gratuit dont le meilleur exemple serait de descendre dans la rue et de tirer au hasard un coup de revolver.

La performance est une façon d'interpeller le public, de le heurter pour l'amener à réévaluer sa propre conception de l'art et de la culture. Et l'intérêt manifesté par le public, dans la décennie 80 du siècle dernier, témoigne aussi d'un désir de ce public d'accéder au domaine artistique, d'être spectateurs de ses rituels, d'être surpris par l'anticonformisme des manifestations proposées.

Présentée en solo, ou a plusieurs, parfois accompagnée de musique ou de jeux de lumière, produite dans les lieux les plus divers, la performance est réalisée par un interprète qui ne joue pas un « rôle » comme un acteur. De même, le contenu de l'acte performatif n'est pas narratif au sens traditionnel du terme, comme dans une représentation théâtrale. Il peut s'agir aussi bien d'une répétition de gestes intimistes, que d'un théâtre visuel à grande échelle – cela peut durer quelques minutes, voire de longues heures ou plusieurs jours, en continu ou de façon itérée...

André Breton portant une affiche de Francis Picabia à un festival dada en mars 1920. Rue des Archives/©Rue des Archives/PVDE

Lynn Book, Andy Laties and Jeff Beer interprètent "Ursonate" de Kurt Schwitters
au Cabaret Voltaire, Chicago 1988

Dans son introduction au livre « La Performance, du futurisme à nos jours », souvent republié depuis 1988, et qui est une excellente œuvre de vulgarisation, la critique Roselee Goldberg assigne à la performance des racines lointaines : les rituels tribaux, les mystères médiévaux, les soirées conçues par les artistes dans leur atelier des années 20... La recherche contemporaine (et Jean-Pierre Bobillot, initiateur du colloque international "Performances poétiques", organisé par l'équipe "Textes, Contextes, Frontières" ((du Centre Universitaire Jean-François Champollion, le laboratoire "Lettres, Langages et Arts : Création, Recherche, Émergence, en Arts, Textes, Images, Spectacles" (LLA-CRÉATIS) de l'Université Toulouse Jean Jaurès-campus Mirail. Albi, Centre Universitaire Champollion, 19-20 mars 2015.)) reconnaît une « préhistoire » de la performance au moins dès la fin du 19ème siècle, avec l'expérience mallarméenne, les artistes du club des hydropathes d'Emile Goudeau, et de cabarets, comme Le Chat Noir. Roselee Golberd la fait quant à elle remonter aux rites tribaux, aux mystères médiévaux, ou encore aux spectacles somptueux imaginés par Le Bernin, ou Leonard de Vinci à la Renaissance et l'âge baroque.

Thames & Hudson, 2012

Quoi qu'il en soit, toutes ces manifestations on en commun la présence – qu'elle soit chamanique, ésotérique, pédagogique, ou provocatrice ; au 20ème siècle, ses fondements sont essentiellement contestataire, anarchiques, et elle est inclassable, faisant appel à de nombreuses techniques et disciplines : littérature, poésie, théâtre, musique, danse, architecture, peinture, mais aussi vidéo, projections, cinéma... Elle est le lieu d'une extrême liberté, chaque artiste en donnant sa propre définition, par le processus et le mode d'exécution même qu'il choisit.

1960 : Yves Klein pendant l'un des performances, les "Anthropometries" au Musée d'art moderne de la ville de Paris. (DALMAS/SIPA)

Sabura Murakami, Traversée, 1956 (© Makiko Murakami and the former members of the Gutai Art Association, courtesy Museum of Osaka University).

Des prémices au début du 20ème siècle, par des artistes qui choisissaient par ce biais de rompre avec les techniques dominantes, aux formes prises plus tard et brouillant les frontières entre art noble et culture populaire, toutes marquent l'inscription du corps physique de l'artiste et sa présence concrète, certaines plus récentes atteignant l'aspect du corps  à travers des happenings visant à choquer (je pense ainsi à Yves Klein et sa réflexion sur l'art qui l’amène à imaginer de nouveaux rapports avec ses modèles nues qui deviennent les « pinceaux vivants » des Anthropométries réalisées en public en 1960, pour au-delà du bleu) , ou des performances impressionnantes axées sur la raison, la sensibilité et le body art.

Parmi les actions les plus remarquables du siècle dernier, la très poétique performance de l’artiste Saburō Murakami  transperçant avec son corps comme un marteau les écrans de papier saupoudrés de feuilles d’or,dressés verticalement, lors de la deuxième exposition “Gutaï” à Tokyo en 1956. Placé à l’entrée de la galerie, le dispositif contraint également le premier visiteur à traverser cet obstacle, rendant visible le choix laissé au spectateur d’intégrer l’œuvre en passant au-delà de la résistance du papier étiré au maximum. ((Cette performance a été reconstituée et baptisée Passage, 8 novembre 1994 au centre Georges Pompidou à Paris en 1994.)) 

On peut citer aussi l'action très politique du membre légendaire du mouvement Fluxus ((créé par George Maciunas dans les années 1960)), l’Allemand Joseph Beuys . I like America and America likes me, réalisée avec un coyote sauvage à la galerie René Block de New York en 1974. Pris en charge à son domicile à Dusseldorf, transporté en ambulance yeux bandés, immobilisé sur une civière, il ne posera aucun pied sur le territoire américain - une volonté affirmée de celui-ci tant que la guerre du Vietnam n’est pas terminée. Joseph Beuys passe alors plusieurs jours dans une cage avec un coyote capturé dans le désert du Texas. Les visiteurs observent la relation entre les deux protagonistes derrière un grillage. Des rituels sont mis en place chaque jour, comme la livraison journalière du quotidien américain qui traite de l’activité économique et financière Wall Street Journal sur lequel urine le coyote… Joseph Beuys et l’animal partagent ainsi la paille et l’espace de la galerie jusqu au retour de l'artiste de la même façon qu’il est arrivé.

La performance I like America and America likes me réalisée par Joseph Beuys en 1974.

Une performance d'anthologie, en lien avec la vidéo et le son, est celle du couple composé de la Serbe Marina Abramović et du photographe allemand Ulay, dont les performances explorent la dynamique relationnelle à travers le prisme du corps et à la notion d’alter ego durant 12 ans. Ainsi,  AAA-AAA, réalisée en 1978 dans les studios TV de la RTB de Liège présente, dans une vidéo en noir et blanc de quinze minutes, les deux amants, filmés de profil, face à face bouches ouvertes et produisant un son de longueur quasi identique. Reprenant leur souffle en même temps au début du film, le rythme de leurs cris se décale peu à peu, l'agressivité augmente, les sons prennent la forme de véritables hurlements de la bouche de l'un à celle de l'autre, posant le questionnement des limites dans le couple .

Leur dernière collaboration ensemble a consisté à traverser une extrémité de la Grande Muraille de Chine : Ulay est parti du désert de Gobi et Abramovic de la mer Jaune, tous deux ont parcouru 2 500 kilomètres, se sont rencontrés au point convenu et ont dit au revoir (pour toujours)

On ne peut passer sous silence la toujours active artiste française Orlan qui utilise son corps comme un véritable médium. Parmi ses performances, la plus impressionnante est sans doute Omniprésence (1993). Orlan s'y fait implanter de la silicone au-dessus des arcades sourcilières par la chirurgienne new-yorkaise Marjorie Cramer qui accepte les objectifs artistiques de l’artiste. Orlan souhaite remettre en cause les normes de beauté et non ressembler à la Vénus de Milo ou à la Joconde comme le soulignait la presse de l’époque. Cette opération-performance sera diffusée en direct à la galerie Sandra Gering à New York, au Centre Georges Pompidou à Paris ou encore au Centre Mac Luhan à Toronto. 

De son côté, l'artiste britannique, ex-chorégraphe, Tino Sehgal, fait de la sensation, du corps et de la rencontre le cœur de son travail en mettant l'accent sur les interactions sociales au cours de mises en scène interactives avec le public : des baisers échangés par des couples au milieu d’une foule au musée de Guggenheim en 2010, ou en 2016, un projet exceptionnel pour lequel pas moins de 400 interprètes (artistes, collégiens danseurs sélectionnés par l’artiste) se sont produits à tour de rôle de midi à huit heures du soir, de façon continue avec une dimension esthétique et émotionnelle.

Les spectateurs assistent à des échanges de regards durant les chorégraphies entre les acteurs, à des rencontres furtives invitant à réaliser une promenade dans ce palais si désert pour n’en garder qu’une image ou qu’un sentiment unique et propre à chacun.  ((https://www.numero.com/fr/Art/performances-artistiques-galerie-trash-sensationnelles-orlan-chris-burden-gutai-fluxus-gina-pane-joseph-beuys))

Performance, happening, event... et même improvisation... la performance multiforme et très présente risque aussi de tendre vers une certaine banalisation, qui la fait réimporter au cœur des champs disciplinaires artistiques établis, où elle s'hybride, tout en proposant/ permettant une réactualisation de ces autres arts qui lui font appel. Le dossier proposé par Gérard Mayen pour le centre Pompidou ((http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-Performance/ )) rappelle – je le cite - que « dans les salles de spectacle s’observent les formes portées par le courant des chorégraphes français voués à la déconstruction de la représentation et à une approche plasticienne de la présence scénique (…) – ou par le courant théâtral post-dramatique, qui ne consiste plus principalement à transmettre un texte préalable, mais s’invente intégralement à travers l’acte scénique. Depuis 2009, le nouveau festival, produit de manière totalement interdisciplinaire par le Centre Pompidou, vise aussi à accorder une place de choix à ces nouveaux courants (2e édition du nouveau festival en février-mars 2011).

Ces actions jouent un rôle central dans le questionnement du réel, et exercent une influence majeure pour l'art de l'installation, l'art de la vidéo et la photo, devenant la technique de prédilection pour énoncer une différence dans les discours relatifs au multiculturalisme et au mondialisme.

Immédiat, éphémère, l'art de la performance capte les humeurs et les sensibilités d'une époque – la poésie, qui en est à l'origine, s'en fait l'écho et l'accompagne sous des formes variées, dépendant de la singularité de chaque performeur-poète – ce que nous explorons dans la 2ème partie, et dans le dossier de ce numéro.

 

2 – Performance et Poésie – une nouvelle voi(e)x

La poésie-performance ou poésie action est une pratique artistique contemporaine qui se trouve au confluent de l'art performance et de la lecture performée. Sortant du format imposé par l'édition et le format du livre, la poésie-performance fonde une poésie spécifiquement créée en vue d'être performée en présence d'un public, sous une forme distincte de la lecture-récital, avec ou sans musique, ou de la mise en scène théâtrale avec des comédiens. Elle se situe dans un espace transdisciplinaire, en tension entre diverses tendances artistiques : l’art performance et ses développements dans le champ des arts plastiques ou visuels, la poésie sonore et la poésie action, les diverses avant-gardes comme dada, le futurisme, le surréalisme, Fluxus, mais aussi la contre-culture, le lettrisme, le happening.

Parmi les « anciens » et les plus connus, on pourra citer Bernard Heidsieck (disparu en 2014), qui décide après avoir notamment écouté Boulez, de sortir le poème de la page imprimée, en créant, dès 1955 ses premiers "poèmes-partitions", avant d'utiliser le magnétophone comme principal outil de création à partir de 1959, fondant ainsi, avec François Dufrêne, Gil J. Wolman et Henri Chopin, la "poésie sonore", c'est-à-dire, selon sa définition restreinte, une poésie faite par et pour les magnétophone, et qui use des moyens de l'électro-acoustique. Au-delà de la dimension sonore, la dimension visuelle du poème prend pour Heidsieck une importance majeure : le poème, tel qu'il est conçu, trouve son achèvement sur la scène, dans le moment de sa performance. C'est la raison pour laquelle il rebaptise sa pratique, à partir de 1963, "Poésie action" :

extrait de "Bernard Heidisieck, La poésie en action", réalisé par Anne Laure Chamboissier et Philippe Franck, en collaboration avec Gilles Coudert

« Ce que je cherche toujours, c'est d'offrir la possibilité à l'auditeur/spectateur de trouver un point de focalisation et de fixation visuelle. Cela me parait essentiel. Sans aller jusqu'au happening loin de là, je propose toujours un minimum d'action pour que le texte se présente comme une chose vivante et immédiate et prenne une texture quasiment physique. Il ne s'agit donc pas de lecture à proprement parler, mais de donner à voir le texte entendu. »

performance de 1996 - Joël Hubaut illustre un "bug" de lecture en bégayant durant sa lecture d'un texte sur le virus informatique

Joël Hubaut lui, commence son travail à la fin des années 1960, stimulé par les écrits de William S. Burroughs, la musique d'Erik Satie, le pop art et les réflexions théoriques du groupe BMPT. Mixant toutes ces sources hétéroclites, Joël Hubaut oriente son activité vers un mixage hybride et monstrueux qu'il qualifie avec humour de « Pest-Moderne ».

Il crée à partir de 1970 ses premiers signes » d'écriture épidémik « qui envahissent tous les supports, objets-corps humains-véhicules-sites-etc. développant un processus « rhizomique » pluridisciplinaire et intermédia sous forme d'installations et de manœuvres..

Il crée et anime un espace alternatif : « NOUVEAU MIXAGE » de 1978 à 1985 (installation-vidéo-peinture-poésie-concert-performance). En 1980 il réalise une performance avec Jean-Jacques Lebel et Barbara Heinisch au ARC - Musée d'Art Moderne à Paris. En 1986 il réalise une performance avec Félix Guattari au Café de la Danse à Paris

On citera Julien Blaine qui, après sa tournée "Bye Bye la perf"2,  fait de nombreuses lectures performances où il montre souvent les "oripeaux" de ses anciennes perfs ((voir l'article de Rémy Soual))

Sylvain Courtoux est marqué par les avant-gardes expérimentales des années 1960-1970, représentées par les revues Tel Quel, TXT ou encore Change. Il lit notamment Maurice Roche, Anne-Marie Albiach, Jean-Marie Gleize, Liliane Giraudon, Denis Roche, Christian Prigent, Manuel Joseph, ou encore Danielle Collobert. en 1999, Courtoux crée avec Jérôme Bertin et Charles Pennequin  le collectif Poésie Express . Le rapport à la musique est l'une des bases du processus de travail de Sylvain Courtoux, ainsi que son usage du sampling.

Serge Pey est universitaire et chef de projet artistique (poésie, performance, art action) au Centre d'initiatives artistiques du Mirail. Le Castor Astral l'a publié dès 1975. Poésie-Action, véritable livre-bilan, est un poème sur la pratique même de la poésie. À la fois littérature, traité et poème d'action, ce livre questionne l'improvisation, l'engagement politique, la poésie sonore, la mort de l'art et d es avant-gardes. Ces " lèpres-lettres " à un jeune poète sont autant de bombes théoriques dédiées aux nouveaux artistes, peut-on lire sur le site de l'éditeur.  Se déclarant lui-même comme un héritier des poésie du monde, Pey ouvre des passages dans les poésies traditionnelles des peuples sans écriture, la poésie médiévale, les pulsions du zaoum et celles de la poésie sonore. À la suite de Jerome Rothenberg, on a pu attribuer une partie de son travail à l'espace de l'ethnopoésie. La façon de médiatiser son poème ou de l'illustrer oralement passe par une rythmique faisant appel à toutes les ressources du corps : battement de pieds, percussions avec ses mains, voix de ventre et de gorge. Il déclare lui-même vouloir « champter » son poème. Dans sa diction vertigineuse proche de l'hallucination, le rythme restitue la colonne vertébrale de son texte. Serge Pey reste le musicien ou le batteur inégalé de son poème. Ses récitals avec le poète beat Allen Ginsberg illustrent la force de son engagement de diseur.

Enregistré à Dunkerque en mars 2007 avec Nico et Pénélope de Cerceuil (respectivement basse et synthé), trois membres de Milgram (batterie, guitare1, guitare2) et Emmanuel Rabu (laptop). Paroles, musique et chant (approx.) : Sylvain Courtoux. Produit et enregistré par Milgram. 

Alerte -radioactive, 13 mai 2011

Charles Pennequin avec notamment les bandes de papier sur lesquelles il écrit des poèmes délabrés, muni de feutre poska sur sa tête ((voir l'article de Carole Mesrobian))

le collectif Poésie is not dead via notamment l'utilisation de la Rimbaudmobile, concept et collectif, fondé en 2007 par François Massut[1], avec comme objectif d'être un rhizome entre poètes contemporains et artistes plasticiens/musiciens expérimentaux. Ce concept et collectif sont influencés par les mouvements et les poètes de la "poésie expérimentale" : poésie sonore, poésie action, poésie visuelle, poésie-performance, du Dadaisme, du lettrisme, du situationnisme et de Fluxus.

Site de la Rimbaudmobile : http://rimbaudmobile.blogspot.fr/

La position poétique de Poésie is not dead s'inscrit dans les courants de l'art pour tous développé par les artistes Gilbert and George et du théâtre élitaire pour tous d'Antoine Vitez.

Intervention dans le cadre du colloque "La performance : vie de l'archive et actualité", AICA-France/Villa Arson. 25, 26 et 27 octobre 2012

Olivier Garcin, dans son espace niçois le Garage 103 ou lors d'évènements en galeries ou Centre d'Art, exprime en langages articulés souvent mis en scène avec des moyens technologiques, un jeu de paroles et de gestes perfomatif  - il interroge les valeurs traditionnelles des Beaux-Arts (le beau comme finalité absolue, l’académisme), dans une perspective politique, au sens étymologique voire « noble » du terme : créer le lien dans la Cité. Il travaille par séries en variant ses supports : films, dessins, poèmes-partitions, photographies, création d’objets, installations et performances. Il continue d’animer « Garage 103 », qu’il a contribué à fonder en 1975.

La parole, pour le futur, est laissée aux poètes-performeurs invités ici à s'exprimer sur leurs pratiques et leur inscription dans le monde ...




Marilyne Bertoncini et Ghislaine Lejard, Son corps d’ombre

Comment ne pas évoquer, dès l’empreinte à la fois charnelle et évanescente du titre de ce recueil, le poème de Robert Desnos, « J’ai tant rêvé de toi »,  À la mystérieuse, dans son ouvrage Corps et biens ?

« J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu’il ne me reste plus peut-être, et pourtant, qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l’ombre qui se promène et se promènera allégrement sur le cadran solaire de ta vie. » écrivit le poète surréaliste, au final de son chant qui résonne comme une quête d’Eurydice par un Orphée moderne qui loin de renvoyer au Royaume des Ombres l’ombre de son aimée, devient lui-même celle de son amour en pleine lumière ! Les références mythiques ne manquent pas également à la graphie de Marilyne Bertoncini, figures immortelles ou mortelles évoquées sous sa plume comme autant de contours des territoires d’un imaginaire collectif héritier de cette Mythologie Gréco-Romaine dont ses relectures/réécritures investissent les mille-et-un visages…

Et c’est comme si cet ailleurs passé au creux du présent exploré formait la toile de fond, la trame du voyage auquel les deux créatrices nous invitent, Ghislaine Lejard par ces montages d’images et Marilyne Bertoncini par ces textes ciselés, en passerelles entre l’Antique et le Moderne, dont les allusions aux personnages héroïques et aux dieux primordiaux s’avèrent autant d’offrandes où lire l’implicite à peine voilé des écrits !

 Marilyne Bertoncini et Ghislaine Lejard, Son corps d'ombre, Éditions Zinzoline, 2021,  47 pages.

Le poème d’amour emblématique semble réinventé sous la forme d’un constat au quotidien du côtoiement des « ombres parmi les ombres » entraînant un devenir fantomatique de la narratrice, épreuve au jour le jour, entre obscurité et clarté, où s’enfonce l’investigation stylistique : « j’apprivoise des ombres // j’apprivoise des ombres et deviens l’une d’elles » ! Aspiration profonde pourtant à une remontée vers la lumière d’un Orient/Orion magicien : « Orient espéré / à l’issue du chemin / Orion Ariane ma sœur La Très Sacrée / tes pas tracent les mots dans ta danse secrète / dans l’outre-monde des paroles / dans le silence / des choses / somnolentes / Le chemin qui s’éboule monte vers la lumière. »

Traversée du paysage de la ville en toile de maître italien d’où émerge, en creux, la figure d’une Eurydice perdue : « Ville minérale comme un tableau de Chirico / Plantée dans la pianura où chante la permanente brume / Ville de pierre et marbre / Rose ville romane / Eurydice depuis toujours est une absence / Un creux / Comme ces taches sur un mur où se greffer l’imaginaire »… Scribe des anciens temps ou voix des temps nouveaux, l’écrivaine tisse, depuis la mémoire d’un tel imaginaire, tels le fil d’Ariane ou la toile d’Arachné, les éclats de ce feu poétique perpétué éclairant aujourd’hui : « J’écris d’un autre temps / d’un autre lieu / les mots traversent mon présent / m’enveloppent de leur langue de soie // L’araignée du souvenir tisse la langue. » Des fragments rassemblés s’élèvent les arborescences reliant le lieu infernal et l’arbre mortel : « La Porte des Enfers est au cœur du platane / écoute grincer l’huis sous l’écorce qui craque » !

Traversée dès lors du Fleuve des Enfers, Léthé dont le passeur, Charon, trace la géographie : « Il n’est de voyage léger / pour pénétrer au pays de la mort / Comme porte le mort sous la langue l’obole / j’ai en bouche le goût de ta pièce, nocher ». Voyage sous le signe du  sommeil de ce passage de la vie à la mort : « Le sommeil est ton nocher / Nageur lisse et blanc / te voici sur l’autre rive / tu as traversé l’autre nuit ». Plongée sous le signe de la métamorphose en ombre d’ombre : « Ta main d’ombre saisit la mûre / et son ombre / ta bouche d’ombre / ne goûte / que l’ombre de la mûre ». Aveu du sentiment de la perte tant de soi que des êtres aimés : « On ne guérit jamais de la perte d’une ombre / On ne guérit jamais de ces frissons / qui passent ». Mais abord paradoxal de la rive, du jardin où se ressourcer : « La paix soyeuse du jardin / est une allée-membrane / dans le couchant qui vibre / aux arêtes des toits » ! Terme jamais totalement atteint de cet itinéraire entre pénombre et clarté : « J’avance à tâtons / à l’aveugle / dans ton ombre » ?

Au fil de son érudition des contes et légendes de la Mythologie Gréco-Romaine, c’est peut-être à la question de ce destin en partage des êtres humains, à la vie, à la mort, en finalité de la finitude de notre condition commune, que s’attache l’écriture de Marilyne Bertoncini, où à travers les frontières entre la lumière et l’obscurité, entre le monde des ombres au quotidien et la clarté d’un jardin où se retrouver enfin, sa veine exploratrice des grandes figures de la poésie antique joue des allusions sans donner toutes les clés, œuvre à la polysémie des sens cachés grâce auxquels le passé innerve le présent, dit un rapport singulier à l’épreuve ou à l’accueil d’un tel présent, Mon corps d’ombre, tant par les collages, jamais illustratifs, toujours en profondeur des strates du visible, de Ghislaine Lejard que par les vers libres et libérateurs de ce mouvement de l’invisible de Marilyne Bertoncini, rejoint ainsi les ombres pour mieux dire peut-être la lueur de la quête…

Présentation de l’auteur

Marilyne Bertoncini

Marilyne Bertoncini : poète, traductrice (anglais-italien), revuiste et critique littéraire, membre du comité de rédaction de la revue Phoenix, elle s'occupe de la rubrique Musarder sur la revue italienne Le Ortique, consacrée aux femmes invisibilisées de la littérature, et mène, avec Carole Mesrobian, la revue numérique Recours au Poème, à laquelle elle collabore depuis 2013 et qu'elle dirige depuis 2016. 

Autrice d'une thèse, La Ruse d'Isis, de la Femme dans l'oeuvre de Jean Giono, et titulaire d'un doctorat, elle a été vice-présidente de l’association I Fioretti, pour la promotion des manifestations culturelles au Monastère de Saorge (06) et membre du comité de rédaction de la Revue des Sciences Humaines, RSH (Lille III). Ses articles, essais et poèmes sont publiés dans diverses revues littéraires ou universitaires, françaises et étrangères. Parallèlement à l'écriture, elle anime des rencontres littéraires, Les Jeudis des Mots, à Nice, ou les Rencontres au Patio, avec les éditions PVST?, dans la périphérie du festival Voix Vives de Sète. Elle pratique la photographie et collabore avec des artistes, musiciens et plasticiens.

Ses poèmes sont traduits en anglais, italien, espagnol, allemand, hébreu, bengali, et chinois.

 

bibliographie

Recueils de poèmes

La Noyée d'Onagawa, éd. Jacques André, février 2020

Sable, photos et gravures de Wanda Mihuleac, éd. Bilingue français-allemand par Eva-Maria Berg, éd. Transignum, mars 2019

Memoria viva delle pieghe, ed. bilingue, trad. de l'autrice, ed. PVST. Mars 2019

Mémoire vive des replis, texte et photos de l’auteure, éd. Pourquoi viens-tu si tard – à paraître, novembre 2018

L’Anneau de Chillida, Atelier du Grand Tétras, mars 2018 (manuscrit lauréat du Prix Littéraire Naji Naaman 2017)

Le Silence tinte comme l’angélus d’un village englouti, éd. Imprévues, mars 2017

La Dernière Oeuvre de Phidias, suivi de L'Invention de l'absence, Jacques André éditeur, mars 2017.

Aeonde, éd. La Porte, mars 2017

La dernière œuvre de Phidias – 453ème Encres vives, avril 2016

Labyrinthe des Nuits, suite poétique – Recours au Poème éditeurs, mars 2015

 

Ouvrages collectifs

- Le Courage des vivants, anthologie, Jacques André éditeur, mars 2020

- Sidérer le silence, anthologie sur l’exil – éditions Henry, 5 novembre 2018

- L’Esprit des arbres, éditions « Pourquoi viens-tu si tard » - à paraître, novembre 2018

- L’eau entre nos doigts, Anthologie sur l’eau, éditions Henry, mai 2018

- Trans-Tzara-Dada – L’Homme Approximatif , 2016

- Anthologie du haiku en France, sous la direction de Jean Antonini, éditions Aleas, Lyon, 2003

Traductions de recueils de poésie

-Soleil hésitant, de Gili Haimovich, éd. Jacques André (à paraître 2021)

-Un Instant d'éternité, bilingue (traduit en italien) d'Anne-Marie Zucchelli, éd. PVST, 2020

- Labirinto delle Notti (inedito) nominé au Concorso Nazionale Luciano Serra, Italie, septembre 2019

- Tony's blues, de Barry Wallenstein, avec des gravures d'Hélène Bauttista, éd. Pourquoi viens-tu si tard ? , mars 2020

- Instantanés, d‘Eva-Maria Berg, traduit avec l’auteure, éditions Imprévues, 2018

- Ennuage-moi, a bilingual collection , de Carol Jenkins, traduction Marilyne Bertoncini, River road Poetry Series, 2016

- Early in the Morning, Tôt le matin, de Peter Boyle, Marilyne Bertoncini & alii. Recours au Poème éditions, 2015

- Livre des sept vies , Ming Di, Recours au Poème éditions, 2015

- Histoire de Famille, Ming Di, éditions Transignum, avec des illustrations de Wanda Mihuleac, juin 2015

- Rainbow Snake, Serpent Arc-en-ciel, de Martin Harrison Recours au Poème éditions, 2015

- Secanje Svile, Mémoire de Soie, de Tanja Kragujevic, édition trilingue, Beograd 2015

- Tony’s Blues de Barry Wallenstein, Recours au Poème éditions, 2014

Livres d'artistes (extraits)

Aeonde, livre unique de Marino Rossetti, 2018

Æncre de Chine, in collection Livres Ardoises de Wanda Mihuleac, 2016

Pensées d'Eurydice, avec  les dessins de Pierre Rosin :  http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-pierre-rosin/

Île, livre pauvre avec un collage de Ghislaine Lejard (2016)

Paesine, poème , sur un collage de Ghislaine Lejard (2016)

Villes en chantier, Livre unique par Anne Poupard (2015)

A Fleur d'étang, livre-objet avec Brigitte Marcerou (2015)

Genèse du langage, livre unique, avec Brigitte Marcerou (2015)

Daemon Failure delivery, Livre d’artiste, avec les burins de Dominique Crognier, artiste graveuse d’Amiens – 2013.

Collaborations artistiques visuelles ou sonores (extraits)

- Damnation Memoriae, la Damnation de l'oubli, lecture-performance mise en musique par Damien Charron, présentée le 6 mars 2020 avec le saxophoniste David di Betta, à l'ambassade de Roumanie, à Paris.

- Sable, performance, avec Wanda Mihuleac, 2019 Galerie

- L'Envers de la Riviera  mis en musique par le compositeur  Mansoor Mani Hosseini, pour FESTRAD, festival Franco-anglais de poésie juin 2016 : « The Far Side of the River »

- Performance chantée et dansée « Sodade » au printemps des poètes  Villa 111 à Ivry : sur un poème de Marilyne Bertoncini, « L’homme approximatif » , décor voile peint et dessiné,  6 x3 m par Emily Walcker  :

l’Envers de la Riviera  mis en image par la vidéaste Clémence Pogu – Festrad juin 2016 sous le titre « Proche Banlieue»

Là où tremblent encore des ombres d’un vert tendre » – Toile sonore de Sophie Brassard : http://www.toilesonore.com/#!marilyne-bertoncini/uknyf

La Rouille du temps, poèmes et tableaux textiles de Bérénice Mollet(2015) – en partie publiés sur la revue Ce qui reste : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-berenice-mollet/

Préfaces

Appel du large par Rome Deguergue, chez Alcyone – 2016

Erratiques, d’ Angèle Casanova, éd. Pourquoi viens-tu si tard, septembre 2018

L’esprit des arbres, anthologie, éd. Pourquoi viens-tu si tard, novembre 2018

Chant de plein ciel, anthologie de poésie québécoise, PVST et Recours au Poème, 2019

Une brèche dans l'eau, d'Eva-Maria Berg, éd. PVST, 2020

 

(Site : Minotaur/A, http://minotaura.unblog.fr),

(fiche biographique complète sur le site de la MEL : http://www.m-e-l.fr/marilyne-bertoncini,ec,1301 )

Autres lectures

Marilyne Bertoncini, Aeonde

Petit livret, grand livre. Encore une fois, après La dernière œuvre de Phidias, Marilyne Bertoncini fait appel à la dimension mythique pour dire la condition humaine.

Les 101 Livres-ardoises de Wanda Mihuleac

Une épopée des rencontres heureuses des arts Artiste inventive, Wanda Mihuleac s’est proposé de produire des livres-objets, livres d’artiste, livres-surprise, de manières diverses et inédites où la poésie, le visuel, le dessin [...]

Marilyne Bertoncini, Mémoire vive des replis

Un joli format qui tient dans la poche pour ce livre précieux dans lequel Marilyne Bertoncini fait dialoguer poèmes et photographies (les siennes) pour accueillir les fragments du passé qui affleurent dans les [...]

Marilyne Bertoncini, Sable

Marilyne Bertoncini nous emmène vers la plage au sable fin, vers la mer et ses vagues qui dansent dans le vent pour un voyage tout intérieur… Elle marche dans [...]

Marilyne BERTONCINI, Mémoire vive des replis, Sable

Marilyne BERTONCINI – Mémoire vive des replis La poésie de Marilyne Bertoncini est singulière, en ce qu’elle s’appuie fréquemment sur des choses matérielles, pour prendre essor, à la façon [...]

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Chant du silence du fond de l’eau, celui où divague le corps de la femme de Yasuo Takamatsu. Flux et reflux du langage devenu poème, long discours sur le vide laissé par la [...]

Marilyne Bertoncini, La noyée d’Onagawa

Cette suite poétique, à la construction musicale, points et contrepoints, bouleverse et interroge. Inspirée d’une dépêche d’AFP, elle fait osciller le lecteur entre plusieurs réalités, temporalités et espaces. Continuité et rupture, matérialité et [...]

Présentation de l’auteur

Ghislaine Lejard

Ghislaine Lejard a publié plusieurs recueils de poésie, dernières parutions en 2015 : Si brève l’éclaircie (ed Henry), en 2016 : Un mille à pas lents (ed La Porte), 2018 a collaboré avec 25 textes au livre de Bruno Rotival Silence et Partage (ed Mediaspaul, 2019 Lambeaux d’humanité en collaboration avec Pierre Rosin ( ed Zinzoline). . Ses poèmes sont présents dans des anthologies, dans de nombreuses revues et sur des sites. Elle collabore régulièrement pour des notes de lecture ou des articles à des revues papier et des revues numériques. Des plasticiens ont illustré de ses poèmes, des comédiens les ont lus. Elle organise des rencontres poétiques.
Elle a été élue membre de l’Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire, en 2011.
Elle est membre de l’association des écrivains bretons ( AEB).
Elle est aussi plasticienne, elle réalise des collages. Elle a participé à des expositions collectives en France et à l’étranger et a réalisé des expositions personnelles. Ses collages illustrent des recueils de poésie. Elle collabore avec des poètes à la réalisation de livres d’artiste
http://ghislainelejard.com/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ghislaine_Lejard
Elle anime des ateliers de collage.
Elle pratique l’art postal, a réalisé à Nantes et en région nantaise des expositions d’art postal ; elle a initié le concept de « riches enveloppes », associant collage et poésie, de nombreux poètes y ont déjà participé.

Ghislaine Lejard

Autres lectures




Marilyne Bertoncini, AEONDE, extrait, Les Noms d’Isis

AEONDE, (extrait), publié sur Recours au poème en novembre 2014

 

 

I choose a mournful Muse

 

Au jardin une grive draine
frotte
de la pointe du bec
les écailles rouillées de la grille fermée

La bruine ce matin a brûlé les parterres
et des fantômes d'arbres secouent leurs bras en pleurs

Au tremblé de la voix se figent les images

Eprise de reflets
l'eau givre comme le tain
dans  le miroir où s'éternise
la mercurielle floraison

Le réel ondoyant glissant
sur la surface
se greffe au filigrane
des fûtaies endormies
sous le grenu grésil du vif-argent terni

*

A ces images entée
je franchis les confins qu'aux choses assignent les paroles

Le monde spéculaire ouvre sur l'infinie
blancheur
où naissent les étoiles

L'éclat d'anciens désastres y meurt en des lueurs
de soleils incendiés

et des visions parfois
fugitives
s'y lisent

Mais fuis à la nuit close
le miroir à ton âme
tendu

Lors apparaît
sous tes traits résiliés

Ange sombre

              Aeonde

*

Fatale semeuse dans l'orbe des planètes
son sillage en l'éther est veine de bitume

A l'écho de son pas se brise le ferret
dans le coeur
de la pierre

et l'étoile gravée sur le front des prophètes
est l'empreinte du bronze
de sa main

*

LES NOMS D'ISIS

Hiératique et obscure détentrice du Nom Secret

Iris lancéolé

Iridescente Isis

grave

fleur

de poésie

enclose au coeur de la parole

réfrangible cristal

du souvenir

*

Azur ou safran

métalescente soie

mince et flexible flamme

palpitante et fugace

aigue-vive

tu

t'élances

sur le fléau

du

vide

et dans l'instant

Tout

disparaît

miroitant et spectral souvenir de la page

*

Iris

Messagère à l'écharpe

            dont

            réfracté

            le nom

           au tremblant prisme de la pluie

                                                           écrit encore

Isis

Déesse au Lien et Soeur-Epouse

coeur éponyme

du

roi

mort

soleil

nocturne

Dans les limbes du temps

                                                                       suivant

                                                                                  le vain et fluvial ondoiement

                                                                                                                                  du Nil

                                   elle cherchait

                                               sparsiles graines étoilées dans le chaos des mondes

            ses membres

dispersés

*

Au limon où vacantes

                                                                       les formes s'anihilent

elle inventa alors

ce qui manquait au nom

d'O

siris

la ronde outre d'où croît

filial et coalescent

le grêle iris

ou

Rien

signe à l'état pur

            Abîme

            sans principe ni fin

            miroir au fond duquel

                                                                       oiseau-pélerin

                                   tu comprends que ce nom

était déjà

le Tien

*

Inchoative et fugitive

toujours

il faut

ultime instance

comme l'étoile des bergers du fond des déserts appelés

saisir

La Lettre

dont l'instable clin

est l'état d'écriture

au coeur infiniment de l'iris

le vide

l'O

-rigine

*

Nourri de sa double nature

sois

le temps du livre

l'un

et

l'autre

avant

l'entaille de l'iris,

le blanc-seing donné au vide

*

De l'absence sans lieu

d'au-delà des déserts

de par-delà les mers où le temps ne s'écoule

suivant les obscures blessures de la page vierge

cherche, incis, l'élément secret

que sinueusement trace

la lettre

avec lenteur

à travers ses détours

dans le flot de l'imaginaire

et ses remous

comme une houle

De l'autre rive du souvenir

écoute

en l'oblitération

oblique réson affaibli

la pensée effacée

l'altération même de

l'imaginaire

qui s'y soumet

L'Oubli

pur

en dehors du temps

en-deça du souvenir

Oblat sacré qu'expose l'ostensoir

Vérité absente

soleil

sans

iris

*

Deviens

ce cadre et ce reflet

fragment lumineux et doré

gouffre où se perdre et se trouver

ravissement

solitaire

et méditatif

Jeu

enfantin et savant

qui capture

dans la lumière diaphane

le paysage de l'écran de porcelaine

révélant à peine son contour

sous le doigt qui l'y trace

sur l'inégale table

Lithophanie

souvenir                   pétrifié

englouti

           pétri

dans l'opacité

de la pierre

Ainsi

ton visage

Lilith

le dessinent à même la blancheur de la page

les caractères de chaque livre.

Paru dans La Dernière œuvre de Phidias, Jacques André éditeur.

Présentation de l’auteur

Marilyne Bertoncini

Marilyne Bertoncini : poète, traductrice (anglais-italien), revuiste et critique littéraire, membre du comité de rédaction de la revue Phoenix, elle s'occupe de la rubrique Musarder sur la revue italienne Le Ortique, consacrée aux femmes invisibilisées de la littérature, et mène, avec Carole Mesrobian, la revue numérique Recours au Poème, à laquelle elle collabore depuis 2013 et qu'elle dirige depuis 2016. 

Autrice d'une thèse, La Ruse d'Isis, de la Femme dans l'oeuvre de Jean Giono, et titulaire d'un doctorat, elle a été vice-présidente de l’association I Fioretti, pour la promotion des manifestations culturelles au Monastère de Saorge (06) et membre du comité de rédaction de la Revue des Sciences Humaines, RSH (Lille III). Ses articles, essais et poèmes sont publiés dans diverses revues littéraires ou universitaires, françaises et étrangères. Parallèlement à l'écriture, elle anime des rencontres littéraires, Les Jeudis des Mots, à Nice, ou les Rencontres au Patio, avec les éditions PVST?, dans la périphérie du festival Voix Vives de Sète. Elle pratique la photographie et collabore avec des artistes, musiciens et plasticiens.

Ses poèmes sont traduits en anglais, italien, espagnol, allemand, hébreu, bengali, et chinois.

 

bibliographie

Recueils de poèmes

La Noyée d'Onagawa, éd. Jacques André, février 2020

Sable, photos et gravures de Wanda Mihuleac, éd. Bilingue français-allemand par Eva-Maria Berg, éd. Transignum, mars 2019

Memoria viva delle pieghe, ed. bilingue, trad. de l'autrice, ed. PVST. Mars 2019

Mémoire vive des replis, texte et photos de l’auteure, éd. Pourquoi viens-tu si tard – à paraître, novembre 2018

L’Anneau de Chillida, Atelier du Grand Tétras, mars 2018 (manuscrit lauréat du Prix Littéraire Naji Naaman 2017)

Le Silence tinte comme l’angélus d’un village englouti, éd. Imprévues, mars 2017

La Dernière Oeuvre de Phidias, suivi de L'Invention de l'absence, Jacques André éditeur, mars 2017.

Aeonde, éd. La Porte, mars 2017

La dernière œuvre de Phidias – 453ème Encres vives, avril 2016

Labyrinthe des Nuits, suite poétique – Recours au Poème éditeurs, mars 2015

 

Ouvrages collectifs

- Le Courage des vivants, anthologie, Jacques André éditeur, mars 2020

- Sidérer le silence, anthologie sur l’exil – éditions Henry, 5 novembre 2018

- L’Esprit des arbres, éditions « Pourquoi viens-tu si tard » - à paraître, novembre 2018

- L’eau entre nos doigts, Anthologie sur l’eau, éditions Henry, mai 2018

- Trans-Tzara-Dada – L’Homme Approximatif , 2016

- Anthologie du haiku en France, sous la direction de Jean Antonini, éditions Aleas, Lyon, 2003

Traductions de recueils de poésie

-Soleil hésitant, de Gili Haimovich, éd. Jacques André (à paraître 2021)

-Un Instant d'éternité, bilingue (traduit en italien) d'Anne-Marie Zucchelli, éd. PVST, 2020

- Labirinto delle Notti (inedito) nominé au Concorso Nazionale Luciano Serra, Italie, septembre 2019

- Tony's blues, de Barry Wallenstein, avec des gravures d'Hélène Bauttista, éd. Pourquoi viens-tu si tard ? , mars 2020

- Instantanés, d‘Eva-Maria Berg, traduit avec l’auteure, éditions Imprévues, 2018

- Ennuage-moi, a bilingual collection , de Carol Jenkins, traduction Marilyne Bertoncini, River road Poetry Series, 2016

- Early in the Morning, Tôt le matin, de Peter Boyle, Marilyne Bertoncini & alii. Recours au Poème éditions, 2015

- Livre des sept vies , Ming Di, Recours au Poème éditions, 2015

- Histoire de Famille, Ming Di, éditions Transignum, avec des illustrations de Wanda Mihuleac, juin 2015

- Rainbow Snake, Serpent Arc-en-ciel, de Martin Harrison Recours au Poème éditions, 2015

- Secanje Svile, Mémoire de Soie, de Tanja Kragujevic, édition trilingue, Beograd 2015

- Tony’s Blues de Barry Wallenstein, Recours au Poème éditions, 2014

Livres d'artistes (extraits)

Aeonde, livre unique de Marino Rossetti, 2018

Æncre de Chine, in collection Livres Ardoises de Wanda Mihuleac, 2016

Pensées d'Eurydice, avec  les dessins de Pierre Rosin :  http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-pierre-rosin/

Île, livre pauvre avec un collage de Ghislaine Lejard (2016)

Paesine, poème , sur un collage de Ghislaine Lejard (2016)

Villes en chantier, Livre unique par Anne Poupard (2015)

A Fleur d'étang, livre-objet avec Brigitte Marcerou (2015)

Genèse du langage, livre unique, avec Brigitte Marcerou (2015)

Daemon Failure delivery, Livre d’artiste, avec les burins de Dominique Crognier, artiste graveuse d’Amiens – 2013.

Collaborations artistiques visuelles ou sonores (extraits)

- Damnation Memoriae, la Damnation de l'oubli, lecture-performance mise en musique par Damien Charron, présentée le 6 mars 2020 avec le saxophoniste David di Betta, à l'ambassade de Roumanie, à Paris.

- Sable, performance, avec Wanda Mihuleac, 2019 Galerie

- L'Envers de la Riviera  mis en musique par le compositeur  Mansoor Mani Hosseini, pour FESTRAD, festival Franco-anglais de poésie juin 2016 : « The Far Side of the River »

- Performance chantée et dansée « Sodade » au printemps des poètes  Villa 111 à Ivry : sur un poème de Marilyne Bertoncini, « L’homme approximatif » , décor voile peint et dessiné,  6 x3 m par Emily Walcker  :

l’Envers de la Riviera  mis en image par la vidéaste Clémence Pogu – Festrad juin 2016 sous le titre « Proche Banlieue»

Là où tremblent encore des ombres d’un vert tendre » – Toile sonore de Sophie Brassard : http://www.toilesonore.com/#!marilyne-bertoncini/uknyf

La Rouille du temps, poèmes et tableaux textiles de Bérénice Mollet(2015) – en partie publiés sur la revue Ce qui reste : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-berenice-mollet/

Préfaces

Appel du large par Rome Deguergue, chez Alcyone – 2016

Erratiques, d’ Angèle Casanova, éd. Pourquoi viens-tu si tard, septembre 2018

L’esprit des arbres, anthologie, éd. Pourquoi viens-tu si tard, novembre 2018

Chant de plein ciel, anthologie de poésie québécoise, PVST et Recours au Poème, 2019

Une brèche dans l'eau, d'Eva-Maria Berg, éd. PVST, 2020

 

(Site : Minotaur/A, http://minotaura.unblog.fr),

(fiche biographique complète sur le site de la MEL : http://www.m-e-l.fr/marilyne-bertoncini,ec,1301 )

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Un don des mots dans les mots, est traduire : entretien avec Marilyne Bertoncini

Qui d'autre pour évoquer la traduction que toi, Marilyne ? Est-ce que quelqu'un qui traduit de la poésie doit être poète, et qu'est-ce qu'être poète ? Je ne sais pas, répondre à ces questions reviendrait à dogmatiser la poésie, et c'est impossible. Elle ne se laisse réduire à rien. C'est parce que tu le sais que personne d'autre que toi ne devait répondre à mes questions. C'est aussi parce que les mots tu en ressens la puissance, les faiblesses, avant même de les recevoir dans le poème. Traduire c'est ceci, avant de tenter de prêter sa sensibilité au poème venu de quelqu'un d'autre, c'est ressentir, sentir, accueillir, et redonner, avec juste ce qui est nécessaire de présence, et d'effacement. Et puis je souhaite en profiter pour te remercier pour ces poètes italiens dont tu traduis les textes que tu permets à tant de gens de découvrir, et dont tu fais des lectures régulièrement.

Marilyne, tu as traduit et tu traduis des poètes, italiens mais aussi anglophones. Comment qualifierais-tu cette activité ?
Peut-être devrais-je te raconter comment on en vient à faire des traductions, ou plus précisément, car chaque trajectoire est singulière, comment j'y suis venue : je n'ai pas suivi de formation théorique à l'université pour obtenir un diplôme de traducteur – en fait, c'est mon activité poétique qui m'y a portée, et plus précisément une rencontre. Alors que j'enseignais à Menton, Barry Wallenstein était  en résidence d'écriture au monastère de Saorge. Ce poète new-yorkais est aussi performeur, et en écoutant le CD sur lequel j'ai découvert Tony's blues ((publié aux éditions PVST, avec des gravures d'Hélène Bautista)), j'ai eu la certitude que le personnage évoqué dans les poèmes aurait intéressé mes élèves – mais il fallait traduire des textes inédits en français. C'est là qu'on pourrait dire née ma « vocation » de traductrice, ensuite poursuivie grâce à Jacques Rancourt, alors directeur du festival et de la revue La Traductière, qui m'a permis de rencontrer d'autres poètes – américains, anglais, australiens... d'autres univers poétiques ; Une fois mise en marche la « machine », c'est une passion qui se développe, et qui m'a amenée à lire des textes théoriques, comparer des traductions, réfléchir sur ma pratique. Rien n'est jamais fixé, il s'agit d'un artisanat, pas d'un travail mécanique, il faut toujours s'adapter aux textes, aux auteurs et à leurs exigences – étudier aussi le champ culturel et linguistique dans lequel a été produit un texte... Il n'y a pas une méthode, ou un outil défini – c'est une série de « bricolages », d'essais, d'hypothèses, d'ajustements..
En relisant ceci, je me dis aussi que l'autre possible origine de ma passion pour la traduction vient du bilinguisme dans lequel je baigne depuis des années, et qui fait de ma vie un perpétuel passage d'une langue à l'autre (parfois même sans que je m'en aperçoive, quand j'énonce à haute voix une pensée commencée dans une langue, pour un interlocuteur d'une autre...) Et ce goût du jeu des langues remonte à bien loin : comme le parcours d'un Petit Poucet retournant sur ses pas, je retrouve le livre de poèmes en anglais que m'avait offert ( une vieille voisine avant de partir pour une opération fatale : je l'ai perdu au fil des déménagements, mais ses pages jaunies, les « tongue twisters » de la fin, un poème comme « a rose is a rose, is a rose... » de Gertrud Stein, n'ont jamais quitté ma mémoire : j'étais encore à l'école primaire, et j'avais une folle hâte de commencer l'anglais en 6ème pour comprendre ce que je lisais à ma façon, enivrée des sonorités que j'imaginais. Mais j'ai aussi en héritage le bilinguisme interdit en famille, et une grand-mère flamande qui avait perdu l'usage de sa langue – considérée comme plébéienne, et donc à proscrire pour les enfants -  jusqu'aux mois qui ont précédé sa mort, où les mots affluaient de nouveau... Je pense que ma fascination pour les langues naît de ces rencontres, et la traduction n'est jamais qu'une extension, une passerelle, vers ceux qui m'ont initiée, par leur passion ou leur rejet.
Est-ce que traduire de la poésie est plus difficile que traduire de la prose, et pourquoi ?
C'est la remarque qu'on fait en général quand tu annonces que tu traduis de la poésie.... Et cela me semble un faux débat :  il faudrait sans doute définir de quel type de prose on parle. Il est sans doute plus facile de traduire un texte technique, une notice, une fois qu'on a une solide connaissance du domaine dont on parle, ou qu'on dispose d'un bon dictionnaire...  Je n'ai jamais traduit de roman, limitant ma traduction de la prose à des nouvelles, les miennes bien souvent. Et les difficultés pour une traduction littéraire n'étaient pas moindres, quoique différentes (un peu comme celles qu'affronte un coureur de marathon par rapport à un coureur de haies).

Barry Wallenstein, Tony's blues, éditions PVST, 2019.

Les difficultés se situent, pour la traduction littéraire et poétique, au niveau du style de l'écrivain, qu'il faut respecter malgré une syntaxe différente.
Le lexique aussi pose de multiples problèmes : on traduit facilement des termes techniques qui ont des équivalents précis, plus difficilement certains concepts (et là, on pourrait aborder toute la difficulté de la traduction des textes de philosophie, qui font encore discuter sur les textes de Freud dont nous disposons, sur la pertinence de la traduction de certains termes de Heidegger etc), et je dirai que le plus difficile à traduire est le mot de la langue commune qui désigne des activités familières ou des objets les plus communs. J'ai renoncé par exemple à traduire le titre du llvre de Barry Wallenstein, Tony's blues, parce que le choix du terme français pour bleu impliquait d'occulter tous les autres : « blues », c'est le blues musical, le cafard, la couleur. Et ses nuances (qui apparaissent notamment dans la fumée du joint de Tony) – sans compter le bleu qui évoque le froid (si présent dans le recueil) – ou le porno, défini blue en Amérique...
Des images sont intraduisibles, de même que des jeux de mots - j'ai récemment participé à une rencontre internationale à l'occasion de la journée internationale de la langue maternelle. Katia-Sofia Hakim citait le mot « camembert », qui n'a effectivement aucun possible équivalent – <mais même en France, en demandant un café, j'obtiens des boissons différentes si je suis dans le sud (où cela a le goût d'un petit espresso italien) ou dans le nord où on le sert dans de plus grandes tasses avec le goût amer de la chicorée. Les actualités sur le Web ont popularisé (c'était avant l'étrange moment où nous vivons avec la maladie des covides) le mouvement FREE HUGS. Et je me suis posé la question du mot « câlin » - qui a toute la douceur de ses sonorités en français, et qui recouvre un vaste champ de contacts, étreintes, caresses... les dictionnaires anglais le traduisent par « hug » qui est plutôt une accolade, ou par « snugle, cuddle », qui représente l'étreinte de type protectrice, maternelle – mais les nuances du « câlin » me semblent bien plus fines, qui va de l'accolade amicale à l'intimité de la relation amoureuse...
La poésie, davantage que la prose, use de figures de style, sans compter le rythme, et la forme que peut avoir une poésie rimée, il n'est pas évident de garder des jeux d'écho ou d'assonances. C'est l'une des plus grandes difficultés que j'ai rencontrées en traduisant l'oeuvre de la poète israélienne Gili Haimovich, par exemple, qui fonde une partie de sa poétique sur une dérive/rêverie lexicale, un jeu d'analogies sonores et visuelles dont une grande partie se perd, et qu'il faut tenter de récupérer autrement, ou en un autre point.
Dans mes traductions, je me suis aussi heurtée au fait que la langue sur laquelle je travaillais n'était pas la langue d'origine du texte – j'ai ainsi traduit des auteurs serbes, indiens, de langue arabe... à partir de l'anglais. Cela demande beaucoup d'échanges avec l'auteur, pour coller au plus près de l'idée initiale. C'est notamment en traduisant les poèmes de Shurid Shahidullah, auteur bengali rencontré grâce à Jacques Rancourt, que je me suis aperçue de l'importance extrême de la diction du poète pour saisir aussi ce que je devais faire en tant que traductrice : les poèmes de Shurid lus par lui en bengali donnent une idée du rythme initial, que je ne sentais pas dans l'anglais, mais que je pouvais tenter de retrouver dans la traduction. Ce n'est toutefois pas évident – et on traduit sans aucun doute plus facilement un poète dont on est proche, par l'univers mental, imaginal, le rapport au monde. Mais l'écueil de cette proximité, notée par tous les traducteurs, est le risque de ramener à sa propre rythmique, son propre univers poétique celui du poète qu'on traduit. Traduire, c'est un travail artisanal ET une activité d'équilibriste, de funambule : il faut rester sur le fil du possible, tirer vers soi et vers sa langue le plus possible, sans basculer, en maintenant l'équilibre avec la charge personnelle, « exotique » du texte.

Une traduction du poème d'Antonia Pozzi sur le blog de Marilyne Bertoncini, minotaura.unblog.fr

Barry Wallenstein dit un poème pour Maya, lecture par l'auteur suivie de la lecture par Marilyne Bertoncini de la traduction. musique d'accompagnement : Panpipes from the Andes.

S’agit-il d’un travail « artisanal » ou bien alors peut-on parler de création, de re-création ? Penses-tu que le traducteur puisse être considéré comme un auteur ?
De même que l'artisan qui façonne un objet le recrée (je pense à l'art africain, et aux masques et statues aux infinies variations dans chaque typologie particulière, qui font qu'on reconnaît à la fois une ethnie, mais si on possède bien le sujet, un artiste, même inconnu, reconnaissable à la façon personnelle dont il manie sa gouge, par exemple) je pense que oui,  sans doute, le traducteur est un créateur : c'est bien évidemment une activité différente de celle qui consisterait à mettre un mot à la place d'un autre comme le fait une traduction artificielle. Les choix que tu fais, la façon dont tu modèles le texte, la démarche par rapport au matériau sont les mêmes que ceux affrontés par l’auteur initial, avec d'autres mots et des contraintes différentes, et supplémentaires puisque tu dois également faire passer de la façon la plus « transparente » possible une idée et un texte initial qui ne sont pas les tiens mais qui sont le sous-texte. Certes, l'objet que tu produis est une création au même titre que l'original, ce n'est pas un décalque, une copie, mais une sorte de faux jumeau. Tu n'as pas eu le choix du thème, mais l'objet que tu produis a une existence propre, et un devenir distincts de celui de son jumeau – et tu l'as « porté » comme on porte un enfant – tiens : peut-être une sorte de gestation pour autrui ?
Existe-t-il des réglementations qui offrent aux traducteurs un statut reconnu ?
Quand j'ai  commencé à publier les traductions que je faisais, et à m'intéresser aux traductions des autres (c'est passionnant, d'étudier la façon dont d'autres résolvent les problèmes), je me suis aperçue qu'ils avaient très peu de visibilités. Le livre Sable, par exemple, qui contient une très belle traduction par Eva-Maria Berg de mon poème, ne la mentionne que dans le colophon... Oubli de l'éditeur, négligence de l'auteur, modestie du traducteur... le sentiment général est quand même que c'est une activité subalterne. A ma question, à un revuiste par ailleurs estimable, sur le fait que les traducteurs étaient à peine mentionnés alors même qu'on ne publiait pas la version originale, je me suis vu répondre :  « mais qui on publie, les poètes ou les traducteurs ? » Eh bien, on publie l'un et l'autre, ils sont bien co-auteurs, comme tu le soulignes dans ta question précédente, et comme les considèrent les  contrats les plus justes.

Little Bestiary/Petit Bestiaire de Barry Wallenstein, lecture bilingue par Marilyne Bertoncini d'un poème extrait du recueil "Tony's blues", publié aux éditions PVST? (2020) avec des gravures d'Hélène Bautista, lors d'une soirée à Valbonne.

Comment peut-on évoquer la relation qui s’instaure entre le traducteur et l’auteur qu’il traduit ?
Comme j'ai traduit des auteurs vivants, j'ai eu la chance de pouvoir échanger avec eux – et la relation est très variée, mais essentielle. Il y a un « pacte » de traduction entre nous, qui définit un type de relation, allant du contrôle pointilleux à la plus absolue confiance. Une fois « cadrée » la relation, l'exploration du texte est une étrange « effraction » dans l'intimité d'un auteur. Traduire implique que tu lises le texte, mais que tu envisages simultanément un tas de possible sous-textes, et j'ai parfois le sentiment, avec des auteurs qui me touchent beaucoup, de « tomber à l'intérieur d'eux-mêmes » - comme un scaphandrier dans les méandres de leur inconscient... C'est peut-être une image un peu exagérée mais il y a, pour moi, un sentiment d'inquiétante étrangeté dans cette union qu'il faut établir entre deux imaginaires, le mien et celui de l'auteur parfois si différent du mien, auquel il s'abouche, univers parfois très proche, mais pourtant aussi totalement étranger, pour lequel il faudra que je trouve des équivalence qui ne l'étouffe pas. Je suis fascinée par cette sensation, ce vertige qui fait de l'auteur que tu traduis un très proche et très lointain à la fois. En fait, les poètes que je traduis par plaisir sont des auteurs que j'aime – des frères ou sœurs de plume, d'encre et d'imaginaire...  Ce sont des liens très forts, de co-création.

 

Image de une © Lydia Belostyk.

Poètes de Parme : Luca Ariano lit Giancarlo Baroni et un poème d'Enrico Furlotti, suivis de leur traduction par Marilyne Bertoncini crédit photo de miniature : Giancarlo Baroni, chaîne Youtube de Marilyne Bertoncini.

Présentation de l’auteur

Marilyne Bertoncini

Marilyne Bertoncini : poète, traductrice (anglais-italien), revuiste et critique littéraire, membre du comité de rédaction de la revue Phoenix, elle s'occupe de la rubrique Musarder sur la revue italienne Le Ortique, consacrée aux femmes invisibilisées de la littérature, et mène, avec Carole Mesrobian, la revue numérique Recours au Poème, à laquelle elle collabore depuis 2013 et qu'elle dirige depuis 2016. 

Autrice d'une thèse, La Ruse d'Isis, de la Femme dans l'oeuvre de Jean Giono, et titulaire d'un doctorat, elle a été vice-présidente de l’association I Fioretti, pour la promotion des manifestations culturelles au Monastère de Saorge (06) et membre du comité de rédaction de la Revue des Sciences Humaines, RSH (Lille III). Ses articles, essais et poèmes sont publiés dans diverses revues littéraires ou universitaires, françaises et étrangères. Parallèlement à l'écriture, elle anime des rencontres littéraires, Les Jeudis des Mots, à Nice, ou les Rencontres au Patio, avec les éditions PVST?, dans la périphérie du festival Voix Vives de Sète. Elle pratique la photographie et collabore avec des artistes, musiciens et plasticiens.

Ses poèmes sont traduits en anglais, italien, espagnol, allemand, hébreu, bengali, et chinois.

 

bibliographie

Recueils de poèmes

La Noyée d'Onagawa, éd. Jacques André, février 2020

Sable, photos et gravures de Wanda Mihuleac, éd. Bilingue français-allemand par Eva-Maria Berg, éd. Transignum, mars 2019

Memoria viva delle pieghe, ed. bilingue, trad. de l'autrice, ed. PVST. Mars 2019

Mémoire vive des replis, texte et photos de l’auteure, éd. Pourquoi viens-tu si tard – à paraître, novembre 2018

L’Anneau de Chillida, Atelier du Grand Tétras, mars 2018 (manuscrit lauréat du Prix Littéraire Naji Naaman 2017)

Le Silence tinte comme l’angélus d’un village englouti, éd. Imprévues, mars 2017

La Dernière Oeuvre de Phidias, suivi de L'Invention de l'absence, Jacques André éditeur, mars 2017.

Aeonde, éd. La Porte, mars 2017

La dernière œuvre de Phidias – 453ème Encres vives, avril 2016

Labyrinthe des Nuits, suite poétique – Recours au Poème éditeurs, mars 2015

 

Ouvrages collectifs

- Le Courage des vivants, anthologie, Jacques André éditeur, mars 2020

- Sidérer le silence, anthologie sur l’exil – éditions Henry, 5 novembre 2018

- L’Esprit des arbres, éditions « Pourquoi viens-tu si tard » - à paraître, novembre 2018

- L’eau entre nos doigts, Anthologie sur l’eau, éditions Henry, mai 2018

- Trans-Tzara-Dada – L’Homme Approximatif , 2016

- Anthologie du haiku en France, sous la direction de Jean Antonini, éditions Aleas, Lyon, 2003

Traductions de recueils de poésie

-Soleil hésitant, de Gili Haimovich, éd. Jacques André (à paraître 2021)

-Un Instant d'éternité, bilingue (traduit en italien) d'Anne-Marie Zucchelli, éd. PVST, 2020

- Labirinto delle Notti (inedito) nominé au Concorso Nazionale Luciano Serra, Italie, septembre 2019

- Tony's blues, de Barry Wallenstein, avec des gravures d'Hélène Bauttista, éd. Pourquoi viens-tu si tard ? , mars 2020

- Instantanés, d‘Eva-Maria Berg, traduit avec l’auteure, éditions Imprévues, 2018

- Ennuage-moi, a bilingual collection , de Carol Jenkins, traduction Marilyne Bertoncini, River road Poetry Series, 2016

- Early in the Morning, Tôt le matin, de Peter Boyle, Marilyne Bertoncini & alii. Recours au Poème éditions, 2015

- Livre des sept vies , Ming Di, Recours au Poème éditions, 2015

- Histoire de Famille, Ming Di, éditions Transignum, avec des illustrations de Wanda Mihuleac, juin 2015

- Rainbow Snake, Serpent Arc-en-ciel, de Martin Harrison Recours au Poème éditions, 2015

- Secanje Svile, Mémoire de Soie, de Tanja Kragujevic, édition trilingue, Beograd 2015

- Tony’s Blues de Barry Wallenstein, Recours au Poème éditions, 2014

Livres d'artistes (extraits)

Aeonde, livre unique de Marino Rossetti, 2018

Æncre de Chine, in collection Livres Ardoises de Wanda Mihuleac, 2016

Pensées d'Eurydice, avec  les dessins de Pierre Rosin :  http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-pierre-rosin/

Île, livre pauvre avec un collage de Ghislaine Lejard (2016)

Paesine, poème , sur un collage de Ghislaine Lejard (2016)

Villes en chantier, Livre unique par Anne Poupard (2015)

A Fleur d'étang, livre-objet avec Brigitte Marcerou (2015)

Genèse du langage, livre unique, avec Brigitte Marcerou (2015)

Daemon Failure delivery, Livre d’artiste, avec les burins de Dominique Crognier, artiste graveuse d’Amiens – 2013.

Collaborations artistiques visuelles ou sonores (extraits)

- Damnation Memoriae, la Damnation de l'oubli, lecture-performance mise en musique par Damien Charron, présentée le 6 mars 2020 avec le saxophoniste David di Betta, à l'ambassade de Roumanie, à Paris.

- Sable, performance, avec Wanda Mihuleac, 2019 Galerie

- L'Envers de la Riviera  mis en musique par le compositeur  Mansoor Mani Hosseini, pour FESTRAD, festival Franco-anglais de poésie juin 2016 : « The Far Side of the River »

- Performance chantée et dansée « Sodade » au printemps des poètes  Villa 111 à Ivry : sur un poème de Marilyne Bertoncini, « L’homme approximatif » , décor voile peint et dessiné,  6 x3 m par Emily Walcker  :

l’Envers de la Riviera  mis en image par la vidéaste Clémence Pogu – Festrad juin 2016 sous le titre « Proche Banlieue»

Là où tremblent encore des ombres d’un vert tendre » – Toile sonore de Sophie Brassard : http://www.toilesonore.com/#!marilyne-bertoncini/uknyf

La Rouille du temps, poèmes et tableaux textiles de Bérénice Mollet(2015) – en partie publiés sur la revue Ce qui reste : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-berenice-mollet/

Préfaces

Appel du large par Rome Deguergue, chez Alcyone – 2016

Erratiques, d’ Angèle Casanova, éd. Pourquoi viens-tu si tard, septembre 2018

L’esprit des arbres, anthologie, éd. Pourquoi viens-tu si tard, novembre 2018

Chant de plein ciel, anthologie de poésie québécoise, PVST et Recours au Poème, 2019

Une brèche dans l'eau, d'Eva-Maria Berg, éd. PVST, 2020

 

(Site : Minotaur/A, http://minotaura.unblog.fr),

(fiche biographique complète sur le site de la MEL : http://www.m-e-l.fr/marilyne-bertoncini,ec,1301 )

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Marilyne Bertoncini, La Noyée d’Onagawa

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Marilyne Bertoncini, La noyée d’Onagawa

Cette suite poétique, à la construction musicale, points et contrepoints, bouleverse et interroge. Inspirée d’une dépêche d’AFP, elle fait osciller le lecteur entre plusieurs réalités, temporalités et espaces. Continuité et rupture, matérialité et immatérialité, réel et mythe, on avance, le cœur en suspens, sur une crête à la fois paisible et brutale.

« Onagawa », le nom de ce petit port de pêche, avec son O, yin et yang, « comme une perle » ouvre tout un univers, celui du Japon, de « ses baies bleues du cobalt océan », de ses cerisiers en bourgeons  « dans leur gaine de soie », de ses daims, hirondelles et papillons, de ses parfums printaniers. Une attente vaporeuse, un paysage rêvé d’une sérénité toute bouddhique. Les mots flottent, légers, dans une délicatesse de haïku. Sauf que nous ne sommes pas dans le présent de la sensation mais dans le passé comme le montre l’usage de l’imparfait, temps de la durée, de la promesse renouvelée.

Et soudain c’est « la noyée », « raflée / comme un poisson » par « une muraille de mort » énorme. Nous sommes le « onze mars 2011 ». Le tsunami vient de faire « plus de dix-huit mille » victimes en un instant. Parmi elles, Yuko, une employée de banque, épouse de Yasuo, un chauffeur de bus. Marilyne Bertoncini raconte le cataclysme dans l’ordre des faits, de la submersion apocalyptique à la dévastation, au sentiment de vide abyssal.

Marilyne Bertoncini, La Noyée d’Onagawa, Jacques André éditeur, Collection XXI n°58, préface de Xavier Bordes, 12 euros.

Les faits s’énoncent en chiffres (date, heure, intensité du séisme, nombre de victimes…) mais ces chiffres sont écrits en lettres comme si l’alphabet permettait de mieux apprivoiser la mortelle réalité, de la rapatrier à l’intérieur du langage, de la recréer et donc de la métamorphoser. N’est-ce pas le pouvoir de l’art, de la poésie : recréer la réalité pour la donner à vivre de l’intérieur ?

Le cataclysme se répercute à l’autre bout du monde, selon l’effet papillon : nous voici maintenant à Villefranche, en France, auprès de l’auteur cueillie au réveil par l’annonce. S’ensuit alors un jeu d’analogies et de correspondances entre les deux vies, les deux villes. Interdépendance toujours des éléments, des événements situés sur une même corde, « Life on a string » (cf. l’exergue).

Qu’est devenue Yuko ? Ressac de la vague, on revient au Japon trois ans plus tard, avec Yasuo qui, à 57 ans, entreprend un projet fou à l’issue improbable, mais comment accepter le « sans voix / sans corps » ?  Tant de disparus sans autre trace que leur nom.

Dans ce recueil, si espace et temps dialoguent dans une même continuité, c’est pour nous rappeler la force de la nature, sa pérennité violente, chaotique, et, en creux, notre folie à la défier, à l’ignorer quels que soient les avertissements. (Yuko, par ironie, se réfugie sur le toit de sa banque. Nos tas d’or seront-ils jamais assez hauts ? ) Le nom de « Fukushima », apparu tout à coup dans le texte, fait dangereusement résonner le « cobalt » employé précédemment pour décrire l’océan.

La noyée d’Onagawa, à l’image d’Oyuki (fantôme traditionnel populaire peint en 1750 par Maruyama Ōkyo) a maintenant pris force de mythe. Elle représente à elle seule la beauté et la fragilité de notre humaine condition, elle est notre douleur à jamais inconsolée. Yasuo, le sage, le volontaire, nous bouleverse en éternel Orphée. (Le texte est émaillé de plusieurs références à la mythologie grecque, si chère à l’auteur qui tend un fil d’Ariane entre les lieux, les époques, les cultures.)

Ce récit-poème s’annonce en effet dès le départ comme un « thrène » antique, une lamentation funèbre, la langue, le langage assurant une continuité entre les événements et les êtres, même s’il est difficile et dérisoire de mettre des mots sur le drame, de le mettre en mots. Juste la poète annonce-t-elle vouloir laisser quelques « traces de silence » qui rendent compte de « l’écho muet du fond des mers ».

Après la catastrophe (dénouement de la tragédie au sens antique), retour au temps de l’écriture, à la fois rêverie et réflexion, ombres mêlées ici, là-bas. Les deux calligrammes (nef et ancre/flèche) de clôture semblent faire écho aux idéogrammes envoyés sur son téléphone portable par Yuko, retrouvé(s) bien après par les plongeurs : « tsunami énorme ».

Fluidité aquatique, les frontières s’effacent. La douceur de l’air fait place à celle de l’eau, malgré les crânes, les « carcasses rouillées », les « poulpes bleus » et « les algues échevelées ». Yasuo, fidèle à son amour, poursuit sans relâche sa quête impossible, la vie aussi qui fait tourner « ses boucles infinies. »

Et résonne en  « l’HOMME » le « AUM » du grand tout.

N.B. On peut retrouver sur le net plusieurs sites relatant l’émouvante histoire de Yasuo Takamatsu.

 

Présentation de l’auteur

Marilyne Bertoncini

Marilyne Bertoncini : poète, traductrice (anglais-italien), revuiste et critique littéraire, membre du comité de rédaction de la revue Phoenix, elle s'occupe de la rubrique Musarder sur la revue italienne Le Ortique, consacrée aux femmes invisibilisées de la littérature, et mène, avec Carole Mesrobian, la revue numérique Recours au Poème, à laquelle elle collabore depuis 2013 et qu'elle dirige depuis 2016. 

Autrice d'une thèse, La Ruse d'Isis, de la Femme dans l'oeuvre de Jean Giono, et titulaire d'un doctorat, elle a été vice-présidente de l’association I Fioretti, pour la promotion des manifestations culturelles au Monastère de Saorge (06) et membre du comité de rédaction de la Revue des Sciences Humaines, RSH (Lille III). Ses articles, essais et poèmes sont publiés dans diverses revues littéraires ou universitaires, françaises et étrangères. Parallèlement à l'écriture, elle anime des rencontres littéraires, Les Jeudis des Mots, à Nice, ou les Rencontres au Patio, avec les éditions PVST?, dans la périphérie du festival Voix Vives de Sète. Elle pratique la photographie et collabore avec des artistes, musiciens et plasticiens.

Ses poèmes sont traduits en anglais, italien, espagnol, allemand, hébreu, bengali, et chinois.

 

bibliographie

Recueils de poèmes

La Noyée d'Onagawa, éd. Jacques André, février 2020

Sable, photos et gravures de Wanda Mihuleac, éd. Bilingue français-allemand par Eva-Maria Berg, éd. Transignum, mars 2019

Memoria viva delle pieghe, ed. bilingue, trad. de l'autrice, ed. PVST. Mars 2019

Mémoire vive des replis, texte et photos de l’auteure, éd. Pourquoi viens-tu si tard – à paraître, novembre 2018

L’Anneau de Chillida, Atelier du Grand Tétras, mars 2018 (manuscrit lauréat du Prix Littéraire Naji Naaman 2017)

Le Silence tinte comme l’angélus d’un village englouti, éd. Imprévues, mars 2017

La Dernière Oeuvre de Phidias, suivi de L'Invention de l'absence, Jacques André éditeur, mars 2017.

Aeonde, éd. La Porte, mars 2017

La dernière œuvre de Phidias – 453ème Encres vives, avril 2016

Labyrinthe des Nuits, suite poétique – Recours au Poème éditeurs, mars 2015

 

Ouvrages collectifs

- Le Courage des vivants, anthologie, Jacques André éditeur, mars 2020

- Sidérer le silence, anthologie sur l’exil – éditions Henry, 5 novembre 2018

- L’Esprit des arbres, éditions « Pourquoi viens-tu si tard » - à paraître, novembre 2018

- L’eau entre nos doigts, Anthologie sur l’eau, éditions Henry, mai 2018

- Trans-Tzara-Dada – L’Homme Approximatif , 2016

- Anthologie du haiku en France, sous la direction de Jean Antonini, éditions Aleas, Lyon, 2003

Traductions de recueils de poésie

-Soleil hésitant, de Gili Haimovich, éd. Jacques André (à paraître 2021)

-Un Instant d'éternité, bilingue (traduit en italien) d'Anne-Marie Zucchelli, éd. PVST, 2020

- Labirinto delle Notti (inedito) nominé au Concorso Nazionale Luciano Serra, Italie, septembre 2019

- Tony's blues, de Barry Wallenstein, avec des gravures d'Hélène Bauttista, éd. Pourquoi viens-tu si tard ? , mars 2020

- Instantanés, d‘Eva-Maria Berg, traduit avec l’auteure, éditions Imprévues, 2018

- Ennuage-moi, a bilingual collection , de Carol Jenkins, traduction Marilyne Bertoncini, River road Poetry Series, 2016

- Early in the Morning, Tôt le matin, de Peter Boyle, Marilyne Bertoncini & alii. Recours au Poème éditions, 2015

- Livre des sept vies , Ming Di, Recours au Poème éditions, 2015

- Histoire de Famille, Ming Di, éditions Transignum, avec des illustrations de Wanda Mihuleac, juin 2015

- Rainbow Snake, Serpent Arc-en-ciel, de Martin Harrison Recours au Poème éditions, 2015

- Secanje Svile, Mémoire de Soie, de Tanja Kragujevic, édition trilingue, Beograd 2015

- Tony’s Blues de Barry Wallenstein, Recours au Poème éditions, 2014

Livres d'artistes (extraits)

Aeonde, livre unique de Marino Rossetti, 2018

Æncre de Chine, in collection Livres Ardoises de Wanda Mihuleac, 2016

Pensées d'Eurydice, avec  les dessins de Pierre Rosin :  http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-pierre-rosin/

Île, livre pauvre avec un collage de Ghislaine Lejard (2016)

Paesine, poème , sur un collage de Ghislaine Lejard (2016)

Villes en chantier, Livre unique par Anne Poupard (2015)

A Fleur d'étang, livre-objet avec Brigitte Marcerou (2015)

Genèse du langage, livre unique, avec Brigitte Marcerou (2015)

Daemon Failure delivery, Livre d’artiste, avec les burins de Dominique Crognier, artiste graveuse d’Amiens – 2013.

Collaborations artistiques visuelles ou sonores (extraits)

- Damnation Memoriae, la Damnation de l'oubli, lecture-performance mise en musique par Damien Charron, présentée le 6 mars 2020 avec le saxophoniste David di Betta, à l'ambassade de Roumanie, à Paris.

- Sable, performance, avec Wanda Mihuleac, 2019 Galerie

- L'Envers de la Riviera  mis en musique par le compositeur  Mansoor Mani Hosseini, pour FESTRAD, festival Franco-anglais de poésie juin 2016 : « The Far Side of the River »

- Performance chantée et dansée « Sodade » au printemps des poètes  Villa 111 à Ivry : sur un poème de Marilyne Bertoncini, « L’homme approximatif » , décor voile peint et dessiné,  6 x3 m par Emily Walcker  :

l’Envers de la Riviera  mis en image par la vidéaste Clémence Pogu – Festrad juin 2016 sous le titre « Proche Banlieue»

Là où tremblent encore des ombres d’un vert tendre » – Toile sonore de Sophie Brassard : http://www.toilesonore.com/#!marilyne-bertoncini/uknyf

La Rouille du temps, poèmes et tableaux textiles de Bérénice Mollet(2015) – en partie publiés sur la revue Ce qui reste : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-berenice-mollet/

Préfaces

Appel du large par Rome Deguergue, chez Alcyone – 2016

Erratiques, d’ Angèle Casanova, éd. Pourquoi viens-tu si tard, septembre 2018

L’esprit des arbres, anthologie, éd. Pourquoi viens-tu si tard, novembre 2018

Chant de plein ciel, anthologie de poésie québécoise, PVST et Recours au Poème, 2019

Une brèche dans l'eau, d'Eva-Maria Berg, éd. PVST, 2020

 

(Site : Minotaur/A, http://minotaura.unblog.fr),

(fiche biographique complète sur le site de la MEL : http://www.m-e-l.fr/marilyne-bertoncini,ec,1301 )

Autres lectures

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