Jean-Paul Gavard-Perret, Joguet, Joguette

Par |2020-09-21T18:52:02+02:00 21 septembre 2020|Catégories : Jean-Paul Gavard-Perret|

Jeux de maux d’amour

 

Nous parvient la nou­velle « Diag­o­nale de l’écrivain », col­lec­tion que dirige de main de maître Philippe Thireau, lui-même écrivain, et dans laque­lle il con­vie ses auteurs à s’extriper du con­sen­sus édi­to­r­i­al pour don­ner à voir l’au-dedans du dedans d’une fab­rique d’écriture vivante, en cours, en repen­tirs et expériences.

Sauf qu’avec Jean-Paul Gavard-Per­ret, poly­graphe super­son­ique et icon­o­claste, à la tête de plusieurs cen­taines d’écrits, cri­tique de lit­téra­ture et d’arts con­tem­po­rains, maître de con­férences à l’Université de Lyon, rien ne se passe jamais comme req­uis. Le sac­ripant se réqui­si­tionne lui-même vingt-qua­tre heures sur vingt-qua­tre, se soumet à la ques­tion coûte que coûte, se défait pour se mieux gauchir,   saute sur sa diag­o­nale comme sur un tram­po­line pour s’envoyer en l’air – de rien, tu par­les !, ou sur l’air canaille d’un fabli­au tragique.

Quoi-t-est-ce Joguet, Joguette ? Un réc­it court et com­plet, san­glé, une bogue avec en son cœur les deux moitiés d’un mar­ron que cha­cun, un frère et une sœur, Joguet ver­sus Joguette, s’est foutu sur la poire dans un rire épique et sal­va­teur, pour ten­ter un amour impos­si­ble, non parce qu’adelphique – la soror­ité ou fra­ter­nité incesse-tueuse n’est ici que métaphore d’une intim­ité vouée à l’échec, chimérique – mais parce qu’ontologiquement vicié par les démons per­son­nels, dont celui d’une écri­t­ure instinc­tive, jac­u­la­toire et sur­voltée mais tireuse d’élite n’est pas le moindre.

Jean-Paul Gavad-Per­ret, Joguet Joguette, Z4 édi­tions, col­lec­tion La Diag­o­nal de l’écrivain, 2020.

Ce texte, qui ne ressem­ble à aucun autre que nous con­nais­sions, est une chimère dont les voix con­trastées lais­sent toute­fois enten­dre les har­moniques de Beck­ett, Céline, Rabelais, Shake­speare, tous experts en savante farce, en descente cérébrale, en con­science aiguë des abîmes du corps-monde comme en fab­rique de langue folle à bat­tre, pen­dant qu’elle est chaude. Le mon­stre est ici à l’œuvre de s’autodétruire par une écri­t­ure jubi­la­toire autant qu’angoissante qui s’efforce de le sevr­er. Voici un texte poly­céphale, agité, dérangeant qui n’a froid ni à nos yeux ni à nos oreilles. C’est un ani­mal qui renaît de descen­dre, vorace de sa pro­pre mort. Au début comme à la fin, il y a la bête. Cha­cune de nous fait à son image un loup, un cochon, une hyène. Ils sont les étrangers qui nous lient au peu que nous sommes. Ils créent l’espace qui nous sépare de nous-mêmes ; ils rap­pel­lent la vie d’avant le jour et d’avant le lan­gage. Il con­vient d’entrer dans l’épaisseur où nous nous débat­tons avec eux non sans ambiguïté ni hérésie. Préférons l’impureté du zoo qui nous habite que la caserne de notre pré­ten­due pureté. Pas­sons du parox­ysme de l’idéal à l’abîme bes­tial. Ne reste tou­jours que le trou de nuit que nous avons bâti. Respirons, pour que telle pen­sée oxygène notre fin qui nous survivra.

Chimère éro­tique, surtout dans ses pre­mières brassées, obscène, jamais vul­gaire – qu’on ne s’y trompe pas (nous n’avons aucun goût pour le fatras pornographique gra­tu­it) –, bran­le­bas de com­bat qui prend le sexe à bras le corps dans la joie som­bre d’un dés­espoir, avec le mer­veilleux out­il d’une langue marathoni­enne, inven­tive et tru­cu­lente, qui swingue plus encore qu’elle ne danse un bran­le : Chacun lâchait son cer­vi­cal sperme dans son derme, la cra­pahutant comme la Croix de Niv­o­let, Homo­erc­tiens, Huminidés, lim­itro­phes, bal­lot­tant de la bedaine jusqu’au moment où, allez ! Hop ! Suff­i­sait de vom­ir dedans. Quo­belet, gobbelaid.

Le recours au jeu de mots dans la gau­dri­ole et jusque dans la grav­ité est une acro­batie que nous, lec­trice, ressen­tons comme un jeu de masques inter­pré­tant l’allégorie de la Pudeur, laque­lle s’y con­nait en dis­sim­u­la­tion de maux et maquil­lage de cica­tri­ces. Ce théâtre de l’absurde appar­ent absout des crimes impens­ables parce que peut-être jamais com­mis. Nos deux per­son­nages, sans ascen­dant ni descen­dant, dia­loguent avec la ten­dresse de l’effroi, se chevauchent et fourchent de la langue en quête de rien qui ne soit déjà là, en dévo­ra­tion lente, effi­cace, cir­cu­laire comme les cer­cles lais­sés à la sur­face qui parachèvent cet opus.

 Se dif­frac­ter en mots valis­es, homonymes et paronymes pro­duit une jon­g­lerie étour­dis­sante qui, para­doxale­ment, exacte­ment comme un pres­tidig­i­ta­teur, hyp­no­tise par la dis­trac­tion, pos­sède par étour­disse­ment. Ce livre nous donne envie de creuser ailleurs cette ques­tion tortueuse, comme quoi la lit­téra­ture est une empêcheuse de tourn­er en rond comme en bour­rique. Qui plus est, ces tours de passe-passe sont con­tagieux, preuve que la poésie – oui, Joguet, Joguette forme un poème en pr-ose tout ! – est bien affaire de Magie.

Tous deux se tien­nent par la langue, par la queue, sans espoir d’amours qui vail­lent. Pour­tant ils émeu­vent, ils boule­versent dans leur fic­tion — qui ne se résume pas lam­en­ta­ble­ment à une auto-fric­tion d’auteur en berne.

Non, ici, ça Bande, comme dirait Beck­ett, et ce n’est pas la dernière.

Présentation de l’auteur

Jean-Paul Gavard-Perret

Né en 1947 à Cham­béry, Jean-Paul Gavard-Per­ret pour­suit une recherche et une réflex­ion lit­téraires ponc­tuées d’une ving­taine de livres de textes brefs — dont « La mar­iée était en rouge » (édi­tions du Cygne), Cyc­lope (Edi­tions de L’at­lan­tique) — ou d’es­sais dont “Samuel Beck­ett, l’imag­i­naire para­dox­al et la créa­tion absolue”, (Minard).

© Crédit pho­to Bissey

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Tristan Felix

Tris­tan Felix est née au Séné­gal et demeure à Saint-Denis. Poète polyphrène et poly­mor­phe, elle décline la poésie sur tous les fronts. Elle pub­lie en vers comme en prose, chronique et, pen­dant douze ans, a codirigé avec Philippe Blondeau La Passe, une revue des langues poé­tiques. Elle est aus­si dessi­na­trice, pho­tographe, mar­i­on­net­tiste (Le Petit Théâtre des Pen­dus), con­teuse en langues imag­i­naires et clown trash (Gove de Crus­tace). Elle donne des spec­ta­cles dans des théâtres, des galeries-musées, des médiathèques, salons, insti­tuts cul­turels ou sco­laires, fes­ti­vals. Elle expose ses dessins et pho­togra­phies. Elle organ­ise des lec­tures-prouess­es sur scène ou à la radio, des Tro­quets Sauvages, des ate­liers de cal­ligra­phie et des con­férences ani­mées sur la manip­u­la­tion, à Paris comme en province. Elle enseigne par­al­lèle­ment les let­tres, à sa façon, au pied de la Goutte d’Or, à Paris. En 2008, elle fonde avec le musi­cien com­pos­i­teur Lau­rent Noël L’Usine à Mus­es, pour la pro­mo­tion des arts vifs et de la poésie, et fab­rique des courts-métrages avec son com­plice nicAmy, cam­era­man. Elle cul­tive l’échange, l’étrange, le brut et le ciselé. Ses créa­tures venues d’ailleurs ten­tent de guérir qui s’y frotte. Son univers onirique est inquié­tant et jubi­la­toire, entre théâtre de rue intérieure, cab­i­net de curiosités et cirque poé­tique. Recueils — Heurs, Dumerchez, 2002. — Fran­chis­es, avec Philippe Blondeau, L’Arbre, 2005. — À l’Ombre des Ani­maux (poèmes et pho­togra­phies), L’Arbre, 2006. — Coup Dou­ble, (poèmes et pho­togra­phies), avec Ph. Blondeau, Corps Puce,  2009. — Ovaine (con­telets et dessins), Her­maph­ro­dite, 2009. Gravure, V.Rougier éd. 2011 (pour Pile de Proverbes de C. Kaï­teris) — Jour­nal d’Ovaine, L’Atelier de l’Agneau, 2011. — Trip­tyque des Abysses (dessins) ; Quatuor à fils (dessins/poèmes), L’Atelier de l’Agneau, 2011. — Volée de Plumes (dessins à 2 plumes avec Gabrielle B. Pes­li­er), L’Atelier de l’Agneau, 2013. — Trois ouvrages col­lec­tifs chez Corps Puce. — Aphon­ismes et Avis de Recherche, Flam­mar­i­on, 2013, 2015 (col­lec­tifs). — Les Farces du Squelette (textes et dessins), Venus d’Ailleurs, 2014. — L’Ivre de Bor­ds (textes de M. Mouri­er, dessins de T. Felix), Car­ac­tères, 2014. — Sorts, poèmes, Hen­ry, 2014. — Bruts de Volière (textes et dessins, avec M. Mouri­er), L’Improviste, 2015. — Zinzin de Zen (textes et pho­togra­phies), Corps Puce, 2016. — Pen­sée en herbe du XXIe siè­cle (apho­rismes de col­légiens), Corps Puce, 2016. — Obser­va­toire des extrémités du vivant (textes et pho­togra­phies), Tin­bad, 2017. — Alphabête, (dessins, poèmes et col­lages, avec Lau­re Mis­sir), Les deux Corps, 2017. — Aphon­ismes (textes et dessins), Venus d’Ailleurs, 2017. — Tarots Tarés (mini livre-boite d’artiste, 18 tarots dess­inés et écrits), Venus d’Ailleurs, 2018. — Ovaine, La Saga (contelets),Tinbad, 2019. — Lais­sés pour con­tes (chronique des aban­don­nés), Tar­mac, 2020. — Faut une Faille (fab­rique de créa­tion), Z4 éd, 2020. — Tan­gor (poèmes et dessins), PhB éd, 2020. — Rêve ou crève (poèmes et pho­togra­phies) à paraitre chez Tin­bad, 2022. — Les Hauts du Bouc (nou­velles) à paraître chez Aéthalidès, 2022 — Gri­moire des foudres (poèmes), à paraitre chez PhB, 2022 Revues La Passe, Dias­poriques, Diérèse, Dis­so­nances, Sar­razine, Trac­tion-Bra­bant, Comme en Poésie, Poésie Pre­mière, Con­tre-allée, Décharge, Le Grog­nard, Empreintes, L’Igloo, L’Intranquille, Ecrits du Nord, Arcane 18, L’Ampoule, Tin­bad, Chroniques du ça et là, Apulée, LPB, EaN. CD : — Je, îl(e) déserte, prod. L’Usine à Mus­es, 2011 : 16, rue des Ursu­lines, 93200 Saint-Denis. (rêves de six poètes : Sté­fan, Mouri­er, Abde­laz­im, Clapi­er, Blondeau, Ch’Vavar). Musique: Lau­rent Noël.) — La Mort se fait la belle, avec Arsène Tryphon, éd. Venus d’ailleurs, 2021. Site: www.tristanfelix.fr/
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