Ghis­laine Lejard est une artiste accom­plie : elle est poète de l’image, et des mots, cri­tique d’art et lit­téraire, et irrem­plaçable créa­trice de Livres Pau­vres, qu’elle réalise depuis des années avec des poètes dont le nom n’est pas incon­nu, et qu’elle expose et promeut. Généreuse et active elle est l’auteure d’une œuvre pro­téi­forme qui s’édifie autour de ce fil directeur : mag­ni­fi­er et enrichir la réal­ité, dont elle restitue la dimen­sion arché­typ­ale, grâce à son tra­vail autour de l’im­age, mis en œuvre dans sa créa­tion de col­lages. Autant dire que l’Art dans son accep­tion la plus pure guide l’élaboration d’une œuvre qui n’est pas prête d’achev­er ses méta­mor­phoses, car elle suit l’é­vanes­cence de nos représen­ta­tions, et les muta­tions par­a­dig­ma­tiques et con­ceptuelles que ce sup­port kaléi­do­scopique exprime parce que vecteur de polysémie. 

Ghis­laine Lejard, Livre 8.

Le col­lage est par nature une super­po­si­tion de strates référen­tielles. Il n’y a pas une image, mais des frag­ments d’images qui se super­posent pour en for­mer une autre. Ain­si à la séman­tique offerte par cette com­po­si­tion faite d’éléments intrin­sèque­ment sig­nifi­ants s’ajoute celle de cha­cun de ces morceaux. Les col­lages de Ghis­laine Lejard à par­tir desquels sont com­posés les textes qui dans cette ren­con­tre texte et image font les Livres Pau­vres sont élaborés de cette manière, en agençant des bribes de représen­ta­tions et des plages de couleur.
La forme don­née aux par­ties assem­blées con­voque les élé­ments d’une mimé­sis dont la séman­tique se renou­velle sans cesse parce qu’elle s’appuie sur l’implicite con­tenu dans ce dis­posi­tif même qu’est le col­lage, com­po­si­tion qui laisse appa­raitre dif­férents mou­ve­ments, lieux, vis­ages, arché­types… Ces super­po­si­tions per­me­t­tent de dépass­er toute illu­sion référen­tielle dans le même temps qu’elles les con­vo­quent simul­tané­ment, ouvrant comme des fenêtres sur d’infinies représen­ta­tions évo­quées par les couch­es addi­tion­nées de papi­er sur lequel se gref­fent dif­férentes représen­ta­tions. Métaphore, synec­doque, allé­gorie, tout opère comme dans la sys­témique d’interprétation des rêves, par con­den­sa­tion et déplace­ment, créant une mul­ti­tude d’effeuillages pos­si­bles du sens, racon­tant les pas­sages cal­endaires itérat­ifs mais aus­si l’immuabilité des élé­ments représen­tés par glisse­ment ou superposition.
Autant d’images dans un déploiement kaléi­do­scopique qui par­ticipent de cette élab­o­ra­tion sédi­men­taire. Le col­lage est donc dans cette accep­tion de démul­ti­pli­ca­tion séman­tique et de brouil­lage référen­tiel vecteur de sens inédits par­ti­c­ulière­ment prop­ice à sup­port­er l’écriture poé­tique. Cette dernière opère de manière sim­i­laire. En jux­ta­posant des mots de manière for­tu­ite, qu’il s’agisse d’une mise en œuvre par­a­dig­ma­tique ou syn­tag­ma­tique, elle ouvre le signe à d’autres accep­tions que celles usuelles qu’opère son emploi prag­ma­tique opéré dans la langue. 

Ghis­laine Lejard, Car­net de voy­age.

Elle crée des images elle aus­si, aptes, comme celles élaborées par les col­lages, à motiv­er l’imaginaire et à sup­port­er la créa­tion de sig­ni­fi­ca­tions inédites, tout comme l’image for­mée d’images laisse appa­raître des sens renou­velés, jamais sim­i­laires et ouverts à chaque fois à une récep­tion dif­férente. La pro­duc­tion du poème suit la pos­ture de l’artiste et rend compte de ces mul­ti­ples étapes vec­tri­ces de poly­sémie, ain­si que de l’acte de créa­tion lui-même. Ouvert aux sens réitérés et met­tant à jour  la dimen­sion illo­cu­toire de la représen­ta­tion,  cha­cun rend compte  de cet acte intu­itif et solide­ment ancré sur des savoirs faire qu’est le geste de l’artiste ou le tra­vail du poète qui cisèle la langue. 

Livre Pau­vre réal­isé avec Yves Baudry, col­lec­tion L‑3-V.

Livre Pau­vre réal­isé avec Jean-Jou­bert, col­lec­tion Pierre Ecrite, Livres Pau­vres, de Daniel Leuwers.

Les mou­ve­ments du texte suiv­ent celui des images, pour non pas l’illustrer mais pour ouvrir à des lec­tures renou­velées de l’ensemble, tan­tôt le poème est vecteur de la démul­ti­pli­ca­tion séman­tique de l’image, tan­tôt les col­lages ouvrent à la récep­tion du poème en venant motiv­er le sur­gisse­ment d’images crées par le tra­vail de la langue. En ce sens, dans cette mul­ti­plic­ité séman­tique, le col­lage et le poème déstruc­turent l’univocité des représen­ta­tions, et amè­nent à la créa­tion d’un sens inat­ten­du autant qu’inédit, à chaque fois renouvelé.

Chris­t­ian-Bult­ing, col­lec­tion L3V.

Gre­goire Devin, col­lec­tion Medail­lons de Daniel-Leuwers.

Le tra­vail de la langue opéré par le poème donne lieu à la créa­tion de couch­es séman­tiques infinies pour ren­dre compte de ce que fait le col­lage qui lui-même est une poésie de l’image.

Les œuvres réal­isées par Ghis­laine Lejard ouvrent vers des univers inédits, grâce à une mise en œuvre de cette poé­tique de l’im­age, opérée à tra­vers  la  com­plé­men­tar­ité qu’elle sus­cite par rap­proche­ment ou con­fronta­tion, du poème, et du col­lage qui par nature exprime la poly­sémie d’une polysémie.

La Comédie humaine, Balzac, col­lage de Ghis­laine Lejard.

Le vit­rail de Matisse, Ghis­laine Lejard.

Hom­mage à Chais­sac, Ghis­laine Lejard.

image_pdfimage_print
mm

Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.