Eva-Maria Berg écrit avec des mots trans­par­ents, translu­cides, trans/lucides. Il sem­ble que ce qu’elle a tou­jours cher­ché est là, et s’of­fre comme un aboutisse­ment dans Pour la lumière dans l’e­space

La pen­sée appartient
à l’espace
mais celui qui sait 
résis­ter à la pression
abat les murs
et ouvre lui-même
un univers

Pour Daniel Meynen
mon mer­veilleux ami
et remar­quable philosophe

In memo­ri­am

Telle est l’en­trée en matière, dés­in­té­grée, du poème, du lan­gage, qui n’a d’autre objec­tif que de men­er aux plages d’un silence cosmique.

Un jour
à demi un bout
du chemin un
morceau d’espace
une brèche dans la
fenêtre une vue
qui manque
à l’ensem­ble du texte

 

 

Eva-Maria Berg, Pour la lumière dans l’e­space, L’Ate­lier des Noy­ers, 2020, 14 €.

C’est cette voie vers soi-même et la glob­al­ité que nous ouvre Eva-Maria Berg. La dédi­cace à Daniel Mey­nen homme dont la vie a été guidée par la spir­i­tu­al­ité en page lim­i­naire place dès l’abord les poèmes du recueil sous un hori­zon d’at­tente déter­miné, et fait écho au titre. Lumière, mais celle que l’on porte, cha­cun, et philoso­phie qui n’a d’autre objec­tif que de libér­er des sys­tèmes de pen­sée qui par déf­i­ni­tion ne peu­vent être qu’en­fer­me­ment dans le con­cept alors lui-même réduit par le langage. 

Dès lors, les champs lex­i­caux sont servis par un vocab­u­laire léger, sim­ple et doux, dis­cret, cares­sant et lisse. Les références récur­rentes à la vue et aux fenêtres con­stituent la métaphore  filée du regard intro­spec­tif, ce que l’on voit par la vit­re ren­voie à ce que l’on porte en soi. Paysages et sen­sa­tions se mêlent, jour et nuit ryth­ment l’a­vancée du temps, que le sujet observe, dans l’im­mua­bil­ité d’une con­science accrue.

 

De la représentation
la vue peut-être
se vide
avant le silence
la lumière
a déjà
effacé
quand rien d’autre
ne fonc­tionne débute
aus­si la fin
sans nom
le mot sans
commencement
cesse son errance

 

Les pein­tures de Matthieu Lou­vri­er ponctuent les pages d’aplats de couleurs, surtout. Par delà le dessin s’é­vadent les con­tours de la représen­ta­tion, ren­dant exacte­ment la tonal­ité des poèmes, qui cherchent com­ment dire sans nom­mer, com­ment écrire sans enfer­mer le lan­gage dans le car­can du sens. Tao, je par­le pour énon­cer le silence, le mou­ve­ment immuable de la vie qui com­mence et cesse dans le même moment. Il sem­ble que l’écri­t­ure d’E­va-Maria Berg devi­enne ceci, cette lim­pid­ité du filet d’eau de source qui jamais ne tar­it mais jamais n’ex­iste autre que con­fon­du avec la source elle-même.

Sur des pages écrues et épaiss­es la ver­sion alle­mande de chaque texte accom­pa­gne la ver­sion française. Lire à voix haute ces autres mots d’une autre langue qui  porte l’é­pais­seur de l’in­con­scient col­lec­tif d’autres hommes enseigne. Nous appréhen­dons comme une évi­dence com­bi­en est vaste la poésie, et la musi­cal­ité qui appa­raît dans cha­cune des ver­sion, dif­férente,  mais sig­nifi­ante, pour­tant. Ensuite cette langue mater­nelle de la poète qui porte encore les déchirures d’un his­toire insen­sée et ter­ri­fi­ante est là posée comme un cal­ice dont les sonorités ouvrent l’e­space à la lumière. Il s’opère une magie, qui mon­tre com­bi­en est divers­es la vie, com­bi­en l’hu­man­ité est plurielle, mul­ti­ple, mais une, noy­au de lumière dont il s’ag­it de réveiller la conscience. 

 

sie steigen die treppen
stufe um stufe
schlägt ihr herz
luftiger lassen
sie mehr und

mehr zurück

Ils mon­tent l’escalier 
marche après marche
le cœur bat
plus légère­ment ils
lais­sent der­rière eux
de plus en plus

 

Le poème d’E­va-Maria Berg aus­si laisse der­rière lui toute ten­ta­tive d’écrire, et devient alors poésie, grâce à  cette évi­dence qu’il est, sans autre désir qu’ex­is­ter dans cette référence à lui-même des­ti­tué de cette volon­té de nom­mer quoi que ce soit d’autre que sa pro­pre existence.

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Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.