Alberto Comparini, palimpseste

2.1.

les passages piétons les voitures débordant en double file les feux verts clignotants
cette hâte adolescente de vouloir à tout prix vaincre l’attente lourde du lendemain
après les convocations pour le stage d’été les entraînements les matchs les suicides
les dernières coupures tout s’achève dans un virage serré près du carrefour la force
centripète de la route ne suffisait plus le frottement dynamique cède à l’inertie
de la moto l’énergie cinétique se conserve ton corps devient pur mouvement
en une fraction de seconde tu es figé tu heurtes la tête le genou la poitrine

2.8.

tu composes le 0103621526 il s’était fait tard à la maison le téléphone fixe de la cuisine
avait longuement sonné c’était l’heure du dîner de l’autre côté du combiné on entendait en fond
le générique de Otto e mezzo quelqu’un avait baissé le volume de la télé à l’écran défilaient
en silence des publicités muettes jusqu’à l’explosion soudaine d’une voix confuse de mère ou fille
bonsoir ce n’est pas moi Alberto a eu un accident de moto il est vivant il ne respire pas très bien
après la chute il a dû perdre son portefeuille maintenant il est en état de choc il n’arrive pas
à bouger les jambes il est agité inquiet instable il répète à tous qu’il veut encore jouer au basket

3.8.

un an après l’opération la rééducation du genou gauche est
terminée le tonus la masse la mobilité du membre ne sont pas
suffisants pour reprendre l’activité sportive il faut attendre l’avis
de l’orthopédiste n’est pas positif dans l’autre jambe tu ressens
une douleur aiguë elle est intermittente elle continue de croître
en même temps qu’une autre vie entre la tête et le col du fémur

5.9.

tout a un prix même les trajets en train régional les vols low-cost de dernière minute
ces jeûnes collectifs dans les cabinets les discussions vos silences et mes demandes
pour un second avis après le dernier contrôle raté tu comprends ce que deviendra
ton corps une fois obtenu le prêt d’honneur à la banque de l’os cette cicatrice
une vieille blessure ta mémoire diluée dans une perfusion analgésique

8.8.

au moment de la sortie tu reçois le protocole de départ
un symptôme constant du mal obscur est le syndrome
du membre fantôme tu en perçois tout de suite la position
la douleur va et vient elle est épisodique il serait risqué
d’intervenir encore sur le fémur les décharges tendent
à croître elles traversent entièrement le corps du patient

Présentation de l’auteur

Alberto Comparini

Alberto Comparini, né à Gênes en 1988, a étudié et travaillé à l’université de Stanford, le City College of New York et à l’université libre de Berlin. Actuellement il enseigne Littérature comparée et théorie de la littérature à l’Université de Bergame.

Bibliographie

Il a publié des séquences et proses lyriques dans les journaux italiennes « Nazione Indiana », « GAMMM » et « L’Ulisse ». Fribourg est sa première publication en français et fait partie d’un projet multilingue intitulé Sur une échelle de un à dix.

Autres lectures




Éric Sarner, ANAMNÈSE et autres poèmes

Voyez-vous ce palais ?
Nous sommes en Grèce, en Thessalie,
il y a longtemps.
Si longtemps qu’il faut plisser les yeux de l’âme
Pour le faire apparaître.
C’est une maison de marbre, toute de marbre,
Avec des oliviers sur ses flancs,
Alignés comme une fête des sens,
Langoureusement.
On entend des rires,
de la musique d’une telle douceur
Qu’elle donne envie de boire et d’aimer.
Il y a banquet chez Scopas, noble et riche.
Scopas a tout prévu, les plus belles viandes,
Et garnitures, les vins, liqueurs, douceurs
Et tous les fruits imaginables,
Comme pour inviter toute la nature,
Comme si c’était la fin du monde,
On entre, doucement. 
Simonide, le fameux poète lyrique,
À l’instant, finit son chant.
Un enfant blond s’est approché de lui.
Lentement Simonide sort.

Devant le palais, il cherche
Comme si c’était lui qu’on cherchait.
Et il n’y a personne.
Et, tandis qu’il tourne et se retourne,
Voilà qu’en une seconde le toit s’effondre
De la salle du banquet. Dans un bruit de saccage,
de pierres perdues, d’horreurs.
Un séisme.

Il n’y a plus d’heure, mais de la poussière
Et des râles.
Scopas et tous  
Gisent là dans les décombres.
Qui est là ? Où ?
On accourt, on veut secourir.
Les serviteurs, les familles.
Puis, on ne court plus.
Dans le silence maintenant,
Sous la lune qui ne dit rien,
On voudrait reconnaître
Ces corps broyés.
Qui dira ces visages confondus ?
Qui pour reconnaître
Le visage de chacun d’eux,
Ces joyeux ensevelis entre les lyres brisées. ?
Alors, il se rappelle, Simonide.
Il revoit les yeux qui rient, les tics, les chevelures,
Lui qui dormait déjà,
Elle trop fardée,
Lui qui disait toujours oui
Elle qui ne disait jamais non.
Et beaucoup d’autres,
Il les connaissait.
De tête, il remet chacun à sa place
Qui retrouve son nom par la bouche du poète.
L'art de la mémoire c’est ainsi qu’il est né.
Ainsi, pas autrement.

*****

ENTRE-TEMPS

Petite mélancolie
l’instant glissé
entre hier et tout de suite
qui danse
comme une image hors cadre
c’est une aube pristine
un rayon entre des arbres
tournant autour
ce qui un moment
s’interpose
commence
et finit

*****

MOTS EN L’AIR

Tous les oiseaux, sans y penser,
travaillent aux couleurs.
Les histoires qu’ils se racontent,
elles seules, créent le rouge, le vert,
le bleu poignant, le jaune mat…
Certains oiseaux bégaient ; ceux-là font des pâtés comme d’amples éclats de rire.  
Dans le désert, c’est tout autre chose,
on dit que les couleurs
dépendent plutôt du sable et des vents.

*****

ON AURAIT CRU UN POÈME

On le voyait bien
Des oiseaux sortaient de sa bouche et
De ses aisselles
On entendait de petites cloches
Et le pas ancestral de vieillards
Qui passaient en bas
Leurs bâtons tapaient les pierres
C’était un chant d’histoires
C’est-à-dire de possibles.
À nouveau il faisait jour

Présentation de l’auteur

Éric Sarner

Poète, documentariste et également traducteur, il aime à se définir comme un « voyageur-chroniqueur ». Né au carrefour de plusieurs cultures, langues et climats, son travail aborde des thèmes, domaines et formes multiples, dans une cohérence secrète, au fil de coups de cœur.

Invité à se définir, Eric Sarner affirme :

J’écris sur Fernando Pessoa et sur la boxe, sur les mères de la place de Mai de Buenos Aires et sur Marcel Duchamp, sur le ladino, la langue des juifs d’Espagne et sur l’art de Frank Sinatra. Je respire ainsi. Complètement. J’aime les puzzles. Les choses attendent toujours qu’on les conjugue.

Bibliographie

Odessa, Odessa, 2025, Ed. Tarabuste

L'attraction du ciel, 2024, Ed. Les Venterniers, une suite de 22 poèmes correspondants au 22 arcanes majeurs du Tarot de Marseille.  

Lisbonne est une fable, 2024, Ed. Tarabuste, un récit de voyage, une dérive dans la géographie réelle et mentale de la capitale portugaise.

99 codas, 2023, Ed. La Rumeur libre, 99 "fins de récits" … à ceci près que ces récits n'existent pas et sont à inventer par le lecteur.

Sugar et autres poèmes, 2021, Poésie/Gallimard, un recueil en cinq parties : Sugar, dans lequel la poésie croise la boxe ; Expérience de l'hiver, Petits chants de proximité, Presque un chant d'errance, un lexique personnel de 80 mots de judéo-espagnol et Petit carnet de silence, notes d'une semaine de mutité volontaire.

En 2014, Éric Sarner a reçu le prix Max Jacob et en 2024 le Grand Prix de poésie Robert Ganzo pour l'ensemble de son œuvre.

Autres lectures




Antoine Maine, 72 Micro-saisons

GRAND FROID
25 › 29 janvier : Sawamizu kōri tsumeru
La glace s’épaissit sur les ruisseaux

Demain encore je voudrais
comme les ruisseaux
goûter la joie des confluences

* * *

Au-dessus du port
jai vu passer les oies dEgypte
et les bernaches à tête blanche
jai entendu leurs cris sauvages

elles qui sont vieilles bêtes
de bien avant les porte-conteneurs

* * *

À quand le réarmement des mésanges et des perce-neige, des saules pleureurs et des mulots vagabonds ?

 

Début du printemps
4 › 8 février : Harukaze kôri o toku
Le vent dEst fait fondre la glace

 S’émerveiller cest résister. Ce nest pas moi qui le dis cest la dame à la radio.

* * *

Jai vu Julianne Moore. Elle pleurait. En sortant du ciné dans la rue les pavés brillaient encore. Souvenir de la dernière averse. Nous avons marché un peu. Sans nous toucher. On a croisé quelques passants, leur tête cachée sous les capuches, un livreur à vélo avec sa boîte à pizzas et au fond de ses yeux noirs une fatigue longue de milliers de kilomètres. Peu après elle est repartie vers Savannah. Elle aussi semblait épuisée. Par je ne sais quelle charge. Trop lourde pour ses épaules.

* * *

Vent dEst
dans lair un parfum
de soleil levant

DÉBUT DU PRINTEMPS
14 › 18 février : Uo kôri o izuru
Les poissons jaillissent de la glace

Adossés au ciel, les arbres peu à peu se remplument.  

* * *

Jai beau chercher. Pas de poissons, pas de glace, ou alors quelques poissons panés dans le congélo. Mais est-ce que ça compte vraiment ?

* * *

Rentré avec choux de Bruxelles grand soleil filets de merlan roucoucou des tourterelles dent-du-chat Libé Navalny tarte à lbadrée ciel bleu oignons rouges et dorés

 

L’EAU DE PLUIE
19 › 23 février : Tsuchi no shô uruoi okoru
La pluie humidifie la terre

Je retire le bonnet
qui protégeait mon crâne
de cette fine pluie
(petite pluie de rien du tout
bruine dirait-on)

et maintenant tête nue
me goinfre du chant liquide
des oiseaux

* * *

Cest Paris sous la pluie. Cest janvier. Trottoirs mouillés. Une femme savance. Les traits tirés les cheveux défaits la mine chiffonnée. Elle marche. Elle marche vite. Droit devant elle et cest comme si pour elle la ville avait cessé dexister. Des boutiques des lampadaires des portes cochères et des trottinettes elle na que faire. Téléphone en main. Elle marche. Elle pleure. Sous ses lunettes coulent des rivières de larmes. Elle pleure. Ça creuse des rigoles à pleines joues. Ça fripe son menton. Ça ravine sa pauvre face. Ça dévaste la rue toute entière dune rive à lautre.

Elle parle elle pleure elle écoute elle pleure elle marche elle pleure elle dégouline elle pleure elle passe elle pleure elle.

Cest Paris sous la pluie. Et quoi faire dautre que d’éviter toutes ces flaques sur le trottoir.

* * *

Quelques jonquilles
au pied du cerisier
et lhiver pourtant

L’EAU DE PLUIE
24 › 29 février : Kasumi hajimete tanabiku
La brume commence à sattarder

Forcément avec la brume le paysage doucement glisse vers lOrient extrême.

* * *

Départ dans le soleil. Puis peu à peu sur lA16 lhorizon vire au bleu blanc gris.

À la radio une Chinoise musicienne nous fait entendre à la cithare (guzheng daprès Wikipedia) le son du ciel.

Je me demande bien quelle est cette Yvette sur quoi viennent se poser Gif, Bures puis Villebon ?

Contournement de Paris, au volant les mots me viennent. Difficile de sarrêter dans ce monde péri-urbain. Vaste enchevêtrement de rocades de bretelles d’échangeurs et de voies rapides. Alors je choisis la bifurcation. La sortie de secours. Une zone commerciale vers les Ulis ou Courtabœuf. Dépasser le Point P et se garer sur le parking du Lidl. Là sortir le petit carnet et lâcher les mots.

* * *

Derrière le rideau de brume
la montagne se déshabille

 

LEAU DE PLUIE
1 › 5 mars : Sōmoku mebaeizuru
Lherbe se remet à pousser, les arbres bourgeonnent.
Ligne neuf, la voix dans le haut-parleur annonce Bonne nouvelle.

* * *

Montagnes quon devine au loin. Versants couverts dune fine couche de neige (résille dirait-on). Neige tombée à la nuit. La forêt, elle si sombre, ainsi blanchie devient grisaille et se fond dans la masse des nuages bas. Une lumière dans cette fin de nuit. Les phares dune voiture. Elle grimpe tout là-haut entre deux morceaux de forêt. Quelquun quelquune à vivre dans ce paysage. On en est tout étonné (déçu peut-être) tant on avait le sentiment dhabiter seul dans ce petit matin des montagnes. Mais le monde est là encore un peu endormi et bientôt il sagitera.

Sous mes doigts la mandarine s’épluche. Je sens la chair molle et juteuse.

Dans lenceinte bluetooth Mozart sifflote.

Au bout de la terrasse les branches des lilas, couvertes déjà de gros bourgeons gorgés de la sève montante, oscillent dans le vent. Vent froid encore ce matin, lhiver nest pas fini. Pourtant je sens venir le printemps, l’éternel recommencement. Je lentends gronder dans le ventre du poème.

* * *

Sur lA71
dans les bas-côtés
les prunelliers en fleurs

Présentation de l’auteur

Antoine Maine

Antoine Maine. en Picardie en 1960, vit à Amiens. Poèmes et nouvelles. Directeur artistique et co-fondateur de la revue de création poétique Meteor.

Bibliographie 

Jaurais pu tappeler septembre (Toto éditions - 2024)
La Ville était lumière (Toto éditions - 2024)
Le Cerisier (La Chouette imprévue - 2021)
Une Vie avec du ciel (Cahiers de Poésie Verte - 2016. Prix Troubadours Trobadors)
La Perdition (Nouvelle, Tierslivre.net - 2013)

Ouvrages collectifs :

La Force des mots. Anthologie du PEN Club Français (Oxybia - 2025)
Le Cabinet Lambda (Cactus Inébranlable - 2021)
Les Confins (La Chouette imprévue - 2020)

Autres lectures




Yucheng Tao, Océan et autres poèmes

Océan

Une mer solennelle
sous le voile éclairé par la nuit,
un banc de poissons
— cachés, scintillants —
le silence intact
par les vagues,
seulement les poissons,
et tes yeux,
se rencontrant.

 

Rêve

Dans mon rêve,
la méduse porte une robe de lumière,
se balançant sur mes genoux.
Je suis dans le bateau,
en route vers les montagnes lointaines,
plus stable que la mer.

Février

 Février,
ressemble à un hiver inachevé.
Mars, ressemble à la mélancolie
sous le soleil,
fleurissant avec le cornouiller,
et luxuriant dans le crépuscule,
alors que ma mémoire grandit
au-dessus de la mer.

Je parle avec Sartre

Assis sur les rives de la Seine
au soleil couchant,
je parle avec Sartre.

Il boit son café,
regarde une mouche,
et s’imagine devenir elle —
devenir mouche,
c’est fuir le fardeau
lourd comme un rocher,
voler au loin,
ne plus voir Staline.

L’idéal brisé,
comme les bulles
dans le café.

Je parle avec Sartre,
c’est ainsi qu’il me parle.

 

Ils sont venus

Tuol Sleng
comme une fleur empoisonnée
exhalant
un venin perçant.

Les palmiers se balançaient
sous l’ombre vacillante,
une procession d’os

— les morts —
étiquetés comme intellectuels.

Ils sont venus
comme une rafale de vent,
Ils sont venus
comme un troupeau de bêtes sauvages.

Ils sont venus
massacre après massacre,
maudissant Tuol Sleng,
damnant ses rues et ses rivières.

Ils se considéraient comme des idéalistes fanatiques,
Mais jamais, ils n’ont fait de ce lieu un paradis.
La passion l’a embrasé en un enfer de feu.

Ils sont venus
avec des désirs frénétiques.
Ils sont venus au Cambodge —
sa chair trempée de rouge.

Quand Tuol Sleng s’ouvrit,
la lumière de la lune enterra les gens
dans une fosse terrestre.

Personne pour prononcer ces mots :
« Ils sont venus ! »

 

 

Présentation de l’auteur

Yucheng Tao

Yucheng Tao est un poète chinois vivant à Los Angeles.

Bibliographie 

Ses œuvres ont été publiées dans Wild Court, The Lake, Strange Horizons, Spectral Realms, NonBinary Review, Poésie Première et d'autres revues.
Son recueil (chapbook) paraîtra prochainement chez Finishing Line Press, et un article sur ses réalisations poétiques sera publié dans le New York Times en novembre.

Autres lectures




Anton Baev, Pâques à Nice

1.

Dieu est une montagne.
Et de nombreux chemins y mènent

Du haut de la montagne, il voit tout
en son entire.

2.

Le naufragé
voit Dieu
dans l'imperfection.

3.

En vérité, en vérité, je vous le dis:
La paix soit avec vous.

Nous voulons toujours la même chose,
mais dans des langues différentes.

La vérité. L'amour. La vérité.
Nous n’avons besoin de rien d'autre.

 4.

Dieu crée des images,
pour que chacun se trouve

Mais ne se perde pas
en cherchant,

S'il se perd,
Il ne se trouvera pas.

Co-création.

5.

Une madone de Raphaël vêtue de blanc
entre dans le temple avec une guitare.

Ses doigts sont des crayons.
Cordes - prière.

Chante.
Bonjour la vie
Sous la voûte blanche du temple
ma mère et mon père s’envolent

6.

J'ai traversé le marché.
Je n'ai pas entendu de brouhaha

Sur le chemin du retour,
il y avait de moins en moins de passagers.

 7.

Le miroir dans la chambre du défunt
est recouvert d'un voile.

Ne te précipite pas pour l'enlever.
Tu te verras toi-même.

8.

Ne fais rien
et tu n'auras rien à regretter.

Si tu fais ce que tu veux,
tu ne feras pas ce que tu peux.

9.

Dieu est amour
Il ne peut être vu,
mais seulement ressenti.

La douleur aussi est Dieu.

10.

Les planètes tournent autour du soleil.
Le derviche - autour de son axe.

Jamais
Il ne tourne autour des autres.

11.

J'ai traversé sept vallées,
pour me retrouver.

La quête.
L'amour.
La connaissance.
Le détachement.
L'expiation.
La révérence.
Et l'oubli.

Je peux enlever la crêpe
du miroir.

12.

Le vide est la forme parfaite
de l'infini - il ne peut
être pris, il ne peut
qu’être rempli.

Le vide se remplit
par ce qui déborde du récipient
sans le laisser se répandre.
Et il ne se remplit jamais complètement.

13.

Seul celui qui n'existe pas
pour lui-même
est éternel.

14.

Tant qu'il était là,
nous ne l'avons pas cru.
Quand il a disparu,
alors nous avons cru.

L'image - forme
de l'informe - .

15.

Si tu connais le début,
la fin ne te surprendra pas.

Car dans l'ignorance
se cache la connaissance.

16.

Le chemin vers la maison
est un retour en arrière.

Notre intégrité n'est accessible
que dans l'enfance.

17.

Le ruisseau se jette dans la rivière,
sans disparaître.

La rivière se jette dans la mer,
sans disparaître.

La mer se confond avec le ciel,
sans disparaître.

C'est le cycle de l'eau.
Sans aucun effort, elle revient
Sous forme de pluie.

18.

Seul le cercle n'a ni début ni fin.

On peut monter
et redescendre quand on le décide.

19.

L'aveugle voit,
sans regarder.

L'évidence n'est pas la connaissance,
c'est une illusion.

Oublie ce que tu as appris,
pour connaître.

20.

Quand tu abandonneras tout,
alors tu renaîtras.

21.

Il est auprès du nourrisson qui arrive. Au-delà,
Silencieux, il entend résonner dans ses pleurs
Le vieillard n'est pas plus sage que l'enfant.

22.

Le chemin commence
par le dernier pas.

20-21 avril 2025

∗∗∗

Великден в Ница

1.

Бог е планина.
И пътищата към него са много.

От върха той вижда всичко
като едно.

Корабокрушенецът
вижда Бог
в несъвършеното.

3.

Истина, истина ви казвам:
Мир вам.

Винаги искаме едно и също,
но на различни езици.

Истина. Любов. Истина.
Няма нужда от друго.

4.

Бог създава образи,
за да намери всеки
себеподобния.

Но докато го търси,
да не губи себе си.

Загуби ли се,
няма да го открие.

Съ-творение-
то.

5.

Една рафаелитка в бяло
влиза с китара в храма.

Пръстите й – моливи.
Струните – молитва.

Bonjour la vie –
запява.

Под белия свод на храма –
прелитат майка ми и баща ми.

6.

Минах през пазара.
Не чух гълчава.

По пътя към дома –
все по-малко пътници.

7.

Огледалото в стаята на покойника
е покрито с креп.

Не бързай да го сваляш.
Ще видиш себе си.

8.

Не прави нищо
и няма да съжаляваш за нищо.

Ако вършиш, каквото искаш,
няма да свършиш каквото можеш.

9.

Бог е любов –
не може да се види,
а само
да се почувства.

Болката е също Бог.

10.

Планетите се въртят около слънцето.
Дервишът – около оста си.

Никога
не се върти около другите.

11.

Седем долини преминах,
за да стигна до себе си.

Търсенето.
Любовта.
Познанието.
Откъсването.
Единението.
Благоговението.
И забвението.

Мога да сваля крепа
от огледалото.

12.

Празното е съвършената форма
на безпределното – не може
да се вземе, може само
да се пълни.

Празното се пълни
от препълнения съд,
не го оставя да прелее.
И никога не се напълня.

13.

Само който не съществува
сам за себе си
е дълговечен.

14.

Докато бе тук,
не му вярвахме.
Когато изчезна,
тогава повярвахме.

Образът – форма
на безформеното.

15.

Ако познаваш началото,
краят няма да те изненада.

Обаче в незнанието
е скрито познанието.

16.

Пътят към дома
е връщане обратно.

Цялостта ни само
в детството е постижима.

17.

Потокът в реката се влива,
без да изчезва.

Реката в морето се влива,
без да изчезва.

Морето с небето се слива,
без да изчезват.

Това е кръгът на водата.
Без грам усилие се връща
като дъжд.

18.

Само кръгът няма
край и начало.

Може да се качиш когато
и да слезеш, когато решиш.

19.

Слепецът вижда,
без да гледа.

Очевидното не е познание,
заблуда е.

Забрави наученото,
за да се научиш.

20.

Когато изоставиш всичко,
тогава пак ще се родиш.

21.

Отвъд, при младенеца, който идва.
Безмълвен отекни в плача му.
Старецът не е по-мъдър от детето.

22.

Пътят започва
от последната стъпка.

20-21 April 2025

Анонимни градове

Да вървиш през хиляди
анонимни градове –
лабиринти на скуката;
да вървиш, да не спираш
ни в бордей, ни по гари –
бедуин без оазис, ослепял
от слънце и сол, ослепял
от пясъчни бури, ослепял
от бездумие...

Двугърби камили преживят
пустините от меланхолия.

Да вървиш, да не спираш,
докато пристигнеш
в град без стени и без бойници,
без подземни тунели,
без бункери, без летища,
без съдилища, без затвори,
без нощна стража, без име,
в град с единствена къща,
в град, където не си анонимен.

„Този град е хубав – ще й кажеш
на прага – защото е твой.”

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Villes anonymes

Marcher au travers de milliers de

villes anonymes -

Des labyrinthes monotones ;

Marcher sans s'arrêter

Non dans les baraquements, ni dans les gares -

Un bédouin sans oasis, aveuglé

Par le soleil et le sel, aveuglé

Par des tempêtes de sable, aveuglé

Par le manque de mots...

Les chameaux à deux bosses mâchent

Les déserts de la mélancolie.

Marcher sans s'arrêter,

Jusqu'à l'arrivée

Dans une ville sans murs et sans embrasures,

Sans passages souterrains,

Sans bunkers, sans aéroports,

Sans tribunaux, sans prisons,

Sans gardiens de nuit, sans nom,

Dans une ville avec une maison simple

Dans une ville où vous n'êtes pas anonyme.

Vous lui direz au seuil de la porte :

"Cette ville est bonne parce qu'elle est à vous."

 

 

 

 

 

 

 

Un Banc

                       

À Atanas Hranov

Je loue l'homme qui se repose.

les bras ballants, assis sur un banc.

Les tilleuls le bercent comme un bosquet

Et un vent léger le caresse.

Je loue l'homme qui se repose.

Il regarde au-dessous les feuilles.

Et n'attend rien de plus.

Le fruit de tous ses efforts

maintenant ne lui appartient plus,

Il a été donné aux autres.

Il ne se précipite nulle part,

Parce qu'il est déjà arrivé.

Je salue son arrivée.

Et je prie pour que ça dure longtemps.

Pour qu'il se repose au coucher du soleil avec la femme

Qui maintenant est avec lui.

Je loue l'homme qui se repose,

Que rien ne dérange,

Que plus rien ne défie.

Je loue l'homme qui se repose le soir.

Et à nouveau le matin sur le banc,

Les mains sur les genoux ;

Des mains qui ont donné leurs fruits.

Il veut partir nulle part,

Parce qu’ici toutes les routes s'arrêtent.

S'asseoir à côté de l'homme qui se repose

Sur le banc sous les tilleuls tranquilles,

oublier ce qu'est un départ.

Le monde entire

 

Un homme revient du marché,

qu'est-ce qu'il a dans son sac ?

Des oranges du Pirée,

Des raisins secs et dattes de Chypre,

Des citrons d'Egypte

Et de la poussière noire d'Erythrée.

Peut-être aussi a-t-il acheté

Deux sacs de riz du Vietnam,

De la noix de muscade d'Inde,

Une boîte de cigares de La Havane,

Et un poignard en argent d'Andalousie.

Au fond du sac - une bouteille

de tequila de minuit du Mexique.

Du maïs en conserve d'Amérique.

Un paquet de sucre du Brésil.

Du café d'Equateur.

Du thé chinois. Un régime

De bananes de Colombie.

Un éléphant miniature

De Côte d'Ivoire,

Et des sushis du Japon.

Et même la moitié d'un homard,

Pris au large de Porto Rico

Par des pêcheurs portoricains.

Il marche, penché sous

le poids de son sac, cet homme.

Un perroquet est perché sur son épaule

D'Indonésie,

Et sous son bras, il s’accroche fermement

À un livre de poésie irlandaise.

Un sac à provisions suffit

Pour contenir la moitié du monde.

De quoi auriez-vous besoin pour le monde entier ?

Peut-être un baiser sur le seuil,

Avant d'ouvrir le sac.

Avant d'ouvrir le livre

De poèmes irlandais.

Bienvenue, moitié du monde,

Donne-moi l'autre moitié.

 

Présentation de l’auteur

Anton Baev

Anton Baev (1963) est né à Plovdiv, en Bulgarie. Il est l'auteur de 24 ouvrages publiés (poésie, romans, nouvelles, monographies scientifiques).
Il est titulaire d'un doctorat en littérature bulgare de l'Institut de littérature de l'Académie bulgare des sciences (2009). Il s'est spécialisé en journalisme régional dans le cadre d'un programme de l'Iowa State University et de l'Agence d'information des États-Unis (1994) aux États-Unis.

Ses livres et ses œuvres individuelles ont été traduits en anglais, allemand, français, turc, italien, espagnol, grec, roumain, danois, tchèque, slovaque, serbe, macédonien, hébreu, albanais et russe.

Bibliographie

Plusieurs de ses livres sont publiés à l'étranger. Parmi eux : Dunya Nimetleri. Istanbul : Yasakmeyve, 2011) ; Victor Bulgari. Traeumen in Berlin. Roman. Berlin : Anthea, 2017 ; Holy Blood. Skopje : Antolog, 2018 ; The Gifts of the World. Skopje : Ziga Zaga Books, 2018 ; Mary from Ohrid and the Holy Conception. Bitola : Vostok, 2021 ; Babam ve Ben. Istanbul : Ben8isu, 2025.

Lauréat de nombreux prix littéraires nationaux et internationaux.

Anton Baev vit à Plovdiv et a travaillé comme bibliothécaire, critique, reporter, chroniqueur, observateur de la politique étrangère et éditeur. Il est directeur du Festival international de poésie ORPHEUS depuis sa création en 2017, le plus grand festival de Bulgarie. Il gère également quatre sites d'information régionaux en Bulgarie et un site littéraire multilingue, www.plovdivlit.com .
Pour le contacter : baev_a@hotmail.com

 

Autres lectures

Entre Plovdiv et le monde : Rencontre avec Anton Baev

Anton Baev est l’une des voix les plus importantes de la littérature bulgare contemporaine. Poète, romancier, essayiste, il explore les passages entre mémoire individuelle et mémoire collective, entre la Bulgarie et le monde. [...]




Liliya Gazizova, Entre le sommeil et la disparition

Traductrice Valentina Chepiga-Charrier

 maman

maman est devenue maison

les pièces se confodent
elle cherche le thé
dans le tiroir aux chaussettes
et retrouve une lettre
adressée à mon père

elle m’appelle
par les prénoms de ses poupées
et sourit
comme si tout allait bien
sauf qu’un peu de poussière
flotte dans sa tête

je voudrais la refaire
à partir des odeurs d’enfance
des miettes sur le rebord de ma fenêtre
de ces trois secondes
où elle sait pour sûr
que moi c’est moi

mais la mosaïque se défait
toutes les nuits
et j’apprends à aimer
ce qui en reste
une paume tiède
un regard sans ancrage
sa voix étrangère

 

la forêt comme une forme de pensée

elle ne commence pas par un sentier
mais par une pause
qu’on redoute de faire en parlant
la forêt ce ne sont pas des arbres
mais des phrases sans verbes
où le sens pousse
sans demander
sans se projeter

j’y entre
comme en moi-même
ignorant
ce qui deviendra feuille
ce qui deviendra racine
ce qui te poussera en avant
ce qui restera et pourrira

dans la forêt il n’y a pas de notices
il y a des souffles humides
non traduits de la langue
des feuilles et des pertes
y habite le silence
qui n’est pas vide
mais intonation avant une décision à prendre

et on avance
non pas en avant
mais en profondeur
s’emmêlant dans nos propres branches
où certaines pensées fleurissent
d’autres tombent
parce qu’elles sont trop lourdes

 

le coucher de soleil

on a versé du poison orangé
dans les veines de l’horizon
et le ciel le recrache en couleurs
le temps crépite
comme un vieux vinyle
où la voix d’un soleil oublié
prend sa dernière note

 

une lumière lente

le soir le ciel se referme
comme un livre
aux personnages oubliés

tout devient lent
et la lumière devient fine
comme un souvenir
qui n’a jamais existé

le soleil
cesse d’être nécessaire
tout ce qui était bruyant
devient doré
puis

gris
puis

silence
aux rythmes du cœur

 

automne

sur mes épaules est perchée une corneille
venue des rêves d’un autre
elle picore mes pensées
ne me laissant que des images incertaines
entre le sommeil et la disparition

l’automne se répand dans mes veines
comme une vieille musique sur du vinyle
aux notes fendillées
jouant des doigts du courant d’air
sur les côtes des maisons abandonnées

mes racines percent
les fissures du jour
entre la pluie et la neige
dans le froissement
que n’entend que celui
qui a désappris à parler depuis longtemps

l’automne se tresse dans mes cheveux
en sarments de vigne vivants
où mûrit l’âpreté des adieux
la joie acide des pertes
et quelque chose que je ne saurai nommer

La traductrice :

Valentina CHEPIGA-CHARRIER est enseignante de russe et de traduction, poète, autrice d’une thèse sur Romain Gary, docteure en Sciences du langage (Paris III). Vers le français, elle a traduit entre autres Vladimir Maïakovski (avec Elena Bagno), Igor Severianine (sélectionné par la SGDL), Evgueni Zamiatine, Mikhaïl Yasnov ; vers le russe, Philippe Beck et Jacques Goorma. Elle est présidente du concours de traduction littéraire international Inalco russe open et cheffe de rubrique Traductions de la revue Лиterraтура. Dernière parution : Valentina Chepiga et Ksenia Volokhova, Les poétesses de l’Âge d’argent russe, anthologie, Vibration éditions, 2025.

Présentation de l’auteur

Liliya Gazizova

Liliya Gazizova (Dr Janti), poétesse d’expression russe, d’origine tatare, partage sa vie entre plusieurs pays et plusieurs langues. Elle est traductrice, essayiste, médecin de formation, diplômée de l’Institut littéraire Gorki de Moscou, docteure en littérature, professeure de littérature en Turquie à l’Université Erciyes (Kayseri), secrétaire générale de la revue poétique Interpoezia (New York). Auteure de dix-huit recueils de poèmes, elle est traduite en une dizaine de langues. Sa poésie n’est pas une confession mais un partage intime et fragile survolant Kazan, Istanbul, Bruges, Casablanca, Kiev... Une voix féminine de la poésie contemporaine russophone aux échos poétiques venus de différentes époques et de différentes traditions.

Bibliographie 

Dernière parution : Liliya Gazizova, Entre Amour et tremblement de terre, Vibration éditions, 2025, recueil de poèmes, édition trilingue russe-français-truc, traduit en français par Marek Mogilewicz et Valentina Chepiga-Charrier, et en turc par Uğur Büke.

Autres lectures




Antoine Azpitarte, Cinq poèmes

ENCRE

Lorsque la clarté des encres humides transpercera ta
glace volcanique et lactescente, loin des murmures de la
foule, une tâche d’univers expansifs miroitera sur les
vagues fragiles de ma respiration, de cette lettre et ses échos
pourchassés par les ombres languissantes tressées d’un dé
-à-coudre ! où se débattront les mots qui naîtront peut-être,
ces petites pattes noires et brillantes nimbées de Bilbaos
de fleuves Urumea…

sera un fin ruissellement derrière ces mains et ces feuilles ; le
rêve y dansera jusqu’à l’éveil paré pour un tardif Éden ; je
t’emmènerai – et dans la fraîcheur des ciels et de la large
Ilargia ; opiacée câline azyme toute laiteuse, oui !… le berger
sera un homme riche et viendra trouver la plénitude aux
abîmes, aux entrailles de tes yeux doux comme des vallées
dont les sources guériront encore... mon troupeau de milles
bleues obscurités...

          l’irradiant…

∗∗∗

SAN SEBASTIAN

Au coin de la rue le libraire mourait dans des bars assassins.
Sa sève s’écoulait dans le souffle de la lumière. Le frotte-
ment était ténu. Il racontait si bien l’Histoire de Garcia
Marquez et les livres hallucinés, des liberticides contre les
ours des comptoirs, des anéantissements de nos consciences
qui subirent les nuages...

         de notre enthousiasme…

Et toujours sur les ailes de la basilica del Coro, les
oiseaux juchaient... les songes d’or... Le temps argent
d’un fleuve altier qui remontait le courant s’ouvrait. Il
faisait son nid bien à l’abri des guitares de Castille. Il
emportait dans son portefeuille le souvenir des peignes
du vent...

         ces falaises romanes…

Noirs de versets aux oreilles à l’orée d’un été clandestin
nous grimpâmes derrière l’Igeldo. Une nuit vallonnée
consumait ses cendres. Un sentier respirait des portées de
silences et d’ombres… quand nous attendions de nous y
éveiller, hagards sous une averse ! … des k des x et des z se
crashaient aux vapeurs de nos âmes…

         ô le chant des pluies…

Anarkistak vous filiez du vin blanc, veniez au bas du
vent impossibles endormis... et parfois l’on se prenait à
vous aimer

∗∗∗

LE VILLAGE EUSCARIEN

La densité funeste s’y raréfiait comme… sur les ailes d’une
pierre envolée dans un silence – ce chant d’éternité bleu
marine envisageait le lampadaire qui me traversait, et où
s’extasiait le reflet d’une bourgade : une terrasse éployée de
roche phosphorescente. C’était mon village qui parait de
lumière vive,

             la nuit cristalline et rêvant !

Elle s’y lovait. Nous dormions dans sa robe – nous y nocions
et brûlantes, les Oréades répandaient l’encens des Profondeurs
dont l’air bleu se dansait dans la brise ! et les parfums de la
myrrhe peignaient de jaune le torrent des Nymphes étoilées !
l’épaule de ces demeures glissant délicatement me raviva d'un
bonheur sponsal,

             où la neige flamboyante m’épousait !

Et la rumeur du printemps arrondit aux narines la Calliopé
légère des chants d’oiseaux, les sentes sinueuses fraîchi-
rent  ! le hameau frémit sur un pâturage de collines, de
fragilités – je reconnu la Fiancée au long de la chaste
enfance, qui dansa un jour à l'ascension de la paupière
lactée,

             sur l'oreiller des reflets d'argent !

∗∗∗

ÉIRE

                                                  (à mon père décédé
                                                sur le Lough Caragh)

- Le troupeau paissait sur ta peau aurorale et je mourais
rassasié      je paressais parmi les lys suspendus au pay-
sage abyssal de mon délaissement      oh laisse de tes
entrailles insondables et des collines de l’avenir…

         ployer le nuage… 

- Viens trouver les saumons doux d’amour et embrasser
mes grâces     et boire mon lait sur l’abîme où le berger
demeure      remonte aux sources des reflets une barque
t’y bercera vieil homme, 

         t’endormira…

Et ce nuage de bleu et d’or s’ouvrira sur l’immensité de
cette Terre nouvelle où tu t’éveilleras      où la rivière et
le cygne atteindront la plénitude     au clair de mes on-
des ces Naïades annonceront le fiancé des collines…

         Ici vois !

∗∗∗

L’ASTRE AU FOND D’UN PUITS

Toujours tu survins au milieu des encres obscures comme les plumes blanches de l’aube
Toujours tu brillais comme l'astre au fond des eaux
La minuit n’en disait pas plus mais une onde de milles so-leils déchira ma douleur :

Ton enfance qui éveilla ma vie sur le pas incertain d’un doute
Et qui blesse cette nuit encore le bord de mes lèvres miroitantes de flammes où m’aveuglèrent !
Les promesses d’une grève mourant chaque matin dans les larmes.

J’y vis les reflets verts du Negev tombant en cascade de lumières sur le bitume des nébuleuses
La luminescence tressée des filets sur le sable sénégalais
J’y déchiffrais les petits caractères ge'ez inspirant un chœur de cierges blancs qui passa au travers le ciel…

J’y goûtais l’Extase et la Folie qui rentrent dans la terre le soir livrer leur secret
Une délectable petite éblouie de papier transportant son abîme au réveil
Et la fraîcheur euphonique des filles de la Naïade et du Soleil sur mon texte !

J’y entendais le dialecte des chèvres sèches 
Et les craquements de papier de ma colonne à regarder les nuages craquants comme du papier quand revinrent  
Leurs ombres surnaturelles humectant le bonheur des collines au mois d’avril,

Et les accents des rames sur l’aile de l’alpha-syllabaire rythmant la corne d’Afrique d’un écoulement léger
Ces sanglots qui réchauffaient la paupière de la Muse des poètes que l’on eut dite une algue écumeuse
Dont les reflets flottaient en écharpe d’Iris…

Je touchais l’ombre humide coulant comme des cheveux dans le silence
Et les notes de rosée se levant à mesure que s’avance encore la Nuit Noire du Froid
Le brûlot inversé d’Eubulie…

J’y touchais le mystère d’une respiration tressée d’Absen-ce entre mes doigts
En ressentais l’effroi lorsque son ventre glacial de bruire comme une dérangeante Pensée vide
L’azur était un fruit mûr gorgé de Clarté…

Et j’y respirais ces raisins piétinés pourchassés brûlés par la guardia
Et ce roseau brisé des musiciens battant aux vents de la Véhémence
Et les essences des villages des lacs des aubes nouvelles le Chaos au pied du phare paré d’éclats mystiques,

Il me revient le frémissement des miroirs 
Où ton esquisse perlant précieuse se moulait aux prières d’oiseaux étranges qui grattent piquent encore la surface de ma prose
Y resurgissent mes pertes de conscience !

Je n’oublierai pas ces parfums puissants comme l'Absinthe
Dont la gorgée la plus petite éclatait une étoile jaillissante du plus grand Espoir l’espoir qui s’en vint
Quand tes sourires d’autrefois comme des vagues ruisse-laient des pays chatoyants des polyphonies…

Et allumaient du fond de mon trou les souvenirs d’un sommeil traversé d’air alerte dans mon crâne ô mon amour
Me voilà enseveli !
Et l’éternité me semble un outrageux désastre et me laisse inconsolable de ne sembler jamais détenir tes charmes…

Une amère sensation en monte dans la fumée
Ces oripeaux de lettres ces paysages s’évanouissent dans le ciel d’une fièvre toute puissante
Dont les lacets brûlants coulent des nuits de ténèbres et semblent s’enlacer au lait noir de l’envers des temps…

Pourtant
Jadis
Une nuit
Comme une précieuse guérison
Nous nous tressâmes jusqu’au jour et
Sur une terrasse de reflets de l’aurore sur la hauteur…
Tu frôlas mes lèvres...
De nouveaux échos de myriades façonnaient le matin d'un siècle d'or !
Le ciel était une étable qui n'a pas de mots.

*      *

Le souvenir brûle     à toujours. Miraculé des flammes, il se
joue comme

                       d’une harpe.

Présentation de l’auteur

Antoine Azpitarte

Antoine Azpitarte est né en 1982. D’origine basque, après des études d’architecture à Paris, des années à pratiquer la musique, il partage maintenant son temps à Lourdes, entre l’écriture et la vie contemplative. Il citerait comme poètes préférés Hölderlin et J.P. de Dadelsen.

Bibliographie

Il a publié ses textes dans différentes revues – le journal des poètes,  poétique tac, le lichen, traversées – depuis 2019. 

Autres lectures




Maria Mailat, Entre les arbres, quelques images & sentiments

 

Encouragement

Un arbre chante dans ses branches,
une ombre traverse la poussière,

lève la tête, lève-la vers les cimes qui accueillent
la sérénité lavée dans les larmes des nuages.

Le poème - auge, goutte après goutte, recueille
le silence des morts assoiffés de tes souvenirs.

Les anges te laissent leurs ailes qui font corps
avec l’inépuisable pauvreté de tes espoirs.

En marge d’une bibliothèque

Imagine le geste du bûcheron avec sa hache
quand la langue saigne sur la page blanche.

Ferme les yeux et vois tomber le micocoulier,
le cèdre du Liban, le sapin, l’amandier.

                                                            - Et mon arbre ?

Privé d'un nom donné par les poètes,
c’est un arbre à moitié brûlé.

Ses feuilles rabougries rappellent mes manuscrits
avec les ratures qui les rendent indéchiffrables.

L’encre se lit dans l’écorce de mon arbre.
La mousse, le lierre et les ronces aussi.

Il n’y pas un seul jour où je peux dire sans faillir
que j’arrête d’écrire.

Je continue à gratter les mots nichés
sous ma peau illettrée.

En rêve

Je pense à toi, mon arbre debout
accroché à l’air entre terre et ciel,
à tes racines plongées dans les miennes,
celles que je porte en exil.

En rêve, je touche ton tronc et lui parle.
Ton silence me répond.

                                                     Egal à lui-même
                                                     l’arbre n’a besoin d’encouragements.

                                                     Une pluie d’été lui suffit.

Amour confiné

Amour en exil que je materne depuis tant d’années, d’où vient la voix
qui me demande de te laisser tomber, te perdre dans les anciens contes
de fées? Et de noircir tes sourires, les effacer dans mes nuits blanches ?
Devrais-je t’abandonner comme si mon cœur était le moyen de transport
d’un sentiment douteux coincé entre le ravissement des étoiles filantes
et les larmes noyées dans la boue ?

Amour-fardeau, tu peux encore jouer, me piéger, me faire tourner en
rond entre les espèces en voie de disparition. Même si l’oubli te séduit,
tu te rappelles les petites et les grandes guerres traversées dans la
caverne des passions.

Désormais, tu n’occupes plus qu’une minuscule salle d’attente ou,
plutôt, une sorte de ruine isolée en haut d’un rocher où les crocs de la
solitude nous tiennent captifs dans la gueule du temps qui n’aime
personne.

Lettre à Ossip

Et sur le seuil du silence,
au milieu de l’amnésie de la nature
Ossip Mandelstam

 

La raison a perdu le jeu millénaire contre la belle promise des foules,
la déraison vénérée avec sa progéniture, l’ignorance gavée de peur qui
pèse lourd sur la balance de la vérité.

La poésie fut expulsée de la cité de Platon et la pierre philosophale s’est
noyée dans les flots des cauchemars, dans la bave des générations de
têtards armés comme un jour normal d’apocalypse.

Sous le poids des têtes blessées, déchiquetées, trépanées, la Terre
entière s’aplatie, elle n’est plus ronde, parait-il, et le ciel se remplit de
débris, d’odeur de cadavres brulés, de sombres fumisteries.

Mais la poésie protège ses mots emportés sur un radeau de fortune,
guidée par l’étoile de la mélancolie, elle survit grâce à l’exil, tiraillée
jour et nuit, entre l’impossibilité de se taire et l’impossibilité de dire.
Son cœur bat au rythme de cette contradiction nommée aporie.

Sa beauté scintille sur une mer agitée quand les poèmes submergés de
désespoir lui posent une seule question qu’elle n’ose répéter qu’en
chuchotant: quel chant, quel silence faudrait-il inventer pour que les
hommes cessent de s’entretuer ?
 

Abda sur les traces de Miklos Radnoti

Sur la route, des poèmes – boucliers, murmurés par cœur, garde-fous
pour éviter l’abîme qui m’attend dans la puszta: armée de quel courage,
je voyage en Hongrie entre Budapest et Abda ?

L’amertume alourdit les paupières des voyageurs qui se tiennent debout
dans le couloir étroit d’un train fantôme. Je guette la gare d’Abda, lieu
banal d’une descente aux enfers.

En hébreu, le mot Abda signifie serviteur du Dieu, nom propre scellé
dans les généalogies bibliques transmises par Néhémie : Matthania, fils
de Michée, fils de Zabdi, fils d’Asaph, et Bakbukia, le second parmi ses
frères, et  Abda, fils de Schammua, fils de Galal, fils de Jeduthun
.

Et Miklos Radnoti, frère d’un jumeau mort pendant l’accouchement,
fils d'Ilona Grosz, elle aussi morte pendant l’accouchement.

Miklos, fils de Jakob Glatter, juif de Transylvanie, converti au
christianisme à Budapest, captif dans un camp de la mort en Hongrie.

Poète sans paupières, il marche neuf cents kilomètres, marche forcée,
pieds nus, en hiver.

Miklos, une balle dans la nuque, un filet de sang derrière l’oreille gauche
et le poème prostré dans ses yeux grands ouverts.

Radnoti, enterré sans nom dans le marécage de la rivière, immaculé
visage encore vivant sous la terre gelée du charnier.

Miklos Radnoti, traducteur de Virgile et Dante, polyglotte cherchant à
sauver jusqu’au dernier souffle l’amour d’une langue éblouissante.

Et quel dieu souterrain protégea son carnet de poèmes manuscrits
enseveli et retrouvé parmi les squelettes du charnier d’Abda ?

Présentation de l’auteur

Maria Mailat

Maria Mailat, née le à Târgu Mureș en Roumanie, est une écrivaine française d'origine roumaine. Elle écrit et publie de la prose, de la poésie, des essais et des traductions de poésie du hongrois vers le français.

Bibliographie 

Romans

  • Sainte Perpétuité, ed. Julliard, 1998
  • La grâce de l'ennemi, ed. Fayard, 1999
  • Quitte-moi, ed. Fayard,
  • La cuisse de Kafka, ed. Fayard.
  • S'il est défendu de pleurer, 198 p., Éditeur Robert Laffont, 1988, (ISBN 222105430X) ; (ISBN 978-2221054307)
    • Wenn es verboten ist zu weinen (Version traduite en allemand) Verlag: Volk und Welt, 1991
    • Le roman est traduit et publié en Suède.

Poèmes

  • KLOTHO (premiul Voronca), Ed. Jacques Bremond
  • Cailles en sarcophage (Prix du Val de Seine), Ed. Editinter
  • Graines d'Antigone, ed. Editinter
  • Trans-sylvania, Ed. Signum
  • Abri/Redos, poèmes traduits en catalan par Anna-Maria Coredor, Ed. Tripod (Barcelona)
  • Constatin Brâncuși - une autobiographie, poème en prose traduit en espagnol par Natalia La Valle, édition bilingue, Ed. Transignum
  • Brâncusi ad aeternitas, poème en prose traduit en roumain par Carmen Vlad, édition bilingue, Ed. Transignum
  • Paroles de Volcan (Volcano Talk), poèmes traduits en anglais par Patrick Williams, édition bilingue, Ed. Transignum

Essais et théâtre

  • Silences de Bourgogne, ed. de l'Armançon (Bourse de littérature chez Jules Roy à Vézelay (Bourgogne))
  • Walter Benjamin et Bertold Brecht, rencontre à Port Bou, pièce de théâtre bilingue, traduite en catalan par Anna-Maria Coredor, Ed. Reremús.
  • Paul Celan rencontre Walter Benjamin, essai, postface à l'édition espagnole des poèmes de Paul Celan traduits par le poète Antonio Pous, Ed. Reremús (Spania)

Nouvelles

  • Intrare liberă, București: Cartea Românească, 1985.
  • Avant de mourir en paix, ed. Fayard, 2000.

Traductions

  • Agota Kristof, Clous: Poèmes hongrois et français, Carouge, Switzerland. Editions Zoé. 2016. 200 pages. (poèmes d'Agota Kristof traduits du hongrois au français par Maria Mailat)

Autres lectures

Maria Mailat, Brancusi ad aeternitas

Douze ans après une première biographie de Constantin Brancusi (1876-1957) publiée par les Editions Transignum1, Maria Mailat nous donne une seconde étude sur le sculpteur roumain. Ce second volume vaut son pesant d’éternité [...]




Jacques Cauda, Poèmes

Je lève les yeux

Sous la terre

J’ai du goût pour la lumière 

Les mains pâles

Que des choses : des phénomènes

Je lève les yeux : je n’aime pas me voir autrement

Que par petits morceaux de flammes

Brouille aux formes elles

Courent parmi nous

Sur la peau (c’est comme des âmes sur le papier)

Telle la prairie pour l’ardeur

Le feu fol pour l’ardeur

Enfant déjà des moments

Aux influences

Je me reconnais de cet œil

Sans bords

C’est le point de vue du Purgatoire 

Brillant de mille feux follets

Je marche sur le pré

J’ai tendu l’étant

La journée est finie

Ah Dieu que la guerre est jolie…

Je me promenais d’après une estampe
Du Corrège il s’agissait d’une
Allégorie de la Vertu je traversais
La vie les champs la ronce et les
Muriers noirs c’était ma condition
Sinon la guerre avait pris langue
Dans l’angoisse me disais-je en
Paressant dans l’herbe la tête
Empourprée de soleil rouge
Bien sûr l’allégorie représentait
Trois femmes la Guerre la Paix et
La Troisième pavoisant de bleu et
Jaune vêtue ne me disait rien pourquoi ?
J’avais emporté avec moi un livre
Au titre éloquent Héroïsme et victimisation
Qui commençait par les mots suivants
L’honnête homme maître de ses pulsions
Lorsque je vis un tas de bruyère
Il faisait chaud j’allais m’abriter sous
Un arbousier épineux aux côtés d’alisiers
Frais tout autour de moi les insectes
Rayonnaient dans l’air en nourrissant
Ma solitude ardente blottie dans l’ombre
Où brûlait l’image de la vertu sans doute
Étais-je le seul homme honnête capable
De comprendre la dessiccation du temps
Que rien ne venait assombrir ni les fraîches
Couleurs des fruits rouge orangé qui
Bruissaient sur mon être ni leur
Sourire de chair qui me laissa bouche bée
Ce matin-là comme un matin cocagne !

Je sentais mon œil en alerte
Maçonner la vie en rouge musculaire
Je me parlais à voix haute comme
Rempli d’espoir ah boire mon esprit
Qui se présentait dans l’ordre d’un
Discours que je pris soin de moduler
Cézanne ! La Montagne… Mais
L’herbe était si haute et
Si durs les cris d’oiseaux qu’ils m’em-
Pêchaient tout je restais dans l’herbe
Assis hébété malade de moi-même
Tandis que quelque chose une
Menace ? courait sur
La toile telle una persona rendue à
Aux démons à la Guerre jaune
Et bleu qui
Serpentait à mes pieds

Je rêvais un instant
Pour voir revoir peut-être
Ce subtil mélange indigo jaune et noir
Du même tonneau que la Diane et ses Compagnes
Vermeer de Delft n’est-ce pas
Chaste Diane trop vêtue à mes yeux
Qui l’habillaient d’une peau rose
Désemparée …

Je me réveillais nourri par une expression
Retrouvée (dans les Saintes Écritures) :
Paulo minus ab angelis
« Un peu en dessous du niveau des anges »
Chimère ! Qu’avais-je à faire
Avec le dessous des anges ?! J’étais allongé
Dans l’herbe à la dixième heure du
Jour avec l’arbousier comme couvre-chef
Fait d’épines et de fruits rouges
La lumière montrait la voie droite
Avec ce phrasé qui lui était propre
Et qui dénotait
Une calme assurance comme une
Pure splendeur
Dès lors qu’elle et Diane
S’équivalaient 

En tournant la tête posée dans
Le confort de mes cheveux qui ondoyaient
Dans le vert j’aperçus un ensemble de
Roches fessues mais longues Des roches
Bleu délavé dilué à la manière du Greco
Qui dans un curieux rapprochement
Comme mimétique
Firent de moi un être- étirement
Au gré progressif du plaisir que j’avais à
Me deviner dans la pierre
Des notes d’or tombées du soleil
Flottaient tout autour de moi
Nimbant mon Image je vis alors que
J’avais le doigt de la main droite levé
Le seul combat que nous puissions livrer
Est celui de la parole, disait-il
La main gauche tombante semblait défaite
Elle n’attendait plus rien Mes épaules
Saillaient en somme j’étais nu telle une
Âme enivrée & martyre
Du massacre jaune et bleu si joli…

CHAOS                                                                                    

Il y a des jours
Quand Chaos guerroie pour tous
Aux prix attribués
L’accourcissement des nuits
Pour garder sans vous écarter

Vous ne jugerez point car vous
L’avez fait
Vous vous collerez au
Déclin du soleil quand
Il sera

Tous vos efforts
Pour dire à la frontière
De peur des ossements
Alerte
Avec dix mille hommes

Et c’est après quoi
S’il y a une sortie
Dans la cour extérieure
La haine montera sur vous
Il sera

Souvenez-vous
Par le charbon et l’anthracnose
Sur le bois écrit
CHAOS
Et vivez vous

Il foule les tertres
Son nom vertical
Archi-tombal
Sans le jardin multiple
Cette charge de malheur

Prenez et mangez
Les faces de la terre
Les mains à l’œil au soleil
Faites étinceler la razzia contre le rude
Triomphe comme un feu

Exilé de sa glèbe
Si c’est en ce jour
Le voici non par la soif d’eau
Mais avec persistance
L’étain pris aux entrailles

Agrandir vos bouches
Prenez & mangez
Car le mal descend
Quand il faut saisir
Le vin pour qui va droit

Ô bovins suspendus
Machines maisons encloses
L’en-tête de la faute ici
Parmi vous
Ce ne sera plus le repos

Le jour de détruire
À jamais sa narine dans
Le passé sans parenthèse
De la mer à la mer
Depuis là

Le souffle vous l’avez entendu
Monté sur un âne
Il sera
En vos cœurs aux quatre coins
Comme le messager

Reste liquide long et délié
Prenez et buvez
La cape de bave près de la félonie
Gloire à son nom
Réponse/cendres

Longueur de narines
La mangeoire est pleine
Ceci est
Comme neige en été pluie à la moisson
Vous claudiquez langues médisantes

Encore des exemples
Le sort de votre maison
D’une terre lointaine
À l’angle d’un toit
Prismes

Rumeurs qui consacrent le carnage
Miel & entête des douleurs
Avalez et voyez
Ainsi soit-Il

Présentation de l’auteur

Jacques Cauda

Philosophie à la Sorbonne et cinéma au C.L.C.F., Cauda travaille pendant dix ans pour la télévision, il y réalise des documentaires aux titres évocateurs comme de Bœuf en bif, un film sur les abattoirs digne des meilleurs tableaux de Francis Bacon ; ou bien Se souvenir dix secondes ou toute sa vie, dont il a tout oublié… Il arrête le filmage pour peindrécrire tout son soûl. Près de cinquante bouquins : poésie, prix Joseph Delteil et de l’Institut Académique de Paris ; nouvelle, prix de la ville du Pecq ; roman, essai, correspondance, livre d’artiste… Et autant, sinon davantage, de livres qu’il illustre, dont le Purgatoire de Dante aux éditions Ardavena. Il est Toile d’or en 2010. Il obtient plusieurs Awards d'honneur à la Park Art Fair International (Genève) en 2011, 2012, 2015, 2016, et, en 2012, le Grand Prix de la Biennale d'Art Contemporain à Orléans. Ses œuvres sont conservées au Kattenkabinet (Amsterdam), au Musée d’Art Spontané (Bruxelles) à la Maison de Balzac (Paris) et à la Maison de Verlaine (Metz). Ses portraits sont entrés dans les collections du collectif Nuage Vert. Plusieurs biographies et essais lui sont consacrés dont le dernier en date, Dante, Sade, Rimbaud, Cauda (janvier 2025 aux Éditions Universitaires Européennes) est signé Paul Basso, professeur de lettres à la faculté de Lille. L’ouvrage paraît simultanément en plusieurs langues, français, anglais, espagnol, allemand, portugais, polonais, italien. Il est également président du prix littéraire Jacques Abeille/Léo Barthe, et dirige la collection de littérature (roman, nouvelle) La Bleu-Turquin, la collection Cour & Jardin (théâtre), et la collection Résonances(essai) chez Douro/Hachette.

Bibliographie 

  • Vers un effort visible, poésie, L'Échappée, 2002
  • Toute la lumière sur la figure, essai, Éditions Ex Aequo, 2009
  • Vox imago, roman, m@nuscrits Léo Scheer, 2009 et éditions Praelego, 2010
  • Lou, nouvelle, premier prix de la ville du Pecq, 2011
  • Je est un peintre, poèmes, Jacques Flament Éditions, 2012
  • Le bonheur du mal, poèmes, Kirographaires, 2012
  • Point de dimanche, nouvelle, Jacques Flament Éditions, 2013
  • Tous pour un, roman, Numériklivres, 2013
  • Amor', poèmes, La Matière noire, 2014
  • Le Bunker No 4, témoignage esthétique, Jacques Flament Éditions, 2015
  • Le Déjeuner sur elle, texte, éditions la Belle Époque, 2015
  • Les jouets rouges, poèmes, éditions Contre-Ciel, 2016[11]
  • Quand? Chant du Z, chanson de geste, Z4 Éditions, 2016[12]
  • Elle & Nous, poèmes & illustrations, éditions Flammes Vives, 2016
  • Comilédie, roman, éditions Tinbad, 2017[13],[14],[15],[16]
  • Ici le temps va à pied, poésie, prix spécial du jury Joseph Delteil, éditions Souffles, 2017
  • Les Caliguliennes, récit, avec des photos de Élizabeth Prouvost, Les Crocs Électriques, 2017[17],[18]
  • ORK, roman, éditions La P'tite Hélène, 2017[19]
  • OObèse, roman illustré, Z4 Éditions, 2017[20],[21]
  • L'amour la jeunesse la peinture, nouvelle, éditions Lamiroy, 2018[22]
  • P.A.L., récit, avec des photos de Alexandre Woelffel, Les Crocs Électriques, 2018[23],[24]
  • Vita Nova, récits, éditions Unicité, 2018[25]
  • La vie scandaleuse du peintre Jacques Cauda, roman graphique, Les Crocs Électriques, 2018[26],[27]
  • LA TE LI ER, essai, coll. « La diagonale de l'écrivain », Z4 Éditions, 2018[28]
  • Les Berthes, poèmes, coll. « Les 4 saisons », Z4 Éditions, 2018
  • Peindre, poèmes, avec une postface de Murielle Compère-Demarcy, Atelier Cauda, Clap, éditions Tarmac, 2018
  • Le Trou, nouvelle, avec deux illustrations, éditions Furtives, 2018
  • Mosca Moncul, petite histoire de l'art, avec deux illustrations, éditions Furtives, 2019
  • Les cinq morts de Paul Michel, nouvelle, collection Opuscules, éditions Lamiroy, 2019
  • AniMots, poèmes illustrés, Hors Série no 2 des éditions Chats de Mars, 2019
  • Sale trine, poème, avec une illustration, éditions Furtives, 2019
  • Profession de foi, récit, éditions Tinbad, 2019
  • Moby Dark, roman, éditions L'Âne qui Butine, 2020
  • Pigalle, nouvelle, éditions Les Cosaques des Frontières , 2020
  • Rue des Pyrénées, nouvelle, collection Crépuscule, éditions Lamiroy, 2020
  • Fête la mort, roman, éditions Sans Crispation, 2020
  • Jacqueries, correspondance avec Marie-Philippe Deloche, éditions Associations Libres , 2020
  • Da Capo al Coda, Fait divers, éditions L'Âne qui Butine, 2020
  • Gros Mickey, nouvelle, avec trois illustrations, éditions Furtives, 2021
  • Jésus kill Juliette Éloïse, journal, La diagonale de l'écrivain, Éditions Douro, 2021
  • Caméra Greco, essai, Marest éditeur, 2021
  • Paris rat le dernier aura, nouvelle, éditions Les Cosaques des Frontières , 2022
  • Les Inédits de Rimbaud, c'est nous , essai collectif, douze illustrations, couverture et texte intitulé "Rimbaud moi communard", La Bleu-Turquin/Douro éditions, 2022
  • Ah idée, texte, éditions Les Cosaques des Frontières , 2023
  • Chet & Gerry, texte illustré, éditions Les Cosaques des Frontières , 2023
  • Mégaligraphies, poèmes illustrés, Douro/Présence d'écritures , 2023
  • Florbelle, roman illustré, éditions Tinbad , 2023
  • Pronostic vital engagé, roman, éditions Sans Crispation, 2024
  • À sauts et à gambades, avec Philippe Pichon, essai, éditions Ardavena, 2024
  • L'Invisible ou agrandir le trou pour ne pas en sortir, essai , Résonances/Douro , 2024

Livres d'artiste

  • J'azz, poèmes avec trois illustrations, éditions Dumerchez, 2018
  • De l'Allemagne, Le nez dans la chatte, avec Christophe Esnault, Le Livre Pauvre, 2018
  • De l'Allemagne, Nietzsche ,avec Éric Dubois Le Livre Pauvre, 2018
  • De l'Allemagne, Cochers, avec Angèle Casanova, Le Livre Pauvre, 2018
  • La Grosse et les Cabots, apostilles avec une couverture et une mise en page de Danielle Berthet, collection Apostilles dirigée par Danielle Berthet, 2019
  • Le Pantalon ivre, roman graphique, éditions Qazaq, 2021
  • Carcasses, poèmes, textes, dessins, peintures, Collectif avec Marie-Philippe Deloche, Elizabeth Prouvost, Jean-Paul Gavard-Perret et Vanda Spengler, éditions Associations Libres, 2021
  • Le Jet d'oeil au beurre rouge, apostilles avec une couverture et une mise en page de Danielle Berthet, collection Apostilles dirigée par Danielle Berthet, 2021
  • L'eau et les rêves, avec Angèle Casanova, Le Livre Pauvre, 2022
  • Kiss me quick, Hommage à Mireille Boileau, collection Quelqu'une, éditions du Carnet d'Or, 2022
  • Nemo, avec Gregory Rateau, RAZ éditions « coll POV », 2022
  • La Crevie, avec Philémon Le Guyader, RAZ éditions « coll POV », 2022
  • L'amour nombreux, TheBookEdition, 2023
  • Le Vivier-sur-Mer, collection Quelque part, éditions du Carnet d'Or, 2023
  • Le Purgatoire, Dante traduit par Emmanuel Tugny, éditions Ardavena, 2024
  • Ah les fées !, collection Rara libris, éditions Bernard Dumerchez, 2024
  • Mathilde en espiègleries, avec Jean-Louis Hess, préface Christophe Bier, Ponte Vecchio éditions, 2024
  • Étant donnée, sur une proposition de Marcel Duchamp, ouXpo & Ponte Vecchio éditions, 2025

Préfaces et Postfaces

  • Janick Poncin ou le recommencement, Introduction à l'œuvre de Janick Poncin, Carnets d'Artistes, Jacques Flament Éditions, 2015
  • L'évangile bleuNuit, Voyage au bout du bleu, chant de Christian Edziré Déquesnes, Z4 Éditions, 2019
  • Terre Creuse, récit de Angèle Casanova, Postface et illustrations, Z4 éditions , 2020
  • Hans Bellmer, de Joseph Nosarzewski, Postface co-signée avec Étienne Ruhaud, La Bleu-Turquin/Douro , 2023
  • L'image de soi, de Olivia-Jeannne Cohen, Préface, Résonances/Douro , 2024
  • Paraboles sur le coeur, de Iren Mihaylova, Préface, Poésie.io , 2024
  • L'Art en bar, de Philippe Bouret, Préface, Tarmac, 2024

Poèmes choisis

Autres lectures

Jacques CAUDA, Les Berthes

 À propos de lecture poétique certaine – celle qui consiste à s’emparer du recueil d'un autre,  et non pour son auteur, à réciter le sien –, il y aurait ce critère : ce qu'il [...]

Jacques CAUDA, Fête la mort !

Quelle légèreté (pourquoi pas) inventer à la mort -ce boulet chevillé à nos corps périssables-, bravant l’idée d’une éternité post-mortem, franchi le sas d’un purgatoire inutile ? (comment pourrions-nous confesser nos éclats obscurs, nous [...]




A.P.A. Delusier, Fantôme blanc et autres poèmes

Pleure Guenièvre présence blanche le fils d’Uther                                                                               

Les spectres que les chants amènent jusqu’ici portent le masque      
Des morts Et le vent traîne vide sa coupe d’argent le long du sillon                                                         
Bleu Dîtes-moi quelle voix guerrière se lève du soir                                                                             
Pour vos cortèges et vos mêlées car les corneilles                                                                
Maintenant ont déserté Albion et accourent du côté                                                                             
Des terres sauvages Aussi de razzia en razzia la cendre                                                                        
Légère des maisons roule jusqu’en bas des vallées où                                                                                
Les montagnes noires prennent leurs racines où                                                                      
L’Ancien Cerf hante sans fin les bois de Valdone    
Qu’une nuée noire recouvre tandis que l’orage plonge                                                                  

Sur les herbes vertes des Cornouailles ses petits yeux                                                                          
Ouverts sur un pays endormi par rêve D’autres ailleurs                                                                        
Flottent sur cette mer engloutie où l'Île d’Ys songe à                                                                
D’autres cités qu’à celle qu’elle portait jadis                                                                                     
Sur son monticule de pierres dures glisse la brume                                                                  
Rampante de ses lagunes sèches La pente retournée                                                                             
De son exil Vieille maraude de matière rouge la Porte                                                                         
Pour toi reste ouverte comme on fait du blé dans les champs                                                                
Tranche l’eau caillouteuse où l’herbe verte n'a plus le même                                                                
Parfum au printemps Quel sort suprême reconnaître de ces                                                                   
Sources

                                        Je ne sais pas regarder sous la dernière stèle son corps                                     
                                        S’abandonner aux ombres comme un abysse de silence                                                
                                        Où le secret est un creux la lumière blanche mange les ténèbres                                    
                                        Comme un secret d’abysse creusé dans le silence Je pars

                                                                                                                     

Terre de givre

Longtemps après le départ des derniers chevaux                                                                                  
Sur le bord brumeux des rives de Belerion                                                                                           
Pour honorer une dernière fois les morts de Camlann                                                               
Quelques suppliantes restent pour prier                                                                                                  
Mais leurs regards sont du côté de la mer                                                                                
Guettant les derniers signes du vaisseau veule                                                                                     
De leur roi parmi la nuit essoufflée dans la forêt                                                                       

Le Mage est de nouveau muet et commence à                                                                          
Reprendre son antique forme d’animal couronné                                                                                             
Par les bois le battement de la neige fond                                                                                            
Sur le corps d’Arthur qui s’apprête à pénétrer                                                                                    
Les sentiers sépulcraux des flots sombres                                                                                            
La nuit est déjà morte comme une main qui se ferme                                                                           
Et la lune en mettant son manteau mièvre de poudres                                                                      
Grises ne bouge presque plus entre les étoiles et les ruines                                                                   

                                                           Le bâton du Mage ne viendra pas fouler cet enclos                                          
                                                           Ce dernier verger blanc n’est plus à leurs yeux                                                
                                                           Qu’un vaste champ désert

La voix de la mère

Quelle mort Arthur dans l’étreinte abandonnée de ton enfance                                                             
S’égare vers ici pour disparaître derrière la colline des vagues                                                           
Sous ta tête le casque de ton père songe à d’autres cieux et                                                                   
Ton épée Excalibur et ton bouclier Prydwen portent les mêmes                                                                   
Noms que la pierre et la barque que la forêt et la mer                                                               

Alors que dans le soir noir des nuits de la rive accouche un                                                      
Lendemain sans autre regard que celui de répéter son oubli                                                                  
Sa mort crie tout bas dans la matière de l’ombre et dans celle                                                               
Qui laisse un peu paraître une lumière un éclat un rayon                                                                               
De brisants et de fleurs déchirées à la vertu des rites                                                                

Mon enfant tu le sais maintenant aucune immortalité                                                                           
Ne règne dans le coeur de celui qui répand la haine sur le Royaume                                                    
Songe à l’ancien chêne et au sang-sève qui descend de son tronc                                                          
Transpercé par la lance du sorcier de la guerre dont le souvenir du feu                                                  
Agit encore comme un mirage comme à travers une brume                                                                  
Un soupir et un souffle creux                                                                                                  

En haut on ne voit plus de rayon plus de regard                                                                                   
Seule la solitude rompue par les sacrifices humains                                                                             
Dans le soir enfreint encore de nos heures rétrécies

Présentation de l’auteur

A.P.A. Delusier

 Alex Pierre Andrew Delusier (A.P.A. Delusier) est né en 1998, à Lorient (Bretagne). Professeur de Lettres Classiques et médiéviste, il est aussi poète et écrivain.

Depuis 2018, il contribue à de nombreuses revues de poésie contemporaine, parmi lesquelles Les Cahiers du Boudoir, Le Nouveau Recueil et la revue canadienne des Lettres du domaine.

En avril 2024, il fait paraître son dernier recueil aux éditions L’Harmattan, Tombeaux tristes. Son dernier livre, La peau des pierres, est paru en mars 2025 (Le Temps d’un Roman).

© Samantha Médeville, Plaine-de-Baud (Rennes)

Bibliographie 

 

-Les Mains mortes, 2015

-Philologiquement déchirés, 2015

-Sortilegium, 2016

-Les Obsèques de l’ours, 2016

-Magique chapelier fou, 2016

-Ce que dit un enfant en cueillant des fleurs… (avec Agathe Legrand), 2017

-Bru, croquis bretons, 2017

-Les Temples crépusculaires (avec Alexis Artaud), “Les Cahiers du Boudoir” (n°1), 2018

-Proêsie, “Les Cahiers du Boudoir” (n°2), 2019

-La répétition dans le Roman de Brut, L’Harmattan, 2022

-Histoire de la souffrance, 2022

-Le Fourvoyeur ou la fabrique de la fiction, Les Impliqués, 2023

-Tombeaux tristes, L’Harmattan, 2024

-La peau des pierres, Le Temps d’un Roman, 2024

Essai et traduction :

-La répétition dans le Roman de Brut, L’Harmattan, 2022

-Chrétien de Troyes, Erec et Enide, texte établi par Wendelin Foerster, traduit et annoté par Alex Delusier, L’Harmattan, “Poésie(s)”, 2023

 

Autres lectures