Cécile Oumhani, Les vivants et les morts

Par |2023-09-06T22:26:11+02:00 5 septembre 2023|Catégories : Cécile Oumhani, Poèmes|

Des collines vert fon­cé ondoient
des riv­ières tourbillonnent
dans de vastes éten­dues boisées

pierre terre eau et feuillages
couleurs et nuances incon­nues et familières

l’avion touche le sol à l’aéroport de Cochin
un matin de juillet
              la tête me tourne
là où je ne suis jamais venue
ils ont vécu ici –il y a plusieurs dizaines d’années
les vieilles pho­tos qu’elle gar­dait dans son album
ou ce qu’elle nous a racon­té de ses parents
à Kodaikanal ou à Trivandrum ?

un jeune garçon se fraie un passage
à grands coups d’éclaboussures
sur la chaussée inondée
des écol­ières attendent
le ramas­sage sco­laire sous leurs parapluies
des rideaux de pluie s’écrasent
sur des con­struc­tions imaginaires
et me lais­sent admirer
              des présences au présent
la vie des vivants
et je descends les rues escarpées

la ville m’enveloppe
dans sa rumeur et dans ses rythmes
               des présences au présent
la vie des vivants
la tasse de chaï beige
repose dans ma main

à l’infini sa saveur forme
et reforme les perspectives
sur ce qu’on ne perd pas
mais ne fait que changer
sans fin
tis­sé et détissé
pen­dant que nous allons notre chemin

Extrait de Passeurs de rives, édi­tions La tête à l’envers, 2015

Sai­son de neige

l’aïeule taille mes draps
dans l’étoffe du ciel
remue mes rêves
avec la braise
et met le jour à lever
dans la cuisinière

tôt le matin
elle lave à grande eau
les ombres sur ses photos
en garde la pais­i­ble clarté
et l’énigme de ces noms
que j’égrène
avec des baies de sureau

sur son tablier
blot­ti con­tre le vieux chat tigré
le monde ronronne
entre ses doigts de lait

dehors
ivre de silence

la neige boit les collines
à perte de vue
et je cherche à mes pieds
où pour­rait finir demain

je ne sais pas
que la neige brûle
au bout de ses gants troués

Extrait de Passeurs de rives, édi­tions La tête à l’envers, 2015

Des voix du passé

nous mar­chons dans l’obscurité
sans relâche elle défait le passé
comme avec les pages d’un livre usé

de grands arbres chuchotent
au fond du jardin
nous effleu­rons du bout des doigts
des écorces par­fumées et d’épais feuillages
en quête de poèmes
épelés dans un alpha­bet perdu

des voix d’adultes réson­naient tard dans la nuit
nous berçaient vers un som­meil confiant
nous ne com­pre­nions pas toujours

les mots portés par la brise
depuis une véran­da vide
com­ment les oublier
alors que le présent s’éloigne

une promesse à tenir
et une énigme à résoudre

Extrait de Mémoires incon­nues, édi­tions La tête à l’envers, 2018

Quand j’étais jeune je restais des heures, allongé sur le dos à regarder le ciel, et puis je ren­trais à la mai­son et je les peignais.
J.M.W Turner

La démesure de l’espace et de la lumière 
l’apprendre
à l’aune du corps éten­du sur le sol
bous­sole affolée entre terre et ciel 

sans se lass­er  inter­roger le monde
ébahi du fil de tant d’heures limpides
et boire à larges goulées
l’incessante mou­vance  ce ver­tige muet
où glis­saient les couleurs happées
tou­jours plus loin et plus haut
dans l’énigme du reflet

et la soirée ne suff­i­sait pas
à épel­er la langue secrète des choses

Extrait de La ronde des nuages, édi­tions La tête à l’envers, 2022

Délié de toute pesan­teur    le pas
cherche à rejoin­dre l’impatience de l’œil
les bribes s’évanouissent aus­sitôt qu’aperçues

et le jour s’esquive engouf­fré der­rière la nuée
cou­ve puis sur­git  à nou­veau pâle incandescence
au fil de son odyssée silencieuse

sourds bat­te­ments du cœur
en écho avec ce qui cogne le chemin
très loin vers ses marges limpides

assoif­fées de clarté les paupières
s’étancheront-elles à la source des nuages
apaisées le soir à la lueur des pages
et de ce qui court au feu des doigts

Extrait de La ronde des nuages, édi­tions La tête à l’envers, 2022

Flux de lave dans l’obscur des veines
le poignet tressaille
le pouls s’emballe en ce point
où le jour s’attache au couchant

combler ce qui manque
et déchiffr­er le sourd alphabet
d’une langue ravie au soleil
syl­labe par syllabe

là où s’étoilent nos nuits
au cad­ran d’un autre ciel

Extrait de La ronde des nuages, édi­tions La tête à l’envers, 2022

 

Présentation de l’auteur

Cécile Oumhani

Poète et roman­cière, Cécile Oumhani a gran­di entre l’anglais et le français. Auteure d’une thèse de doc­tor­at en lit­téra­ture bri­tan­nique con­sacrée à Lawrence Dur­rell, elle a été enseignant-chercheur à l’Université de Paris-Est Créteil. Son écri­t­ure aime à inve­stir des lieux et des cul­tures autres. Elle par­ticipe à de nom­breuses ren­con­tres et fes­ti­vals en France et à l’étranger. Elle est mem­bre du comité de rédac­tion de la revue « Apulée ».

Par­mi ses recueils de poèmes : Passeurs de rives, Mémoires incon­nues et le dernier, La ronde des nuages, paru chez La Tête à l’Envers en 2022.  Elle col­la­bore aus­si avec des artistes, comme Maria Desmée, Wan­da Mihuelac, ou encore Daph­né Bitchatch, pour des ouvrages en tirage lim­ité, dont des livres pau­vres chez Daniel Leuwers.

Par­mi ses romans : Une odeur de hen­né, Les racines du man­darinier ou encore Tunisian Yan­kee chez Elyzad.

Elle a reçu le Prix européen fran­coph­o­ne Vir­gile 2014 pour l’ensemble de son œuvre.

Par­fois tra­duc­trice, elle a récem­ment traduit une par­tie des poèmes de l’anthologie réu­nie par la poète afghane Soma­ia Ramish, protes­ta­tion poé­tique de poètes issus de nom­breux pays, con­tre l’interdiction de la poésie et des arts en Afghanistan. À paraître prochaine­ment aux édi­tion Oxybia.

@Thierry Hensgen/Institut français

Bib­li­ogra­phie 

Poésies
1995 : A l’abside des hêtres, Cen­tre Frois­sart, Paris
1996 : Loin de l’envol de la palombe, La Bartavelle
1997 : Vers Lis­bonne, prom­e­nade déclive, Encres Vives
1998 : Des sen­tiers pour l’absence, Le Bruit des Autres
2003 : Chant d’herbe vive, poèmes, avec des dessins de Lil­iane-Eve Bren­del, Voix d’Encre
2005 : Demeures de mots et de nuit, Voix d’Encre
Automne 2008 : Chant d’herbe vive et Demeures de mots et de nuit, tra­duc­tion en russe par Ele­na Tounit­skaïa, aux Edi­tions Kom­men­tarii à Moscou.
2008 : Au miroir de nos pas, Encres Vives
2009 : Jeune femme à la ter­rasse, prose poé­tique, bilingue anglais-français, livre d’artiste avec trois orig­in­aux de Julius Balthasar, Al Manar
2009 : Temps solaire, avec des pein­tures de Myoung-Nam Kim, Voix d’encre
2009 : Los instantes silen­ciosos, tra­duc­tion espag­nole de Rodol­fo Hasler, Pen Press, Edi­ciones, New-York/Buenos Aires
2011 : Cités d’oiseaux, accom­pa­g­né des mono­types de Luce Guil­baud, La Lune bleue
2013 : La nudité des pier­res, Al Manar
2015 : Passeurs de rives, La tête à l’en­vers (2ème édi­tion en 2017)
2018 : Marcher loin sous les nuages, édi­tions APIC, Alger

Obten­tion du Prix Naji Naa­man 2012, Liban, (poésie)

Nou­velles
1995 : Fibules sur fond de pour­pre, Le Bruit des Autres
2008 : La transe et autres nou­velles, Col­lec­tion Bleu Ori­ent, Édi­tions Jean-Pierre Huguet

Romans
1999 : Une odeur de hen­né, Paris-Méditer­ranée (Paris) et Alif (Tunis)
2001 : Les racines du man­darinier, Paris-Méditerranée
2003 : Un jardin à La Marsa, Paris-Méditerranée
2007 : Les racines du man­darinier, tra­duc­tion en croate de Mihaela Vekar­ic, Édi­tions Lve­jak à Zagreb (Croat­ie)
2007 : Plus loin que la nuit, Édi­tions de l’Aube
2008 : Le Café d’Yl­l­ka, édi­tions Elyzad (Prix lit­téraire auropéen de l’ADELF 2009)
2009 : Koreni Man­darine, tra­duc­tion serbe des Racines du Man­darinier par Oliv­era Jezdimirović, Sty­los Art, Novi Sad
2010 : Il caffe di Yll­ka, tra­duc­tion ital­i­enne de Francesca Mar­ti­no, Barbes Edi­tore, Florence.
2011 : Plus loin que la nuit, col­lec­tion poche, Chèvre-Feuille Etoilée
2012 : Une odeur de hen­né, col­lec­tion poche, Elyzad, (Prix Grain de Sel 2012)
2012 : L’atelier des Stré­sor, Elyzad, (Men­tion spé­ciale du Prix fran­­co-indi­en Gitan­jali, Prix de la Bastide 2013)
2013 : Café d’Yllka, tra­duc­tion grecque par Bar­bara Papas­tavrou, Koukki­da, Athènes
2013 :Tunisie car­nets d’incertitude, Elyzad
2016 : Tunisian Yan­kee, Elyzad
2017 : Prix Maghreb-Afrique Méditer­ranéenne de l’ADELF pour “Tunisian Yankee”
2017 : Tunisian Yan­kee, final­iste du Prix Joseph Kessel
2018 : paru­tion d’une tra­duc­tion alle­mande de “Tunisian Yan­kee” par Regi­na Keil-Sagawe chez Osburg Verlag

Essais
2004 : À fleur de mots : la pas­sion de l’écriture, Chèvre-Feuille Étoilée

Col­lec­tif
2007 : À cinq mains, nou­velles, avec Emna Bel­haj Yahya, Rajae Benchem­si, Maïs­sa Bey et Leïla Seb­bar, Édi­tions Elyzad (Tunis).

Prix
Prix européen fran­coph­o­ne Vir­gile 2014 décerné pour l’ensemble de son œuvre.

Autres lec­tures

Cécile OUMHANI, La ronde des nuages

Roman­cière (huit romans à ce jour), nou­vel­liste, et surtout poète, Cécile Oumhani pro­pose  un seiz­ième recueil. La poète con­sacre tout un livre, dans l’ac­com­pa­g­ne­ment d’oeu­vres de W. Turn­er, créées […]

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Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.
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