Les couleurs du poème : entretien avec Germain Roesz

Par |2024-04-07T11:03:25+02:00 6 mars 2024|Catégories : Germain Roez, Rencontres|

Ger­main Rœsz est pein­tre, poète, enseignant chercheur à l’université de Stras­bourg, et édi­teur. A la pra­tique des arts plas­tiques, il joint, donc, la poésie et de la recherche théorique. Son expéri­ence, ses pub­li­ca­tions ain­si que ses pro­duc­tions plas­tiques et édi­to­ri­ales, le pla­cent donc au cœur de ce sanc­tu­aire mys­térieux qu’est l’Art. Il a accep­té d’évo­quer son par­cours, et ses avancées, si pré­cieuses, avec Recours au poème

Ger­main, tu es plas­ti­cien, et écrivain. Pourquoi la poésie ? Quel lien avec ta dis­ci­pline première ?
La pein­ture et l’activité d’écriture sont nées d’une immo­bil­i­sa­tion de 2 années faisant suite à un acci­dent de voiture. Ce genre d’épreuves (je mets au pluriel) au moment de l’adolescence mod­i­fient com­plète­ment nos tra­jec­toires, nos sys­tèmes de pen­sée, et plus sûre­ment encore notre rap­port à la vie. Cet acci­dent pour fra­cas­sant qu’il fut (et qui m’a bien enten­du pour­suivi tout au cours de ma vie par la néces­sité de nom­breuses inter­ven­tions chirur­gi­cales jusqu’à récem­ment) a aus­si ouvert de nom­breuses portes sur l’art en général et plus forte­ment sur ce que peut sig­ni­fi­er une vie d’engagement. C’est ain­si que j’ai fait irrup­tion dans le monde de la pein­ture, de l’écriture. D’abord en auto­di­dacte (j’avais 16 ans), ensuite par l’étude uni­ver­si­taire dans des domaines mul­ti­ples. Cela m’a con­duit à enseign­er en théorie pra­tique et sci­ences des arts à l’université de Stras­bourg après une thèse con­sacrée à la créa­tion col­lec­tive. Il faut bien sûr des élé­ments fon­da­teurs pour s’inscrire dans une pra­tique de l’art.
Pour moi ce fut une expéri­ence avec la lumière, à la sor­tie du coma, que j’ai mis des années à élu­cider mais qui m’a plongé (ce terme est le bon mot) lit­térale­ment au cœur de la créa­tion (dans ce que Bre­ton appelait cet infra­cass­able noy­au de nuit).
Mon par­cours a tou­jours été mis en éveil par la pra­tique de la pein­ture, de l’écriture de la poésie et de textes théoriques (sur l’art bien enten­du). Je dois aus­si rap­pel­er que j’ai par­ticipé à la créa­tion de plusieurs groupes artis­tiques (Atti­tude, le Faisant, Vis-à-vis, Plakat­Wand­Kun­st et le duo l’épongistes avec Jean-François Robic) qui sont sou­vent à l’origine de l’existence même de l’art con­tem­po­rain dans ma région. Ces groupes avaient aus­si une forme struc­turelle qui se con­sti­tu­ait autour de la créa­tion plas­tique, de l’écriture, de la recherche théorique voire de revues créées en com­mun (Feuilleton’s, Com­presse, Scriptease). 

Expo­si­tion : L’Art mon­u­men­tal, Ger­main Roesz crée des oeu­vres mon­u­men­tales pour faire danser la couleur. Il a même créé des oeu­vres inédites pour son expo­si­tion à Mon­tigny-le-Bre­ton­neux. 2018.

Dans l’effervescence des groupes des années 70 la dimen­sion poli­tique aus­si était fon­da­men­tale. Et gér­er des lieux d’artistes (nous en avons géré plusieurs), inter­venir dans le débat théorique et poli­tique était une manière néces­saire et presque unique de mon­tr­er et de faire exis­ter la créa­tion con­tem­po­raine. Une don­née nou­velle aus­si s’était imposée à nous, celle d’opérer en plusieurs domaines, un peu comme ce que thé­ma­ti­sait Chris­t­ian Dotremont, l’inventeur de Cobra avec Joseph Noiret, d’une déspé­cial­i­sa­tion. À par­tir de ce moment-là un pein­tre pou­vait touch­er au ciné­ma, un cinéaste à la musique, un musi­cien à la pein­ture, etc. Non pas dans un principe d’équivalence mais bien comme une série de portes qui s’ouvraient pour dire le monde autrement que celui qu’on nous impo­sait.  
Peux-tu évo­quer la créa­tion de ta mai­son d’édition ? Les raisons pour lesquelles tu l’as créée, et sa structure ?
De par mes activ­ités de pein­tre, de poète, de théoricien de l’art j’étais entouré d’un milieu fer­tile, bouil­lon­nant et bien sûr par­fois et heureuse­ment con­tra­dic­toire. J’ai créé la mai­son d’édition en 1994 tout sim­ple­ment parce qu’il me sem­blait qu’il y avait autour de moi bon nom­bre de poètes qui n’avaient pas la récep­tion qu’ils auraient dû avoir (à mon sens) et surtout une réelle dif­fi­culté à pou­voir être édités. C’est évidem­ment aus­si une ques­tion d’amitiés fortes avec cette idée immé­di­ate d’associer la poésie et les arts plas­tiques. Cette asso­ci­a­tion évidem­ment ne cherche en aucun cas une illus­tra­tion mais bien une suc­ces­sion d’échos tou­jours pour aug­menter la com­préhen­sion com­mune. La mai­son d’édition a donc d’abord com­mencé avec des livres de bib­lio­philie (rares d’une cer­taine manière et à peu d’exemplaires). Cela s’est fait en pre­mier lieu avec Jacques Goor­ma, Bernard Var­gaftig, Hen­ri Mac­cheroni, Patrick Beu­rard Val­doye, Patrick Dubost, Sylvie Vil­laume. Assez rapi­de­ment et en obser­vant le lec­torat, l’envie de faire en sorte que plus de lecteurs pou­vaient accéder aux livres il s’agissait de réalis­er des objets moins onéreux. Et c’est ain­si que sont nées plusieurs col­lec­tions (Jour&Nuit, Con­tre-Vers, les cahiers du loup bleu, les par­al­lèles croisées, Ban­des d’artistes, Duos, Des­sEins, 2Rives). Chaque col­lec­tion développe une cer­taine spé­ci­ficité (textes courts, ou textes plus expéri­men­taux, ou textes longs, rela­tions plas­tiques et poé­tiques immé­di­ates, par­fois par­tir de la pra­tique plas­tique même, etc.) et peut se dévelop­per grâce aux col­lab­o­ra­teurs suiv­ants : Clau­dine Bohi, Jacques Goor­ma, Haleh Zahe­di et Arnol­do Feuer.
Pour ce qui est de la struc­ture l’ensemble fonc­tionne sur mon activ­ité d’artiste.

Lec­ture poé­tique de Ger­main Roesz à la Galerie Nicole Buck — par­tie 1, autour de son dernier livre La part de la lumière ain­si que quelques inédits — 28 sep­tem­bre 2019.

Com­ment se porte le marché de la poésie ? Et celui de l’art ?
Vaste ques­tion. Il faudrait un livre pour y répon­dre. Pour l’art en général la sub­sti­tu­tion de l’œuvre comme pos­si­bil­ité de trans­former le regard, de le porter plus loin, de respir­er mieux, d’avoir des hau­teurs de vue, et je pour­rai pour­suiv­re cette énuméra­tion, la sub­sti­tu­tion (comme on dirait d’une con­fis­ca­tion) donc de tout cela fait le lit de l’argent facile, d’une rentabil­ité immé­di­ate, et d’une marchan­di­s­a­tion de l’art. Les œuvres qui se con­stituent dans le long terme avec du côté de l’artiste tout d’abord l’approfondissement de son art s’effacent lente­ment de l’horizon ! Le con­stat que l’on doit faire c’est que la con­nais­sance qu’ont les gens de l’art est par­faite­ment lim­itée à quelques con­nais­sances médi­a­tiques. Je défends l’idée que l’art que l’on voit est porté par une his­toire plus pro­fonde, plus dense, et par­fois peu vis­i­ble. C’est cette his­toire que j’ai envie de porter et non pas celle qui est fab­riquée à par­tir de sys­tèmes de récep­tion qui omet­tent l’épaisseur des débats, des con­flits et des pos­si­bles. Et puis, pour l’art on voit bien que la légiti­ma­tion (de manière générale) des œuvres se fait (ne se fait qu’) à par­tir de l’argent, du prix et de son corol­laire la spécu­la­tion. L’enrichissement qu’on doit tir­er d’une œuvre ne tient pas au béné­fice moné­taire qu’elle peut rap­porter mais à la force de ses représen­ta­tions, des idéaux qu’elle véhicule, des mod­i­fi­ca­tions de pen­sée, des ressen­tis qu’elle pro­duit en nous ! 

Angles couleur 10, rec­to, 30,7x26,1 cm, 2023.

Angles couleur 10, ver­so, 30,7x26,1 cm, 2023.

Mais ta ques­tion a débuté avec marché de la poésie. Et curieuse­ment j’entends marche de la poésie, une sorte de chem­ine­ment qui opte pour les dif­férences, un chemin pour mon­ter plus haut. La poésie, si l’on cherche à la fréquenter dans sa diver­sité échappe par­fois à une insti­tu­tion­nal­i­sa­tion, et d’une cer­taine manière à l’argent. Je con­nais peu de poètes qui vivent de leur poésie (con­traire­ment à la lit­téra­ture du roman en général). Évidem­ment ce con­stat doit se faire en sig­nalant un para­doxe. Pour ma part je pense que le fait que les poètes ne sont pas assu­jet­tis à l’argent leur donne (et mon­tre) une force de lib­erté sans égal. Cepen­dant cela sig­ni­fie aus­si (parce qu’ils n’en vivent pas) que la lec­ture de la poésie est restreinte, que les médias ne la par­lent pas assez, ne la con­vient pas juste­ment pour per­me­t­tre, ce qui est ma ligne de com­bat, de mon­tr­er sa diver­sité de sens, de lieux qu’elle entrevoit, d’écarts qu’elle fait par rap­port à l’hypercapitalisme qui nous avale, qui avale tout d’ailleurs. La poésie qui m’intéresse est diverse, mais c’est tou­jours celle qui est authen­tique, je veux dire qui se tient dans une sin­gu­lar­ité. Un ou une poète ne se doit pas à la total­i­sa­tion du monde, à faire croire à sa com­préhen­sion d’un tout qui nous échappe, mais bien de témoign­er de la mul­ti­plic­ité des con­stel­la­tions de pen­sées, de réflex­ions. Clau­dine Bohi a cette phrase que je trou­ve d’une justesse absolue, la poésie est la chair de la philoso­phie. Et c’est bien pour cela que cer­tains philosophes, et non des moin­dres, nous dis­ent que ce qui compte le plus c’est la poésie. Il y a, dans l’association des mots, lorsqu’elle est réussie, une urgence brûlante qu’il faut, qu’il faudrait pou­voir mon­tr­er. Il faut ajouter à mes remar­ques, et le marché de la poésie place St Sulpice qui a lieu chaque année le prou­ve qu’il y a plus de 300 édi­teurs de poésie en France. On les dit petits édi­teurs ! Cet attrib­ut est inadéquat, ils sont juste­ment la sève même de la poésie, ces petits édi­teurs en plus d’éditer des livres, de faire décou­vrir des poètes, de per­me­t­tre à cer­tains d’avoir enfin un lec­torat, d’organiser des lec­tures, de se bat­tre avec l’aide des libraires pour que les livres soient disponibles, font le tra­vail en pro­fondeur que l’histoire ne devrait pas oublier.
Pour ce qui est de Les Lieux dits il y a un lec­torat de plus en plus impor­tant. Cela s’est fait avec les poètes et les artistes eux-mêmes. Par le bouche à oreille et grâce aux recen­sions dans divers­es revues qui ont relayé le tra­vail que nous faisons.  

Lec­ture poé­tique de Ger­main Roesz à la Galerie Nicole Buck — par­tie 2, autour de son dernier livre La part de la lumière ain­si que quelques inédits — 28 sep­tem­bre 2019.

Y a‑t-il des lieux alter­nat­ifs qui per­me­t­tent à un art et/ou à une écri­t­ure non « insti­tu­tion­nal­isés » d’être aisé­ment acces­si­bles au grand public ?
Je crois juste­ment que les dits petits édi­teurs sont ces lieux alter­nat­ifs. Beau­coup d’entre eux sont aus­si poètes, et de nom­breux poètes œuvrent dans des pro­fes­sions totale­ment diver­si­fiées et font eux-mêmes pro­mo­tion de la poésie par des man­i­fes­ta­tions, des ren­con­tres, des lieux, des revues. Ils le font sou­vent avec peu de moyens dans une sorte de sac­er­doce sou­vent incom­pat­i­ble avec la théorie de la rentabil­ité mer­can­tile envahissante. Ces lieux sont à pro­téger, à sanc­tu­aris­er. Bien enten­du, je regrette que la poésie ne soit pas davan­tage con­vo­quée dans la sphère médi­a­tique, qu’on ne donne pas assez la parole aux poètes. Dans la poésie con­tem­po­raine toutes les ques­tions qui tra­versent la société en général sont présentes, mais ne le sont pas for­cé­ment sous l’angle d’un sim­ple con­stat, ni sous la forme d’une solu­tion impéra­tive. Les ques­tions sont présentes comme un écart, comme une sus­pen­sion qui donne au sens la pri­or­ité fon­da­men­tale. La poésie n’est pas la com­mu­ni­ca­tion, elle vise plus haut pour mon­tr­er un espace plus élar­gi, tou­jours plus large que la réduc­tion cap­i­tal­iste, que la réduc­tion de la pen­sée dom­i­nante. D’autre part elle per­met pour qui la fréquente d’accroître sa con­science quant à l’histoire, quant à l’écologie, quant au corps, quant à l’amour, quant à l’altérité, quant à l’invention d’un à‑venir partage­able. Cette con­science que donne la poésie appelle évidem­ment la curiosité des lecteurs, et plus forte­ment encore un engage­ment qui ne délègue pas au tout tech­nologique la prise en mains de nos vies.  

Lisière, acryl past. s. arch­es, 23,5x29,4 cm, été 2023.

Tu enseignes l’art, à l’université. Com­ment, et pourquoi ? Tes étu­di­ants lisent-ils de la poésie, est-elle asso­ciée à leur démarche artistique ?
Je n’y enseigne plus. Je suis aujourd’hui pro­fesseur hon­o­raire. Cepen­dant, j’ai gardé pas mal de con­tacts avec de nom­breux étu­di­ants. Cer­tains sont passés par un cours de poésie sonore que j’avais créé. Ils ont pu y décou­vrir les fig­ures his­toriques, et par­fois ont été con­fron­tés à des poètes vivants au cours de ren­con­tres inou­bli­ables (avec Bernard Var­gaftig, Odile Cohen Abbas, Patrick Beu­rard Val­doye, Julien Blaine, Serge Pey, Patrick Dubost, Hen­ri Meschon­nic, Bernard Noël, et j’en oublie). Ils ont été amenés aus­si à écrire de la poésie, et surtout à la dire, à la pro­duire en pub­lic. Nous avons pu ain­si faire plusieurs spec­ta­cles au sein même de l’université et même à l’extérieur. Pour des étu­di­ants en arts plas­tiques et en arts du spec­ta­cle cette ini­ti­a­tion poé­tique et expéri­men­tale a été fer­tile. Ensuite, c’est un chemin per­son­nel. Il faudrait pou­voir don­ner beau­coup d’exemples per­son­nels. J’ai le sou­venir de textes poé­tiques dits et proférés par mes étu­di­ants qui étaient extrême­ment justes et émou­vants, qui par­laient autant de leurs engage­ments poli­tiques que de leurs ressen­tis les plus intimes. Cela mon­tre bien que d’ouvrir une porte per­met d’en ouvrir bien d’autres. L’exemple le plus proche con­cerne Haleh Zahe­di qui a fait une thèse sous ma direc­tion, qui est une artiste remar­quable et qui vit aujourd’hui à Brux­elles. Elle gère la col­lec­tion ban­des d’artistes (juste­ment une des col­lec­tions qui asso­cient œuvres plas­tiques arrivant au départ et poèmes en échos à celles-ci). Cette col­lec­tion compte aujourd’hui 110 duos artiste/poète.
Ajou­tons qu’aujourd’hui nous ne sommes pas loin de 500 ouvrages pub­liés depuis le début de l’aventure de Les Lieux Dits.  
Tu pub­lies des poètes accom­pa­g­nés par des artistes plas­ti­ciens. Com­ment sont-ils associés ?
Au départ l’association était faite par moi, et grâce à la con­nais­sance du milieu artis­tique et poé­tique que j’avais. Aujourd’hui, c’est devenu plus com­plexe grâce aux col­lab­o­ra­teurs de Les Lieux Dits, mais aus­si grâce aux artistes et poètes sol­lic­ités qui me ren­dent atten­tifs à telle ou telle œuvre, à telle ou telle forme poé­tique. Cela finit par relever d’un jonglage dif­fi­cile à tenir. 
Cela a aus­si créé une syn­ergie (un nom­bre con­sid­érable de man­u­scrits, des propo­si­tions tous azimuts, une demande à laque­lle je ne peux plus répon­dre) pas­sion­nante, épuisante. Dans les asso­ci­a­tions qui se for­ment la ques­tion du désir est essen­tielle. Les poètes ont, la plu­part du temps, à choisir par­mi des propo­si­tions artis­tiques et donc des artistes qu’ils décou­vrent (qu’ils ne con­nais­saient pas for­cé­ment). L’idée est évidem­ment qu’ils répon­dent sans procéder à l’illustration de la pein­ture, du col­lage ou du dessin. C’est cela qui est pas­sion­nant parce que du côté du pein­tre par exem­ple la demande est de répon­dre dans une con­trainte en toute lib­erté, et du côté de la poète ou du poète la demande est con­trainte pour un nom­bre de pages, par un for­mat spé­ci­fique, etc. mais aus­si dans une totale liberté. 

Per­for­mance Ger­main Roesz Fon­da­tion Fer­net-Bran­ca. 13 févri­er 2015.

C’est au fond deux lib­ertés qui se joignent pour ouvrir un espace incon­nu (cela con­cerne la col­lec­tion 2Rives que dirige Clau­dine Bohi, la col­lec­tion Des­sEin et Duo que je dirige, la col­lec­tion Ban­des d’artistes que dirige Haleh Zahe­di). Les autres col­lec­tions sont davan­tage dans l’espace du seul texte poé­tique, mais tou­jours sous l’angle de la lib­erté (J. Goor­ma pour les cahiers du loup bleu et Jour&Nuit ; Arnol­do Feuer pour Par­al­lèles croisées). Pour les cahiers du loup bleu nous sommes dans un texte qui oscille entre 30 et 50 pages, et le loup (bleu) qui fig­ure en 4èmede cou­ver­ture est choisi par moi dans tous ceux que j’ai en réserve et pour lesquels j’ai sol­lic­ité de nom­breux artistes (je crois qu’à ce jour il y a trente deux artistes dif­férents qui ont pro­posé les loups).
Existe-t-il une dynamique séman­tique spé­ci­fique préétablie entre l’écrit et l’image lorsqu’ils sont réu­nis dans un recueil ? Qu’apportent l’un à l’autre, et vice versa ?
Heureuse­ment que la dynamique séman­tique n’est pas préétablie. Le sens est juste­ment dynamique. Il roule de l’un à l’autre, il fait — par ces allers et retours — com­pren­dre ou le texte ou la pein­ture, à chaque fois dif­férem­ment. Il s’agit tou­jours de faire con­fi­ance à l’artiste et au poète. Comme pein­tre et comme poète j’ai bien enten­du des préférences, et au départ je choi­sis­sais des artistes dans mes champs de référence. Je fai­sais de même pour les poètes. En édi­tant de plus en plus le champ s’est agran­di, les ami­tiés se sont accrues et diver­si­fiées. La dynamique s’est instal­lée comme un refus des clans, comme une ouver­ture salu­taire à la diver­sité. En ayant aus­si observé (pour mon tra­vail théorique) scrupuleuse­ment le fonc­tion­nement des duos je peux évo­quer rapi­de­ment une sorte de typolo­gie (qui relève d’une séman­tique). Il y a des duos qui asso­cient deux dif­férences, qui les met­tent en lutte, en duel pour pro­duire un événe­ment par­ti­c­uli­er. Il y a des duos qui fab­riquent un autre qui pour­rait à terme avoir un fonc­tion­nement autonome, une sig­na­ture sin­gulière. Il y a des duos qui en sai­sis­sant leurs points de force et en obser­vant leurs faib­less­es s’associent pour une œuvre aug­men­tée. Il y a ceux qui jux­ta­posent, d’autres qui s’observent et se répon­dent comme font des musi­ciens de jazz qui impro­visent. Il y a ceux qui s’écartent de ce qu’ils font fréquem­ment, et sou­vent alors dans leur pra­tique per­son­nelle quelques choses évolu­ent. Il y a ceux qui s’agglomèrent en con­nivence, en recon­nais­sance d’un ter­rain com­mun, d’un partage d’idées et d’idéal. La péri­ode de l’Ut Pic­tura Poé­sis est évidem­ment dépassée. Lorsqu’on y asso­cie la for­mule du poète Simonide de Céos « la pein­ture est une poésie muette, la poésie est une pein­ture par­lante » on peut penser qu’il y a une équiv­a­lence. Dans le temps d’aujourd’hui il me sem­ble que l’association image (qui n’est pas une image) et poésie, lorsqu’elle n’est pas illus­tra­tive, fait advenir un ter­ri­toire nou­veau, ou qui était inaperçu. Cela veut dire à mes yeux que le pro­jet est d’inscrire une série d’échos tout comme fait une pierre lancée à la sur­face de l’eau fait des ondes. Ces ondes provo­quent un ensem­ble et déter­mi­nent dans le même temps des com­plex­ités sin­gulières. Voilà le pro­jet de ces asso­ci­a­tions, ambitieux mais mag­nifique­ment stimulant.
Et main­tenant, quels sont tes projets ?
Il fau­dra que je fasse com­pren­dre que la struc­ture arti­sanale de la mai­son d’édition doit encore con­tin­uer ain­si, mais ce sera au prix de nom­breux refus d’éditer. J’ai trop de deman­des aujourd’hui, et je dois me restrein­dre pour des raisons de temps, et bien sûr de bud­get. Mais le plus impor­tant est le temps. Si Les Lieux Dits sont ce qu’ils sont aujourd’hui, je le rap­pelle, c’est grâce à l’amitié indé­fectible de ceux qui m’aident mais aus­si à cette énergie que j’ai encore. Je veux dire que la volon­té de tenir haut (cela n’empêche nulle­ment de se tromper par­fois) la forme poé­tique et plas­tique nous isole, et fait croire quelque­fois qu’on ne répond pas à la demande de l’autre. Cela pro­duit une grande soli­tude. Je veux dire que rester dans une authen­tic­ité de pen­sée isole, que de met­tre l’exigence au cœur de notre tra­vail pro­duit une grande soli­tude et fait sou­vent souf­frir. Mais, c’est à ce prix que nous gagnons à mieux faire com­pren­dre ce que c’est que l’art. Pour ma part c’est un tra­vail théorique que je fais dans mes textes (sou­vent pub­liés dans des cat­a­logues) con­sacrés à des artistes où je m’impose de par­ler des orig­ines souter­raines de leurs œuvres, des par­tis pris nés de ren­con­tres for­tu­ites, improb­a­bles et encore de leurs engage­ments de vie. Je l’ai ten­té aus­si pour la poésie dans un essai au titre provo­ca­teur Où va la poésie ? chez Vibra­tion édi­tions où j’évoque plus de 50 poètes de notre temps. Bien sûr, per­son­ne ne sait où va la poésie mais témoign­er de sa diver­sité per­met de com­pren­dre aus­si qu’on peut saisir l’art non pas dans ses impré­ca­tions impéra­tives mais bien dans une struc­ture dynamique et con­tra­dic­toire qui active l’intelligence (comme celle d’être en bonne intel­li­gence avec les autres).
Tu me deman­des mes pro­jets, j’aurai ten­dance à dire à ralen­tir, mais de ce ralen­tisse­ment qui per­met de mieux faire com­pren­dre, de mieux réalis­er aus­si mon tra­vail de poète et de pein­tre, et peut-être, pour un temps encore, de mieux accom­pa­g­n­er les poètes qui déjà ont pub­lié chez Les Lieux Dits. J’en suis à chercher une rareté de sens, une qual­ité de monde inaperçu qui ne sera pas que le miroir du virtuel, une exi­gence qui nous met­tra encore en rela­tion avec la vraie nature des choses (un tac­tile sur­prenant, une caresse réelle, un sens reviv­i­fié dans un monde si inquié­tant). Cela relève bien sûr d’une posi­tion éthique. L’enjeu est énorme et la vie n’y suf­fi­ra plus, mais reste comme un témoignage de ce qu’on peut, comme être humain, pour con­tin­uer à faire tenir debout ce que nous appelons humanité.

STRASBOURG, PRESQU’ILE MALRAUX : PARCOURS SONORE EC(H)O, 30 jan­vi­er 2020, inter­ven­tion du poète GERMAIN ROESZ durant la con­férence de présen­ta­tion du par­cours sonore (poésie/musique) par l’agence d’ingénierie cul­turelle CAPAC. 

Présentation de l’auteur

Germain Roesz

Ger­main Roesz est pein­tre et écrivain. Pro­fesseur émérite de l’université de Stras­bourg. Il vit et tra­vaille à Paris et Strasbourg.
Son tra­vail plas­tique cherche aujourd’hui un lieu entre chaos et organ­i­sa­tion, entre orig­ine matricielle et pro­jec­tions à venir. Depuis plus de 30 ans un pro­to­cole col­oris­tique est à l’oeuvre qui pro­duit une con­ti­nu­ité dans les rup­tures formelles et styl­is­tiques engagées. C’est tou­jours la pein­ture qui est visée dans ses liens à toute l’histoire de la pein­ture, dans son sens poli­tique face au monde con­tem­po­rain. Faire monde face au monde, écart, pas de côté.
Comme auteur il a pub­lié une trentaine d’ouvrages théoriques, poé­tiques. Il est représen­té à Paris par la Galerie Cour Car­rée. De nom­breuses expo­si­tions per­son­nelles et col­lec­tives dans le monde entier.

Bib­li­ogra­phie

Par­mi les pub­li­ca­tions de G. Roesz on peut citer Paysages dis­con­ti­nus, textes de J.-P. Brigau­diot, J.-F. Robic et G. Roesz, Publ. Uni­ver­sité des Sci­ences humaines de Stras­bourg, 1996; Le jeu de l’exposition, actes du col­loque de Beaulieu en Rouer­gue, sep­tem­bre 1997, ouv. col­lec­tif sous la dir. de P.-D. Huyghe et J.-L. Déotte ; Sculp­tures trou­vées, espace pub­lic et inven­tion du regard, en col­lab. avec J.-F. Robic, l’Harmattan, 2003, 155 p. ; Pas de deux, avec Sabine Brand-Schef­fel, publ. du Cen­tre cul­turel fran­­co-alle­­mand, Karl­sruhe, 2004, 56 p. ; Il dit c’est une poème d’amour, édi­tions Ipsa fac­ta, Paris, 2005, 76 p.

Par­mi les cat­a­logues et les présen­ta­tions de l’œuvre, men­tion­nons: Ger­main Roesz, Secret, cat­a­logue pour l’exposition au Cen­tre région­al d’Art con­tem­po­rain et au musée d’Altkirch, 1991; Ger­main Roesz, Stries Sites, textes d’A. Pig­nol et de G. Roesz, Car­nets d’instants, n° 4, 2006: L’épongistes, L’année prochaine ça ira mieux, édi­tions Apol­lo­nia, 2007.

Autres lec­tures

Germain Roesz, La collerette était rouge

Ger­main Roesz est plas­ti­cien, il sait don­ner du corps à la langue ; ici égrenée sous forme de dis­tiques dans un for­mat à l’italienne, 6 cen­timètres de haut, 20 de large, que l’on feuillette […]

Les couleurs du poème : entretien avec Germain Roesz

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Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.

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