Une voix pour la liberté : Somaia Ramish

Par |2023-09-08T11:33:37+02:00 5 septembre 2023|Catégories : Focus, Somaia Ramish|

Soma­ia Samish est poète, écrivaine, jour­nal­iste et activiste fémin­iste. Mil­i­tante infati­ga­ble des droits des femmes, anci­enne élue publique, diplo­mate citoyenne, et anci­enne can­di­date au Par­lement afghan, elle est la co-fon­da­trice et actuelle­ment direc­trice d’une ONG dédiée aux ques­tions des femmes. Elle milite depuis des année pour que les droits élé­men­taires des femmes soient respec­tés en Afghanistan, et dans cer­tains pays où leurs con­di­tions de vie sont déshu­man­isées. Née en 1986 à Her­at, en Afghanistan, elle est aujour­d’hui réfugiée aux Pays-Bas. Pen­dant la 1ère République islamique d’Afghanistan, sa famille s’est enfuie à Téhéran, en Iran. Après la pre­mière chute des tal­ibans, elle est retournée en Afghanistan, et pen­dant 20 ans, a tra­vail­lé pour con­tribuer à bâtir une société démoc­ra­tique et égal­i­taire. Comme tant d’autres Afghans elle a dû de nou­veau deman­der l’asile en tant que réfugiée après que les tal­ibans ont pris le pou­voir en Afghanistan en août 2021. Elle résiste, se bat, est l’au­teure d’une antholo­gie où elle a recueil­li des textes auprès de poètes inter­na­tionaux, et fait enten­dre sa voix, qui devient celle de toutes les femmes afghanes. Elle a accep­té de répon­dre aux ques­tions de Recours au poème. 

 

Entre­tien traduit par Cécile Oumhani

Soma­ia. Ramish, vous êtes une poète afghane, une jour­nal­iste et une mil­i­tante. Où vivez-vous aujourd’hui ?
Après la chute de Kaboul et l’arrivée au pou­voir des Tal­ibans, j’ai cher­ché refuge aux Pays-Bas. Une par­tie impor­tante de la com­mu­nauté intel­lectuelle d’Afghanistan – artistes, écrivains et penseurs – a été con­trainte à l’exil. Je suis, moi aus­si, par­mi ces exilés, et je réside actuelle­ment à Lei­den, aux Pays-Bas.

 

Kabunath, poème de Soma­ia Ramish, dit par l’auteure. 

Vous lut­tez pour les droits des femmes en Afghanistan. Pou­vez-vous nous par­ler de leurs con­di­tions de vie dans ce pays ?
Par­ler du sort des femmes afghanes est un sujet chargé d’émotion pour moi. Il réveille un mélange de tristesse, de colère et de frus­tra­tion, parce que la réal­ité est som­bre. C’est la vie qu’on refuse aux femmes afghanes ; elles en sont réduites à exis­ter plutôt qu’à vivre. Leur con­di­tion est celle d’un oiseau qu’on a enfer­mé dans une cage et qui attend sa mort inévitable. Vous imag­inez-vous ce que sont l’angoisse et la douleur d’une femme qui se trou­ve dans une telle sit­u­a­tion ? Une vie où vous ne pou­vez plus sor­tir seule de chez vous, porter les vête­ments que vous aimez, faire des études, vous promen­er tran­quille­ment au parc, écoutez votre musique préférée, aller dans un salon de beauté, faire du sport, vous diver­tir, tra­vailler en dehors de chez vous…  C’est la cru­elle réal­ité des femmes afghanes.
Je voudrais insis­ter sur l’apartheid de genre qui pré­vaut en Afghanistan. Du sim­ple fait qu’elles sont femmes, elles sont privées de leurs droits humains fon­da­men­taux. Les Tal­ibans con­sid­èrent les femmes comme des objets, dont la fonc­tion est la repro­duc­tion et la servi­tude sex­uelle. Ils atten­dent des femmes qu’elles por­tent des enfants et les utilisent comme les out­ils de leur pro­pre prop­a­ga­tion. Telle est l’existence atroce des Afghanes – avec la tyran­nie, la cru­auté, la vio­lence, la ter­reur et la pri­va­tion totale des droits humains, tout cela pen­dant que la com­mu­nauté inter­na­tionale ferme les yeux.
Mal­gré deux ans d’une dis­crim­i­na­tion de genre fla­grante, d’apartheid de sexe, et l’exclusion sys­té­ma­tique des femmes, dans les sphères sociales, poli­tiques et cul­turelles, la com­mu­nauté inter­na­tionale sem­ble engager le dia­logue avec les Tal­ibans, se leur­rant sur les pos­si­bil­ités de la diplo­matie. Nous obser­vons ces réu­nions stériles et ces annonces creuses avec frustration.

A pro­pos de la fer­me­ture des écoles pour filles, mes­sage de Samieh Ramesh, écrivaine et mil­i­tante des droits des femmes, le 15 avril 2022.

Quelles sont vos actions, en Afghanistan et ailleurs ? À quelles asso­ci­a­tions appartenez-vous ? Com­ment relayent-elles votre mes­sage et com­ment sou­ti­en­nent-elles vous actions ?
« Baam­daad – la Mai­son de la poésie en exil » est une insti­tu­tion indépen­dante, sans aucune affil­i­a­tion à une organ­i­sa­tion nationale ou inter­na­tionale. Nous n’avons reçu aucun finance­ment ni soutenu de pro­jets venus d’un groupe ou d’une autorité par­ti­c­ulière. C’est un mou­ve­ment de protes­ta­tion artis­tique, en réac­tion à la sit­u­a­tion ter­ri­ble en Afghanistan, plus par­ti­c­ulière­ment la cen­sure et l’interdiction de la poésie et des arts.
Notre mou­ve­ment a com­mencé avec un appel. J’ai invité des poètes du monde entier à écrire et à m’envoyer des poèmes de protes­ta­tion pour soutenir les poètes et les artistes afghans. Avec l’aide de mes amis et des réseaux soci­aux, l’appel a pris de l’ampleur, impli­quant plus d’une cen­taine de poètes à tra­vers la planète. De plus, des organ­i­sa­tions comme le PEN Club français, le PEN argentin, le Fes­ti­val inter­na­tion­al de poésie de Rot­ter­dam, le Stu­dio de Bakker­jee, la Belvédère House, l’Association des écrivains japon­ais con­tem­po­rains, ain­si que le PEN Club japon­ais ont apporté leur sou­tien moral et partagé notre appel avec leurs poètes membres.
Mon souhait est que ce mou­ve­ment devi­enne un phénomène glob­al. Je veux que les poètes utilisent le pou­voir de la poésie et des mots pour com­bat­tre les ténèbres, l’ignorance et la tyran­nie. Les arts doivent être un moyen de s’engager, et ils doivent être tou­jours asso­ciés à la lib­erté.  À tra­vers l’histoire, la poésie a porté le com­bat con­tre l’injustice. La poésie a un pou­voir immense et la voix des poètes est comme celle des prophètes ; leurs mots ont de l’influence. Avec la poésie, on peut attir­er l’attention du monde sur le sort des femmes et ral­li­er des sou­tiens pour le peu­ple d’Afghanistan.
Avant ce mou­ve­ment, peu de poètes dans le monde con­nais­saient vrai­ment la sit­u­a­tion en Afghanistan ou alors ils en avaient con­science, mais restaient silen­cieux. Main­tenant, dans des pays aus­si éloignés que le Japon, des arti­cles et des con­férences sont dédiés à notre cause. Une sta­tion de radio en Argen­tine dif­fuse des émis­sions sur l’interdiction des arts en Afghanistan et un poète ital­ien a exprimé sa sol­i­dar­ité. Ils écrivent de la poésie, expri­ment leur émo­tion et mon­trent ain­si le rôle de la poésie dans la prise de conscience.
Pensez-vous que la poésie peut aider à la prise de con­science sur les con­di­tions de vie des femmes en Afghanistan ? Vous avez pub­lié plusieurs recueils de poèmes. Pourquoi la poésie ? Con­vient-elle mieux pour porter un mes­sage de libéra­tion ou d’engagement ? 
Dans un monde où l’information est sou­vent manip­ulée, la poésie peut bris­er les bar­rières de la poli­tique pour attein­dre les cœurs. La poésie inspire et elle a tou­jours été un moyen pour exprimer la protes­ta­tion. Des poètes comme Hafez, Saa­di, Maulana, Bertolt Brecht, Pouchkine et Lor­ca sont les voix de l’humanité, de la lib­erté. Je crois pro­fondé­ment que la poésie a la respon­s­abil­ité de défendre la vérité, de porter les idéaux d’humanisme, de jus­tice et de résis­tance à l’oppression et à la violence.
Vous avez pub­lié une antholo­gie. Pou­vez-vous nous par­ler de ce projet ?
« Nulle prison n’enfermera ton poème » est un recueil de poèmes de protes­ta­tion venus du monde entier. Une édi­tion japon­aise a été pub­liée le 15 août au Japon. À la suite de l’interdiction de la poésie décrétée par les Tal­ibans le 15 jan­vi­er, j’ai lancé un appel, implo­rant les poètes à tra­vers le monde de ne pas rester silen­cieux face à la cen­sure et à la répres­sion et je les ai invités à pro­test­er con­tre ces injus­tices.  À ce jour, plus d’une cen­taine de poètes ont répon­du à l’appel, écrit des poèmes et les ont envoyé à Baam­daad – la Mai­son de la poésie en exil. C’est ain­si qu’été pub­lié « Nulle prison n’enfermera ton poème », a été pub­lié. Une édi­tion française doit paraître en France en novem­bre, chez Oxybia.

Pen­dant le fes­ti­val Poet­ry Inter­na­tion­al de Rot­ter­dam en juin 2023, inter­view de la poétesse et écrivaine afghane Soma­ia Ramish à pro­pos de sa vie et de son travail.

Quels sont vos pro­jets autour de cette pub­li­ca­tion et de votre tra­vail dans son ensemble ?
Nous sommes un mou­ve­ment de protes­ta­tion, nous lut­tons con­tre la cen­sure, l’oppression et l’injustice. Nous croyons pro­fondé­ment que la lib­erté est le droit humain le plus indi­vis­i­ble et le plus uni­versel. En tant que poète, j’invite les poètes du monde entier à nous rejoin­dre. Ne restez pas silen­cieux face à l’injustice, l’inégalité et la vio­lence. Avec nos mots, nous con­tin­uerons le com­bat con­tre les ténèbres.

Présentation de l’auteur

Somaia Ramish

Soma­ia Ramish est poète, écrivaine et mil­i­tante des droits des femmes en Afghanistan depuis vingt ans. Elle pré­pare actuelle­ment une thèse de doc­tor­at en Lit­téra­ture à la pres­tigieuse Uni­ver­sité de Delhi.

Elle a été l’une des représen­tantes élues du Con­seil de la Province de Hérat.

Elle a pub­lié de nom­breux arti­cles dans des jour­naux et des mag­a­zines nationaux et inter­na­tionaux réputés. Ses poèmes ont été pub­liés et traduits. Cer­tains ont été mis en musique, dont un tout récem­ment au Con­spir­er Opera à Austin, Texas.

Des poèmes d’elle ont été pub­liés en français dans « Europe » et récem­ment dans « Apulée ».

Après l’arrivée des Tal­ibans au pou­voir en 2021, Soma­ia Ramish a obtenu l’asile avec sa famille aux Pays-Bas, car la vie sous le régime des Tal­ibans était dev­enue impos­si­ble et leurs vies étaient directe­ment menacées.

À la suite de l’interdiction des arts en Afghanistan, Soma­ia Ramish a fondé Baam­daad – Mai­son de la poésie en exil, en réac­tion con­tre la cen­sure. Née de la sol­i­dar­ité des poètes du monde, Baam­daad – Mai­son de la poésie en exil est née de la sol­i­dar­ité des poètes du monde est un mou­ve­ment de protes­ta­tion artis­tique qui a pour but d’œuvrer pour un monde meilleur à tra­vers les arts.

 

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Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.
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