Dou­ble­ment remar­quable est ce Livre d’or. Tout d’abord parce que l’Ate­lier du Grand Tétras crée des opus remar­quables, tant pour ce qui con­cerne la qual­ité du papi­er, un vélin ivoire Are­na 90 grammes, accom­pa­g­né d’une cou­ver­ture Tin­toret­to 250 grammes, le tout façon­né en cahiers cousus, que pour la grâce des car­ac­tères apposés au milieu de marges généreuses  ; ensuite parce que la hau­teur de cette poésie enrac­inée dans une moder­nité tamisée de lumière grâce à la parole du Poète nous assure que l’ex­is­tence fait socle, celle d’un comme du nom­bre, lorsqu’on passe dedans, qu’on voy­age avec celui qui en absorbe les con­tours et les restitue dans le poème, pour dessin­er l’e­space sans fron­tières du ter­ri­toire de notre lib­erté, à tra­vers le langage.

Gwen Gar­nier-Duguy dit ceci. Mais il ne dit rien. c’est là la magie du poème. Sa puis­sance. Dans ce Livre d’or, qui sonne un peu comme un bilan de ce qui fut, et une porte vers ce qui sera, se mêle la parole sim­ple et dis­crète du poète et des références sécu­laires. Cir­cu­lar­ité et enfer­me­ment dans la répéti­tion de tableaux exis­ten­tiels, d’un présent vécu par le Je qui énonce et place son expéri­ence au cœur de mil­lé­naires d’autres, pour témoign­er du monde con­tem­po­rain et inter­roger une moder­nité qui n’en finit pas d’aboutir à nulle part.

VERS LIBRES

Ils ont instal­lé des caméras dans les couloirs 
                                sur les trot­toirs pour voir
Si cha­cun pousse, rentabilise chaque sec­onde où il est
                                                                      employé à faire
De sa vie l’or d’un autre, mes­sage sur le réseau intra
La plus grande erreur que vous puissiez faire, dans la 
          vie, c’est d’avoir peur de faire des erreurs, voici
John Fitzger­ald Kennedy
Appliqué à la pro­duc­tion. On a vu
Où ça l’a conduit
Aussi
Sortez vos idées, surtout n’ayez
Pas peur, entrez dans la langue fal­si­fiée de la chambre
                                  noire est entrée dans votre œil surtout
Sen­tez-vous libre, osez, pro­posez, la hiérarchie
Ne vous tien­dra rigueur d’au­cune de vos audaces,
                                                                                       Innovez !
Vous êtes filmés.
Société panop­tique autocensurée.

 

Gwen Gar­nier-Duguy, Livre d’or, cou­ver­ture
Rober­to Mangú, L’Ate­lier du Grand Tétras, 
2023, 96 pages, 15 €.

D’un temps, d’un monde, aux temps, aux monde, du Por­trait de Sisyphe en Midas à Argo, D’Adam à Diph­da puis à l’Alpha du cen­tau­re, autant de cos­mogo­nies tutélaires qui ponctuent les poèmes, et joux­tent d’autres titres, plongeant le lecteur dans le chant d’une lux­u­ri­ance référen­tielle sécu­laire, celle égale­ment de la nature, de la nature dans le poème, présence tant immuable que nourri­cière. Autant de références à une lit­téra­ture qui elle aus­si fait socle, trame et lieu de résistance. 

Et ici le poète inter­pèle, inter­roge le par­cours, tant le sien, qui appa­raît au détour des vers dans un quo­ti­di­en énon­cé sans détour dans une langue famil­ière et actuelle, celle du lecteur, de vous, nous, appelés là dans le creux du poème qui est plus que jamais notre refuge dans ce Livre d’or, que grâce à un Recours au lan­gage dé-mesuré inven­té par Gwen Gar­nie-Duguy, qui sait plus que tout autre com­bi­en les espaces de silence offerts par le poème recè­lent de liberté.

 

Silence
J’ou­vre la por­tière je sors
la las­si­tude de ma journée 
dégouline de tous mes pores
une flaque à mes pieds
bue par le goudron du parking
je m’a­vance lentement
vers la porte de ma maison
J’en­tends une mésange
sur le toit du voisin
lancer ses trilles à qui£
veut bien les écouter
Un philosophe dirait
que si per­son­ne n’é­tait là
pour jouir de ce moment singulier
le chant de la mésange n’ex­is­terait pas

Il y a plus sim­ple, son ramage,
qu’elle mod­ule avec telle­ment de soins,
n’est peut-être pas des­tiné à mon cœur
bien que mon cœur s’en trouve
instam­ment allégé.
Son ram­age, n’a-t-elle un besoin viscéral
de le sor­tir de son corps
s’ap­pli­quant à faire des notes
inouïes avec sa langue de mésange
et des oiseaux sur des branch­es proches
cha­cun leur tour lui répondent

Il se joue à ces heures du soir
une con­ver­sa­tion capitale
au-dessus de nos têtes
qui n’y com­pren­nent rien
car les hommes d’aujourd’hui
ne savent plus la langue des oiseaux
elle qui était coutumière 
aux hommes des forêts
mais les oiseaux con­tin­u­ent quoi qu’il advienne
ce qui est devenu maintenant
leur vie par­al­lèle, semant
leur joie dans des cœurs anciens
dont les bat­te­ments sont l’écho
du ray­on­nement fos­sile de l’univers.

Avons-nous oublié ? Oublié de regarder, d’é­couter, oublié que le vent nous tra­verse plutôt qu’il ne nous heurte, oublié que le bruit des vagues et le bat­te­ment de nos cœurs réson­nent dans un même espace, celui du poème, où le bruisse­ment de l’u­nivers s’im­misce à tra­vers les mots.

Le Livre d’or est placé sous les aus­pices de Xavier Bor­des, qui offre à Gwen Gar­nier-Duguy l’épigraphe du recueil :

Je par­le avec la voix d’un dieu quotidien
que nous recon­stru­isons ensemble

Xavier Bor­des

Voix du poète, voix de poètes aux­quels sont dédiés plusieurs textes, égale­ment, ce recueil rassem­ble et invite à ouvrir les brèch­es de nos langues com­munes, de nos exis­tences pris­on­nières des mots, de nos regards enfer­més dans le nom de toute chose, et surtout de nos cœurs. 

Un Livre d’or  qui se clôt sur L’Avenir du poème, témoin ce de qui hors de lui-même, au-delà de sa forme, et au-delà du temps, nous rassem­ble, ce présent dans l’é­ter­nité de nos cœurs. 

J’ai com­posé un poème
Splendide
Une pépite
Quelque chose de totalement 
Neuf
Dans la forme et dans le rythme
Et dans le fon­du enchainé
des images
C’est un chef-d’œu­vre sans
Equivalent
Il est sem­blable à tous les grands poèmes
Qui ont mar­qué le temps
En même temps il se distingue
Net­te­ment des autres chants
Il renouvelle
Les sym­bol­es de notre
Culture
Il est por­teur d’un sens
Qui est une inspiration
Pour l’avenir
J’ai reçu ce poème
Comme un présent
Je ne peux le faire lire
Ni le mon­tr­er à qui que ce soit
Il serait aussitôt
Acca­paré par le spectacle
Et ses images se fondraient
Dans le publicitaire
Je l’ai appris par cœur
J’ai brûlé les brouillons
Dans mon dernier souffle
Peut-être
Je l’emporterai avec moi
Une pluie tombera sur ma tombe
Et depuis ma dernière terre
Peut-être
Un arbre poussera
Il indiquera
Une étoile
Qui indiquera
Une grotte
Et quelque mage
Saura lire ce poème
Transmué
En pèlerinage.

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Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.