Crées en juin 2010, les édi­tions Unic­ité ont passé bien des caps, pub­lié bien des noms, et accueille bien des caté­gories génériques : “Romans-  Essais — His­toire — Poésie-  Haïku-  Spir­i­tu­al­ité-  Témoignages — Jeunesse”  sig­nale le site de l’édi­teur. Avec aujour­d’hui, comme hier, François Mocaer pour homme orchestre, la diver­sité de ce cat­a­logue n’é­gale que la qual­ité des voix qui s’y expriment.

les édi­tions Unic­ité ce sont aus­si des col­lec­tions menées par des directeurs dis­tincts  dont Fran­cis Coffinet, pour Les Cahiers bleus, Anne de Com­mines, Le Met­teur en signe, Lau­rence Bou­vet, Le Vrai Lieu, Jean-Philippe Teste­fort, Imag­i­na­tion Cri­tique, Pablo Poblète, Poètes Fran­coph­o­nes Plané­taires, et Eti­enne Ruhaud, Ele­phant blanc. 

C’est dire que se croisent là des paroles, des lignes et des pages, sans pour autant apporter de dis­so­nance, car c’est cette richesse qui fait l’u­nic­ité des édi­tions Unic­ité. Cette “Mai­son”, qui est aus­si un lieu, une entité vivant de sa belle vie, est la matéri­al­i­sa­tion de cet idéal, de cet accueil, de cette pro­fonde tolérance et de ce respect de cha­cun que porte François Mocaer, C’est ce dont témoigne son recueil, Le Don du silence est le dia­mant du vide, pré­facé par Philippe Tancelin, suivi de Déf­i­ni­tions de Dieu — Le Chant de l’éveil, Textes mystiques.

Tout dans cette poésie est juste, à com­mencer par la place des mots, agencés pour offrir cette brèche espérée dans le lan­gage, et men­er au silence épais­si par le don du poème.

François Mocaer, Le don du silence est le dia­mant du vide — Suivi de Déf­i­ni­tions de Dieu, le chant de l’éveil, 2020, 76 pages, 11 €.

L’oiseau est parti
avec son chant 

La terre a repris son odeur

Soudain une rumeur
une ten­sion flexible
dans l’in­stant prodigieux d’une mémoire

Der­rière l’an­goisse il y a une fée
un bâton brûlant les nuages
et des pier­res mar­quant l’écorce 
d’un poème

Der­rière l’an­goisse il y a écrire qui absorbe les aspérités et apporte la paix, et, plus loin, sous l’é­corce du poème, il y a le chant d’une réu­nion uni­verselle. Il sait ceci, celui qui écrit, celui qui fab­rique des livres…

Et comme pour être plus fort, accom­pa­g­né sur ce chemin ini­ti­a­tique, il s’en­toure de voix divers­es, de tous hori­zons, de toutes obé­di­ences, ou sans. Je pense à ce recueil de Jen­nifer Grous­se­las, De souf­fles et d’éveils, pré­facé par Emmanuel Moses. Ici la langue prend de la vitesse, sec­oue se chaînes, les brise, par­fois, ou bien revit l’en­fance sug­gérée par une voix qui cherche la ques­tion, celle du sens, impos­si­ble ques­tion… et qui le sait. 

Je cherche                        la langue des arbres

Je cherche                        une langue d’ar­bre qui parle
                                            une langue pour mon arbre roi des arbres

 

Autres voix croisées ailleurs, autrement, qui s’insin­u­ent sous l’é­corce sauvage du poème, celles de Cather­ine Jar­rett et Philippe Tancelin, qui sig­nent Un Ciel, un jour, Topolo­gie du fur­tif. Ici se cherche l’ab­solu, se dérobent, se tra­cent les inci­dences du vide, dans le

Blanc                  cet instant
ceint de la fêlure dans la lumière
Blanc d’er­rance par­mi les noces de voix lointaines
et nous rend si proches de l’herbe folle
                                                   brisant les hau­teurs de la faux

Deux traces, deux soli­tudes, une ten­ta­tive com­mune : percer le lan­gage, le met­tre en demeure de ne plus vouloir dire, pour enfin devenir ce vecteur d’un sens partagé. 

Cather­ine Jar­rett et Philippe Tancelin, Un ciel un jour ; topolo­gie du fur­tif, 2020, 68 pages, 13 euros.

Je cherche                sans chercher 
    J’at­tends qu’il m’ap­pa­raisse     le mot de
    l’autre jour     chez toi        cher Philippe
    dis­ait-il l’herbe             la terre entre les doigts
    sous les ongles             une rose mouillée
    bien sûr anci­enne        l’Aubépine
    un oiseau
    ou la vie devant nous

Voix du poème, qui perce l’ou­bli du silence, ceint l’om­bre et révèle les aspérités du lan­gage, celle d’Anne ‑Emmanuelle Fournier dévolue à la prose, en de courts para­graphes, cherche les traces mnésiques entre­posées sous les strates du temps. Elle soulève une à une les couch­es sédi­men­taires des mots et parvient à s’insin­uer dans le sou­venir, espace enc­los dans le blanc qui lie les mots sur la page. L’of­frande aux fan­tômes suivi de Il y a longtemps que je t’aime con­duit le lecteur dans ces galeries souter­raines, de por­traits, toiles, images accrochées à la mémoire. 

Enfant, tu n’as con­nu qu’une seule sai­son. Une sai­son ac-
cordée sur l’é­ter­nité. Et puis les maîtres du domaines ont 
fané — imper­cep­ti­ble­ment  d’abord, très vite ensuite — et 
sont ren­trés dans la terre. Alors, un de ces matins lavés 
d’or­age, un écriteau a poussé sur la bar­rière. A ven­dre. Et 
la terre a trem­blé. Mais nul ne l’a enten­du, sauf peut-être 
l’o­rig­i­naire en toi. 

Voix qui fouille l’ar­doise de la nuit, et remonte à la source d’autre­fois, ou voix déliée, vive

Ivre du possible

sous le feuillage
libre avant d’être bue

celle de Lau­rence Bou­vet, A hau­teur du trou­ble, s’il en est, alerte et rem­plie d’une énergie puisée à la source même du lan­gage, celle d’une femme 

 

Lau­rence Bou­vet, A hau­teur du trou­ble, édi­tions Unic­ité, 2021, 82 pages, 13 €.

Per­pétuelle et nue l’étoile

comme une femme 
faite de plusieurs alcools
de plusieurs nuits superposées

sur le chemin des crêtes elle va

Voix qui ouvre la marche et s’insin­ue là où les mots ne vont pas, grâce au poème, à sa tex­ture soyeuse hors de tout froisse­ment, étoffe des pos­si­bles du devenir ensem­ble, indiscutablement.

Ailleurs, sur un autre reg­istre, sur d’autres lignes, se dresse la poésie. Jean-Philippe Teste­fort avale les ourlets d’ex­tase des pré­ciosités et les fig­ures autres que celle du dire, posé comme une instance dis­cur­sive et poé­tique, ce qui offre à Sourire à la gri­mace toute sa particularité.

Des poèmes de trois vers fois deux sur le fond crème de la page, cet espace scrip­tur­al qui devient le lieu du cri, celui du poète. Mais jamais osten­si­ble, le cri, et servi par une langue où la teneur descrip­tive du pro­pos plonge le lecteur dans l’inep­tie d’un quo­ti­di­en dont la parole poé­tique dévoile l’absurdité.

Pas­sion­nant de voir notre anesthésie
Laiss­er l’éd­i­fice plurisécu­laire du droit
Se faire piétin­er par les dernières bottes à la mode.

jean-Philippe Teste­fort, Sourire à la gri­mace, édi­tions Unic­ité, 2022, 83 pages, 13 €.

Il s’ag­it de pren­dre le lan­gage à son pro­pre jeu, de lui assén­er le coup de grâce par l’ab­surde. Il est exacte­ment dans sa lit­téral­ité pre­mière, enfer­mé dans le car­can mimé­tique d’une prose découpée en poème, où chaque sen­tence cap­ture dans l’époque ce qu’elle a de déli­rant, d’ab­surde, d’in­croy­able. L’indi­ci­ble s’énonce donc, en somme de ces ter­cets portés par le dis­posi­tif tutélaire, fab­riqué d’un oxy­more, Sourire à la gri­mace, et sous-titré Le poli­tique incar­né, dont le lecteur ne man­quera pas de saisir la teneur antiphras­tique dont la portée ironique pren­dra toute son ampleur après la lec­ture, tant il est vrai que ce livre porte la néces­sité vitale de 

Se réarmer de l’intérieur
Clandestinement
Sans sabre ni goupillon

mais avec, et à tra­vers, le lan­gage, que jean-Philippe Teste­fort con­voque jusqu’à out­rance dans son emploi con­sen­suel pour ouvrir vers les pos­si­bles réap­pro­pri­a­tions  du sens, jusqu’à devenir un vecteur d’éd­i­fi­ca­tion d’une lib­erté sig­nifi­ante et partagée, ain­si qu’il l’est en poésie, qui tou­jours per­met cette éva­sion séman­tique et humaine. 

 

Voix, donc, et noms du poème, en son Unic­ité. Plus encore, lieu de croise­ment poly­phonique de l’énon­ci­a­tion d’une seule ambi­tion : rassem­bler là où tout éclate à tra­vers le lan­gage sous les aus­pices de la Littérature.

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Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.