Marie Murski, Ailleurs jusqu’à l’aube

Les éditions Les Hommes sans épaules publient l’ensemble des poésies de Marie Murski, poétesse singulière d’origine polonaise qui vit actuellement en Bretagne, et dont l’œuvre d’une grande sensibilité est ici réunie, depuis Pour changer de Clarté, paru en 1977, sous le nom de plume de Marie-José Hamy, suivi par Le Bleu des rois (1983), Si tu rencontres un précipice (1988), La Baigneuse, et enfin Le Grand Imperméable.

Marie Murski a rejoint le comité de rédaction des HSE en 1989, avant de disparaître pendant quatorze ans de la scène littéraire. Elle réapparaît en 2007, reprend son nom de jeune fille, et publiera notamment un récit, Cris dans un jardin. Nous ne reviendrons pas ici sur la violence conjugale subie par Marie Murski, qui est rappelée par Christophe Dauphin dans sa préface. Mais l’enfance traumatisée, « l’enfance à la mine de plomb » est déjà présente dans les recueils qui précèdent chronologiquement la fatale rencontre.

Car la poésie de Marie Murski est un jardin, c’est-à-dire un lieu changeant ou s’expriment toutes les saisons de poésie, un lieu de vie, et un lieu de mort. Je pense en la lisant aux roseraies d’Apollinaire d’Automne malade, où le vent souffle, aux vergers vénéneux, où il a neigé ; chez Marie Murski,

L’automne est en sursis

Lèvres fendues en leur milieu
puis ouvertes en vol d’hirondelles
se parjurent d’onguents cireux
nommés rouge sang dans les couloirs de la mort.

Marie Murski, Ailleurs jusqu’à l’aube, Les hommes sans épaules, 2019, 20 euros.

Le jardin de Marie Marie Murski est un jardin intime où s’épanouissent -  et avortent parfois - d’étranges images qui rappellent celles d’André Breton ou de Philippe Soupault. C’est un jardin où se rejoue, se recompose en permanence, un drame personnel. La poète rebat les cartes et remodèle son territoire.

Ce jardin est aussi le lieu où se pressent l’intrusion, où la violence n’est jamais très loin :

 

Décisive cette main qui déshabille
qui se taille la part du lion
et crachote dans mes crocus 

 

Mais on y trouvera aussi un érotisme floral qui prend le temps de s’épanouir, notamment dans le recueil La Baigneuse :

 

laisser la légèreté
dans son plaisir
la lenteur du fruit
autour du noyau 

 

La poète nous livre une anatomie intime, à travers les images d’un corps-jardin, qui devient parfois un corps-paysage, et aussi un corps-mémoire :

Certains nuages restent
sous la peau 

Mais le jardin de Marie Murski est aussi un laboratoire, un lieu de renaissance et de re-création, dont l’enchantement procède d’une animation virevoltante, parfois éperdue, d’abord parce que c’est un lieu habité de présences, un bestiaire dont la poète entend l’appel ambivalent :

Le rêve a ses raisons
des raisons de loup dans une forêt verte

Et si je cours sans cesse
c’est pour passer sans regarder
les petites têtes hilares
qui partout
jaillissent des troncs d’arbres 

Des voix tantôt harcelantes, tantôt consolantes.

Inlassablement la poète est

 

Dragueuse d’infini
porteuse d’eau dans le combat des heures

 

on ne compte plus ses incarnations, « toupie » (rêve d’un mouvement perpétuel ?), ou lutteuse qui ne souhaite pas « mourir gentiment », et qui oppose à la fixité glaçante de la mort la virtuosité du verbe. Déjà, enfant, elle « tournait à l’envers ». N’est-ce pas la vocation du poète d’aller contre la rotation habituelle du monde ?

Le jardin est juste en-dessous du ciel, comme chez Verlaine le ciel est par-dessus les toits. On lira aussi des poèmes plus contemplatifs comme celui qui est dédié à Hubert Reeves, où la poète « chavire en boule de vertige ». Sage-femme de son métier, Marie Murski accouche aussi les étoiles :

Au-dessus il y a les étoiles
qui sont mes sœurs on le dit et c’est vrai
nous avons le même ventre dur
fécond dans l’éternité 

Nous l’avons dit, le jardin de Marie Murski est un jardin violenté, un jardin saccagé, et pourtant, par la puissance du langage, elle fait entendre, dans des poèmes parfois difficiles, une voix dont les échos résonnent longtemps en nous, s’enracinent douloureusement dans la sensibilité du lecteur, y plongent des racines écorchées, à vif, palpitantes.

La poésie a sauvé la vie de Marie Murski, qui ne cesse de « vider ses poches », comme le petit Poucet rêveur de Rimbaud égrenant des vers. Et en effet, l’appel d’un départ se fait entendre souvent :

Partir vraiment
comme un pied qui s’écarte du continent.

Voici pour l’ailleurs.

Et pour terminer, je cite intégralement le magnifique poème qui termine le recueil Si tu rencontres un précipice, où la mort est évoquée dans un élan nuptial :

 

Qu’elle vienne
au galop comme dans les terres dangereuses
ou patientes comme les filets d’oiseleur,
mais
que son ombrelle ne soit pas tranchante
aux abords de mes yeux
qu’elle sache avec délicatesse
ôter la bulle d’air enroulée à mon doigt
qu’elle m’enserre doucement
dans son simple éclair 

Voici pour l’aube.

Présentation de l’auteur

Marie Murski

Sage-femme de métier, invitée dans l’émission « Apostrophes » de Bernard Pivot et rédactrice d’une revue littéraire jusqu’en 1990. Séquestrée 14 ans par un homme pervers et violent, elle cessera de travailler et d’écrire. Sauvée de justesse, elle publie en 2013 un roman, Le chat silence. Puis Cris dans un jardin qu’elle écrit aussi pour le théâtre et Le bébé d’Adèle, Prix Reine Mathilde 2017. Paraît en février 2019 Ailleurs jusqu’à l’aube, œuvre poétique, et en mars Les orchidées volantes, roman. 

Bibliographie

Poésie

Pour changer de clarté, Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1977.

Le bleu des rois, Collection La Coïncidence, Éditions Guy Chambelland, 1980.

Si tu rencontres un précipice, Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1988.

La Baigneuse, La Française d’Édition et d’Imprimerie, 1989.

Ailleurs jusqu’à l’aube, 2019, Œuvre poétique, préface de Christophe Dauphin, Les Hommes sans Épaule Éditions.

 

Œuvres en prose 

Le Chat silence – roman – 2013, Éditions La Taillanderie.

Cris dans un jardin – témoignage – 2014 Éditions Cogito – Rééditions : 2015, 2016, Éditions S-Active – Rééditions : 2018.

Le bébé d’Adèle – thriller – 2017, Éditions Cogito.

Les orchidées volantes – roman – 2019, Éditions In8.

Mila de nulle part – thriller – 2021, Éditions In8.

 

Nouvelles

Le chien jaune avait une oreille cassée  – 2017.

Poèmes choisis

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Daniel Kay, Le perroquet de Blaise Pascal

Variations sur l’inachevé est le sous-titre de ce livre-poème tripartite composé de centaines de fragments, d’une seule ligne, de plusieurs, de petits paragraphes, le tout diversement inspiré, bariolé, spontanément improvisé. Sa visée, son pourquoi : une méditation sans clôture sur l’étonnante puissance du peu, qui peut s’avérer éclair, mais sans prétention totalisante, baignant dans sa légèreté, son intime mais frêle caresse des phénomènes qui sont et des mots qui surgissent pour les honorer.

Et ceci sans aucun poids théorique (ce ‘fascisme’, PBP27), puisant plutôt dans les forces de l’instinct, de la modestie d’un non-savoir, d’une ouverture quant à la question des valeurs de l’art, écrit ou pictural, face à ce ‘parfum de mystère’ flottant partout sur la terre (53).

Fragment, ébauche, esquisse, note de carnet, de cahier : acte et lieu d’un in-fini, d’un aller-dans-le-sens d’un sens, cet ‘aller [qui] me suffit’, écrivait Char, geste pour frôler cet incessant ‘papillonnement’ (56-7) de tout ce qui est, qui à la fois résiste à nos nominations et les incite, inlassablement aussi. En voici quelques traces :

Daniel Kay, Le perroquet de Blaise Pascal, Éditions des Instants, 2024, 128 pages, 15 euros.

* Ponce Pilate à l’occasion de présentations pratiquait brillamment l’art de la formule. 

* Il semble y avoir un aspect inactuel dans la pratique du poète ou du penseur qui décide de faire une œuvre fragmentaire. Inactuel ne veut pas dire nostalgique, encore moins passéiste ou réactionnaire mais la tentation de s’inscrire dans une temporalité, voire une historicité différente, légèrement décalée.

* Considérer le fragment comme un genre c’est du même coup manquer le fragment.

* Princier chez les romantiques allemands, le fragment, chez les modernes – Char mis à part – peut paraître moins recommandable. Presque voyou. Mauvais genre. Voir Scutenaire.

* L’encre du chemin. Par petites flaques.

* […] Le Titien en ses dernières années invente une sorte de tachisme figuratif insolite à la fois grandiose et ténébreux. Les dernières œuvres inachevées et retouchées avec les doigts semblent bien loin des compositions chatoyantes aux teintes délicates, aux lignes parfaites qui ont fait la gloire de l’artiste. Une porte s’ouvre déjà sur la Terribilità que développera l’inquiétant et sublime Tintoret.  (98-9/117)

‘Inachever’, verbe intransitif, mais aussi, déclare Daniel Kay, transitif, poussant à reconnaître l’infinissable, cet aspect de l’être qui semble exiger qu’on demeure ‘dans l’Ouvert’ (24), dans le tao, le fleuve inarrêtable de l’ontos où notre poïein peut choisir de nager, en savourant les infinies différences de sa mêmeté, comme dirait Deguy, leur pullulement, ceci sans vouloir en diminuer la murmurante symphonie insaisissable par le biais d’une écriture orgueilleuse. Le livre de Kay, comme d’ailleurs ses Petits pans de Proust (2022) et Vies héroïques (2024), un foisonnant ensemble de touches, de ‘petits pans’, sans rien posséder, sans aucun sentiment d’une domination, d’avoir réalisé quelque chose de définitif, d’absolu. D’amicales étreintes plutôt, fuyantes, instinctuelles, sans aucune idée de parachèvement. Le cœur ‘primant sur l’esprit’, affichant ses ‘tendresses’, souligne Kay dans Petits pans de Proust (68; 91), et parfois son désir de jouer, d’inventer, l’histoire du perroquet de Pascal en témoignant, pure fantaisie, objet devenu objeu et objoie, dirait peut-être Ponge, fait d’aisance, de grâce, parfois de frivolité. Et chaque fragment une esquisse, un humble peu devant cet ‘incommensurable’ (71) de notre demeure cosmique, humble mais jamais un rien, du néant. Toujours un remerciement, une gratitude. Cérémoniels, solennels, souriants, joyeux. De petits signes ou marques en-deçà de toute arrogance signifiante, stipulative, de tout abstractif totalitarisme. Un livre-poème de petites libertés. ‘Le marcheur  réinvente constamment, écrit Kay, le souffle du paysage’ (41). Ce beau livre-poème, acte et lieu de mouvance, de variation, d’une ‘grande passion se nourri[ssant] de l’inachevé’ (37).

L’inachevé, alors, ce peu sans insistance, sans lourdeur, ce ‘génie de la brièveté’, dit Joubert, que Kay cite (45); ce petit joyau du discontinu, de l’éphémère, d’un ineffable. Et ‘pour tout atelier le chemin’, ce petit sentier qui traverse la vaste, fourmillante vie, lieu d’inattendus, de spontanéités, d’inhérences, où, si souvent, manquent nomenclature et taxons, de simples adjectifs préférés (110). Le fragment, l’ébauche, plutôt que d’offrir raisonnement, logique, permet une présence suffisante, comme dans les arbres d’Alexandre Hollan (38) ou les derniers portraits esquissés de Léonardo et Michelangelo (passim), unis enfin par le biais de telles beautés splendidement improvisées malgré leur parcours conflictuel. Loin de viser un art-pour-l’art, cette textualité repliée sur elle-même, l’inachevé salue l’instant pour, étreignant sa mortalité, lui offrant sa main, lui dire adieu… pour l’instant, quitte à redémarrer, se rouvrir à ce qui est, sans penser à aucune fin, à la ‘guillotine’ de quelque point final (28). Inachever, ce geste qui frôle une petite et fuyante ‘quintescence’, ajoute Daniel Kay dans Petits pans de Proust (60), tombant amoureux de sa surgissante, papillonnante interface avec l’indicible essentiel au cœur de chaque chose, chaque moment, chaque aperçu ou sensation. Vivant cette microplénitude ontologique qu’est, destinalement, tout peu, tout petit pan, toute ébauche, tout fragment.

Présentation de l’auteur

Daniel Kay

Daniel Kay est un poète français né à Morlaix en 1959. 

Après des études secondaires à Morlaix, Daniel Kay est  agrégé de lettres modernes, discipline qu'il enseigne.

Il a publié des poèmes dans des revues et publie plusieurs recueils. Il écrit également sur la peinture et peint lui-même.

Poèmes choisis

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Daniel Kay, Vies silencieuses

Les « vies silencieuses »du breton Daniel Kay sont celles que donnent à voir les plus grandes œuvres picturales. Vies silencieuses des hommes, des bêtes, des plantes, des fleurs… tous visités par le pinceau du [...]

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Luce Guilbaud, La perte que j’habite

La “seule voix qui vaille”1

Partager l’indicible de la perte et prendre appui sur les mots pour tenter d’habiter le seul lieu “qui vaille”, celui de l’absence.

Dans ce recueil au titre programmatique, en écho à la très belle épigraphe de Jean-Paul Goux, Luce Guilbaud engage la première étape d’un chemin de deuil qui s’avèrera progressivement, mais avec évidence, une “leçon de présence”2.

Dès l’ouverture du livre adressé à l’aimé, au compagnon de toute une vie, Louis, “prince amer de l’écueil”, le poème en effet affirme “(vouloir) penser”, explorer ce lieu de l’absence, si fortement présent : “Tu me suis   m’appelles en silence / (...) t’effaces / et pourtant pèses    si lourd”.

C’est dans son propre corps, fouillant la déchirure, dans le poème lui-même, interrogeant le pouvoir des mots, et dans le paysage du jardin et des marais, parcouru avec l’aimé et qui a irrigué tant de ses oeuvres poétiques ou plastiques, que Luce Guilbaud tour à tour mène sa quête.

à ton corps dispersé / jusqu’à mon explosion

Luce Guilbaud, La perte que j’habite, avec un dessin de Sylvie Turpin, Coll. Cahiers du Loup bleu, Ed. Les Lieux-Dits, 2023.

Si la poète peut dire la douleur de la perte et “réveiller les couteaux” des souvenirs, c’est qu’elle sait qu’“on peut vivre (...) dans la déchirure. On peut très bien."C’est qu’elle sait, et nous le fait comprendre, que la perte trouve refuge en son propre corps, qu’elle en redéfinit la géographie.

Que l’explosion n’est qu’un temps, comme n’est qu’un temps le cri (“ce qui rugit depuis le gouffre /        ————— je ne l’oublierai pas ! // jamais ne me sera rendu /      l’éclat des lucioles dans la chambre ni /      le regard qui me disait vivante”).

Que le cri de douleur est cri d’amour (“aimer toujours      aimer encore / c’est maintenant toujours /            et j’y suis toute entière”).

Et que pour “avance(r) dans cet entre-deux de désastre” est le poème.

 

maintenant que les mots m’abandonnent (...) / dis-le moi / toi qui marches devant

 

La sidération de la perte provoque d’abord chez la poète une véritable aphasie. Mais la “muette liée” n’a que les mots pour se confronter à cet indicible. Elle cherche donc “entre les mots /                là où l’on n’entend / ---------- Rien” et la page se creuse de blancs, parfois aussi de signes graphiques (lignes, tirets).

Sans cesse mesurer l’insuffisance du langage et son “bruit d’illusion”, sans fin pourtant reprendre le métier. Tisser. Et faire texte.

Et pour cela, elle prend appui, dès le troisième poème, sur les mots des autres.

Ceux de Louis, “qui marche devant”, dans une si juste inversion de l’image d’Orphée conduisant Eurydice hors du monde souterrain, car c’est bien l’aimé disparu qui la guide alors sur la voie du poème et le chemin de vie.

Ceux des pairs aussi :  Georges Séféris, Roberto Juarroz, Pascal Quignard, Marina Tsvetaïeva, Aimé Césaire, Howard Nemerov et Louis Aragon qui semblent, tous deux à leur manière, dans les tous derniers textes du recueil, délivrer les clefs de sa lecture : “(...) les poèmes ne sont pas le but. / Retrouver le monde. Voilà le but”, retrouver “le lieu du nous où toute chose se dénoue”.

 

l’autre de nous / (...) qui ouvre le regard et les images du livre de vivre

Marcher comme écrire (“les pieds suivront (et les lettres)”) pour retrouver en effet le corps d’un monde qui vibre de la présence du disparu en chaque lieu avec lui parcouru : “surveiller l’horizon / où peut-être tu attends”, “tenir ta main dans la terre remuée.”

Si le paysage, “dévasté”, “désolé”, ne dit d’abord que la perte (“J’avance près de ton ombre absente / nous n’irons plus par les forêts”) et son propre mutisme (“le printemps sera sans réponse”), il se révèle en effet progressivement tout à la fois le lieu du souvenir et celui de la vie-même.

Là où “les pierres s’effritent / et préparent leurs ruines” vibre “un rayon de soleil très bas”. “Remuer les jambes” alors, “mettre les pas dans les pas” : malgré l’épuisement et l’irrémédiable “mécanique” des jours, et au prix d’un puissant effort, d’un courage sans cesse rebattu, reprendre la marche comme on reprend le poème, parcourir le livre du monde, apprendre à savoir “ce qu’il faut garder de ce qui fut vécu” et vivre encore.

Dans l’enclos du jardin ou la vastitude des paysages du marais, face au ciel déchiré,  ou tout au ras du sol, de l’eau, contre les êtres et les choses, “roses d’hiver”, “hortensia”, “noeuds joints du lichen” dans “le cerisier”, et les oiseaux ... la poète fait “provision de réel”.

“c’est ici”, affirme-t-elle, le lieu du “combat” : “marcher autour et reconstruire la digue /            entre les mots”, “attendre entre les mots levés / le jour qui passe      se dépasse”, “cherche(r) l’ouverture”...

Apprendre à y entendre les voix amies des grues qui “savent / le commentaire qui me devance” et la voix de l’aimé “sans souffle entre les herbes”. Sans plus d’illusion d’ailleurs sur le pouvoir de ces voix que sur celui des mots, répéter “ta voix” “jusqu’à l’effacement”...

Et “un doigt sur les lèvres”, parvenir un instant “à voir” “ce que je fuis”, et relâcher l’étreinte : “tu as lâché ma main / ou est-ce moi ?

Alors sans doute peut-elle “éteindre la lampe / pour que ton absence s’étende près de moi.”

les mots entraînent et tissent” - en guise de post scriptum

 

“aimer se coud à la main”, Luce Guilbaud le sait bien, qui tisse son poème comme tapisserie. Celle “d’une dame” de haute vertu, “sur un tapis de fleurs      d’une ancienne verdure”.

“Avec l’autorité d’un savoir dérobé”, la force et la justesse de ce qui a été pleinement traversé, ainsi nous rend-elle à “l’énigme” de cette “perte qu(’elle) habite”.

Notes

  1. Julien Bosc, La demeure et le lieu, Faï fioc, 2019 (posthume) : “à pied / le matin plutôt / mais l’après-midi aussi / une toujours même promenade / et / quelquefois / pas après l’autre / des mots cheminent // plus tard dans la journée / le soir la nuit / après un jour dix ou vingt ans / si tout s’est tu / le corps assis parle // ​​​​de cette seule voix qui vaille”

     2. Luce Guilbaud, Une leçon de présence, Al Manar, 2023

     3. Henry Bauchau, La déchirure, Actes Sud, 2021 (première édition 1966)

 

Présentation de l’auteur




Eve Lerner, Un tant soit peu de lumière

Eve Lerner récidive. Convaincue que « Le chaos reste confiant », titre d’un précédent livre (Diabase 2020), elle nous dit tout le mal qu’elle pense de ce monde qui part en vrilles. Son verdict est implacable avec, cette fois, une petite couche de noirceur supplémentaire. Mais tout n’est pas perdu : il y a toujours la vie qui palpite, il y a la poésie, il y a l’amour…

« C’est le temps de l’obscur », écrit la poétesse lorientaise. Il faut dire que, depuis 2020, la pandémie et la guerre à l’est de l’Europe sont passées par là, sans parler du réchauffement  climatique dont on connaît les effets les plus délétères. Eve Lerner commence par lancer une charge contre « les hommes de pouvoir » et « les décideurs » qu’elle qualifie de « briseurs de rêves, fossoyeurs de la pensée ». Elle n’attend plus grand-chose d’eux. « Tu voudrais écrouer ceux qui déroulent sans fin la fausse parole et les fausses images ». Cette « fausse parole », elle l’avait déjà dénoncée dans son précédent livre, comme l’avait fait en son temps le poète Armand Robin (La fausse parole, 1953) Poussant l’acte d’accusation, elle va aussi jusqu’à dire : « On cherche à nous faire peur ».

Que faire dans ce maelstrom ? « Il faut tenir », nous dit Eve Lerner. « Aller jusqu’au bout du chaos triomphant, l’épuiser, le retourner comme une crêpe, l’embobiner, le réduire à moins que rien, et l’envoyer aux travaux forcés ». Mais comment s’atteler à un si gigantesque chantier ? La poétesse, qui s’exprime ici sous forme de fragments,  ne nous conduit pas sur les chemins de la rébellion, même si son souhait est bien que l’on puisse arriver un jour à « déboulonner les statues des oppresseurs, cisailler les grillages de chasseurs, ceux des camps et ceux des burkas intégrales ».  Mais son livre n’est pas un manifeste politique. Plutôt un manifeste poétique quand elle écrit : « Tout acte infime peut changer la donne qu’on nous impose. Sauver un orque, une femme, un jardin, une source, un oiseau, un marais peut ouvrir une veine de vie ». Plus loin, elle ajoute : « Soigner les blessés, les arbres, les oiseaux, les chevaux,  soigner la terre, la mer, soigner son style ».

Eve Lerner, Un tant soit peu de lumière, Diabase, 100 pages, 14 euros.

Il y a, dans ces propos, quelque chose qui relève de l’acte de foi. Ou du moins d’une espérance. Elle la place dans notre capacité d’émerveillement (« que ton cœur s’envole, que ton sang vire à la sève… ») Mais Eve Lerner apporte d’emblée un bémol. Pour pouvoir s’émerveiller (injonction qu’elle juge un peu trop dans l’air du temps), « il faudrait assagir la part sauvage de l’homme et retrouver la part sauvage du monde ». Alors il reste à célébrer inlassablement l’amour et le désir, « un refuge, un havre de bien-être » dans « la noirceur du monde ». Ou, comme elle le dit aussi : « Pouvoir encore dire à un être, à une idée : je tiens à toi. Réussir tout cela, qui nous tient à cœur, tient du miracle. Il ne tient qu’à nous de le faire. Il faut tenir la distance ».

Pour elle, « tenir la distance » devient un redoutable défi. Elle fait, sans fard, le constat d’une forme d’éloignement progressif du monde. « Je ne sais plus recevoir et ne sais plus si j’ai encore quelque chose à partager, à transmettre ». Qu’elle se rassure. Ses lecteurs ont encore la conviction qu’elle n’a pas dit son dernier mot. Ses propos sont dans le droit fil de ce que disait le poète italien Giuseppe Ungaretti : « La poésie consiste à convertir la mémoire en songes et à apporter d’heureuses clartés sur les chemins de l’obscur ». Ou de ce qu’affirmait le Marocain Abdellatif Laâbi : « De l’homme à son humanité/la poésie est le chemin le plus court/le plus sûr ».

 

Présentation de l’auteur

Eve Lerner

Eve Lerner, poète bilingue, français/anglais, éditrice et traductrice de poésie. Collabore aux revues Hopala !, Spered Gouez et Digor. Vit et travaille à Lorient.

Derniers ouvrages parus (2013-2015) :

Un poème, même petit, peut faire bouger la tectonique des plaques, éd. Encres vives. L’Ame chevillée au corps, récit, éd Dialogues. Le Livre des Chimères, éd L’Autre Rive ; Pour danser un rêve, éd. Sac à mots. Pour qui sait voir et Lumières, livres d’artiste de Marie-France Missir, éd. Carré d’encre ; Graine à feu, éd L’Autre Rive. Elle obtient le prix Paul Quéré 2019/2020.

 

 

 

 

Poèmes choisis

Autres lectures

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Marie-Hélène Prouteau, La Petite Plage

Autobiographie d’un lieu

Mona Ozouf a préfacé cette deuxième édition de la Petite Plage, elle évoque ce lieu comme un paysage originel qui ouvre un chemin mémoriel : « Marie-Hélène Prouteau établit sa filiation avec ce lieu-dit au fil de 26 fragments où elle convoque ses souvenirs, ses admirations littéraires (…) Elle a ouvert le chemin de la mémoire. »

Ces fragments sont « autobiographie du lieu » selon l’expression de Erri De Luca  que Marie-Hélène cite en exergue de son ouvrage. Autobiographie d’un lieu mais aussi  autobiographie de l’auteure comme elle le révèle en page 18 : « La Petite Plage, n’en finit pas de dilater la vie, la sienne, la mienne aussi. »

« Ce paysage premier » laisse des traces indélébiles, comme un tatouage sur la peau, il marque aussi le cœur et l’esprit de sa présence ineffaçable : «  Cette petite plage me fait dans le cœur un tatouage d’écume » (p.17). Depuis l’enfance, en ce lieu de mer et de vent, tous les sens sont éveillés.

Si Philippe Claudel vit une passion pour les lieux d’altitude, Marie-Hélène Prouteau de cette terre armoricaine a la passion de l’Océan ; elle invite les lecteurs à la rejoindre en son jardin secret.  

L’écriture est en relation étroite avec le lieu et pour Marie-Hélène Prouteau la petite plage est la matrice de l’écriture à venir, elle est aussi le réceptacle de futures rencontres artistiques et littéraires.

Comment ayant vécu en ce lieu, ne pas être touchée par Les pêcheuses de goémons de Paul Gauguin ou La vague de Hokusai. Devant la mer ou devant ces œuvres, ne pas être submergée par «l’incroyable énergie des vagues… où le cœur se noie. » Comment ne pas être déchirée par le silence de l’Océan quand il est assassiné par l’Amoco Cadiz, un silence  qui alors se fait «  stupéfait, dévasté »

 Marie-Hélène Prouteau, La Petite Plage, suivi de Brest, rivage de l’ailleurs, éditions La Part Commune, 2024, 112 pages, 13€90.

En cette nature de terre, de ciel et d’eau domine le bleu mais aussi beaucoup de couleurs qui éveillent à la beauté, à l’humanité et à « l’éternité possible », cette éternité est présente dans le lavis du peintre He Yifu « qui a donné la parole à l’éternité. », comme elle l’est dans la poésie de François Cheng, «  ma petite plage de sable blanc est une estampe orientale » (p.37), qui aurait été dessinée par un peintre calligraphe et vue par un poète calligraphe en quête du vide et du beau.

Marie-Hélène Prouteau sait voir, vraiment voir, elle s’est approchée de l’invisible car  comme le dit un auteur qui lui est cher, Paul Celan « celui qui apprend vraiment à voir, s’approche de l’invisible » ( Microliti )

S’approcher de l’invisible comme ont pu le faire les tailleurs de pierre, quand le lieu se fait ancrage, qu’il devient le réceptacle d’un état d’âme, et qu’ il se fait immuable ; stabilité dans un monde fluctuant, fragile. Un passage du livre prend une tonalité nouvelle à l’heure de la reconstruction de Notre-Dame de Paris: «  J’admire ces hommes. Ils tracent des lignes invisibles depuis le clocher de la chapelle jusqu’aux dunes de Keremma à la somptueuse nudité. Entre ce lieu créé de la main humaine et l’autre, atelier du ciel et de la mer, l’esprit parle. L’on aperçoit un peu de la lumière. Le labeur de ces ouvriers relie ces points par la grâce d’un antique savoir. » (p.60)

Il y a des lieux comme des êtres  qui irradient l’écriture, car ils sont sources de lumière « il y a des êtres, il y a des lieux qui sont des sources de lumière. »(p.94)

 De très belles pages évoquent ces êtres lumineux que furent sa  grand-mère ou l’oncle Paul qui a fait don de son absence…

Cette Petite Plage a donné à la vie de l’auteure sa beauté, elle est ce que Milan Kundera appelle la mémoire poétique : «Il semble qu’il existe dans le cerveau une zone tout à fait spécifique qu’on pourrait appeler la mémoire poétique et qui enregistre ce qui, nous a charmés, ce qui nous a émus, ce qui donne à notre vie sa beauté. »  

En partant d’un lieu, la dimension affective s’élargit, l’esprit s’ouvre au monde et nous mène de la singularité à l’universel, de la représentation d’un espace à la représentation commune de d’autres lieux. Il y a pour Marie-Hélène Prouteau comme pour Kenneth White ou Eugène Guillevic une double géographie, la géographie spatiale et la géographie intellectuelle ; l’écriture capte et l’espace géographique et l’espace intellectuelle pour créer « un espace littéraire » selon Maurice Blanchot.

Ecrire  ce lieu de l’enfance, permet de découvrir d’autres lieux ou de les inventer, d’aller à la rencontre de lieux imaginés ou transformés par des artistes selon un triple procédé définit par Georges Perec d’esthétique, d’intériorité et de poétique.

La Petite Plage est un lieu de lumière, de mémoire, de quiétude, un lieu d’intériorité qui ouvre au monde ; Bien réelle mais par le jeu de la distance, elle devient lieu de l’imaginaire car elle est source inépuisable de création. A la lumière de ce lieu l’auteure aborde l’art et la littérature. La Petite Plage est le lieu d’une identité. Immuable, elle est un pont entre l’hier de l’enfance et l’aujourd’hui, elle a ouvert à l’émerveillement, à la beauté, à la vie intérieure et à l’éternité possible…

Présentation de l’auteur

Marie-Hélène Prouteau

Marie-Hélène Prouteau est née à Brest et vit à Nantes. Agrégée de lettres. DEA de littérature contemporaine.
Elle a enseigné vingt ans les lettres-philosophie en classes préparatoires scientifiques. Elle recherche l’échange avec des créateurs venus d’ailleurs (D.Baranov, Les Allumées de Pétersbourg) ou de sensibilités artistiques différentes (plasticiens Olga Boldyreff, Michel Remaud…).
Seule ou avec d’autres, elle a organisé plusieurs conférences, (autour de Jean-Pierre Vernant, Michel Chaillou, Josyane Savigneau…). Et animé des Rencontres « Hauts lieux de l’imaginaire entre Bretagne et Loire » chez Gracq, participé aux Rencontres de Sophie sur l’art et les autres.
 
Marie-Hélène Prouteau
Ses premiers textes portent sur la situation des femmes puis sur Marguerite Yourcenar. Elle a publié des études littéraires, trois romans, des poèmes et des ouvrages de prose poétique.
Elle écrit dans Terres de femmes, Terre à ciel, Recours au poème, La pierre et le sel et Ce qui reste (Lettre ouverte à Asli Erdogan).
Son livre La Petite plage (La Part Commune) est chroniqué sur Recours au poème par Pierre Tanguy. Elle a participé à des livres pauvres avec la poète et collagiste Ghislaine Lejard. Et réalisé Nostalgie blanche, un livre d’artiste avec le peintre Michel Remaud.
 

Autres lectures

Marie-Hélène Prouteau enchante Nantes

Née à « Brest même » mais profondément Nantaise, la bretonne Marie-Hélène Prouteau quitte « la petite plage » nord-finistérienne décrite amoureusement dans un précédent livre (éditions La Part Commune) pour nous parler de sa ville d’adoption, cette « ville aux maisons qui penchent » [...]

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Madeleine Bernard, La songeuse de l’invisible

Cette biographie s’ouvre sur un beau portrait de Madeleine Bernard, sœur du peintre Emile Bernard, pris en 1882. Que tient-elle dans sa main droite ? On pourrait y voir un chapelet de « roses » … et c’est alors que ce portrait [...]

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Marie-Hélène Prouteau, La Petite Plage

Autobiographie d’un lieu Mona Ozouf a préfacé cette deuxième édition de la Petite Plage, elle évoque ce lieu comme un paysage originel qui ouvre un chemin mémoriel : « Marie-Hélène Prouteau établit sa filiation avec ce lieu-dit au fil de 26 [...]

Par | 5 février 2025|




Yves Caro, Singe, Agnès Valentin, Trouer la nuit

Possibilité des signes, réalité du singe : Yves Caro

C’est pratiquement un descendant (voire ascendant) du poète anglophone Synge, que le Singe de Caro fait signe en une écriture plus enjouée que désespérée. Nous accompagnons ici son cheminement de  croix plus ou moins famélique que gaélique en 49 station où le héros finit en histrion avant de quitter la scène.

Ce parcours révèle la vie aux champs, foires marché, cirque et une existence de clown dont celui-ci est fait plus par le nez rouge que par son métier. Mais existe une chasse gardée dans les vicissitudes du sens et des non-sens au cœur d’une rythmique endiablée. Caro impressionne par sa verve. Sous les signes de Singe il affiche  ses incertitudes dont il reste possible de détecter les croyances païennes. En conséquence, son héros fut et reste bien plus ancien et neuf que nos ancêtres.
L'expérience de Singe sert de base à recomposer sa sagesse dont une Sophie fut l’aimée et lui le cavalier dont les aventures et accessoires sont ramenées en un spectacle des plus convaincants.  Jailli e pages en pages une forme de dialecte comique où la langue survit même si elle n’est pas crue. Singe nous rapporte ce qui est permis  d'entendre tout ce qui se disait même si des critiques pourraient le fustiger.
Caro refuse d'idéaliser un tel personnage sans scrupules. Il le représenter sans s’en indigner. Surgit alors la possibilité d'une poésie tournant le dos au classicisme et à l’ idéal pour un état  convivial, primesautier, révélé en dehors des réalités fondamentales de la vie - lesquelles ne sont jamais fantastiques.
Au lyrisme et à la boue, Caro le démystificateur préfère ce qui arrive - jusque dans le langage - de manière enjouée. Aprèsl’expérience d’un Armand Robin, en ce qu’elle avait de fragile, de novateur, l’auteur devient la source de ce Singe avatar du poète maudit, se sacrifiant lui-même bien que son métier devienne un temps la vie dans ce chef-œuvre. S’y découvre celui qui s’efface lorsque le rideau tombe.

Yves Caro, Singe , Louise Bottu éditions, 2025, 60 p. , 10 €.

Une telle expérience, vise à faire éclater les limites du genre poétique qui échapper au commerce littéraire habituel. Le tout en un petit milieu reclus, se reproduisant et secouant sans fin à la perdition de celui qui s’y laisse prendre. Mais il est totalement libre, et c’est cette liberté qui compte. 
S’y découvrent des affirmations qi se contredisent mais en début de vérité par étapes. Elles ouvrent une réflexion subversive. Le tout en une complainte jouissive  où tout cela n’a aucune cohérence apparemment mais elle parait miraculeuse en répondant si précisément à ce que chacun cherche dans la poésie du temps. L’auteur propose donc là un chaînon manquant.

∗∗∗

Agnès Valentin : la vie où tout est permis

Dans ce superbe livre la vie est là.  Avec lucidité et humour. Car certes il y a des avanies (type Covid) mais pas questio de se couper la langue. La poésie d’Agnès Valentin incite à ne pas caricaturer des distinctions négatives mais elle les nuance. Le tout dans une profondeur signifiante et connotative dues mots « confettis » solidaire de l’existence. Et à chacun de se dépasser mutuellement pour laisser vibrer, dans toutes les acceptions possibles, ce que nous appelons  la corde sensible  de la vie (et de la créatrice.)

Il y a eu les vagues successives de Covid et des canicules qui isolent, épuisent. En dépit de telles affres, l’auteure ne cesse de poursuivre, l’esprit toujours vif même parfois l’épuisement a gagné son corps. Mais comme une mèche, elle rebique. Avec, en prime, l’envie de découdre avec le sexe, et toute forme d’hédonisme. C’est ainsi découvrir ce que nous ne connaissons pas dans ce que nous connaissions déjà. Après tout, les Champs-Élysées, la place de la Concorde et la place Montparnasse le soir se découvrent comme on n’a pas encore jamais vu Paris comme cela. Même si les autres le voient tous les jours.
 Dans le désir d’écrire et d’aimer un homme (ou "l’intrus") de façon délibérément subjective , Agnès Valentin nous éloigne des fictions rocambolesques ou à thèse. Nous sommes embarqués dans un immense travelling de l’infime au géant transfiguré,  D’où cette poésie de l’affection, sans affectation. 

Agnès Valentin, Trouer la nuit, Editions Au Salvart, 2024, 82 p., 13 €.

L’auteure prend la vie, le redonne, la partage, lectrice et lecteurs compris. Sa poésie s'emparant non seulement des images mais des littératures pour ouvrir le monde qui nous reste. Mais pas n’importe lequel : celui où  tout est permis.

Présentation de l’auteur

Agnès Valentin

Comédienne et metteuse en scène, Agnès Valentin a très tôt éprouvé une passion pour les mots qui l’a conduite vers le théâtre. À la suite d’évènements marquants, sa lecture assidue de la poésie et des grands textes a suscité chez l’autrice une nécessité d’écrire. Fauchée par le virus de 2020, elle vit désormais avec un corps empêché comme si un intrus s’y était durablement installé. Atteinte d’un Covid long, Agnès Valentin lutte dans son premier livre Trouer la nuit avec ses mots et ses poèmes. Elle évoque la traversée de sa maladie à l’évolution incertaine, avec ses vertiges et ses contraintes, mais aussi les éclaircies salutaires que lui apportent l’Aimé, la voix qui naît de ses poèmes et la mer, lieu de tous les possibles.

© Crédits photos (supprimer si inutile)

Poèmes choisis

Autres lectures

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La revue Triages, cuvée 36

On ne parle pas assez de ces revues telle la revue TRIAGES, sous titrée « revue littéraire et artistique ». Depuis 2008, la revue a égrainé 36 numéros, sans compter  ceux consacrés aux  actes des colloques organisés pour saluer des disparus : Titus-Carmel, Luis Calaferte, Alain Nadaud, Antoine Émaz… Le numéro 36 comprend d’ailleurs un long article de six grandes pages, on peut dire une étude de la poésie d’Antoine Émaz, par Dominique Viart.

Il s’ouvre par un hommage à Jean-Luc Parant, qui nous vaut une belle « Lettre d’adieu » écrite par Noémie Parant, et aussi un texte  de Serge Martin-Ritman… ainsi les morts parlent-ils aux morts… Le numéro se boucle par des mots d’amis, ceux d’Alexis Pelletier et Djamel Meskache, destinés à ce dernier puisqu’il a lui-même disparu le 17 février dernier.

On trouvera également un bel article consacré par  l’éditeur à l’un de ses auteurs… ce qui est rare ! Les éditeurs sont en général pudiques, ils n’avouent que rarement à leurs auteurs leur admiration, j’y devine un soupçon de secrète jalousie, à moins que ce soit un désir de rester « le maître ». Les éditeurs, comme souvent les journalistes, seraient-ils des écrivains rentrés ? Ce n’est pas le cas de Djamel Meskache lorsque, faisant preuve d’une belle générosité, il nous conte sa rencontre avec Christophe Lamios Enos, qu’il a  publié quatre fois.

Eric Sarner a fait lui aussi acte d’admiration en traduisant les poèmes de Jérôme Rothenberg, ce qui nous vaut un bel ensemble de quatorze pages  en bilingue… Plutôt que de citer l’ensemble du copieux sommaire relatif aux 180 pages en (presque) format A4 de la revue, j’invite les lecteurs à se plonger dans ce bel ouvrage.

La revue est publiée par Djamel Meskache et Tatiana Lévy à l’enseigne des éditions Tarabuste.

Revue Triages n°36, 36170 Saint-Benoît-du-Sault, juin 2024, 183 pages, 25 €.




La Caryatide du Pausilippe : Paloma Hermina Hidalgo, les soupirs de la sainte et les cris de la fée

*

Cristina, le Réalgar (2020, réédité en juin 2023)1
Rien, le ciel peut-être, les Éditions Sans Escale (mai 2023)2
Matériau Maman, Éditions de Corlevour (décembre 2023)3
de Paloma Hermina Hidalgo

*

Gît sur le sol d’Agrigente une gigantesque caryatide déboulonnée ; la nôtre est, à son corps défendant, encore debout. Situons-la au-dessus du Pausilippe, au-delà de la mer nervalienne. Elle porte son monde en un entablement d’un ornement inouï dont la symbolique troue tout palimpseste référentiel jusqu’à laisser paraître la nuit.

Comme dans un temple, entre en littérature celui ou celle capable de créer un monde et sa fable en ce qu’ils donnent à lire aussi la naissance d’une langue.

Au commencement fut une déchirure de l’être. Pire : un charnier. L’art commence lorsque tout se décompose. La pourriture lui est nécessaire, comme elle l’est à la vie. La scène fondatrice : le massacre de l’innocence, cœur écartelé, ventre déchiré d’une enfant à la délicatesse de porcelaine, livrée à l’abattoir : « Ils mitraillent chevaux, lapins, lièvres, volailles, ils fendent le crâne des chiens. Le métal laboure, cisèle les esquilles, la pulpe des gencives, les restes de l’émail. Hectares sans voix ; seul le cri du corbeau sur la glèbe moelleuse, à peine moissonnée. […] guerrière troyenne, elle se cache dans une jument, au creux du magma tiède. » (p. 19. C). Au cœur du chaos, il y a toujours à la fois un cheval de Troie et un cheval crevé, signe de vocation.

Qui règne sur ce fracas de Premier Monde ? « Maman, tapisserie ou vitrail, enluminée de rouge, dans l’ombre des pommiers » (ibid.). Retourner dans le giron sacré des amours monstrueuses, retourner dans le jardin du péché originel, épuiser le corps de Maman dans tous les genres, l’entourer de bandelettes, endiguer son suintement délétère : « Je te magnifierai, putain, si tu me donnes la main » (p. 13. RC). 

Paloma Hermina Hidalgo, Cristina, le Réalgar, 12 €.

C’est la lèpre qui ensemence le récit, doublement cause et origine de la parole, et son plus secret objet. Pour naître à l’écriture, il a fallu à l’auteur une résurrection à la Lazare, l’enfant Jésus ayant été crucifié une seconde fois dans la crèche : « Nativité. Voile-moi de festons, langes, cédrats confits, pistaches, pour ton désir à pâle dentelure. L’alcôve : notre crèche. Dans le ciel, derrière l’astre à queue, trompettent les anges – musettes, hautbois, tambours de Basques s’étoilent en messe païenne. Tu danserais presque, madone, comme au sein danserait ton enfant » (p. 26. RC).

La lèpre, comme une démangeaison de la mémoire, est le berceau de la parole et l’atelier de la création. La lèpre n’est pas l’objet du récit, elle en est la poétique : la putréfiée, « glaise à pleine gueule » (p. 28. C), remonte à la surface des textes comme ces excédents de peau, ces étranges convulsions de la chair que forme le tissu cicatriciel d’une plaie recousue et que la langue rouvre à vif d’un livre à l’autre. Paloma Hermina Hidalgo tourne jusqu’au vertige autour de cet autre enchanteur pourrissant : le corps magnifié de la mère, tombeau idolâtre où fermente la légende dans laquelle la parole a pris.

Paloma Hermina Hidalgo, Rien, le ciel peut-être, les Éditions Sans Escale, 2023, 100 pages, 15 €.

Dans les morsures du baiser maternel s’est instillé le venin d’une altérité fondamentale : « Tes lèvres, au-devant des miennes, me croquent. Et ma bouche renaît, te renouvelle ses soins. » (p. 18. RC). L’infans est l’enfant qui ne parle pas encore. La naissance à la parole a eu lieu dans un gauchissement de la jouissance. De la fellation à la phonation, la bouche de l’enfant profanée s’est disjointe dans la confusion de la chair et du mot. La langue de Paloma Hermina Hidalgo suce, tète, lèche, soigne les mots ; c’est une langue qui fouaille le langage pour retourner son objet – la mère - comme une peau, et le dépecer : « Tu tètes, lascive, un couteau. Tes lèvres s’empoissent de gris – l’eau glauque, ta bouche l’assombrirait encore » (p. 17. RC). La bouche de l’enfant-poète a bu au sein marbré, aux lèvres vénéneuses d’une sphinge. Dans un violent écart de la conscience, la parole dès l’origine a œuvré pour intégrer l’indicible et le monstrueux de l’énigme : «  quel crime t’enseigne à m’offrir ces lèvres, à darder en alliance ta bouche de tribade ? » (p. 71. RC).

Corps à deux têtes – mère et enfant – les deux bouches se sont entre-dévorées dans un archaïsme de titans et de châtiment biblique : « … j’inciserai la voûte de ton pied – tu iras sur le sel » (p. 14. RC). Paloma a hérité d’une bouche de goulue pétrissant nos langues et d’une « âme de langage », comme le disait Jean Grosjean à propos de Claudel dans la préface aux Cinq grandes odes (Poésie Gallimard, 1966). Il faut la mort de l’autre, en particulier de la mère, pour que l’écriture devienne possible. Quand l’objet du désir a disparu, l’écriture peut s’identifier au vécu en devenant matériau. Il n’y a qu’aux morts que nous ne cachons rien. Le mal est intégré dans le vivant et la parole peut alors tout embrasser dans l’acte salutaire de la sublimation : « Je dirai, redirai, pour que ton dieu l’entende, le nom de nos étreintes ; te flattant de la lèvre, encore ! » (p. 35. RC). Une seconde parturition peut advenir, celle, triomphale, de l’auteur qui met à distance la fillette embaumée dans une idéale falsification du souvenir : « Grande poupée » et « petite poupée » y peuvent rejouer les scènes hallucinées de leur amour « baratté », « nourri de pêches vertes et de coliques » (p. 33. RC), en des dérives textuelles dont les signifiants se dédoublent jusqu’au vertige, dont le pouvoir spéculaire et la reproduction multiple les exhaussent jusqu’au merveilleux de la fable. Les livres se lisent – et même Matériau Mamanétiqueté roman – comme les bris de tesselles d’une mosaïque de Pompéi ou la subversion de la Première Station du Christ au Jardin des oliviers, quand « Dieu s’appelle Maman » (p. 143. MM) et qu’il reste sourd à l’agonie de son enfant : « "Reste, Maman, reste encore." Personne ne répondra à ma prière. » (p. 130. MM).

Paloma Hermina Hidalgo, Matériau Maman, Éditions de Corlevour, 2023, 160 pages, 18 €.

 

Don de marraine à la naissance, Paloma Hermina Hidalgo – Neige, Nieve - a reçu celui du démon de l’écriture : elle parvient à « penser la discordance de cette mère de tendresse et de sexe » (p. 122. MM) ; elle accueille la division en elle de la vertu et du vice, de la natte et de la ronce, de la sainte et de la fée, du réel et du conte, de l’adorée et de l’ogresse en une logique de miroitements intimes et d’images neuves, proches de l’illumination : « Noces. Ta couronne est de tiges – qu’elle traîne sur ta nuque en mauvais équilibre, touffe de véronique mâle, sueur, mousses, où s’abreuve ta peau. Sous l’auréole, hallier d’épines ; lichens, russules, mésanges, tout ça qui buissonne à ton front ; carillons, oiseaux de feu, fleurs de nuits sur le mont chauve. » (p. 31. RC). L’écriture qui ne guérit pas est la plus admirable. Paloma Hermina Hidalgo orchestre la dérive des identités en des épiphanies de la supercherie et de la disjonction. La stylisation du réel n’est pas chez elle une simple opération intellectuelle et langagière. C’est la vie qui devient style dans ses livres : éloigner la vie du récit, voilà sa plus belle prouesse. La vie ou l’écriture comme la poule ou l’œuf. L’écriture est une conquête et une construction, une manière de dédoublement pour se réinscrire au monde, y retrouver sa place : « "Il faut, Nieve, que ton enfance soit tendresse. Il faut brûler en toi les autres contes. " Vite : jeter, pêle-mêle, les images sur le papier ; trouver grâce dans leur épuisement ; vivre de cette mémoire, comme on vit d’un amour. » (p. 108. MM). Paloma Hermina Hidalgo porte son texte-monde au lieu de le détruire. Les motifs récurrents de ce texte-monde sont les fleurs du jardin maternel, la chair des fruits, les étals de poissons entre Marennes et Rochefort, et les robes de princesses, cousues à même le corps-sage de la fillette par une marâtre. Entablement richement ornementé, la voilà, notre caryatide, au-dessus du tombeau de Virgile !

Dans la cosmogonie intime de Paloma Hermina Hidalgo, la jeune enfant qui en savait déjà trop se révèle savante en toutes choses. Contrainte de proférer des réalités qu’un enfant est censé ignorer, elle modèle l’obscène et le tabou sur la sensualité des choses, parce qu’une enfant ne peut s’abstraire de la beauté, aussi abîmée soit-elle : « Cursives pâles sur deux lignes. Mots en boutons : "Ma-man". La parole me vient sous la voûte des fleurs. » (p. 23. C). Elle est un petit Dieu qui sait tout nommer de la Création des animaux et des plantes. Elle a la séduction de l’élève modèle dans son grand inventaire du vivant et de la grâce. Dans une féerie de la parole, elle prend en charge le pervers, le nauséeux et le trouble en des transpositions romanesques et poétiques qui sont comme autant de petites mandragores poussées au pied du tombeau de la mère. « J’ai tué Maman », pourrait-elle dire, « et la pare de fleurs de laurier rose, de myrte et de thym ».

Première anamorphose littéraire : la phanérogamie des fleurs à l’œuvre dans les textes de l’auteur qui fut une toute jeune fille en fleurs : « Un peu, beaucoup : candeur de t’effeuiller à la manière des hommes. » (p. 48. RC). Paloma Hermina Hidalgo se révèle redoutable botaniste dans ses textes d’une extrême technicité qui intègre à bout portant les perversions adultes. Relisons Proust au passage : dans le règne végétal, la sexualité se fait à ciel ouvert, s’exhibe. Les boutons de fleurs sont les organes féminins et la virginité. Paloma sait la fondamentale impudeur des fleurs quand, côté jardin, elle tremble de rencontrer un insecte – ces « il(s) » anonymes qui gravitent autour de la mère, joyau du jardin. Elle sait  que la langue même inverse la sexualité des fleurs : les étamines aux consonances douces et vocaliques sont l’organe mâle, tandis que le pistil à fortes consonances, désigne l’organe femelle. Enfant-fleur, enfant-fruit défendu, elle absout la perversité de la mère dans l’extravagance du comportement floral : « Les petites filles, d’où gicle l’androcée, comme d’une rose les carpelles, dansent à la barre. Cache-cœur, tarlatane renversée, jambes en pistil que dévoilent les pointes, le grand jeté. » (p. 20. C). Ses textes font très XIXème, siècle porté, on le sait, à une intense sexualisation des fleurs. Relisons Proust, dans À propos de Baudelaire : Lettre à Jacques Rivière : « Lesbos m’a appris le mystère des vierges en fleurs. » Mais la fleur n’est pas seulement la beauté, elle est aussi le malaise, le maladif, le pathologique, l’horrible. Pour grandir envers et contre le malheur, l’enjeu pour l’auteur semble de devoir naturaliser l’inceste et le viol en l’accueillant au sein du règne végétal. La fleur serait ainsi une version angélique de ce qui est sous terre, le gluant des racines et le mou des tubercules : « La porte s’ouvre sur un potager […]. Odeur de terre retournée, de dattes pourries. Au milieu du jardinet, les branches épanouies d’un prunier ; la lune cisèle l’ombre des fruits sur les murettes […]. Un ogre de conte de fées pousse la porte de métal. […] À sa taille, un ceinturon clouté, des taches de sang frais comme une gerbe de tulipes. Ses prunelles s’allument […]. J’implore, joins les mains. Un filet d’urine court le long de ma cuisse. » (p. 75. C). Floraliser la jeune enfant, c’est déjà la mortifier, annoncer son dépérissement. La mère par ailleurs expose son enfant comme un bouquet dans un salon, son ornement. La mère elle-même devient motif floral esthétisé, enluminé, comme sur une portion de vitrail ou de lampe de Lalique ou Gallé : « Rosier cent-feuilles : fleuraison d’un sein. » (p. 48. RC). Il s’agit bien, d’un livre à l’autre, de « fui[r] toute brutalité par un luxe de raffinement » (p. 99. MM). Le langage des fleurs permet la transsubstantiation du matériau opaque de la réalité en une substance idéale qui atteint la transparence des idées. Le style de Paloma Hermina Hidalgo a la transparence cristalline de l’air solidifié, du verre, dans une miniaturisation orfèvre que l’œil, coupé du corps, opère en refoulement de la douleur. Il en va des fruits comme des fleurs, fruits dont on sait qu’ils désignent souvent le sexe féminin : « pêches d’une peau neigeuse, cerises d’une robe brune. Vénus, les suçant : "Je quitterais mon corps, flétrirais mes pétales, pour licher en salope ces fruits doubles et veinés". Faut-il que je jalouse ! Voile-lui, ma garce, ton verger, d’où sourd le suc dès que ma lèvre le presse ! » (p. 40. RC). Quant au violeur d’un jour, il a « les paumes molles comme des pêches au sirop » (p. 26. C).

 Seconde anamorphose remarquable de la transgression : les étals de poissons, les grèves marines et ces autres fruits, qui sont de mer, aux formes et aux odeurs de sexes moites. Ils sont cette fois accordés à la brutalité vulgaire des marins de passage, amants de la mère aux queues d’écrevisses : « Et que s’y gave ma langue en tortil de luxure. » (p. 45. RC). L’enfant ravie sur le bord de mer, dans son effroi de statue de sel, écrit sa blessure à l’encre de seiche, à la corne de narval. Les détails sont grossis, l’action échappe, la symbolique est brouillée, un soupçon de crevé en tout, pas seulement dans les manches de velours des robes de princesse-Peau d’âne. Tout sent l’algue pourrie, le coquillage altéré sur l’Île de Cythère : « Il dépiaute praires, palourdes, clams entre les miroirs d’eau. […] Il rue de colère. J’étincelle, humiliée, foule la menthe perlée de clovisses. Les cris de la mer nous transpercent, mes pieds pourrissent dans l’algue. J’essuie mon genou écorché, lèche sur mes doigts sang, sperme, eau marine. » (p. 24. C). La côte océane française prend vite des allures de grottes marines antiques, de « criques de pampre noir » (p. 34. RC), pour le festin de murènes, tel que le rapporte le personnage de Domenico dans le « Naples » du Bourlinguer de Blaise Cendrars. Il s’agit d’un mythe d’origine relatif à la ville de Taormina : « Chez nous sous chaque maison s’étend une grotte sous-marine pleine du va-et-vient et du frissoulis ou du mugissement des vagues. Ces grottes sont profondes. Depuis toujours on y jette les petits enfants qui viennent au monde. Ceux qui ne savent pas nager sont mangés par les murènes. Les autres se sauvent au large et reviennent adultes sur les côtes ; […] Les filles qui sont malignes se laissent couler à pic et remontent à la surface quand elles sont nubiles […]. On les appelle les sirènes, et elles passent pour être princesses. » Ce que dit le mythe est multiple : d’abord que pêcheurs et poissons sont de même race, que par ailleurs la perte des limites est à la fois la pire et la meilleure des choses, perte par dévoration ou par métamorphose. Face à la menace de l’informe réalité et de la perte de raison, l’écriture et le style préservent encore l’espoir de ressaisir une identité ferme dans l’acte même de métamorphose. Paloma Hermina Hidalgo œuvre contre la dissolution et parvient en définitive à trouver dans la conque d’un eros mortifère un fonds de pureté baptismale.

Les trois livres de Paloma Hermina Hidalgo n’en sont qu’un, répété, replié sur sa propre densité, comme un symbole médiéval d’une vitalité vertigineuse : noir de la terre, noir des bois, brume plombagine, motifs floraux jusqu’au hors-cadre, Nieve (Matériau maman) se vêt d’une robe pourpre pour des noces recommencées avec la grande baigneuse phocomèle de Taormina. On ne pourra nier l’évidente autorité de l’auteur sur son texte – presque théocratique. Le dernier en date – Matériau maman – se lit comme la chambre de récupérage clinique des saintes écritures poétiques des deux livres précédents. Tous trois se nourrissent au triple régime de l’enfance : « Gadoue, purin, rosée » (p. 27. C) et à un syncrétisme où sacré et païen exhaussent, dans un manteau d’hermine, « Maman, fée ou vierge des trèfles […], mains jointes. » (p. 27. C). Écrire toujours le meilleur et le pire, quand on a su inventer sa langue.

L'écrivaine et poète Paloma Hermina Hidalgo à la Maison de la poésie, Paris, février 2024. Lecture d'un extrait de "Souillon", texte inédit de Paloma Hermina Hidalgo, paru dans l'édition 2024 de l'anthologie du Printemps des poètes, Éd. Le Castor astral. Musiciens : Lola Malique et Pierre Demange.

Notes

  1. C pour Cristina

     2.  RC pour Rien, le ciel peut-être

     3. MM pour Matériau Maman

 

Présentation de l’auteur

Paloma Hermina Hidalgo

Paloma Hermina Hidalgo est tenue pour l'une des autrices les plus douées et radicales de sa génération. Formée à l’Ecole normale supérieure d’Ulm-Paris, à HEC Paris et à l’École du Louvre, elle a durant ses études signé des centaines de chroniques sur l’art, la littérature, la philosophie, le théâtre, la musique et la danse pour Le Monde, Le Monde diplomatique, France Culture, Esprit, Europe, The Times Literary Supplement... À sa sortie de l'ENS, elle conduit des missions de recherche pour l’UNESCO tout en enseignant à Sciences Po Paris. Elle est depuis chercheuse indépendante.

© Crédits photos Bona Ung.

Bibliographie 

Poésie

  • Cristina, Le Réalgar, 2020, sous l'hétéronyme de Caloniz Herminia, réédition en 2023, sous le nom de Paloma Hermine Hidalgo, préface d'Alain Borer.
  • Rien, le ciel peut-être, Sans escale, 2023, préface de Dominique Sampiero — lauréate de la Bourse Gina Chenouard de la Société des Gens de Lettres ; lauréate du Prix Méditerranée Poésie (refusé par l’autrice pour des raisons politiques, car le prix était doté par la Mairie de Perpignan, aux couleurs du RN) ; lauréate du Prix « On n’est pas sérieux ».

Roman

  • Matériau Maman, Éditions de Corlevour, 2024.

Sélection de nouvelles et contes

  • "Jardin des oliviers", Europe, 2017.
  • "Magnificat", Po&sie, 2017.
  • "La Neige tatouée", Frictions, 2021.
  • "Aphrodite, ma mère", Possibles, 2024.
  • "Lace, vanille, lace", Poesibao, 2024.
  • "Cabale", Zone Critique, 2024.
  • "Ap sou mànsel", Zone Critique, 2024.
  • "Pupa", Edwarda, 2024.

Théâtre

  • La Reine cousue, Frictions, 2023.

Ouvrages collectifs

  • Art Paris, éditions Le Grand Palais/Issuu, 2020.
  • Symbiosium. Cosmogonies spéculatives, éditions du Centre Wallonie-Bruxelles, 2023.
  • Petit Encomium de mots (plus ou moins) rares, éditions Malo Quirvane, 2024.

Anthologies

  • Ces instants de Grâce dans l'éternité, éditions Le Castor Astral, 2024.
  • Esprit de résistance - L'Année poétique, éditions Seghers, 2025.

Livres d'artiste

  • De cette ombre indigo qu'on voit aux baies d'açaï, peintures de Jacky Essirard, Atelier de Villemorge, 2023.
  • Vision nocturne de ton ombre sépia, texte de Jacky Essirard, dessins de Paloma Hermina Hidalgo, Atelier de Villemorge, 2024.
  • Lazzi, peintures de Bernard Alligand, éditions d'art FMA, 2024.

Poèmes choisis

Autres lectures




Samira Negrouche, cinq poèmes

Il fait sombre dehors || toujours autrement || toujours plus || sombre à
Alger et || ailleurs j’ai vu la neige || il y a dix ans la neige || les branches
ont cassé || je m’en souviens et les poteaux brisés || le vent brise et le
poids || la neige sur ma terre-mère || on dit que ce n’est pas si rare || il
neige sur les dunes du Sahara || pas si rare || on a beau revoir la scène ||
neige sur sable || c’est toujours la première fois || qu’il fait trente-trois
degrés un vingt-trois octobre || il fait sombre dehors || c’est midi plein.

***

Il y a des choses Anna || ça n’a rien à voir avec le sein et le téton || ni
avec l’éveil du désir || le réveil des sens || il y a des choses comme le
dérèglement des sens || qui me préoccupent || quand je pense à toi || c’est
aux incendies || à la Californie en feu que je pense || à la Kabylie au
Portugal || à la Grèce à la dune du Pilat || au parc d’El Kala ses oiseaux
migrateurs || à l’ouest du Canada || je ne savais pas que le pays froid
peut brûler || ainsi on brûle le pays froid et l’Amazonie || et l’Australie
encore || rien de Flat à ce sujet || pas lisse || ça grimpe || ça saute || partout
de proche en proche || ça flambe.

***

Il y a une faille en Californie || comme il y a une faille à Alger || moi
aussi je suis nulle en géographie || le plus souvent || j’oublie où se
trouvent les failles majeures || en Méditerranée en Anatolie || sur la mer
morte je ne sais pas || s’il y a autre chose || que la guerre || j’y ai pourtant
nagé || toi et moi vivons || sur la faille || et d’autres que nous || failles et
fissures habitent || nos profondeurs || je suis née le jour || du grand
séisme || une deuxième fois || dans mon berceau || les mères oublient
parfois les nourrissons || elles se sauvent || les mères pleurent d’avoir
oublié || qui pour sauver les mères || je traduis les secousses malgré moi
|| l’échelle n’est pas référencée || je traduis du bout || de la langue.

***

Je n’oublie pas les trente-trois degrés || le chaud quand ça vient à cette
saison on dit || ça rappelle le grand séisme || celui d’Orléansville il y a
quarante-deux ans || moi aussi j’ai peur || quelque chose me secoue ||
j’aimerais avoir une queue à balancer || nous autres humains traduisons
la peur par || des flambées cutanées || des démangeaisons || la maladie
mentale est toujours || une traduction || tu ne sauras jamais || la langue
de départ || زعزعني secouée ébranlée déracinée || accepter la part de
secousses || inventer entre les lignes de quoi || traduire tordu || passer
juste || la frontière.

***

Anna la chaise est renversée c’est à partir de la fin—n’importe quelle
fin—qu’il faudrait réajuster l’oubli—le paradis Anna a parfois un goût
de soleil moisi—quand je pense au soleil je veux penser à Sénac à
Amrouche à Amrani—mais quand je pense soleil je veux penser au
soleil de la Californie—celui que je n’ai jamais vu—cette terre mère
qui t’irrigue—le désir prend place dans ce qui adviendra peut-être—
peu importe si ça advient—à la fin le paradis rétablit la chaise—je ne
dis pas que la chaise redevient droite—je ne dis pas qu’elle se dresse—
mais quelque chose n’est-ce pas doit être rétabli et je crois que c’est
l’idée même du paradis qui m’inquiète—dans le Coran il ruisselle sous
les pieds des mamans—dans le Coran certains retiennent les vierges
offertes aux sacrifiés—il faut renverser le sacrifice Anna—sans doute
rétablir les vierges et les mères—pour le Marabout de Dakar il ne sert
à rien d’aller à la Mecque car dit-il la Mecque c’est le flanc de ta mère—
honore le flanc de ta mère dit-il—il ne dit pas étrangle-toi avec ton
cordon ombilical—mais ta mère comme une Mecque est une terre
promise—il ne faut y voyager qu’une fois—la terre de ma mère est un
cordon joyeux—c’est une chanson dans le bain—thawardets—la
rose—ma mère se rappelle le bain—tous les enfants sont beaux—et le
paradis Anna est une mère dans laquelle on ne voyage qu’une fois—un
refrain qui reste comme un battement lointain—nous ne sommes pas
parfaits Anna—nous ne sommes pas imparfaits non plus—

Extraits de Stations, éditions chèvre-feuille étoilée, 2023.

Samira Negrouche, deux extraits de Stations, Stations, éditions chèvre-feuille étoilée, 2023.

Présentation de l’auteur

Samira Negrouche

Née à Alger où elle vit, Samira Negrouche est poète, essayiste et traductrice. Médecin de formation, elle se consacre à l’écriture. Les collaborations interdisciplinaires tiennent une place importante dans son processus créatif et dans son cheminement de pensée. Elle a notamment travaillé avec la chanteuse et musicienne Angélique Ionatos, l’artiste Marc Giai-Miniet et le théorbiste Bruno Helstoffer. En 2019, elles créent à Conakry avec la chorégraphe Fatou Cissé la performance « Traces ». Elle co-écrit en 2024 « Tremblement » avec la compositrice et musicienne Floy Krouchi et « Pente Raide » avec l’écrivain et performer Marin Fouqué. Voix majeure de la poésie algérienne, elle est traduite dans une trentaine de langues. Parmi ses publications : À l’ombre de Grenade, Éditions Marty (2003), Le Jazz des oliviers, Éditions du Tell (2010), Quai 2I1, partition à trois axes, Éditions Mazette et Traces, Fidel Anthelme X (2021). 
 
Elle publie en 2023 sa traduction du recueil de Nathalie Handal, De l’amour Des étranges chevaux, Éditions Mémoire d’encrier (Montréal), l’anthologie personnelle, J’habite en mouvement ( 2001 – 2021), Éditions Barzakh (Alger) et le volume hybride d’essais, de dialogues et de poèmes Stations aux Éditions Chèvre-feuille étoilée (Montpellier). Son œuvre poétique choisie « The Olive Trees’ Jazz and Other poems » a ététraduite en anglais par Marilyn Hacker et publiée aux États-Unis en 2020, elle a été finaliste du National Translation Award et du Derek Walcott Prize for Poetry. 

© Crédits photos Lili N.

Bibliographie

  • J'habite en mouvement, éditions Barzakh, 2023
  • Stations, éditions chèvre-feuille étoilée, 2023.
  • Traces, éditions Fidel Anthelme X, 2021
  • The Olive Trees Jazz and Other Poems, traduction par Marilyn Hacker, Presse Pléiades, 2020
  • Alba Rosa, éditions Color Gang, 2019
  • Quai 2I1, partition à trois axes, éditions Mazette, 2019
  • Six arbres de fortune autour de ma baignoire, éditions Mazette, 2017
  • Quand l'amandier refleurira, Anthologie, éditions de l'Amandier, Paris, 2012 (épuisé)
  • Le Jazz des oliviers, Blida, Éditions du Tell, 2010
  • Cabinet secret, avec trois œuvres de Enan Burgos, Color Gang, 2007
  • À chacun sa révolution, bilingue fr/it, Trad. G. Napolitano, Naples, Édition La stanza del poeta, Italie. 2006
  • Iridienne, Lyon : Color Gang, 2005.
  • À l'ombre de Grenade, A.P l'étoile, Toulouse 2003 ; édition augmentée Lettres Char-nues, Alger 2006.
  • L’Opéra cosmique, Alger, Al Ikhtilef, Mars 2003. Réédition, Alger, Lettres Char-nues, novembre 2003.
  • Faiblesse n’est pas de dire… Alger : Barzakh, 2001.

Livres d'artistes

  • Cabinet secret, avec trois œuvres de Enan Burgos, Color Gang, 2007.
  • Bâton / Totem - livre d'artiste avec Ali Silem, 2016
  • Voit la nuit - livre d'artiste avec Ali Silem, 2017
  • Nuage du matin - livre d'artiste avec Jacky Essirard, 2017
  • Il ou Elle, livre d'artiste avec Marc Giai-Miniet, éditions du nain qui tousse, 2018
  • Suspends la langue, livre d'artiste avec Marc Giai-Miniet, éditions du nain qui tousse, 2018
  • Flux 1 & 2, livre d'artistes avec Lamine Sakri et Ryma Rezaiguia, Les ateliers sauvages 2018
  • 2X2, livre d'artistes avec Lamine Sakri et Ryma Rezaiguia, Les ateliers sauvages 2018

Ouvrages collectifs

  • Le retour dans Le bocal algérois, édité et mis-en-scène par Gare-au-théâtre à Vitry-sur-Seine, 2003.
  • J’ai embrassé l’aube d’été, Villeurbanne, Éditions La Passe du vent, 2004.
  • L’Heure injuste !, dans L'Heure injuste, Villeurbanne, Éditions La Passe du vent, 2005.
  • Départements et territoires d’outre-ciel, Villeurbanne, Éditions La Passe du vent, 2006.
  • "Nei bastioni della culturalita", dans Violenza sensa legge, (éd.) Marina Calloni, Édition De Agostini, 2006.
  • Dans le privilège du soleil et du vent, Villeurbanne, Éditions La Passe du vent, 2007.
  • "Désertification", dans Anthologie des dix ans du festival Voix de la Méditerranée de Lodève (double CD), poètes sélectionnés par l’écrivain et poète canadienne Denise Boucher. 2007
  • "Café sans sucre, dans Dans le privilège du soleil et du vent, Villeurbanne, Éditions la passe du vent, 2007.
  • "Mon père ce passé présent", dans Mon père, (éd.) Leila Sebbar, Éditions Chèvrefeuille étoilée, 2007.
  • "Correspondance avec l’écrivain Nicole Caligaris", dans Il me sera difficile de venir te voir, Éditions Vents d’ailleurs, 2008.
  • Triangle : Poésies en traduction, Alger: Alpha, 2009.
  • "S’il fallait trouver un sens, dans Pour tous ! Démocratiser l’accès à la culture 1789-2009, Villeurbanne, Éditions La Passe du vent, 2009.
  • Samira Negrouche (ed.), Lignes d'horizons, Blida, Éditions du Tell, 2010.
  • "Qui connait le désert sait qu'il n'est jamais vraiment ouvert", Allemagne Michael Jeismann (éd.), Mauerreise. Grenzsituationen rund um die Welt, Goettingen: Steidl Verlag, 2010.
  • La Vérité de la nature, dans Rousseau au fil des mots, Lyon: Le passe du vent, 2012.
  • Maram al-Masri (ed.), Femmes poètes du monde arabe, anthologie, Paris, Le Temps de cerises, 2012.
  • Samira Negrouche (ed.), Quand l’amandier refleurira, Anthologie de poètes algériens contemporains, Paris, Éditions de l’Amandier, 2012.
  • "Sept petits monologues du jasmin", dans Histoires minuscules des révolutions arabes, Montpellier, Chèvrefeuille étoilée, 2012.
  • "Du Feu que nous sommes". Anthologie poétique. Bordeaux, Abordo Éditions, 2019.
  • Goutte à goutte, revue Europe N° 1094 - 1095 - 1096 été 2020, numéro dédié à Dib en son centenaire et à Jean Sénac.

Traductions de son œuvre

  • A chacun sa révolution, bilingue fr/it, Trad. G. Napolitano, Naples, Édition La stanza del poeta, Italie. 2006
  • Il palo elettrico soltanto, traduction en italien par Giovanni Dettori, dans "Soliana", n°1, (Cagliari), nov. 2007. [archive] Revue de culture, p. 21-25.
  • Banipal, Magazine of Modern Arab Literature, N°45, poèmes traduits en anglais par Marilyn Hacker, Winter 2012.
  • Jazz degli ulivi, traduit en italien par Annie Urselli, Alberobello, Italie: Poiesis Éditrice, coll. Diwan della poesia, 2011.
  • A ciento ochenta grados, traduit en espagnol et préfacé par Carlos Alvarado-Larroucau, Rosario - Buenos Aires, Argentine: Gog y Magog, 2012.
  • Monologues du jasmin, traduit en bulgare par Krassimir Kavaldjiev, Small Press Stations, Sofia, Bulgarie 2015
  • Udsat Erindring, traduit en danois par Morten Chemnitz. NorthLit éditions, Aarhus, Danemark 2018
  • The olive-trees’ Jazz and other poems, traduit en américain par Marilyn Hacker. Pleiades Press, États-Unis, 2020 (finaliste du Dereck Walcott Prize for Poetry 2021 et du National Translation Award in Poetry ALTA 2021)

Autres lectures




Francis Gonnet, ABSENCE

Recule l’heure, recule le silence. L’air habite
encore tes lèvres.

De tes pas, tu attaches la lumière au seuil de nos
pas.

Laisse le vent porter l’haleine chaude au
chemin, avant de disparaitre sous les paupières
du jour.

*

On voudrait que la neige retienne la couleur
d’un sourire, qu’une étincelle ne soit simple
reflet.

Mais derrière une poussière d’étoile, paraît ce
visage brouillé d’absence − cendres d’ombre
brûlée de silence, comme pétales tombés du
cœur.

On attend comme un signe, le souffle bleuté
d’un oiseau, le murmure de l’arbre où niche un
parfum de vent.

*

 

Sciure de pluie − presque nuit. La lumière est
blanche de toi. L’absence est notre hiver.

Vais-je garder le froid au creux des bras, ne
serrer de ta peau que le froissé du drap ?

*

Malgré l’embu des jours, vois ce que tu laisses
de blé en mémoire – une paille tissée de
caresses et de joies, la mie chaude des mots
dans la conque des nuits.

Ton souffle en nos souffles a déployé nos ailes.
À l’horizon, chatoient nos couleurs.

Vois aussi, ce qui comble nos mains, les plumes
de ton regard, un éclat de ton ciel sur les larmes
du silence.

 

Mémoire, donne ta voix au silence.

Pour que vive l’absence, je noue au présent, les mailles de notre histoire, j’attache nos paroles aux lumières d’un poème.

*

A force de soleil, les mots fondent leurs dernières neiges. Le gel ne figera plus l’herbe des regards. On respirera l’haleine des fleurs naissantes.

Car le temps offre ses jardins, où les mauves flétries s’épanouissent et les rayons, glissants à l’embrasure des ombres, sertissent les feuilles encore fragiles.

Présentation de l’auteur

Francis Gonnet

Né le 12 08 1959 à Paris. Enfance et jeunesse à Nogent sur marne. Marié, deux enfants, habite en Normandie.

Après un doctorat de physiologie, Il a fait toute sa carrière dans l’industrie pharmaceutique à la direction des ventes et du marketing, en métropole et à l’outremer.

Attiré, dans sa jeunesse, par la poésie de Baudelaire, Rimbaud, Il a découvert plus tard celle de Rilke, Char, St John perse, Guillevic et Bonnefoy, et plus récemment, André Du Bouchet et François Cheng…

Grâce à son père, le poète Roger Gonnet, il a été sensibilisé, dès son adolescence, à la poésie, en participant, à la fin des années 70, aux rencontres, et à la revue de l’association de la SAPE (société des amis de la poésie de l’Essonne) du poète Maurice Bourg, qui accueillait de nombreux poètes, comme Roger Caillois, Guillevic, Jean Rousselot, Luc Bérimont, et bien d’autres. Il assiste à des récitals de poésie à Paris, dans lesquels Pierre Emmanuel, Jean Claude Renard, viennent lire leurs poèmes. Il participe, dans les années 80, aux prémices de l’association de poésie « Jalon » du regretté Jean Paul Mestas, devenu ensuite « Art et Jalon » sous la présidence de Colette Klein. Il y rencontre, entre autres, Andrée Chedid et publie ses premiers poèmes. En tant que peintre, il illustre plusieurs recueils de poésie (Denise Borias, André Lagrange, Roger Gonnet…) et revues de poésie (La SAPE, Jalon, Poésie première, Traversée, Concerto pour marée…).

En tant que poète, il participe à plusieurs revues (Arpa, Ecrits du Nord, La forge Ed. Corlevour, Traversées, Art et jalon, Poésie première, concerto pour marée, lichen, Saraswati, Indocile…) et anthologies de poésie (SPF, Anthologie 2020, Ed du cygne…). A ce jour, il a publié cinq recueils « Argile de l’aube » en 2018 aux éditions du cygne, et « Clarté naissante » en 2020, chez ce même éditeur, « Promesse du jour » aux éditions Alcyone en sept 21, « Sang de nos racines » Editions du Cygne sept 2022, « Traversée des visages » Editions du Cygne 2023 et « Sous la pierre des nuits » Toi Edition, 2024. Il obtient en 1987, le prix de la rose d’or de Doué la fontaine.

Il est secrétaire et membre du comité de rédaction de la revue Poésie première. Il est sociétaire des poètes français depuis 2018

 

 

Bibliographie 

Recueils de poésie :

  • Argile de l’aube. Ed du Cygne 2018
  • Clarté naissante Ed du cygne 2020
  • Promesse du jour Ed Alcyone 2021
  • Sang de nos racines Ed du cygne 2022
  • Traversée des visages Ed du cygne 2023
  • Sous la pierre des nuit Toi Edition. 2024

Préfaces :  

  • Anne-Marielle Wilwerth : « Vivre au plus près » Editions du Cygne. 2022
  • Parme Ceriset : « Boire la lumière à la source » Editions du Cygne. 2023
  • Patricia Ryckewaert « L’autre rive » Editions Douro, 2024

Livres d’artiste :

  • Sur le pavé froid des nuits  collages de Ghislaine Lejard. Livre pauvre en 3 exemplaires

Revues :

Participation aux revues :

  • Jalon, Poésie première n°73,79,81. concerto pour marée n°14,15,16 lichen 56,57,77,89,90, Saraswati n°16, indocile. 56,57. Francopolis n° 169 Oct 2021, mai juin 2022. Les écrits du Nord n° 41-42. 2023 ARPA 140 juin 23, Traversées 105 sept 23. Voix Oct 23. La forge, Ed de Corlevour.n° 4, Oct 24.
  • Secrétaire et Membre du conseil de rédaction de la revue Poésie Première.

Anthologie et livres collectifs :

  • Anthologie de la Société Française de poésie 2019
  • Anthologie du Cygne 2020
  • Florigène 2020 de la société Française de poésie.
  • Anthologie 2021 « Voix des iles » Ed des Iles
  • Mille et une plumes. Ed Séla Prod 2022

Publications en ligne :

  • Recours au poème, Club de la cause littéraire, les belles phrases, Groupe de la revue bleu d’encre, cercle de l’ardent pays, amis qui aiment la poésie d’Amay, amis de la revue index, Les poètes de la terre…

Illustrations :

  • Méandres du chiffre 5 André Lagrange.
  • Jardin de l’eau. Denise Borias.
  • Bruit d’eau. Roger Gonnet.
  • Revue poésie première 2022, 2023,2024
  • Revue Traversée 2022
  • Revue Concerto pour marée 2023
  • Revue Voix 2024
  • Revue La Forge Corlevour 2024

 

Prix :

  • Prix : rose d’or de Doué la fontaine 1987

Société :

  • Membre de la société des poètes Français.

Poèmes choisis

Autres lectures

Francis GONNET, Sous la pierre des nuits

Un petit livre carré, soigné, composé de petites proses (2 ou 3 par page) qui éclairent les obsessions du poète : neige, nuit, parole poétique, besoin de clarté et de pureté. Deux sections [...]