Pinar Selek, Lettre ouverte contre horizon fermé

Par |2023-09-08T10:59:21+02:00 6 septembre 2023|Catégories : Focus, Pinar Selek|

Plus que des para­graphes, qui ne pour­raient restituer l’hor­reur de ce que vit Pinar Selek, fémin­iste, anti­mil­i­tariste, soci­o­logue, écrivaine, uni­ver­si­taire et mil­i­tante per­sé­cutée depuis 25 ans par les autorités turques, voici une chronolo­gie des manœu­vres, men­aces, tor­tures, enfer­me­ments, con­damna­tions, juste parce qu’elle a souhaité analyser les mécan­ismes à l’œu­vre dans les exac­tions com­mis­es par le régime turc con­tre cer­taines minorités et les femmes. 

  • 11 Juil­let 1998 : Arresta­tion suite à une recherche sur des mil­i­tants kur­des. Torture.
  • 20 Août 1998 : Pinar Selek apprend en prison qu’elle est accusée d’un atten­tat (on saura plus tard que c’est une explo­sion acci­den­telle qui a été maquil­lée en atten­tat dans le but de l’accuser).
  • 22 décem­bre 2000 : Libéra­tion (elle est libérée faute de preuves mais le procès continue).
  • 8 juin 2006 : Pre­mier Acquit­te­ment (tou­jours faute de preuves). Mais le pro­cureur fait appel.
  • 17 Avril 2007 : La cour de Cas­sa­tion va dans le sens du pro­cureur et casse l’acquittement.
  • 23 Mai 2008 : Deux­ième Acquit­te­ment (aucun fonde­ment dans les charges retenues con­tre elle). Mais le pro­cureur fait appel.
  • 2009 : La Cour de Cas­sa­tion va dans le sens du pro­cureur, casse l’acquittement et décide de con­damn­er Pinar Selek. L’affaire est ren­voyée devant une nou­velle Cour d’Assises.
  • 9 Févri­er 2011 : Troisième Acquit­te­ment. (La Cour ne retient tou­jours aucune charge con­tre Pinar Selek). Dès le lende­main, le pro­cureur fait appel.
  • 22 Novem­bre 2012 : La Cour annule son pro­pre acquit­te­ment (du jamais vu dans l’Histoire mon­di­ale du droit !)
  • 24 Jan­vi­er 2013 : La Cour con­damne Pinar Selek à la prison à perpétuité.
  • 11 Juin 2014 : Annu­la­tion de la con­damna­tion (obtenue suite à un appel des avo­cats dénonçant les illé­gal­ités de cette procédure).
  • 19 Décem­bre 2014 : Qua­trième Acquit­te­ment. Mais le pro­cureur fait appel.
  • 21 juin 2022 : Après 7 ans d’attente, la cour de cas­sa­tion annule le 4ème acquittement.
  • 6 jan­vi­er 2023 : La Cour d’Assise d’Istanbul émet un man­dat d’arrêt avec empris­on­nement immé­di­at avant même que l’audience n’ait lieu.
  • 31 mars 2023 : Audi­ence de la cour d’assise. Le procès de Pinar Selek reporté au 29 sep­tem­bre 2023.

Aujour­d’hui empris­on­née der­rière des bar­reaux invis­i­bles, car le man­dat d’ar­rêt inter­na­tion­al la prive de sa lib­erté de cir­cu­la­tion, elle attend sep­tem­bre. Et ensuite ? 25 années que durent la tor­ture, les acquit­te­ments annulés, les con­damna­tions qui vont crescen­do, les reports d’au­di­ences. Que devra-t-elle subir encore ? Elle écrit, pour­suit ses recherch­es, con­tin­ue le com­bat, a accep­té de répon­dre à ces quelques ques­tions, et nous a autorisés à pub­li­er sa Let­tre ouverte. 

Entre­tien avec Pinar Selek, le 27 mars 2023.

Pinar, tu as été empris­on­née et tor­turée pour tes recherch­es soci­ologiques à pro­pos de tes écrits sur les Kur­des. Mal­gré la tor­ture tu n’as pas révélé les noms de tes enquêté.es et par puni­tion, a com­mencé un acharne­ment kafkaïen qui con­tin­ue jusqu’aujourd’hui. Tu apprends en prison que tu es accusée d’un atten­tat qui n’a pas eu lieu.  
Tu effectues deux années et demie de prison. Mal­gré qua­tre acquit­te­ments le dossier reste ouvert. Sous la men­ace de peine de prison à per­pé­tu­ité, tu te réfu­gies en France, où tu vis désor­mais. Mais les autorités turques con­tin­u­ent à te harcel­er, mal­gré ton absence du pays. Tu es jugée maintes fois, et désor­mais tu fais l’objet d’un man­dat d’arrêt inter­na­tion­al, qui t’interdit de cir­culer dans le monde ! 25 ans que ça dure !
Tu es égale­ment auteure de recueils de poésie, de réc­its de fic­tion, et bien enten­du dans le cadre de tes recherch­es d’essais (tu enseignes à l’Université de Nice). Aujourd’hui, écrire, est-ce une arme pour résister ?
En tant qu’anti mil­i­tariste je ne par­lerai pas d’armes, je dirai plutôt que c’est un out­il de résis­tance. Plus que résis­tance, c’est un out­il de révo­lu­tion et de dépasse­ment. En créant via l’écriture ou la musique ou d’autres moyens, on peut sor­tir de l’hégémonie des pou­voirs et inter­venir dans les rap­ports exis­tants. Pour moi, l’écriture est un des out­ils d’insoumission et de dépasse­ment du réel qu’on nous impose. En écrivant je sens le gou­ver­nail dans mes mains et je navigue…
Quels sont les retours, ou bien les « effets » qu’ont pro­duit cer­taines de tes publications ?

Comme tous mes livres sont aus­si pub­liés en Turquie, la nou­velle généra­tion me con­nait mal­gré une sépa­ra­tion de 15 ans. Écrire et pub­li­er dans l’espace d’où j’ai été chas­sée, me trans­forme en pluie qui tra­verse les nuages pour tomber sur le vieux cimetière et nour­rir ceux et celles qui y sont tou­jours vivants. Avec mes mots j’arrose les petites graines invisibles.

Dans d’autres pays, je fais la même chose en me trans­for­mant en pluie. Je deviens l’eau qui trou­ve son chemin en coulant. Je coule et je tra­verse les espaces, et je me libère du ter­ri­toire. Les retours me font sen­tir que je suis une nomade, sans attache.

Le 2 juin 2023. Depuis 25 ans, la jus­tice turque s’acharne sur la soci­o­logue fran­co-turque Pinar Selek, pour­suiv­ie pour un atten­tat. Réfugiée en France et qua­tre fois acquit­tée, la dis­si­dente n’a de cesse de clamer son inno­cence. Elle était jugée par con­tu­mace le 31 mars dernier à Istanbul.

Tu pub­lies aux Édi­tons Des Femmes, Le Chau­dron mil­i­taire turc, qui paraî­tra le 5 octo­bre. dans ce livre tu étud­ies « les dif­férents mécan­ismes à l’œuvre pour for­mater les indi­vidus : déper­son­nal­i­sa­tion, vio­lence, soumis­sion, absur­dité et arbi­traire d’ordres aux­quels les jeunes appelés ne peu­vent se sous­traire, nation­al­isme et culte du pou­voir, de la force. » Peux-tu évo­quer ce livre ? Pourquoi cet essai, aujourd’hui ? 
Quand, en avril 2009, j’ai dû fuir la Turquie, men­acée d’une peine de prison à per­pé­tu­ité, je venais de pub­li­er les résul­tats d’une recherche sur le rôle du ser­vice mil­i­taire dans la struc­tura­tion de la vio­lence mas­cu­line. Dans un con­texte où la vio­lence col­lec­tive était banal­isée et général­isée, ce livre a mis en lumière la place fon­da­men­tale qu’occupe la repro­duc­tion de la mas­culin­ité dans l’organisation de la vio­lence poli­tique ain­si que dans la struc­tura­tion nation­al­iste et mil­i­tariste.  Avec mon départ, l’ouvrage, ayant son exis­tence autonome, s’est détaché de son autrice et a coulé comme une riv­ière vive : il vient d’atteindre sa neu­vième édi­tion, il tourne dans le pays sous forme de pièce de théâtre.  Et moi, je con­tin­ue à réfléchir, à appro­fondir mes analy­ses.  J’ai donc fait un tra­vail, en élar­gis­sant et actu­al­isant mes ques­tion­nements sur les nou­veaux dis­posi­tifs de l’oppression et mécan­ismes de banal­i­sa­tion de la vio­lence, sur l’exemple du con­texte turc.
Tu as écrit et envoyé une Let­tre ouverte, pub­liée ici, dans laque­lle tu soulignes que ton livre paraitra avant l’audience de ton procès qui se déroulera le 29 sep­tem­bre à Istam­boul. A com­bi­en de procès cette audi­ence fait-elle suite ? Est-ce que la paru­tion du Chau­dron mil­i­taire turque peut avoir une inci­dence sur ce jugement ?
Je ne sais pas à com­bi­en de procès cette audi­ence fait suite. Mais il s’est passé plus que 25 ans… je n’arrive plus à compter. Tout d’abord, Le Chau­dron mil­i­taire turc appa­rait en guise de réponse his­torique à l’audience du 29 septembre. 
C’est pour cette rai­son que ma mai­son d’édition annonce ce livre avec le ban­deau suiv­ant : « Pinar Selek per­siste et signe ». Je l’ai écrit loin de la peur. Je ne sais pas son inci­dence. Je ne veux pas penser à ça. Leur posi­tion ne va pas influ­encer la mienne. Et je veux con­tin­uer à vivre comme chercheuse, penseuse et écrivaine.

Pinar Selek, Le Chau­dron mil­i­taire turc, Edi­tons des femmes, Octo­bre 2023, 104 p., 10 €, EAN 9782721012142, Ebook 6,99 €, EAN 9782721012456

Pinar Selek

Lettre ouverte

Cher.es ami.es, cher.es collègues,

Je voudrais partager avec vous une chose impor­tante que je suis en train de réaliser. Je la vis comme un acte de lib­erté. Acte de réflexion, d’analyse, de recherche. Je sens que cet acte con­stituera une charnière dans mon his­toire per­son­nelle. Je vais faire naitre une œuvre dégagée de la peur, en guise de réponse his­torique à l’audience du 29 sep­tem­bre 2023 à Istan­bul. Ce jour, plusieurs d’entre vous y seront présent.es, pour mon­tr­er que la lib­erté de la recherche et d’expression est une valeur uni­verselle et que nous la défendons ensemble.

Il n’est pas besoin de vous dire com­ment, depuis le début, j’ai refusé d’être conditionnée par cet acharne­ment, com­ment j’ai essayé d’élargir mon espace de lib­erté et con­tin­ué à réfléchir, à enquêter, à problématiser, à analyser et à écrire, le plus libre­ment pos­si­ble. Cela a pu être pos­si­ble grâce à la sol­i­darité solide d’innombrables per­son­nes de mul­ti­ples milieux, toutes attachées à la lib­erté et à la jus­tice. En par­ti­c­uli­er, les sou­tiens académiques m’ont per­mis de pro­gress­er dans mon métier. Mon pre­mier refuge struc­turant en France fut l’Université de Stras­bourg qui m’a accordé la pro­tec­tion académique, comme l’exprima publique­ment Alain Beretz, son président de l’époque. Mon deuxième refuge fut l’ENS de Lyon qui me décerna le titre de Doc­teur hon­oris causa. Et aujourd’hui je tra­vaille en tant qu’enseignante-chercheuse au département de Soci­olo­gie Démographie et dans le lab­o­ra­toire URMIS d’Université Côte d’Azur, une uni­ver­sité qui, par son sou­tien déterminé, me fait sen­tir chez moi. De plus, de nom­breux comités de sou­tien uni­ver­si­taires et les organ­i­sa­tions dis­ci­plinaires façonnent depuis le début cet engage­ment insti­tu­tion­nel fort.

Pour­tant je ne suis pas pleine­ment libre. Le man­dat d’arrêt inter­na­tion­al dont je fais l’objet m’empêche de sor­tir du ter­ri­toire français et d’exercer libre­ment mes recherch­es. Je ne peux même pas tra­vers­er la frontière fran­co-ital­i­enne alors que je suis co-coor­di­na­trice de l’Observatoire des Migra­tions dans les Alpes-Mar­itimes. Je ne peux pas non plus répondre aux nom­breuses invi­ta­tions que je reçois. Comme l’atteste la Min­istre de l’Eu­rope et des Affaires étrangères dans sa réponse à la ques­tion écrite d’une sénatrice, cet acharne­ment entrave mon tra­vail : « La France, attachée à la lib­erté de la recherche, apporte tout son sou­tien à la soci­o­logue Pinar Selek, recon­nue inno­cente à plusieurs repris­es par les juri­dic­tions turques des faits dont elle a été accusée. La procédure judi­ci­aire dont elle fait l’ob­jet en Turquie et le risque d’ar­resta­tion encou­ru entra­vent son tra­vail. (…) Mme Selek a trou­vé en France un espace pour s’ex­primer, enseign­er la soci­olo­gie et les sci­ences poli­tiques en tant que maître de conférences à l’U­ni­ver­sité Côte d’Azur et pour­suiv­re son tra­vail de recherche en toute lib­erté et sécurité. »

Oui, je pour­su­is mes travaux. Juste avant l’audience de 29 sep­tem­bre à Istan­bul paraîtra un nou­veau livre. Quand, en avril 2009, j’ai dû fuir la Turquie, menacée d’une peine de prison à perpétuité, je venais de pub­li­er les résultats d’une recherche sur le rôle du ser­vice mil­i­taire dans la struc­tura­tion de la vio­lence mas­cu­line. Avec mon départ, l’ouvrage, ayant son exis­tence autonome, s’est détaché de son autrice et a coulé comme une rivière vive. Il vient d’atteindre sa neuvième édition en Turquie et a été traduit en alle­mand et en français. Mon livre qui va paraître dans quelques semaines, com­mence par un dia­logue avec ce tra­vail, en essayant d’ aller plus loin dans l’analyse, en avançant dans des ques­tion­nements plus larges et plus actuels sur les nou­veaux dis­posi­tifs de l’oppression et mécanismes de banal­i­sa­tion de la vio­lence, sur l’exemple du con­texte turc.

Je sais que la réponse de ces mécanismes, surtout para­mil­i­taires, que j’ai analysé dans ce livre,

pour­rait être vio­lente. Mais je veux con­tin­uer à vivre comme chercheuse, penseuse et écrivaine libre. Ma mai­son d’édition annonce ce livre avec le ban­deau suiv­ant: « Pinar Selek per­siste et signe ».

Pour per­sis­ter encore et tou­jours, j’ai besoin de votre persévérance. 

Pinar Selek

Présentation de l’auteur

Pinar Selek

Née en 1971 à Istan­bul, Pinar Selek con­stru­it sa vie, ses engage­ments et ses recherch­es autour de l’adage « la pra­tique est la base de la théorie ». Sa mère, Ayla Selek, tenait une phar­ma­cie, lieu d’échanges et de ren­con­tres, et son père, Alp Selek, est avo­cat, défenseur des droits de l’Homme. Son grand-père, Haki Selek, est un pio­nnier de la gauche révo­lu­tion­naire et cofon­da­teur du par­ti des Tra­vailleurs de Turquie (TIP). Après le coup d’État mil­i­taire de 1980, Alp Selek est arrêté et main­tenu en déten­tion pen­dant près de cinq ans. Pinar Selek pour­suit alors des études au lycée Notre-Dame de Sion où elle apprend le français et ren­con­tre des objecteurs de conscience.

En 1992, elle s’inscrit en soci­olo­gie à l’université de Mimar Sinan d’Istanbul car elle pense qu’il faut « analyser les blessures de la société pour être capa­ble de les guérir ». Tout en pour­suiv­ant ses études, elle passe beau­coup de temps dans les rues d’Istanbul avec des enfants et des adultes sans domi­cile fixe. Elle y liera de pro­fonds liens d’amitié, mais choisira de ne rien écrire sur le sujet pour des raisons éthiques qu’elle développe dans son arti­cle « Tra­vailler avec ceux qui sont en marge ». En 1995, elle cofonde l’Atelier des Artistes de Rue, dont elle sera la coor­di­na­trice et auquel par­ticipent des per­son­nes sans domi­cile fixe, des enfants, des tzi­ganes, des étu­di­ant-es, des femmes au foy­er, des trav­es­ti-es, des transsexuel·les, des prostitué·es.

Son mémoire de licence inti­t­ulé « Babîali à Ìkitel­li : de l’odeur de l’encre aux immeubles de grande hau­teur du quarti­er d’affaires » porte sur la trans­for­ma­tion des organes de presse (jour­naux, radios et télévi­sions) en Turquie. En 1997 elle obtient son DEA de soci­olo­gie avec un mémoire inti­t­ulé « La rue Ülk­er : un lieu d’exclusion », recherche menée sur et avec les trans­sex­uels et trav­es­tis. Cette recherche est pub­liée en 2001 sous le titre « Masques, cav­a­liers et nanas. La rue Ülk­er : un lieu d’exclusion ». Durant cette péri­ode et au-delà, les trans­sex­uels se bat­tent con­tre la vio­lence poli­cière et nation­al­iste et ce livre, pre­mier dans ce domaine, est alors très utile pour touch­er l’opinion publique et con­stru­ire la sol­i­dar­ité. Par­al­lèle­ment, elle entame ses recherch­es sur la ques­tion kurde et effectue plusieurs voy­ages au Kur­dis­tan, en France et en Alle­magne, pour réalis­er une soix­an­taine d’entretiens des­tinés à ali­menter un pro­jet d’histoire orale.

Elle a 27 ans et elle redou­ble d’énergie pour con­tribuer à enray­er les guer­res et les mécan­ismes de pou­voir. Le 11 juil­let 1998 elle est arrêtée par la police d’Istanbul et tor­turée pour la forcer à don­ner les noms des per­son­nes qu’elle a inter­viewées. Elle résiste et une nou­velle forme de tor­ture est alors util­isée : elle est accusée d’avoir déposée la bombe qui aurait, le 9 juil­let 1998, fait sept morts et plus de cent blessés au marché aux épices d’Istanbul. Plusieurs rap­ports d’expert ont beau cer­ti­fi­er qu’il ne s’agit pas d’une bombe mais de l’explosion acci­den­telle d’une bouteille de gaz, c’est le début d’un acharne­ment poli­ti­­co-judi­­ci­aire qui est aujourd’hui dans sa vingt-qua­trième année. Elle passe deux ans et demi en prison et une grande sol­i­dar­ité se met en place qui réu­nit de nom­breux avocat·es, des intellectuel·les et beau­coup de per­son­nes qu’elle a croisées au cours de ses engage­ments et de ses recherch­es. Sa sœur Saï­da quitte alors son tra­vail et reprend des études de droit pour se join­dre à la défense de Pinar en tant qu’avocate.

En prison, Pinar Selek écrit beau­coup, mais tous ses textes sont con­fisqués. En décem­bre 2000 elle est finale­ment libérée et, con­créti­sant un pro­jet mûri en prison, elle met à prof­it sa notoriété pour organ­is­er une grande « Ren­con­tre des femmes pour la paix » à Diyarbakir. Cette pre­mière mobil­i­sa­tion sera suiv­ie d’autres ren­con­tres qui auront lieu à Istan­bul, Bat­man et Konya.

En 2001 elle fonde avec d’autres fémin­istes l’association Amar­gi qui s’engage dans les mobil­i­sa­tions con­tre les vio­lences faites aux femmes, pour la paix et con­tre toutes les dom­i­na­tions et qui ouvre la pre­mière librairie fémin­iste au cen­tre d’Istanbul.

L’association organ­ise, en 2002, « la marche des femmes les unes vers les autres » où des mil­liers de femmes con­verg­eront de toute la Turquie vers la ville de Konya. C’est aus­si l’année où la mère de Pinar Selek meurt d’une crise cardiaque.

En 2004, Pinar Selek pub­lie Barisamadik (« Nous n’avons pas pu faire la paix ») sur la cul­ture mil­i­tariste et les mobil­i­sa­tions pour la paix en Turquie. Elle crée avec d’autres en 2006 la revue théorique fémin­iste Amar­gi qui est encore aujourd’hui ven­due à des mil­liers d’exemplaires dans toute la Turquie et dont elle est tou­jours rédac­trice en chef.

En 2006 elle est finale­ment acquit­tée après un tra­vail énorme du col­lec­tif d’avocats pour faire tomber une à une toutes les accu­sa­tions basées sur de faux témoignages extorqués sous la tor­ture et la fab­ri­ca­tion de fauss­es preuves. Mais la Cour de cas­sa­tion s’acharne et fait appel du ver­dict. Pinar Selek con­tin­ue à organ­is­er et à par­ticiper à de nom­breuses ren­con­tres et man­i­fes­ta­tions anti­mil­i­taristes. Elle écrit égale­ment dans divers jour­naux et mag­a­zines con­tre le mil­i­tarisme, le nation­al­isme, l’hétérosexisme, le cap­i­tal­isme, et toutes les formes de domination.

En 2008 elle pub­lie Sürüne Sürüne erkek olmak (« Devenir homme en ram­pant ») sur la con­struc­tion de la mas­culin­ité dans le con­texte du ser­vice mil­i­taire. À la suite de cette pub­li­ca­tion, elle fera l’objet d’intimidations, de men­aces télé­phoniques et d’articles diffam­a­toires dans la presse. Elle pub­lie aus­si Su damlasi (« La goutte d’eau »), un con­te pour enfant qui sera suivi de Siyah pelerin­li kiz (« La fille à la pèler­ine noir ») et de Yesil kiz(« La fille en vert »).

Elle est de nou­veau acquit­tée en 2008 mais un nou­v­el appel de la Cour de cas­sa­tion casse le ver­dict et la pousse à par­tir de Turquie. Elle reçoit une bourse du Pen Club Alle­mand dans le cadre du pro­gramme « Écrivains en exil » et c’est à Berlin qu’elle ter­mine son pre­mier roman Yol geçen hani (« L’auberge des pas­sants ») pub­lié en Turquie en 2011 et en Alle­magne la même année. Le 9 févri­er 2011 elle est acquit­tée une troisième fois mais, fait extrême­ment rare dans la jurispru­dence turque, le pro­cureur refait appel auprès de la Cour de cas­sa­tion, pour la troisième fois également.

Le 24 jan­vi­er 2013, la 12ème Cour d’Istanbul qui a été remaniée, annule sa pro­pre déci­sion d’acquittement et la con­damne à la prison à per­pé­tu­ité. Ses avo­cats font appel et dénon­cent ce déni de jus­tice et l’illégalité des procé­dures. Ils obti­en­nent l’annulation de la con­damna­tion auprès de la 9ème Cour de cas­sa­tion le 11 juin 2014. Mal­gré ce con­texte, Pinar Selek parvient à ter­min­er sa thèse de doc­tor­at sur « l’interdépendance des mou­ve­ments soci­aux en con­texte autori­taire. Les mobil­i­sa­tions au nom de groupes soci­aux opprimés sur la base du genre, de l’orientation sex­uelle ou de l’appartenance eth­nique en Turquie », qu’elle sou­tient le 7 mars 2014 à Stras­bourg. Le procès qui recom­mence auprès de la 15ème Cour pénale, se sol­de par un 4ème acquit­te­ment le 19 décem­bre 2014. Une nou­velle vic­toire pour ses avo­cat‑e‑s et toutes celles et tous ceux qui la sou­ti­en­nent inlass­able­ment et parta­gent ses luttes en Turquie et ailleurs!

Mais le pro­cureur fait de nou­veau appel.

Com­mence alors une longue péri­ode d’incertitude en atten­dant la déci­sion de la Cour Suprême, qui finit par tomber huit ans plus tard : l’acquittement sera de nou­veau annulé.

Pinar Selek vit aujourd’hui en exil en France et résiste à la tor­ture psy­chologique que représente cet acharne­ment de 24 années con­tre elle et ses proches. Après avoir obtenu en 2013 le statut de réfugiée, elle est nat­u­ral­isée française en 2017.

Met­tant en pra­tique ses analy­ses sur la néces­sité de la con­ver­gence des luttes face à l’intersectionnalité des sys­tèmes de dom­i­na­tion, elle con­tin­ue d’écrire et de par­ticiper à de nom­breuses ren­con­tres un peu partout en France et en Europe. Elle tient une rubrique régulière dans le mag­a­zine Rebelle San­té, con­tribue à la revue Silence et pub­lie des arti­cles dans des ouvrages col­lec­tifs. Elle s’investit au sein de l’association les­bi­enne et fémin­iste La Lune de Stras­bourg, chante dans une chorale de chants révo­lu­tion­naires à Lyon puis co-fonde le Groupe d’Action et de Réflex­ion Fémin­iste à Nice.

Depuis son instal­la­tion en France fin 2011, sept de ses livres ont été pub­liés en français : Loin de chez moi… mais jusqu’où ? aux édi­tions iXe en mars 2012, La mai­son du Bospho­re, son pre­mier roman, aux édi­tions Liana Lévi en avril 2013, Ser­vice mil­i­taire en Turquie et con­struc­tion de la classe de sexe dom­i­nante . Devenir homme en ram­pant, une analyse soci­ologique aux édi­tions l’Harmathan en févri­er 2014, Parce qu’ils sont arméniens, un essai poli­tique majeur aux édi­tions Liana Lévi en févri­er 2015, Verte et les oiseaux puis Algue et la sor­cière, deux con­tes philosophiques pour enfants aux édi­tions des Lisières en 2017 puis 2021, et enfin Azu­ce­na ou Les four­mis zinzines aux édi­tions Des Femmes en 2022, son sec­ond roman paru ini­tiale­ment en turc en 2018 (Cümbüşçü Karın­calar) puis en ital­ien en 2020 (Le Formiche fes­tanti). Un livre de dia­logues avec Guil­laume Gam­blin paraît en 2018 et rend compte de l’itinéraire et de l’œuvre de Pinar Selek : L’Insolente, dia­logues avec Pinar Selek, édi­tions Cam­bourakis avec la revue Silence.

Le 4 octo­bre 2019, elle est lau­réate du Prix de la Cul­ture méditer­ranéenne 2019 (sec­tion « Société civile ») décerné par la Fon­da­tion Car­i­cal en Italie.

Aujourd’hui, elle enseigne la soci­olo­gie et les sci­ences poli­tiques à l’Université Côte d’Azur, où elle est maître de con­férences et mène dif­férentes recherch­es au sein de son lab­o­ra­toire, l’URMIS. Elle co-ani­me notam­ment l’Observatoire des migra­tions dans les Alpes-Mar­itimes et a coor­don­né avec Daniela Truc­co l’ouvrage col­lec­tif Le Manège des fron­tières. Crim­i­nal­i­sa­tion des migra­tions et sol­i­dar­ités dans les Alpes-Mar­itimes paru en 2020 chez Le Pas­sager clandestin.

En par­al­lèle, elle pour­suit son engage­ment inter­na­tion­al par l’intermédiaire de la revue fémin­iste Amar­gi et au sein de réseaux fémin­istes transna­tionaux. Le mou­ve­ment fémin­iste représente pour elle une dis­si­dence dont le pro­jet va bien au delà d’une lutte pour l’égalité. Pinar Selek s’inscrit dans les luttes locales et inter­na­tionales con­tre toutes les formes de dom­i­na­tion en espérant con­tribuer à réin­ven­ter la poli­tique mal­gré la vio­lence extrême et voir un jour un monde de paix et de jus­tice, pour toutes et tous. ( source : https://pinarselek.fr/biographie/)

Bibliographie

  • Tra­vailler avec ceux qui sont en marge, Socio-Logos, avril 2010, no 5
  • Loin de chez moi mais jusqu’où ?, Don­ne­marie-Don­til­­ly, Édi­tions iXe, coll. « La petite IXe », 2012, 56 p. (ISBN 979–10–90062–11‑5)
  • La Mai­son du Bospho­re, Édi­tions Liana Levi, Paris, 2013, 400 p. (ISBN 978–2867466694)
  • Devenir homme en ram­pant, Paris, L’Har­mat­tan, 218 p. Paris, 2014 (tra­duc­tion de Sürüne Sürüne erkek olmak paru en 2008) (ISBN 9782343024417)
  • Parce qu’ils sont Arméniens, Édi­tions Liana Levi, Paris, 2015 96 p. (ISBN 978–2867467646)
  • Verte et les oiseaux, avec Elvire Reboulet & Maud Leroy (ill.), con­te illus­tré traduit du turc par Lucie Lavoisi­er, Édi­tions des Lisières, Sainte Jalle, 2017, 64 p. (ISBN 9791096274031)
  • Algue et la sor­cière, avec Elvire Reboulet & Maud Leroy (ill.) con­te illus­tré traduit du turc par Lucie Lavoisi­er, Édi­tions des Lisières, Curnier, 2021, 56 p. (ISBN 9791096274277)
  • Azu­ce­na ou Les four­mis zinzines, des femmes, 2022, 224 p.
  • Le Chau­dron mil­i­taire turc, des femmes, 2023.

Poèmes choi­sis

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Pinar Selek, Lettre ouverte contre horizon fermé

Plus que des para­graphes, qui ne pour­raient restituer l’hor­reur de ce que vit Pinar Selek, fémin­iste, anti­mil­i­tariste, soci­o­logue, écrivaine, uni­ver­si­taire et mil­i­tante per­sé­cutée depuis 25 ans par les autorités turques, voici une chronolo­gie des […]

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Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.
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