Poésie is not dead : Réanimation poétique jusqu’à nouvel ordre ! Entretien avec François M.

Par |2023-01-07T17:56:19+01:00 5 janvier 2023|Catégories : François M., Rencontres|

François M. est le créa­teur du col­lec­tif Poésie is not dead, fondé en 2007, qui est défi­ni comme « un con­cept et un col­lec­tif poly­mor­phe et pro­téi­forme qui se veut être un rhi­zome entre la poésie con­tem­po­raine et les autres arts ». Poésie is not dead pro­pose des actions autour de la poésie pour la « dé-livr­er » des espaces insti­tu­tion­nels, où elle est très sou­vent « enfer­mée », et réservée à un pub­lic restreint, choisi. Les actions menées par ce col­lec­tif visent donc à porter le poème dans des espaces du quo­ti­di­en, pour touch­er un pub­lic non aver­ti. François M.  a accep­té de nous dire com­ment il apporte la poésie dans l’e­space pub­lic, et surtout pourquoi, qu’est-ce qui a motivé sa démarche, et qu’est-ce qui fait que depuis des années il continue.

François M., qu’est-ce que Poésie is not dead ?
Poésie is not dead est un col­lec­tif, un espace de ren­con­tre qui n’est pas le fait d’une per­son­ne ou d’un groupe, comme on a pu voir par le passé avec les mou­ve­ments d’ »Avant-Gardes » comme les Let­tristes, les Dadaïstes, les Sit­u­a­tion­nistes, etc. C’est un groupe qui se mod­i­fie selon l’ob­jec­tif que l’on souhaite don­ner à une créa­tion A ce titre, je m’inscris dans la notion d’Intermédia dévelop­pé par Dick Hig­gins, co-fon­da­teur de Fluxus et à la suite de mes amis du groupe Ake­na­ton (Philippe Castellin et Jean Tor­re­grosa). Les per­son­nes qui sont alors sus­cep­ti­bles de le men­er à bien vari­ent. Pour une créa­tion don­née avec un point central/initial le « poème/poème », je m’entoure de « spé­cial­istes », des poètes con­tem­po­rains, des comé­di­ens, des sculp­teurs, des musi­ciens expéri­men­taux, dont la présence répond à l’œuvre que je souhaite créer… Donc, à ce titre, Poésie is not dead est un col­lec­tif, un « passe partout » dans des ter­ri­toires du lan­gage poé­tique à explor­er. Je suis « un artiste d’artistes » comme dis­ait Robert Filliou.

Quand ce col­lec­tif est né en 2007, je me suis ren­du compte que nous étions enfer­més dans des chapelles. Quand j’al­lais à des lec­tures de poésie j’avais l’im­pres­sion d’être dans un petit milieu. Les gens se con­nais­saient, c’é­tait sym­pa­thique par ailleurs, mais je ne me recon­nais­sais pas dans ces ren­con­tres, dans cette manière de créer et de dif­fuser la « poésie ». J’ai été amené à évo­quer cette ques­tion avec plusieurs jeunes édi­teurs, notam­ment  à l’époque des amis qui géraient feu les édi­tions « Le Grand Incendie » et qui pub­li­aient une revue qui s’ap­pelait Pyro.

La Rim­baud­mo­bile au Fes­ti­val du Général Instin (6 juin 2014).

Autour de ces édi­teurs et de ces jeunes poètes il y avait aus­si des musi­ciens expéri­men­taux, des vidéastes. Nous avons alors créé ensem­ble avec Christophe Ack­er, Anne-Sophie Ter­ril­lon et Jean-Marc Wadel (T.V.La.S.Un.Or.) et Thomas Fer­nier (deux vidéastes et musi­ciens expérimentaux/improvisateurs et moi qui était un peu comme un « chef d’orchestre ») « Poésie is not dead ».
Il y a dans cette volon­té « de sor­tir du cadre » une forte influ­ence de nos goûts musi­caux et artis­tiques imprégnés par le Rock, Punk et Post Punk. Nous invi­tions à l’époque des poètes pour dif­fuser de la poésie dans des lieux très divers, des lieux insti­tu­tion­nels ou pas. Nous avons com­mencé dans ma ville d’o­rig­ine qui est Charleville-Méz­ières, au Musée Rim­baud, et à la médiathèque Voyelles. Puis, vivant à Paris, j’ai con­tin­ué à dévelop­per des choses dans la cap­i­tale tout en con­tin­u­ant sur Charleville, puisque ma famille y vit tou­jours. J’ai ensuite éten­du mes actions en dehors de Paris, et même de la France : à Mar­seille, à Brux­elles, et au Québec avec lequel j’ai un lien tout par­ti­c­uli­er. J’y ai fait une par­tie de mes études, mais j’y ai aus­si ren­con­tré le poète Jean-Paul Daoust. C’est lui qui m’a sug­géré de créer un fes­ti­val à Charleville-Méz­ières. C’é­tait en 2006. En ren­trant de Mon­tréal je l’ai fait. Ce Fes­ti­val inti­t­ulé « Les Ailleurs » a été l’occasion de créer des lec­tures per­for­mées de poésie con­tem­po­raine accom­pa­g­nées de ces deux musi­ciens expéri­men­taux, et de créer et pro­jeter des vidéos expéri­men­tales pen­dant ces lec­tures. Les poètes ren­traient dans cet univers assez « lynchéen » et ça crée une sym­biose entre les dif­férents arts. Nous avons vécu des moments  excep­tion­nels où nous avons pu sus­citer une très forte émo­tion autour de la poésie.

L’e­space pub­lic est pour moi fon­da­men­tal, j’ai tou­jours voulu sor­tir la poésie des insti­tu­tions (offi­cielles et alter­na­tives). J’ai tra­vail­lé avec le Musée Rim­baud, avec qui je tra­vaille tou­jours d’ailleurs (j’ai fait récem­ment une expo­si­tion de poét­esses inter­mé­dia  autour de leur tra­vail de poésies visuelle, action et sonore). A Paris, beau­coup de lieux comme la Bib­lio­thèque His­torique de la ville de Paris, La Galerie Satel­lite, Les Voûtes, des squats, et d’autres, me per­me­t­tent de mon­tr­er, de faire écouter et d’offrir la poésie au public…

“Les con­fi­dents” : inau­gu­ra­tion des 20 chais­es-poèmes du jardin du Palais-Roy­al, 4 mars 2016.

Tu investis donc les espaces publics avec la poésie, que ce soit avec des images ou avec du son ? Quel type d’événement organ­is­es-tu ? Tu par­lais des pro­jec­tions de poésie sur les murs de Paris pen­dant le con­fine­ment ? Mais quels autres types de man­i­fes­ta­tions organises-tu ?
J’ai la chance d’habiter un ate­lier en rez-de-chaussée avec en face un grand mur blanc. Pen­dant les con­fine­ments, tous les soirs, je pro­je­tais de la poésie con­tem­po­raine sur ce mur, donc tous les voisins regar­daient. C’était un ren­dez-vous de quelques min­utes à 19h56.
Nous avons égale­ment créé des œuvres plas­tiques écrites avec le sculp­teur et ami québé­cois Michel Goulet, les chais­es et bancs poèmes du jardin du Palais Roy­al qui sont là en per­ma­nence et per­me­t­tent d’ancrer le poème dans l’e­space pub­lic… Des poèmes sont inscrits sur le dossier des bancs-poèmes ou des chais­es-poèmes, instal­lés dans le jardin du Palais-Roy­al. Pour les bancs-poèmes, qui sont fixés au sol, nous avons inau­guré à cette occa­sion deux allées que nous avons nom­mées l’allée « Cocteau », ou « Colette ».  Su cr cha­cun des banc il y a en rec­to un poème ou une cita­tion de Cocteau  ou de Colette  et en ver­so une vers d’un poète/poétesse mod­erne. Cha­cun de ces poètes pro­pose au pub­lic des univers bien particuliers/singuliers (de Bernard Hei­d­sieck à Paul Celan dans l’allée Cocteau et de Marce­line Des­bor­des-Val­more à Danielle Col­lobert dans l’al­lée Colette) qu’il est impor­tant de don­ner à voir et à enten­dre à un pub­lic non aver­ti. En effet, dans le dis­posi­tif des chais­es-poèmes en vis-à-vis rap­pel­lent les fameux con­fi­dents où on s’as­soit à deux , pro­pose en plus des vers gravés sur le dossier, un boîti­er sonore cen­tral avec un sytème tech­nologique de pointe per­met de branch­er des écou­teurs et enten­dre de la poésie que nous changeons régulière­ment. Donc à la fois de « poésie sonore » et à la fois de la « poésie visuelle ».
Je fais égale­ment aus­si beau­coup de « poèmes peints » dans l’espace pub­lic avec des cita­tions de poètes (John Giorno, Tris­tan Tzara, Rim­baud, etc.), avec une typogra­phie qui est proche d’un artiste que j’aime beau­coup, qui est Jacques Vil­leglé.  Je suis assez proche de son fameux alpha­bet soci­ologique que j’ai retra­vail­lé per­son­nelle­ment pour écrire des cita­tions de poèmes que j’ai inscrits sur les murs, sur les rideaux de fer des mag­a­sins, sur le macadam  (avec la créa­tion d’une marelle poé­tique)! Ces inscrip­tions sont semi-per­ma­nentes car la mairie de Paris ne les efface pas toujours !!!!
Sans oubli­er la Rim­baud­mo­bile créée il y a plus de 10 ans. C’est une voiture, une Cit­roën ami 8 de 1972 que j’ai récupérée dans le vil­lage de la ferme de la famille Rim­baud (à Riche), là où il écrit Une sai­son en enfer. Il y avait là cette voiture qui pour­ris­sait sous une grange. Je l’ai achetée puis je l’ai faite réparer. 

Rim­baud Live(s) : Ma Bohème, “les cahiers de Douai”, sur Dis­or­der de Joy Divi­sion, Vidéo filmée à l’oc­ca­sion des courts métrages “Les Cahiers de Douai”. Idée du scé­nario et “comé­di­en” : François M pour Poêsie is not dead Vidéo et Mon­tage : Johann Kruz­i­na Pro­duc­tion : Smac Fred­dy Pan­necocke Musique : Joy Divi­sion / Dis­or­der Vête­ments cus­tomisés Rim­baud et Poêsie is not dead par le street Artist Pedrô! et la brodeuse Anna La Fontaine. 2021.

J’ai instal­lé sur le toit de cette Rim­baud mobile un méga­phone des­tiné ini­tiale­ment aux pom­piers. Nous avons pu faire des road trips de poésie-action, nous avons dif­fusé de la poésie avec ce méga­phone qui porte à 3 km. Ensuite nous nous arrê­tions pour faire une per­for­mance sur une place publique. J’e­spère repren­dre ces actions prochaine­ment parce que c’est très drôle ça touche énor­mé­ment les gens ! Ils ouvrent les mag­a­sins, les portes, sont surpris !
Et qu’est-ce que ça fait d’of­frir ain­si de la poésie aux gens qui passent, quel est l’effet produit ?
Petit, je n’ai pas eu la chance moi d’avoir accès à la poésie, aux livres… C’est un peu une revanche. Quand on prend le métro ou le train, et dans la rue, on con­state que les gens sont absorbés par l’écran de leur télé­phone.  L’idée c’est de les inter­pel­er, de créer ce fameux « con­tre-flux » des sit­u­a­tion­nistes : les gens sont pris par leur quo­ti­di­en, ryth­mé par le fameux « métro-boulot-dodo » (qui est un poème à l’o­rig­ine). L’idée c’est de créer « une par­en­thèse poé­tique » dans ce cet espace qui nous enferme, et qui nous empêche de réfléchir, de voir la beauté du quo­ti­di­en. Alors quand vous pro­jetez un poème sur un mur les gens s’ar­rê­tent. Ils sont com­plète­ment sur­pris, et même si ça ne peut pas touch­er tout le monde, ça touche tout de même un large pub­lic. « L’art est ce qui rend la vie plus intéres­sante que l’art » dis­ait Filliou.

Expo­si­tion Elle(s) : Poét­esses Inter­mé­dia en France de 1959 à 2023, présen­ta­tion des oeu­vres exposées au Musée Arthur Rim­baud du 21 octo­bre au 27 Novem­bre 2022. AVEC : SUZANNE BERNARD, ILSE GARNIER, COZETTE DE CHARMOY, FRANCOISE MAIREY, AUDE JESSEMIN, MICHÈLE MÉTAIL, ESTHER FERRER, MAGGY MAURITZ, LILIANE GIRAUDON, CÉCILE RICHARD, CHIARA MULAS, EDITH AZAM, HORTENSE GAUTHIER, AC HELLO, MARIE BAUTHIAS, NATACHA GUILLER, CAMILLE D’ARC, GUYLAINE MONNIER, AZIYADÉ BAUDOUIN-TALEC, SÉGOLÈNE THUILLART ET ELSA ESCAFFRE UNE PROPOSITION DE POÉSIE IS NOT DEAD UNE EXPOSITION DE POÈMES CONCRETS, SPATIAUX, VISUELS, SONORES, ACTIONS ET NUMÉRIQUES

Quel est le pou­voir de la poésie ?
Je ne sais pas si la poésie a un pou­voir. Je crois que ce n’est pas son objec­tif pre­mier. Avant tout elle doit créer de la beauté et de l’é­mo­tion, mais une émo­tion forte. Elle doit en quelque sorte percer la cara­pace dans laque­lle nous sommes con­stru­its, toutes et tous, de par notre his­toire per­son­nelle et la société qui nous met dans des moules. Il faut essay­er de cass­er ce cadre, dans lequel on est enfer­més. Je ne pense pas non plus que la poésie ait une fonc­tion poli­tique. Elle doit avant tout créer de l’é­mo­tion, et j’ai pu con­stater que l’émotion peut chang­er vrai­ment la manière dont on appréhende le monde. Je ne pré­tends pas qu’elle change la vie des gens, mais la manière dont ils perçoivent la vie, oui. La poésie a été pour moi un élé­ment déter­mi­nant. Au départ ce n’était pas le but recher­ché parce que nous voulions avant tout nous amuser, car nous nous inscrivons dans le mou­ve­ment post Fluxus notam­ment. Je suis très influ­encé par Robert Fil­liou. Et l’idée ce n’est pas d’im­pos­er un mes­sage poli­tique où de définir ce que doit faire, dire ou être la poésie. Je trou­ve que la poésie doit être apoli­tique bien au con­traire. Mais elle doit avoir une un côté sub­ver­sif par rap­port au lan­gage qui est sou­vent un out­il de manipulation.

Poésie is not dead présente : Réan­i­ma­tion poé­tique jusqu’à nou­v­el ordre !!!!!! Dès le pre­mier con­fine­ment en mars 2020, Poésie is not dead pro­jette en vidéo et en son, les voix des poètes, après le cou­vre-feu, sur l’im­meu­ble d’en face d’Ut Pic­tura Poe­sis (Stu­dio des Poésies Expéri­men­tales), rue de la Folie Méri­court, Paris 11.

Est-ce que ce n’est pas juste­ment éminem­ment apoli­tique donc poli­tique de sor­tir le lan­gage de son emploi quotidien ?
Oui effec­tive­ment dès lors qu’on sort le lan­gage de son emploi quo­ti­di­en, mais dès lors qu’on ne fait pas tou­jours la même chose, on crée du sens, on ques­tionne, on ouvre des voies. Comme un artiste, il faut tou­jours se remet­tre en ques­tion et remet­tre en ques­tion les représen­ta­tions, on est tou­jours en « work in progress ». Mon ami Joël Hubaut le dit très bien, lorsqu’il con­state qu’un texte évolue à chaque fois qu’il est dit.  Donc, le côté apoli­tique est égale­ment cer­taine­ment poli­tique mais ce n’est pas l’ob­jec­tif pre­mier, qui est cette néces­sité  de cass­er cette cara­pace et cet enfer­me­ment dans lequel on est, grâce à l’émotion.
Est-ce que l’é­mo­tion nous rassem­ble et témoigne de l’existence d’un col­lec­tif humain ?
Oui, l’é­mo­tion, la beauté, peu­vent effec­tive­ment rassem­bler, et, on le voit bien, elles ont un effet cathar­tique. Est-ce que la poésie crée un rassem­ble­ment de pen­sée, je ne sais pas, mais ce qui est cer­tain c’est que la poésie crée une émo­tion, autre, sin­gulière, dif­férente de celle que nous pro­cure nos télé­phones cel­lu­laires, le stream­ing, les plate­formes, les réseaux dits “soci­aux” …

Vidéo-poème-action de Jean Tor­re­grosa , mem­bre d’Ak­e­na­ton à Ste­fan­na­cia (Corse) en 2019.

Mais est-ce qu’on peut affirmer que la poésie est un genre moins lu, moins fréquenté ?
Déjà est-ce qu’elle est dif­fusée ? Il y a aujour­d’hui beau­coup de maisons d’édi­tion, je crois qu’on n’a jamais autant pub­lié, mais elle est peu dif­fusée parce qu’elle n’est pas économique­ment viable. Donc vous avez des édi­teurs qui sont soutenus par les instances publiques, par le CNL, par les régions ou autres… Vous allez dans une librairie, pas à Paris parce qu’il y a des librairies qui offrent des choses assez dif­férentes, mais quand je suis à Charleville par exem­ple, dans la librairie Rim­baud, certes il y a un ray­on Rim­baud, mais le ray­on de poésie con­tem­po­raine fait 30 cm, et vous n’avez que la col­lec­tion Gal­li­mard !  Dernière­ment j’ai repris avec mon ami Xavier Dan­doy de Casabi­an­ca la revue Doc(k)s qui est la plus vieille revue de poésie expéri­men­tale créée par Julien Blaine en 1976, qui avait été ensuite reprise par Ake­na­ton (Jean Tor­re­grosa et Philippe Castellin). Mal­heureuse­ment Philippe nous a quit­tés il y a un peu plus d’un an. C’est une revue qui a été peu dif­fusée parce que non économique­ment viable.
Les poètes sont un peu fau­tifs aus­si car je pense qu’il y a une respon­s­abil­ité col­lec­tive : cer­tains cul­tivent un côté her­mé­tique de la poésie qui s’est mis en place, il y a eu un côté très indi­vid­u­al­iste… Même par­mi les poètes expéri­men­taux cer­tains restaient dans leur chapelle… Alors je ne sais pas pourquoi… Est-ce que c’est la peur de l’autre, est-ce que c’est le fait qu’ils atten­dent des sub­ven­tions publiques… ?

Poèmes à la Criée : Macadam Poèmes/Poésie Action/Sonore & Per­for­mances — Rues de paris — Dis­tri­b­u­tion de 1001 livres de Poésie de la bib­lio­thèque de Jean-Pierre Balpe.

Per­son­nelle­ment j’ai mon indépen­dance, et je n’at­tends pas d’avoir une sub­ven­tion pour créer, bien au con­traire. Le seul qui nous aide aujour­d’hui c’est Vin­cent Gimeno Pons avec le Marché de la Poésie. Il a tou­jours été présent. En dehors de pro­jets très spé­ci­fiques comme l’exposition des poét­esses à Charleville-Méz­ières au Musée Rim­baud cet automne, je créé et organ­ise des per­for­mances, lec­tures, des édi­tions (vinyles, vidéos, livres/fanzines, etc) majori­taire­ment sans argent et avec nos pro­pres moyens, ce qui nous laisse aus­si une totale liberté.
Est-ce que la poésie n’est pas, par ailleurs, con­fisquée, prise en otage, définie par une élite, un cer­tain milieu ?
Oui effec­tive­ment je pense que beau­coup de poètes ne se recon­nais­sent pas dans ce que je pro­pose dans l’e­space pub­lic. Par exem­ple, l’an­cien directeur de la col­lec­tion Gal­li­mard Poésie a refusé que nous citions cer­tains poètes, quand nous avons créé en 2016 les chais­es-poèmes (Con­fi­dents) avec Michel Goulet au jardin du palais Roy­al nous lui avions très respectueuse­ment écrit pour deman­der le droit de citer Hen­ri Michaux et Antonin Artaud. Il avait refusé alors que nous avions l’ac­cord, notam­ment, des ayants droit, pré­ten­dant que ces chais­es poèmes ne l’intéressaient pas. Réac­tion bizarre ! Nous avons ensuite com­pris pourquoi : ces chais­es poèmes ont eu un grand reten­tisse­ment et comme il n’était pas impliqué dès le début…L’Ego comme dit notre ami Ben Vautier.

Plus générale­ment on voit aujourd’hui un fos­sé qui s’est creusé entre des poètes ex soix­ante-huitards et les plus jeunes. Les plus âgés veu­lent vrai­ment garder le pou­voir : ce sont eux « la poésie », et surtout ce sont eux qui ont le pou­voir et la légitim­ité pour la définir. Pro­pos­er de la poésie dans l’e­space pub­lic ce n’est pas assez noble pour cer­tains qui préfèrent les « Mai­son de la Poésie »  ou les Musées.  Dire des poèmes pour le quidam de la rue ça ne les intéresse pas…
Dernière­ment, le pre­mier novem­bre, nous nous sommes beau­coup amusés, nous avons dévelop­pé une per­for­mance dans les rues de Paris, inti­t­ulée « Poèmes à la Criée ». Comme effec­tive­ment la poésie ne se vend pas, j’ai récupéré la bib­lio­thèque de poésie de Jean-Pierre Balpe, qui est un ami poète autre­fois directeur du BIPVAL (Bien­nale Inter­na­tionale des Poètes en Val-de-Marne), forte­ment impliqué dans la revue Action poé­tique avec Hen­ri Deluy et dont le dernier numéro est sor­ti en 2012, la revue datait de 1950 !!! Jean-Pierre avait plus de 1001 livres de poésie qu’il voulait donner.
Comme les bib­lio­thèques n’en voulaient pas, et que per­son­ne ne voulait pren­dre tous les livres en même temps, j’ai appelé Jean-Pierre et je lui dis je viens chercher les livres avec comme objec­tif de créer une action avec ces livres, compte tenu de leur his­toire sin­gulière et cette his­toire abra­cadabran­tesque de les don­ner . J’ai pris ma camion­nette et effec­tive­ment j’ai emporté les 1001 vol­umes, pour les don­ner. Et nous avons donc organ­isé cette action/déambulation poé­tique avec une quin­zaine de Poètes et autres artistes (Julien Blaine, Ma Desh­eng, Patrice Cazelles, Guy­laine Mon­nier,  Nat­acha Guiller, Eti­enne Brunet, Mick­aël Berdugo, col­lec­tif Famapoil, etc) dans les rues de Paris, nous avons com­mencé Place Colette et la journée s’est ter­minée devant Shake­speare and Co avec dif­férents arrêts (Ponts des Arts, Place de Fursten­berg, Place St Sulpice, Hotel Beat, etc)  J’avais trois cad­dies de super­marché que j’avais récupérés et cus­tomisés, ils étaient tout doré et nous avons don­né déjà 600 livres. Les gens étaient très heureux et vrai­ment récep­tifs, français comme touristes étrangers, pen­dant que les actions/performances des poètes et artistes …. Il reste qua­tre-cents livres et nous allons organ­is­er une autre action quand le temps le per­me­t­tra. Donc si la poésie était mieux dif­fusée les gens en liraient plus.
En plus de ces actions, j’effectue depuis plus de deux ans aus­si des inter­views-actions de poètes, pour garder trace et une mémoire de la poésie con­tem­po­raine (Serge Pey, Julien Blaine, Philippe Castellin et Ake­na­ton, Joël Hubaut, Esther Fer­rer, Lil­iane Giraudon, Michel Giroud, par exem­ple), ain­si que des vidéos de lec­tures per­for­mance aux­quelles j’assiste, tout ceci dif­fusé sur ma chaine YouTube…

Poésie is not dead — Jardins du Palais Royal.

Est-ce que les plus jeunes lisent ou écoutent de la poésie ?
Mais qu’est-ce que la poésie ? On ne peut pas la définir, mais pour par­ler de mon expéri­ence, les jeunes qui ont eu accès à la ren­con­tre humaine avec des poètes vivants ont été touchés, et ces ren­con­tres ont été importantes.
A Charleville j’organisais des rési­dences à la mai­son Rim­baud pen­dant 3 semaines, avec un cer­tain nom­bre de poètes qui venaient et allaient à la ren­con­tre avec des col­légiens ou des lycéens. Là dans cette ren­con­tre avec ce qu’est la poésie, le lan­gage, le texte, quelque chose s’éveillait chez ces jeunes. Le lan­gage est tou­jours source d’interrogation pour eux. Donc il faut aller vers le jeune pub­lic, ils sont en attente ! Il faut dif­fuser la poésie et ne pas rester dans « l’entre-soi ».
Par exem­ple sur ma chaîne YouTube John Giorno a fait 18000 vues ! Ce qui est énorme pour la Poésie. Autre exem­ple : Bernard Hei­d­sieck a fait la pre­mière par­tie d’un groupe de Rock à L’Élysée Mont­martre, avec Vaduz ! Le pub­lic l’a applau­di. Donc arrê­tons de nous flageller !!!
Donc il faut pren­dre des risques et sor­tir de sa zone de con­fort. La poésie demande à être criée, hurlée, par­lée, pollinisée… Il faut aller à la ren­con­tre des jeunes, du public…
Est-ce que pour les jeunes le Rap et la Slam n’est pas ce nou­veau ter­ri­toire poé­tique des jeunes ?
Si, bien sûr, ils peu­vent être une entrée , un vecteur. Nat­acha Guiller par exem­ple, une des nou­velles voix de la poésie con­tem­po­raine, elle a com­mencé par le Slam ! Les nou­velles généra­tions en creu­sant décou­vrent aus­si l’oralité, les sonorités, la plas­tic­ité du poème égale­ment via les écoles d’art ! Quand on voit et et on entend des poètes con­tem­po­rains comme Charles Pen­nequin ou Edith Azam, on ne peut être que sur­pris et les nou­velles généra­tions y sont très sen­si­bles… Il y a un « vrai » mes­sage der­rière cette « poésie » qui sur­prend de prime abord. L’essentiel est que « la poésie n’est pas morte and poet­ry nev­er dies » !!!  

Présentation de l’auteur

François M.

François M. est né et a gran­di en Rim­baldie. Il a fondé en 2007 le concept/collectif poly­mor­phe et pro­téi­forme Poésie is not dead , qui se veut être un rhi­zome entre la poésie et les autres arts, qu’on pour­rait dénom­mer MétaPoésie. Ce con­cept et col­lec­tif sont influ­encés par les mou­ve­ments et les poètes des “poésies expérimentales”(poésie sonore, poésie action, poésie visuelle, poésie-per­­for­­mance et poésie numérique), ain­si que des mou­ve­ments d’avant-garde :  dadaïsme, let­trisme, sit­u­a­tion­nisme et Fluxus.

L’essence des actions entre­pris­es par Poésie is not dead est de « dé-livr­er » le poème des espaces insti­tu­tion­nels et/ou alter­nat­ifs où il est générale­ment « enfer­mé » (rayons des bib­lio­thèques, musées, squats, librairies, etc.) à l’attention sou­vent d’un pub­lic « aver­ti ». Il tente de vapor­is­er, de per­col­er et de pollinis­er le poème dans l’espace pub­lic via dif­férents médi­ums (instal­la­tions éphémères et pérennes : bancs-poèmes et chais­es-poèmes au jardin du Palais Roy­al par exem­ple, lec­­tures-per­­for­­mances de poètes sonores et de musi­ciens expéri­men­taux dans la rue, road-trips de poésie-action avec la Rim­bau­mo­bile, etc.).  Ce col­lec­tif est inter­venu prin­ci­pale­ment en Europe et en Amérique du Nord.

Poésie is not dead s’in­scrit dans la con­ti­nu­ité du poète Bernard Hei­d­sieck pour qui :

« A quoi bon le poème, tout court, s’il ne con­tribue pas tant soit peu (…) à oxygén­er, brûler, irradier, ce qu’il touche ou doit touch­er et tente d’atteindre ? », « ce n’est pas le pub­lic habituel de la poésie avec ses applaud­isse­ments de politesse », que Poésie is not dead souhaite attein­dre mais faire réa­gir « un audi­toire non aver­ti, non pré­paré. C’est ain­si, dans cette sit­u­a­tion de risque et de fraîcheur, en fait, que la poésie, tou­jours, devrait se com­mu­ni­quer. Funam­bule et présente, mal­gré tout ! »

La posi­tion poé­tique de Poésie is not dead s’in­scrit dans les courants de “l’art pour tous” dévelop­pé par les artistes Gilbert and George et du “théâtre éli­taire pour tous” d’An­toine Vitez

La prob­lé­ma­tique de Poésie is not dead est alors de : com­ment créer, dif­fuser et don­ner accès à la poésie, qui plus est de la poésie con­tem­po­raine, dans l’espace pub­lic pour un audi­toire non ini­tié ? Com­ment ten­ter d’y arriv­er dans un espace urbain sat­uré de tech­nolo­gies visant à capter notre atten­tion et ryth­mé par des flux quo­ti­di­ens chronométrés et répétitifs ?

Cette démarche de « con­tre-flux » s’inscrit dans la dérive sit­u­a­tion­niste telle que Guy Debord la conçoit. Sus­citer un regroupe­ment, un agence­ment, un ral­liement des pas­sants, qui soient une inci­sion, une dis­tor­sion, une rup­ture et in fine une par­en­thèse poé­tique dans leurs cours­es routinières.

© Crédits pho­tos (sup­primer si inutile)

Poèmes choi­sis

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DOC(K)S, la Revue : Entretien avec François M.

C’est en 1976 que DOC(K)S paraît pour la pre­mière fois, orchestrée par Julien Blaine qui en assume la direc­tion et l’édition jusqu’en 1989.  Julien Blaine choisit de trans­met­tre la pub­li­ca­tion de DOC(K)S et propose […]

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Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.
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