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Jean-Paul Gavard-Perret, Joguet, Joguette

Jeux de maux d’amour

 

Nous parvient la nouvelle « Diagonale de l’écrivain », collection que dirige de main de maître Philippe Thireau, lui-même écrivain, et dans laquelle il convie ses auteurs à s’extriper du consensus éditorial pour donner à voir l’au-dedans du dedans d’une fabrique d’écriture vivante, en cours, en repentirs et expériences.

Sauf qu’avec Jean-Paul Gavard-Perret, polygraphe supersonique et iconoclaste, à la tête de plusieurs centaines d’écrits, critique de littérature et d’arts contemporains, maître de conférences à l’Université de Lyon, rien ne se passe jamais comme requis. Le sacripant se réquisitionne lui-même vingt-quatre heures sur vingt-quatre, se soumet à la question coûte que coûte, se défait pour se mieux gauchir,   saute sur sa diagonale comme sur un trampoline pour s’envoyer en l’air – de rien, tu parles !, ou sur l’air canaille d’un fabliau tragique.

Quoi-t-est-ce Joguet, Joguette ? Un récit court et complet, sanglé, une bogue avec en son cœur les deux moitiés d’un marron que chacun, un frère et une sœur, Joguet versus Joguette, s’est foutu sur la poire dans un rire épique et salvateur, pour tenter un amour impossible, non parce qu’adelphique – la sororité ou fraternité incesse-tueuse n’est ici que métaphore d’une intimité vouée à l’échec, chimérique – mais parce qu’ontologiquement vicié par les démons personnels, dont celui d’une écriture instinctive, jaculatoire et survoltée mais tireuse d’élite n’est pas le moindre.

Jean-Paul Gavad-Perret, Joguet Joguette, Z4 éditions, collection La Diagonal de l'écrivain, 2020.

Ce texte, qui ne ressemble à aucun autre que nous connaissions, est une chimère dont les voix contrastées laissent toutefois entendre les harmoniques de Beckett, Céline, Rabelais, Shakespeare, tous experts en savante farce, en descente cérébrale, en conscience aiguë des abîmes du corps-monde comme en fabrique de langue folle à battre, pendant qu’elle est chaude. Le monstre est ici à l’œuvre de s’autodétruire par une écriture jubilatoire autant qu’angoissante qui s’efforce de le sevrer. Voici un texte polycéphale, agité, dérangeant qui n’a froid ni à nos yeux ni à nos oreilles. C’est un animal qui renaît de descendre, vorace de sa propre mort. Au début comme à la fin, il y a la bête. Chacune de nous fait à son image un loup, un cochon, une hyène. Ils sont les étrangers qui nous lient au peu que nous sommes. Ils créent l’espace qui nous sépare de nous-mêmes ; ils rappellent la vie d’avant le jour et d’avant le langage. Il convient d’entrer dans l’épaisseur où nous nous débattons avec eux non sans ambiguïté ni hérésie. Préférons l’impureté du zoo qui nous habite que la caserne de notre prétendue pureté. Passons du paroxysme de l’idéal à l’abîme bestial. Ne reste toujours que le trou de nuit que nous avons bâti. Respirons, pour que telle pensée oxygène notre fin qui nous survivra.

Chimère érotique, surtout dans ses premières brassées, obscène, jamais vulgaire – qu’on ne s’y trompe pas (nous n’avons aucun goût pour le fatras pornographique gratuit) –, branlebas de combat qui prend le sexe à bras le corps dans la joie sombre d’un désespoir, avec le merveilleux outil d’une langue marathonienne, inventive et truculente, qui swingue plus encore qu’elle ne danse un branle : Chacun lâchait son cervical sperme dans son derme, la crapahutant comme la Croix de Nivolet, Homoerctiens, Huminidés, limitrophes, ballottant de la bedaine jusqu’au moment où, allez ! Hop ! Suffisait de vomir dedans. Quobelet, gobbelaid.

Le recours au jeu de mots dans la gaudriole et jusque dans la gravité est une acrobatie que nous, lectrice, ressentons comme un jeu de masques interprétant l’allégorie de la Pudeur, laquelle s’y connait en dissimulation de maux et maquillage de cicatrices. Ce théâtre de l’absurde apparent absout des crimes impensables parce que peut-être jamais commis. Nos deux personnages, sans ascendant ni descendant, dialoguent avec la tendresse de l’effroi, se chevauchent et fourchent de la langue en quête de rien qui ne soit déjà là, en dévoration lente, efficace, circulaire comme les cercles laissés à la surface qui parachèvent cet opus.

 Se diffracter en mots valises, homonymes et paronymes produit une jonglerie étourdissante qui, paradoxalement, exactement comme un prestidigitateur, hypnotise par la distraction, possède par étourdissement. Ce livre nous donne envie de creuser ailleurs cette question tortueuse, comme quoi la littérature est une empêcheuse de tourner en rond comme en bourrique. Qui plus est, ces tours de passe-passe sont contagieux, preuve que la poésie – oui, Joguet, Joguette forme un poème en pr-ose tout ! – est bien affaire de Magie.

Tous deux se tiennent par la langue, par la queue, sans espoir d’amours qui vaillent. Pourtant ils émeuvent, ils bouleversent dans leur fiction - qui ne se résume pas lamentablement à une auto-friction d’auteur en berne.

Non, ici, ça Bande, comme dirait Beckett, et ce n’est pas la dernière.

Présentation de l’auteur

Jean-Paul Gavard-Perret

Né en 1947 à Chambéry, Jean-Paul Gavard-Perret poursuit une recherche et une réflexion littéraires ponctuées d'une vingtaine de livres de textes brefs - dont « La mariée était en rouge » (éditions du Cygne), Cyclope (Editions de L'atlantique) - ou d'essais dont "Samuel Beckett, l'imaginaire paradoxal et la création absolue", (Minard).

© Crédit photo Bissey

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