La poésie, le Scriptorium, la paix… FAIRE PAROLE ENSEMBLE ! Entretien avec Dominique Sorrente

Par |2023-11-07T19:18:57+01:00 6 novembre 2023|Catégories : Dominique Sorrente, Essais & Chroniques|

De trace en trame, de revue en recueil, Dominique Sor­rente ne cesse de désir­er, de ten­ter de matéri­alis­er un lieu ensem­ble, pour toutes et tous, un endroit où la poésie serait cette évi­dence que nous parta­geons. Une planète que nous avons en com­mun (on se réfèr­era par exem­ple à C’est bien ici la terre, pré­facé par Jean-Marie Pelt en 2012 et pub­lié chez MLD), et au-delà de la langue un socle, l’humanité, faite d’émotions uni­verselles. Inces­sant com­bat­tant pour la paix, passeur de poésie, il pour­suit son action poé­tique à tra­vers des ate­liers d’écriture, des con­férences, des lec­tures-spec­ta­cles, et la créa­tion en 1999 du Scrip­to­ri­um, “espace de poésie partagée, en prise sur notre temps.” C’est dire que son engage­ment est inaltérable.

Dominique Sor­rente, vous êtes poète. Qu’est-ce que cela sig­ni­fie pour vous ?
Entre l’humeur chahuteuse du clown, la sainte folie du bais­er et la lente sagesse
des arbres, n’hésite pas un seul instant : choi­sis les trois.
(extrait de Pays sous les con­ti­nents, MLD, prix Georges Per­ros 2012)
 Pour cette fois, je n’en dirai pas plus…(sourire)
Vous avez créé le Scrip­to­ri­um fin 1999. Pou­vez-vous évo­quer cette entité, et les raisons de sa création ?
Fin rude et triste de la revue Sud en 1997 ; j’y étais mem­bre du Con­seil de rédac­tion depuis les années 80. Et puis vient la bas­cule du mil­lé­naire… et le désir d’inventer une utopie poé­tique à quelques-uns, sans faux-sem­blants ni pesan­teurs. La grande salle d’accueil du cab­i­net de pédi­a­trie de mon épouse, Patri­cia Le Roux, est notre espace de vie…quand les cris des enfants se retirent. Réjouis­sante fil­i­a­tion ! Le Scrip­to­ri­um est alors ancré dans le port du val­lon des Auffes à Mar­seille. Plus tard, après le trag­ique acci­dent de Patri­cia sur la voie publique en 2011, le Scrip­to­ri­um ira se loger sur la colline de Notre-Dame de la Garde où se trou­ve aujourd’hui son lieu de ral­liement. L’utopie est celle de lever une « poésie de la coïn­ci­dence » qui con­cilie l’acte de soli­tude, inhérent à toute expéri­ence d’écriture, avec le désir de se reli­er et d’œuvrer dans l’espace pub­lic. Le Scrip­to­ri­um ne sera donc pas une revue, pas un ate­lier d’écriture, mais  un lieu-dit, un  creuset, un  point de stim­u­la­tion où se retrou­ve un groupe de poètes, artistes, pas­sion­nés des mots vivants, désireux de trou­ver des formes inven­tives à plusieurs. 
Un livre est paru pour les dix ans :
« Le Scrip­to­ri­um, Por­trait de groupe en poésie ( édi­tions BoD, 2010) ». Il donne le ton et rap­pelle l’esprit de cette embar­ca­tion insta­ble et ardente qui n’a cessé d’évoluer au fil des années, des départs, des arrivées…La mer est mou­vante, mais l’embarcation pour­suit son cab­o­tage. Et le groupe d’aujourd’hui est par­ti­c­ulière­ment tonique !

Tout sim­ple­ment est un poème écrit et dit par Dominique Sorrente. 
Porté par une true sto­ry de Ben Rando. 
Le poème est une évo­ca­tion d’une his­toire de coeur née en bord de Meuse. 
Il a été écrit durant l’été 2020.

Y a‑t-il des actions qui vous ont par­ti­c­ulière­ment marqué ?
Par­mi les ini­tia­tives, la pre­mière forme trou­vée a été celle des Inter­valles, ren­con­tres à quelques-uns, portées par un mot générique. Dès le début, nous avons par­ié sur ce qui ici fai­sait poésie : les textes décou­verts, inven­tés, partagés des uns et des autres, bien sûr, mais avant tout, le moment vécu ensem­ble avec ses échap­pées, ses ful­gu­rances, sa forme unique, irrem­plaçable, son « esprit d’intervalle » et son rythme de sémaphore… Puis nous avons lancé des formes, plus ouvertes, comme le Jume­lage avec les poètes d’une autre ville ( Pis­toia en Italie). 

Nous avons aus­si trou­vé notre lieu d’ancrage sym­bol­ique dans l’espace pub­lic : le mon­u­ment Rim­baud ( œuvre en céra­s­tone, réal­isée par le sculp­teur aixois, Jean Ama­do) sur un promon­toire de la plage du Pra­do à Mar­seille. J’engage tout vis­i­teur de Mar­seille à y faire halte ; il est hélas encer­clé en ce moment par les travaux en vue des Jeux Olympiques de l’été prochain… ; c’est là que nous avons créé lors de la Journée mon­di­ale de la poésie (Unesco) notre Instant Bateau Ivre Salu­taire. Un moment rare, nour­ri par des lec­tures, per­for­mances, poésie cho­rus, jeux de mar­i­on­nettes, sons de con­tre­basse et guitares…un moment à ciel ouvert qui réc­on­cilie les voix des poètes « expéri­men­tés » avec les voix incon­nues et nou­velles. Avec les humeurs des élé­ments à accueillir…mer, vent, pluie plus rarement…

Ce poème a été écrit lors de l’IN­STANT BATEAU IVRE SALUTAIRE du SCRIPTORIUM, le 19 mars 2022, au mon­u­ment RIMBAUD, plage du Pra­do-Rou­cas, à Mar­seille. Lecteur : Marc Ross à la con­tre­basse : Mar­co Zoti.

L’an prochain, nous vivrons ce temps (sur le thème de la Grâce choisi par le Print­emps des Poètes) dans un autre espace de la rade de Mar­seille, à prox­im­ité du parc Boré­ly et du Bowl, roy­aume des skater : les Sept Portes de Jérusalem. Lieu sans démar­ca­tion, ô com­bi­en sym­bol­ique, que nous avons déjà choisi pour notre IBIS 2023. Nous y évo­querons notam­ment la fig­ure fasci­nante de Chris­t­ian Gabriel/le Guez Ricord (1948–1988).
Je peux citer en vrac d’autres moments inso­lites vécus récem­ment par le groupe : une tra­ver­sée lit­téraire en mer, en asso­ci­a­tion avec le réseau de bib­lio­thèques, COBIAC ; ce fut un épisode de lec­tures vivantes et…sportives, portées par la houle (!),  à prox­im­ité de l’archipel du Frioul. Une autre « spé­ciale » du Scrip­to­ri­um est la tou­jours bien­v­enue Sieste poé­tique, en juin générale­ment, qui dif­fuse les poèmes en atten­tion flot­tante et posi­tion allongée, avec son lot de sur­pris­es et tou­jours beau­coup de complicités…Et puis, ne pas oubli­er la Car­a­vane poé­tique, bien appré­ciée des publics, qu’elle ait lieu dans le Vau­cluse avec notre parte­naire Pierre Sèche dans le cadre du fes­ti­val Trace de poète ou bien côté mer à Mar­seille dans ces paysages qui sont des recréa­tions per­pétuelles. Et encore, on peut citer un Poème épique à plusieurs que nous avons entamé lors du confinement…et qui con­tin­ue sa route obstiné­ment. Ne sommes-nous pas, comme à chaque péri­ode de tur­bu­lence civil­i­sa­tion­nelle, de frag­men­ta­tions, en un temps poé­tique appelant une énergie nar­ra­tive nou­velle qui rejoint l’épopée ? À met­tre dans le chau­dron du  Scrip­to­ri­um… !
Pensez-vous que la poésie soit lue, ou écoutée, de nos jours ? Est-elle fréquen­tée par les plus jeunes ?
Aux dernières nou­velles  (je viens de tomber sur le Fem­i­na La Provence avec Juli­ette Binoche, grande ama­trice de poésie, en tête de gon­do­le !), la poésie est à nou­veau « ten­dance » en France… On salue même son « grand retour » avec des ventes de recueils en aug­men­ta­tion de 22% entre jan­vi­er et mai 2023. Arthur Teboul, chanteur de Feu Chat­ter­ton, a écoulé 22.000 exem­plaires de Le Déversoir.
Avec Mes forêts, pub­lié chez Bruno Doucey, la québe­coise Hélène Dori­on est la pre­mière poétesse vivante au pro­gramme du bac, plus habitué à Vic­tor Hugo ou Baudelaire.
Et si on sort de l’hexagone, on peut citer la cana­di­enne Rupi Kaur. 3,5 mil­lions d’exemplaires de Lait et Miel ven­dus ! …Aman­da Gor­man a 3,8 mil­lions d’abonnés sur Insta­gram. Il faut dire qu’on l’a enten­due à l’investiture de Joe Biden…Voilà un petit tour d’horizon express sur la séquence chiffrée qui, inlass­able­ment, revient nous faire croire qu’elle est la mesure de tout.
On ne va pas s’en plaindre…ni, non plus, s’en réjouir sans discernement…Simplement, il faut garder la bonne dis­tance, me semble-t-il.
La chance d’aujourd’hui est que les canaux sont for­mi­da­ble­ment var­iés. Le risque est celui d’une dis­per­sion-zap­ping tous azimuts.

Le Scrip­to­ri­um Sémaphore de Poésie À l’occasion du Print­emps des Poètes 2021, et en route vers la Journée Mon­di­ale de la Poésie, prévue le 21 mars par l’Unesco, les poètes du Scrip­to­ri­um pro­posent une lec­ture de poèmes créés sur le thème du Désir. Ces poèmes inédits fig­urent en ver­sion écrite sur le blog de l’association : http://www.scriptorium-marseille.fr

Ayant enseigné jadis dans une de mes précé­dentes vies les sci­ences économiques, je dirais volon­tiers qu’on est passé en poésie d’une économie de la rareté à une économie du flot con­tinu. Et Chat­G­PT, porte-dra­peau de la révo­lu­tion de l’intelligence arti­fi­cielle, com­mence à peine à intimer son ordre de con­fu­sion-mys­ti­fi­ca­tion généralisée !
Le prin­ci­pal défi de la poésie est de s’y retrou­ver dans cette nou­velle matrice, de ne pas se laiss­er emporter. C’est l’esprit du bas-côté de la route, de la pra­tique tra­ver­sière, de la capac­ité à sor­tir de piste ou à pass­er son tour etc…La poésie vit sans doute, depuis les débuts de l’humanité, à la fois du côté de l’épopée et du côté du silence. La pre­mière fait réc­it des moments auprès des gens, elle façonne la mémoire, l’entretient, l’approfondit. Le sec­ond nous rap­pelle que le mot réclame du vide, qu’il importe de tourn­er soix­ante-dix- sept fois sa langue dans sa bouche, que se taire est la pre­mière leçon etc…
Si j’ai créé le Scrip­to­ri­um, c’est parce que je n’ai jamais dis­so­cié l’humain de l’expérience du lan­gage.  Le défi n’est donc pas le plus ou moins grande quan­tité de mots ver­sés ou lus, mais l’expérience de la parole et de l’écriture dans le réc­it per­son­nel et celui du monde.
Il est indis­pens­able d’aller par­ler aux jeunes généra­tions où elles se trou­vent. Si notre parole a une force, une fer­veur, une fan­taisie aus­si, si elle sait les éton­ner, les émou­voir, les accom­pa­g­n­er, activ­er la plas­tic­ité des intel­li­gences, je ne me fais aucun « sang d’encre » pour la survie des poètes. Je crois, à l’inverse, à leur rôle de veilleurs con­tre les ten­ta­tions total­i­taires. Le trag­ique assas­si­nat du pro­fesseur de Let­tres, Dominique Bernard, au lycée Gam­bet­ta d’Arras nous rap­pelle cette respon­s­abil­ité. Évidem­ment, si les poètes se rétré­cis­sent dans leurs petits entre-soi, ver­biages sans pris­es et con­tente­ments dérisoires à l’aune du sup­posé con­tem­po­rain, on risque fort de s’en détourn­er ou, plus sûre­ment, de les ignorer. 
L’enthousiasme sera tou­jours le maître mot qui ne ment pas.
La poésie est-elle le vecteur priv­ilégié pour porter une parole de paix, de rassem­ble­ment, et de fra­ter­nité ? Pourquoi ?
Vaste ques­tion ! (sourire). La for­mu­la­tion poé­tique du réel est impor­tante, parce que sans cesse, nous avons à défaire la « rouille de la pen­sée ». Je vous ren­voie, par exem­ple, au dis­cours de Stock­holm de Saint-John Perse sur la sci­ence et la poésie dont « le mys­tère est com­mun ». Les juge­ments à l’emporte-pièce, le manque d’analyse de la com­plex­ité en pro­fondeur, l’incapacité à se déplac­er men­tale­ment hors de sa zone d’habitude sont des fer­ments de guerre, plus ou moins larvés, tout autant que les murs de lan­gage. Un de mes maîtres sur ce sujet reste le philosophe Paul Ricœur. Je l’entends encore me par­ler des trois actions qu’il nous fal­lait men­er pour Imag­in­er l’Europe (c’était le thème que j’enseignais alors aux étu­di­ants) : échang­er les mémoires, favoris­er l’hospitalité lin­guis­tique, bris­er la dette. Trois dimen­sions pro­fondé­ment éthiques de la rela­tion à l’autre. Hé bien, pour cha­cun de ses gestes, la poésie doit pren­dre toute sa part. La poésie appelle à se déplac­er dans l’histoire intime et col­lec­tive de cha­cun ; elle est aus­si « de la vie inter­prétée » comme l’écrivait Joe Bous­quet. Enfin elle est la porte d’entrée de ce mot ver­tig­ineux qu’on appelle le pardon.
C’est par de telles pra­tiques que nous pou­vons apporter quelque chose, même de façon infime, mais signifiante. 
Je crois pro­fondé­ment que nous sommes libres et respon­s­ables des mots que nous choi­sis­sons. Et aus­si de nos silences.
En revanche, il ne vous aura pas échap­pé que les bons sen­ti­ments n’ont jamais été les garants de bons poèmes…et la paix, la fra­ter­nité etc… n’échappent pas à cette sévère réal­ité portée par le langage. 
Un poème sur une clé à molette, une boîte à cha­peaux ou une planète incon­nue est sus­cep­ti­ble d’être plus inspi­rant que des déc­la­ra­tions d’intention rabâchées en faveur de la fra­ter­nité, la soror­ité ou l’adelphité.
Peut-on dire que votre poésie est une poésie engagée ? Ou bien vos actes ? Peut-être est-ce la même chose, et ne peut-on dis­soci­er votre poésie de vos actes ?

 

Poésie « engagée », le mot m’a d’abord intimidé, puis irrité (on con­naît les car­i­ca­tures !), puis amusé. Il avait dis­paru de la logosphère comme les mots « poétesse », « déclamer »…et même « poème » dans un cer­tain milieu textuel. Mon écri­t­ure, je suis à peine provo­quant en le dis­ant, est le plus sou­vent « désen­gagée ». La rai­son sim­ple en est ce détour, cette mise à l’écart qu’oblige l’acte d’écrire qui est une action, mais en retrait, quoi qu’on fasse. Lorsque je m’associe en écri­t­ure à ce qu’on appelle une cause (je le fais rarement), l’enjeu est de toute façon que mon poème tienne par lui-même. J’ai com­posé, par exem­ple, une chan­son « Au bon­heur de Lily » pour une asso­ci­a­tion d’enfants atteints d’un can­cer du squelette (rhab­domyosar­come).  Au moment de l’invasion de l’armée russe en Ukraine, j’ai répon­du à un pro­jet d’anthologie lancé par l’artiste visuel Pablo Poblete pour Unic­ités. Mais, au fond, je suis plus trou­blé par le mys­tère qui m’a fait écrire Faire neige ( poème lu et pub­lié sur youtube, deux mois avant que la guerre n’ait com­mencé. C’est un poème de toutes les guer­res, de toutes les angoiss­es devant l’arrivée des enne­mis, invis­i­bles encore, de toutes les sit­u­a­tions des cœurs dému­nis face à la ter­reur occu­pante. Est-il engagé ? Ce n’est pas mon mot. J’espère seule­ment qu’il touche à de l’intime. Avec la part de croy­ance en ce qui va renaître, mal­gré tout.

Faire neige, poème de Dominique Soreente. La musique All the regrets est une com­po­si­tion de Loïk Bré­dolèse. Ce poème a été écrit par Dominique Sor­rente à l’au­tomne 2021 en réso­nance avec les vies d’ou­bli, notam­ment en Europe ori­en­tale. Il résonne aujour­d’hui forte­ment à présent que se déroule sous nos yeux la tragédie ukraini­enne. Il est dédié aux vic­times incon­nues de ce con­flit. Son intro­duc­tion (qui ne fig­ure pas dans le présent enreg­istrement) dit ceci: “Tu m’as dit qu’il me suf­fi­rait de fer­mer les paupières pour que le monde me fasse signe. Alors, j’ai écrit ces mots-buées avant de me frot­ter à toi, mon amour.” le 28 févri­er 2022

Quant à la ques­tion de dis­soci­er ou non la poésie et les actes, elle ren­voie à un autre trou­blant mys­tère. Celui de l’autonomie du poème. On le crée dans cer­taines cir­con­stances ( un de mes man­u­scrits en cours revendique le kaïros, l’occasion…), on le tra­vaille,  on le mod­èle, on lui donne son équili­bre et puis…il s’en va. Bateau à la mer. Le poète passe à un autre temps mais une part de lui-même sera venue s’incorporer dans cet objet énig­ma­tique qu’est le poème. Voilà com­ment j’essaie de résoudre la ques­tion sans idéalis­er les poètes qui ont, eux aus­si, leur part d’ombre, pour ne pas dire plus.
La Courbe de tes yeux (1924) et l’ode à Staline (de 1950) ont été écrits, l’un et l’autre, par le même poète, Paul Élu­ard. Mon espoir est de penser que les amoureux de 2023 seront plus attirés par le pre­mier poème que par le sec­ond… Il faut aus­si se défi­er du culte aveu­gle de la per­son­nal­ité pour les poètes.
Et main­tenant, quelles sont vos actions prévues, lorsque l’on con­state l’urgence d’affirmer une sol­i­dar­ité envers ceux qui subis­sent les guer­res, et de mon­tr­er qu’il est pos­si­ble de com­mu­nier et de penser un monde où la paix resterait inaltérable ?

Les actions de sol­i­dar­ité relèvent de toutes sortes de com­porte­ments. Cer­tains sont invis­i­bles et souhait­ent le rester. J’apprécie fort ce qui sait rester hors le champ du médi­a­tique vis­i­ble. Nous avons une mal­adie de l’exposition aujourd’hui, avec les réseaux soci­aux, et les poètes y jouent leur partition…Je revendique le droit à la poignée de mains et aux sourires com­plices au coin d’une rue, à l’abri des algorithmes !
Pour ma part, je sais que chaque fois qu’une action est « con­crète » comme on dit, qu’elle porte un vis­age, un mes­sage etc…elle a une valeur particulière.
La chance est qu’à Mar­seille, on peut ren­con­tr­er ce type de solidarités.
Dans le même esprit, l’association Mar­seille-Espérance a été créée par l’ancien maire Robert Vigouroux pour que toutes les reli­gions présentes dans la cité phocéenne se relient, échangent, dia­loguent, coopèrent etc…Le pape François a salué cette ini­tia­tive orig­i­nale, lors de son pas­sage à Notre-Dame de la Garde. Je suis con­va­in­cu du bien-fondé de cette démarche que je soutiens.
Pour le reste, l’humanitaire est un véri­ta­ble méti­er, admirable et exigeant, et c’est un méti­er de pro­fes­sion­nels. Je me sens bien en retrait de cela, le mieux qu’on puisse faire à ce niveau est alors l’aide finan­cière la plus judi­cieuse pos­si­ble. Mais si nos poèmes pour la paix aident le fleuve à couler avec moins de sang, écrivons-les et parta­geons-les, sans ménagement !

Avec le Scrip­to­ri­um, l’an passé, j’ai été sol­lic­ité sur le thème « Paix et Poésie » par la Mai­son Mon­tolieu (un espace créé par les Jésuites dans les quartiers Nord de Mar­seille). Au-delà de ma pro­pre inter­ven­tion, j’ai pro­posé à quelques amis poètes du Scrip­to­ri­um d’apporter leurs con­tri­bu­tions. Ce qu’ils ont fait avec beau­coup de sen­si­bil­ité et d’inventivité dans le pro­pos.  J’ai plaisir à citer leurs noms : Wahi­ba Bay­oudia, Emmanuelle Sar­rouy, Marc-Paul Pon­cet, Hen­ri Per­ri­er-Gustin, Nico­las Rouzet, Isabelle Alen­tour, Marc Ross. Une note du blog évoque ce moment qui, évidem­ment, mérit­erait un prolongement…

Per­me­t­tez-moi de ter­min­er par un poème « Give peace a chance ». Il est né à l’occasion de cette journée « Paix et Poésie » qui nous a réu­nis avec le Scriptorium. 

Aujourd’hui, tout encore est à reprendre… 

GIVE PEACE A CHANCE

Nous fai­sions par­tie de ceux-là,
ceux qui répé­taient en chœur
“All we are say­ing is
give peace a chance”, sans savoir de quoi était faite
cette chance, cette paix embrumée,
mais nous les appe­lions sur nous,
cette chance, cette paix,
cette façon d’é­con­duire la menace.

Nous avons inven­té comme cela nos autels de fortune.

Nous écriv­ions des mots sourds, fer­vents, maladroits,
nous par­lions de lam­pes et de sécession,
des bar­belés d’hi­er et de ceux du présent,
et des tenailles miraculeuses.

Il y avait un cer­cle pour nous affranchir du malheur.
Nous y logions comme dans une arche
la grue en origa­mi, le calumet et ses nuages,
la colombe qui fait retour, le rameau 
d’après le Déluge,
la flamme entourée de ses pierres,
le fusil brisé, le coqueli­cot blanc,
le dra­peau arc-en-ciel, tout ce qui appelait sur le monde brûlé
l’amour de vivre.

Cinquante ans ont passé, et les “plus jamais ça”
ont défilé d’un train à l’autre.

Et tout encore est à reprendre.
Comme si nous n’avions rien compris 
des pre­miers mots du désir mimé­tique inscrit au cœur,
des cour­roies noires d’en­traîne­ment, des falsifications
au jour le jour,
des façons vis­i­bles ou secrètes 
d’honor­er
les dieux alpha-mâles des guerres
quand vient le règne des décombres.

Et tout encore est à reprendre,
à cette heure-là où les mots revi­en­nent groggys
du voy­age vers les scènes cru­elles, oubliées, manifestes,
un peu plus trou­blés encore
d’a­vancer avec leur mémoire obstinée
et la longue suite de ceux qui n’ont pas
fini de vouloir les prononcer:
All we are say­ing is
give peace a chance.

Sud-Soudan, Sri Lan­ka, Colom­bie, Ango­la, Burundi,
Ukraine, Israël, Palestine…

Un sémaphore
agite ses bras d’enfant
comme sur un tar­mac de refuge.

Au loin se récite 
la légende des mille grues.

Il y a une main qui ôte la poussière
sur la Vierge de Nagasaki.

Tout ce que nous dis­ons est:
donne une chance à la paix ! 

 

Présentation de l’auteur

Dominique Sorrente

Né à Nev­ers en octo­bre 1953, Dominique Sor­rente vit à Marseille.

Depuis cinquante ans, il écrit son « jour­nal de bord à bord » d’où émer­gent de temps à autre des poèmes, des chan­sons, des spec­ta­cles, et aus­si des livres. Une bonne ving­taine à ce jour chez plusieurs édi­teurs, Cheyne, MLD, Voix d’encre, Tipaza…

Son antholo­gie per­son­nelle Pays sous les con­ti­nents, 1978–2008 (édi­tions MLD) a reçu le prix Georges Perros.

Nom­breuses pub­li­ca­tions en revues et par­tic­i­pa­tions régulières à des événe­ments poé­tiques en France et à l’étranger.

Le tra­vail de Dominique Sor­rente évolue dans divers reg­istres qui se répon­dent (suites mosaïques, textes voix haute, chan­­sons-poèmes, micro-fic­­tions, formes brèves…). L’écri­t­ure alterne tonal­ités graves et souri­antes, plaisir nar­ratif et fer­veur mélodique, quête méta­physique et humour impres­sion­niste. Une voix où la veine trou­ba­dour n’est jamais absente.

© Daniel Vin­cent

Quelques repères bio-biblio récents 

Paru­tion d’Ici ne tient jamais en place, édi­tion Voix d’encre, 2022, pein­tures d’Anne Slacik

Con­cert poé­tique « D’eau et de pierre » avec l’ensemble à cordes du fes­ti­val l’Abbé idéal, Saint-Michel en l’herm — Vendée, 28 août 2023

Paru­tion de Comme les autres… sauf que et autres poèmes, revue des Archers, théâtre Toursky, Mar­seille, numéro 42.

Actu­al­ité en cours : Lec­ture musi­cale en solo « D’une pierre l’autre »

                                  Pré­pa­ra­tion avec le comité de rédac­tion de la revue des Archers (théâtre Toursky) du numéro spé­cial d’hommage à Richard Mar­tin (1943–2023)

                                 Enreg­istrement au stu­dio Uptown de plusieurs chan­sons en pré­pa­ra­tion de l’album Ivres vivants.

                                 Ani­ma­tion des activ­ités du groupe du Scrip­to­ri­um en vue des 25 ans de l’association. 

Con­tact: www.scriptorium-marseille.fr

Ou sur Face­Book, Insta­gram : Dominique Sorrente

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La poésie comme « pierre d’utopie » dans Let­tre à un vieux poète de Dominique Sor­rente     Le grand poète n’est jamais aban­don­né de lui-même, si loin qu’il s’élève au-dessus de sa pro­pre per­son­ne. Hölderlin […]

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  A l’adresse de mes « frères humains » (François Vil­lon) « Des gens comme ça va » si étranges par­fois qu’il me, qu’ils nous ressem­blent. « Ain­si aller au cœur, en suite de poèmes, au plus près […]

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Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.
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