Poésie et philosophie, une Traversée du silence — entretien avec Jean-yves Guigot

Par |2024-01-06T15:23:06+01:00 6 janvier 2024|Catégories : Essais & Chroniques, Jean-Yves Guigot|

Jean-Yves Guig­ot est né le 3 mai 1967 à la Garenne-Colombes. Il vit désor­mais dans les mon­tagnes du Can­tal où il enseigne le français et pour­suit ses écrits dans l’ambiance des vol­cans d’Auvergne. Il ani­me le site L’Enchâsse­ment, Vers un mys­tique de la per­sévérance, qui s’ou­vre sur une Mys­tique de la per­sévérance. Cet auteur, philosophe, poète, mène son œuvre depuis des décen­nies, dis­crète­ment, puis­sam­ment, car tout y est pesé, mesuré, à sa place, pour porter une pen­sée orig­i­nale et ans con­ces­sion pour une époque qu’il incise au vif de sa per­spi­cac­ité et de sa plume. Pour Recours au poème il évoque les liens exis­tant entre la poésie et la philosophie.

Jean-Yves Guig­ot, quel lien existe entre la poésie et la philoso­phie ? Ces deux dis­ci­plines sont-elles éloignées, ou bien proches, pour cer­tains poètes, philosophes ? Et peut-on être philosophe et poète, ou bien ces deux dis­ci­plines se sont-elles opposées ? Quelle dynamique les unit ?
Il me sem­ble indis­cutable que ces deux dis­ci­plines de l’esprit s’unissent, chez nom­bre d’écrivains, au point de ten­dre pour cha­cun vers une quête de sens et d’élucidation. Leurs chem­ine­ments diver­gent, leurs manières d’appréhender le réel n’obéit pas tou­jours au même état d’esprit, mais tous ten­dent leur volon­té vers une saisie du monde. 
La preuve en est qu’un Hölder­lin, qu’un Shel­ley, qu’un Niet­zsche ou un Hei­deg­ger ont bril­lé dans ces deux voies. Ain­si, d’un côté, la philoso­phie est mul­ti­ple, dans sa méth­ode et ses modes d’expression, et toutes ses formes ont leur richesse pro­pre qui m’enrichissent dif­férem­ment. Quoi de com­mun, à pre­mière vue, entre la rigueur con­ceptuelle d’un Spin­oza ou d’un Kant, et le style d’un Niet­zsche et d’un Maître Eck­hart ? Mais si tous sont des éveilleurs, des sources d’illumination, ceux vers lesquels je me tourne plus naturelle­ment ten­tent de saisir l’insaisissable avec la con­ci­sion néces­saire. Il y a chez eux ce que Fran­cis Ponge nom­mait « la rage de l’expression », car la rigueur dépasse le con­cept pour sen­tir ce qui sourd en nous et le met­tre en mots. Ces poètes ou philosophes ne sont évidem­ment pas « supérieurs » ou « meilleurs », ce serait totale­ment enfan­tin, voire inepte de le dire. Sim­ple­ment, j’y retrou­ve une com­mu­nion d’esprit. Leur ques­tion­nement est égale­ment le mien.
Pour toi, quel philosophe a vrai­ment pen­sé la poésie ?
J’hésite à don­ner un seul nom, car, comme nom­bre de ceux qui sen­tent s’unir en eux la philoso­phie et la poésie, Niet­zsche – ce qu’il dit du poète lyrique dans la Nais­sance de la tragédie est indé­pass­able, et Hei­deg­ger – que ceux qui en doute relisent son Achem­ine­ment vers la parole, ont écrit de la philoso­phie et de la poésie, et l’un enrichis­sait l’autre.

Jean-Yves Guig­ot, La Tra­ver­sée du silence, Douro, col­lec­tion Poésies au présent, 99 pages, 17 €.

Niet­zsche par­le de ce « chaos qui doit devenir forme », de la prise de pos­ses­sion de l’esprit par la fureur, et Hei­deg­ger de cette parole qui vient à nous, dans laque­lle il nous faut demeur­er, pour déploy­er le poème. Tous deux – la liste est très loin d’être exhaus­tive, cela s’entend – ont mis en mots l’expérience de l’écriture.
Est-ce que la philoso­phie sous-tend ton écri­t­ure poétique ?
Je par­lerais plutôt d’un cli­mat, d’un rythme pro­pre qui, émanant de cer­tains philosophes, peut venir nour­rir le poème. Je pense notam­ment à Denys l’Aréopagite, ou encore à René Char qui, tous deux atteignent des som­mets poé­tiques tout en nous ouvrant à une spir­i­tu­al­ité lumineuse. C’est en cela que la philoso­phie sous-tend moins qu’elle ne par­ticipe à ce mou­ve­ment intérieur d’affranchissement, de libéra­tion, d’ouverture de l’âme à l’énigme.
Tu ani­mes un site, L’Enchâssement. Est-ce un site lit­téraire, philosophique, ou bien un lieu qui tente de dépass­er ces caté­gori­sa­tions, en alliant ces dis­ci­plines ? Pourquoi ce lieu ?
Tu as rai­son de par­ler d’alliance des dis­ci­plines. Le pro­jet de L’Enchâssement est né d’une volon­té de rassem­bler, dans tous les domaines de l’esprit, ce qui peut ten­dre vers la source qui, en nous, nous ouvre à l’unité. Il m’arrive sou­vent, dans les poèmes, quand il m’advient de devoir nom­mer cette source qui, en nous, nous relie à l’universel, de l’appeler « Cela ». Toutes les formes créa­tives s’en nour­ris­sent. L’interroger est le pro­jet de L’Enchâssement. C’est un pro­jet qui se perçoit lui-même comme infin­i­ment recommencé.
Quels sont tes pro­jets, en philoso­phie, et/ou en poésie ?
Les deux recueils « Les Veines du Réel » et « La Tra­ver­sée du Silence » seront com­plétés par un troisième, tou­jours en tra­vail de mûrisse­ment et d’essais. Il lui fau­dra encore quelques mois avant d’aboutir.

Présentation de l’auteur

Jean-Yves Guigot

Enseignant le français et la philoso­phie, l’ac­tiv­ité à laque­lle s’adonne Jean-Yves Guig­ot sur le plan exis­ten­tiel est la quête de l’u­nité. L’écri­t­ure poé­tique est le lieu expéri­men­tal où se mêlent la vie et l’œuvre à naître, et les recueils, ain­si que ce vers quoi il tend, sont tournés vers cette quête. Le site lenchassement.com par­ticipe de cette expéri­ence à tra­vers tous les arts et les modes d’écriture.

© Crédits pho­tos (sup­primer si inutile)

Bibliographie 

Xavier Grall : Lisière d’un voleur de feu, éd. Blanc Silex, 1998.

Par delà le Voile Illu­miné, éd. Blanc Silex, 1999.

La Tra­ver­sée du silence, Douro, 2023.

Autres lec­tures

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Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.
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