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Étienne Faure, 3 croquis de Vaché, interprète des tranchées

  Quel trou-quel trou-quel trou ! 

Vaché, Lettre à A. Breton, 1916.
Lettres de guerre

 

Souvent caressant les troncs des futaies, revient la 
fibreuse énergie mêlée d’écorce, sève et liber,
dès 1916 éclatée d’obus, rendue déchiquetée
à la désertion des ciels de toute idée
végétale, animale, terre détruite où Jacques
Vaché avance, traducteur des tranchées,
à rire tout en réserve et radicalité, disant
c’est compliqué, nous sommes piqués, les (h)êtres
(h)umains passés de forêt à trépas en quelques nuits
ou jours, on ne voit pas, tout s’équivaut sous les racines,
les restes de fûts grêlés d’éclats qui dans vingt ans
reverdiront entre deux fémurs remontés des 
profondeurs de la terre –de profundis, futaille, mitraille, 
maintenant chaque essence d’arbre a ses feuilles,
égare les scrutateurs d’horizon naguère bleu,
arbre à foudre, à justice, foudre de guerre,
fagus orangé, pare-feu de l’automne
qui jaunit sitôt noir, point de mire des yeux.

(les) hêtres umains

 

Jaune pâle puis jaune paille, le soleil entre 
par n'importe quel œil dans nos vies, 
hors saison poudroie puis console de l'ordinaire
lueur à même le sol d'antan, traverse
nos séjours sur terre en pleine heure creuse 
d'hiver puis d'été -le front n'avançait pas, nous étions
inhumés sur notre lieu littéral d'enterrement,
littéralement 
portant dans la main le cœur des Flanders Fields,
coquelicots puis bleuets enfouis avec
nos grades et nos unités, nous étions
couchés dans l'herbe, amoureux de la bourrache
bleue du même ciel craquant où l'on rend la justice à 
huis-clos puis ouvertement éclatant,
à nous sentir déjà pousser de l'herbe dans le dos
un été sur un pré légèrement pentu, au regret
de l’avoir échappé belle pour rien,
comment dit-on ça en anglais.

un été en Somme

 

Et puis finir sans plus aucun futur, averti
de l’inutilité théâtrale (et sans joie) de tout,
beau pêle-mêle des choses à venir en cet hôtel
résolument de France et de farce où chantèrent les
oiseaux fluets à la voix de stentor,
Vaché devenu mentor à son corps défendant,
riant, écrivant, ultime umore, avec de si belles 
mains à solitaire
 une ixième lettre à André Breton
le 19 décembre 1918 : Les belles choses 
que nous allons pouvoir faire –MAINTENANT !
interprète des tranchées, des cadavres
exquis avant l’heure, en croquis et dessins signés
Tristan Hylar ou Harry James, souvenirs remués
avec la boue sans âge de la jeunesse,
les ennuis et les pensées recluses, lui rentré de
lugubre mémoire, étable à cochon, umour noir
du néant, vide d’idées, enregistreur inconscient
secrètement passé par les larmes –pof –
et tout est maintenant All right.

croquis de Vaché, interprète des tranchées

Présentation de l’auteur

Etienne Faure

Etienne Faure, né en 1960, vit et travaille à Paris. Dernières publications : Vol en V, Gallimard, 2022 ; Et puis prendre l’air, poèmes en prose, Gallimard, 2020 ; Tête en bas, poèmes, Gallimard, 2018, prix Max Jacob 2019 ; Ciné-plage, Champ Vallon, 2015.
La revue Phoenix lui a consacré un dossier d’invité (numéro 27) ainsi que Contre-allées (n°43). Rédaction de notes critiques dans le Cahier Critique de Poésie, Poezibao, Europe, la Revue des revues, Phoenix. Il est traduit en grec, serbe et hongrois.

Bibliographie

Légèrement frôlée, Champ Vallon, 2007
Vues prenables, Champ Vallon, 2009
Horizon du sol, Champ Vallon 2011
La vie bon train, Champ Vallon 2013
Ciné-plage, Champ Vallon 2015
Tête en bas, Gallimard 2018
– Et puis prendre l'air, poèmes en prose, Gallimard, 2020.
– Vol en V, Gallimard, 2022.

en revues

La NRF : n° 462-463, 488, 512, 551, 577, 582
Conférence : n° 8, 16, 22, 27, 34
Théodore Balmoral : n° 31, 34, 35, 39-40,44, 48, 52-53, 61,62/63, 68
Le Mâche Laurier : n° 12, 15, 22, 24
Pleine Marge : n° 15, 28
Rehauts : n° 4, 7, 12, 15, 18, 23, 27, 31, 35
Europe : n° 955-956, 1015-1016
Contre-Allées : n° 29-30
* (Astérisque) : n°1 et 3
Les Carnets d’Eucharis (papier et électronique)
Phoenix : n°21, 27
TO AENTPO : n° 201-202 (parution en grec de textes extraits de Légèrement frôlée)

Nombreux entretiens et publications de notes critiques dans Poezibao, Europe, Phoenix, La revue des revues, le Cahier Critique de Poésie. Il est traduit en grec, serbe et hongrois.

en revues électroniques
Sur Zone n°19, Poezibao ; Secousse n° 18, remue.net, Sitaudis, Les Carnets d’Eucharis.

Sur Etienne Faure :
Poète invité du numéro 27 de la revue Phoenix (décembre 2017) : dossier coordonné par François Bordes et Myrto Gondicas, contributions critiques de Jean-Claude Pinson, Stéphane Bouquet, Gilles Ortlieb, Jean-Pierre Chevais, François Bordes, Myrto Gondicas.

Plusieurs entretiens avec Tristan Hordé publiés dans Poezibao, Littérature de partout, Les carnets d’Eucharis, remue-net.

Quelques contributions :
- Contribution au colloque de Cerisy « Jude Stéfan : le festoyant français » septembre 2012 : L’enfance dans les textes de Jude Stéfan : la grande absente ?
- Publication de notes critiques dans le Cahier Critique de Poésie, Poezibao, Europe et La revue des revues.

Autres lectures

Etienne Faure, Et puis prendre l’air

Le livre d’Étienne Faure, Et puis prendre l’air, porte en première de couverture l’indication générique : « poèmes en prose ». Voilà qui surprend : non pas tant qu’on puisse annexer de la prose à la poésie, [...]

Étienne Faure, Vol en V : AILES POUR E

Le livre est posé sur l’herbe du jardin. Vol en V sous les chants d’oiseaux. Il faut bien qu’il se patine… Ah, pas encore de taches de café ; ni annotations, au crayon mots [...]




Catherine Pont-Humbert, Poèmes

Il existe des lieux de songe
Des lieux clairs et secrets
Où se fabrique l’imaginaire

Il existe des lieux sauvages
Où une langue intime nous tire de nous-même

Des lieux qui nous entraînent sur des chemins imprévus
Nous relient à la présence invisible du monde

Il existe des lieux bouleversants qui guérissent et qui sauvent
Des lieux par lesquels se consoler de notre condition

*

L’océan s’est dressé en murailles d’écume, dérobant l’horizon

Sa voix m’est parvenue
Il était là, poitrine luisante d’une pluie furieuse
Les yeux dilatés par l’orage
Ses cheveux noirs ruisselaient sur mes seins
Des avalanches d’eau frappaient nos corps, battaient nos peaux glacées

Il était la terre où j’accosterai
Le pli de mer qui marquerait mon horizon

Dans un envol pesant, les mouettes ont tournoyé en s’insultant
La mer s’est retirée
Tout son sel collé sur lui

*

La joie explose
Lumière intérieure qui se déverse au grand jour
Se répand en gouttes claires

Une étoile filtre dans le regard
A surprendre son éclat, on se sent troublé

On croit toucher le secret du monde
Ce lointain message parfois lancé jusqu’à nous

 

Extraits de Légère est la vie parfois, Jacques André éditeur, 2020

∗∗∗

La page blanche

Une page blanche s’étire devant moi
Draps lissés, tendus du lit

Plage infinie, ouverte aux vents de mon rêve
Offerte à mes divagations

J’ouvre le lit intact, immaculé
Pages vierges du livre à venir

Parfaite blancheur, vertige du vide qui m’appelle

Aveuglée, je caresse la surface luisante qui m’attend

Je peux enfin entrer dans le livre
Me glisser entre ses draps
Renouer avec les mots perdus

*

 Au chevet des lits

La solitude du premier livre, je la garderai à jamais

J’étais seule et je voulais embrasser la mémoire du monde

De ville en ville
De lit en lit
Le livre a grandi
Dans le geste lent et maladroit du mot balbutiant

Au chevet des lits du monde où je me suis glissée
J’ai laissé quelques traces
Elles attestent ma présence
Elles disent que j’ai bien dormi là

J’ai dormi dans tant de lits
J’ai emprunté tant de chemins pour arriver jusqu’à moi

*

L’attente

Ecrire c’est attendre
Attendre que les mots surgissent

Egrenés au fil des heures lentes
Etirés vers une invisible frontière

Perles d’un patient collier
Ils roulent dans les embrasures de la nuit

Ne pas les laisser tomber par inadvertance
Ne pas trop les couver non plus

Ephémère construction riche de ses seuls doutes

Ils mordent la chair du rêve

Dans le buisson du sommeil
Ils s’envolent sans un cri

Au matin, les mots renaissent sauvages et impétueux
Enigme du souffle toujours présent
Aussi fragiles qu'un songe chevauchant le petit matin
Avant de se perdre dans un ailleurs broussailleux

Ils glissent sur l’or des fenêtres
Tissent un voile somptueux au banquet du jour

Un chant s’invente avec eux
Avant de disparaître emporté par un vent mousseux

Brûlure de l’attente
Proche d’une extase filée de mots paresseux

Écrire c’est attendre

 

Extraits de Les lits du monde, éditions La Rumeur libre, 2021

Présentation de l’auteur

Catherine Pont-Humbert

Catherine Pont-Humbert est écrivaine, poète, journaliste littéraire, lectrice et conceptrice de lectures musicales. Productrice à France Culture de 1990 à 2010, elle y a réalisé de très nombreux grands entretiens et documentaires. Depuis, elle programme et anime des rencontres littéraires. Elle est membre du Comité de rédaction de la revue Apulée depuis sa création, membre du Jury du prix (du métro) Goncourt, responsable du prix du Premier roman des Bibliothèques de la ville de Paris. Elle est notamment l’auteur de Carnets de Montréal, éditions du Passage, 2016, La Scène, éditions Unicité, 2019, Légère est la vie parfois (poésie), éd. Jacques André, 2020, Les Lits du monde (poésie), éditions La Rumeur libre, 2021. Elle a adapté et dirigé nombre de lectures musicales parmi lesquelles Œdipe sur la route d’après Henry Bauchau, Ecrire c’est dire le monde, florilège de textes francophones, La Scène d’après son récit, et Les échappées, lecture poétique.

Autres lectures

Catherine Pont-Humbert, légère est la vie parfois

 « En ce temps-là mon nom / n'avait pas encore été prononcé / La poésie dormait dans les limbes » : à cette origine dans « l'ombilic des limbes », Catherine Pont-Humbert rend grâce en renouant avec la [...]

Catherine Pont-Humbert, Noir printemps

Rester présent aux pulsations du monde, vivre un corps à corps fébrile avec chaque instant, l’accueillir dans la subtilité de toutes ses nuances… Car chacun de nous appartient à cette vie, avec sa [...]




Chantal Bizzini, D’un pays inconnu 

Charles Borromée

Sous l’arcade à hautes baies,
visages levés et bras
tendus vers lui - mais sans force,
ils se tournent comme ils peuvent,

les malades, sur leur natte
ou leur matelas au sol,
implorant qui vient à eux
d’yeux perdus et brillants.

Le soir tombe, et cette femme,
à la lumière des torches,
voit sa fin et son salut
que ce visiteur lui tend.

La mort est sur le visage
pâle et l’abandon des membres ;
mais voici la Compassion,
en ange blanc, parmi nous.

4 novembre 2021

∗∗

À Esquirol1

Esquirol est là, de bronze
vert bleuté, inaltérable ;
à ses pieds, l’être tombé
qu’il a pris dans son manteau.

Verlaine en 87,
en 90 aussi,
est tombé à ses genoux,
comme lui, pieds nus et défait.

Dans le grand parc, une femme
demande une cigarette ;
plus loin, un homme qui boite,
l’infirmière l’accompagne ;

dans l’allée, sous les hauts murs,
couverts de lierre tombant,
il semble nous regarder,
il nous semble le connaître.

8 novembre 2021

∗∗

François, sur le chemin de Bevagna2

Pieds nus, penché vers le sol,
où sont venus les oiseaux -
d’autres arrivent encore… -
il les regarde, absorbé

dans une méditation
qui n’a pas de fin,
sur eux, sur nous et lui-même
son regard intense voit,

sa bouche parle, et le chant
des oiseaux se fait entendre
dans l’espace vide et bleu
où ses mains volent aussi.

Il n’y a pas de plus bel
olivier, d’étonnement
plus vrai que celui du frère,
bouche bée, qui l’accompagne.

20 novembre 2021

 

∗∗

Vincent de Paul

Vincent se tient dans le froid,
devant les portes muettes,
les hauts portails des églises
où l’on dépose l’enfant.

Je me le rappelle ainsi,
sur une image de livre
d’histoire où sa vie semblait
si simple et faite d’amour.

Mais ce n’est jamais ainsi.
De légende il en est peu
de si vraie et dont on veuille
tellement sur cette rive

que de ce berger, esclave,
et aumônier d’une reine,
secourable aux galériens,
aux enfants qu’on abandonne.

30 décembre 2021

Notes

[1] Jean-Étienne Dominique Esquirol, 1772-1840, est un aliéniste français, il est à l'origine de la loi de 1838 concernant les aliénés, qui met fin aux décisions d'internement arbitraires. Il travaille à l'aménagement de la nouvelle Maison royale de Charenton en 1825 et formera la majorité des aliénistes de son temps.

[2] Village italien d’Ombrie, près duquel eut lieu le sermon de François aux oiseaux.

Présentation de l’auteur

Chantal Bizzini

Chantal Bizzini, poète, traductrice et photographe, vit à Paris où elle enseigne les lettres dans le secondaire, ainsi que comme tuteur à l’Université américaine de Stanford in Paris. Elle a publié des poèmes, ainsi que des traductions de poésie anglo-saxonne - notamment d’Ezra Pound, Hart Crane, W. H. Auden, Adrienne Rich, Denise Levertov, John Ashbery, Clayton Eshleman, Quincy Troupe, Henri Cole - italienne et portugaise dans plusieurs revues : Po&sie, Europe, Poésie, Action Poétique, Le Mâche-Laurier, Rehauts, Siècle 21, Fario. Elle a soutenu, en 2001, une thèse en littérature comparée portant sur les poètes Ezra Pound et Hart Crane, à l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3. Elle a traduit les œuvres poétiques complètes de Hart Crane, ainsi qu’une anthologie de poèmes d’Adrienne Rich. Ses poèmes sont traduits et publiés en anglais, en espagnol, en italien et en grec. Elle a composé également deux livres d’artistes, l’un avec le graveur Jacqueline Ricard, aux Éditions de l’émeraude, en 1992 : Nuit ocellée de la mémoire, l’autre avec le peintre Philippe Hélénon, aux éditions le bousquet-la barthe, en 2015 : Boulevard Magenta. Son recueil de poèmes : Disenchanted City/La ville désenchantée, est paru dans une édition bilingue (français / anglais) chez Black Widow Press, en 2015.

Chantal Bizzini tente également de saisir des yeux Paris, qu’elle parcourt et photographie ; elle a exposé ses photomontages à la Galerie Annette Huster (2009) : « Collages », à la Galerie IMMIX (2010) : « En attendant mieux », et ses photographies à l’espace Cargo 21 (2011), à l’Institut des cultures d’Islam (2011) : « L’autre hiver », ainsi qu’à la Maison de la Grèce (2012) : « Alonissos insolite », ses photographies et photomontages à la Galerie Annette Huster (2015) : « Choses délaissées, lieux fracassés ». 

Adresse de son site personnel : https://sites.google.com/site/chantalbizzini/

Elle a parallèlement entamé une réflexion sur le livre illustré de photographies, à partir de la première édition de The Bridge de Hart Crane et de Walker Evans (Colloque de Cerisy : 

« Carrefour Stieglitz », juillet 2010), puis des œuvres de Rodenbach : Bruges-la-Morte, Brassaï : Paris la nuit, et Walker Evans : Many are Called (Université Paris 4 – Sorbonne, avril 2011) et tout dernièrement du roman de Sebald : Austerlitz (NYU in Paris, octobre 2012). Ces interventions ont été publiées sous forme d’articles.

Une anthologie de poèmes d’Adrienne Rich : Paroles d’un monde difficile. Poèmes 1988 - 2004, qu’elle a traduite et préfacée, est parue en 2019 aux éditions la rumeur libre.

Autres lectures




Muriel Couteau Mauger, L’Amie

       Comme des morceaux de bois prêts à mal mourir, de longs lambeaux d’oiseaux migrateurs survolent un lac dont on aurait éteint les reflets. Nous sommes en automne, une ligne de cendre ourle les champs à la frontière dite des chevaux et le monde se gonfle et se dégonfle d’imperceptibles pertes, décomptées, dénommées, faute d’amour possible. Ainsi dit la-voix-dit et redit appelle et revient, décomplète et prévient. L’histoire de cette nuit est encerclée par la plainte des chevaux cependant, dans la cage du récit, des oiseaux s’affrontent, s’envolent et se rassurent : le jasmin, le bleu, tandis qu’un autre revient tout petit mais infiniment rouge. Il y a l’âme, le tranchant de l’herbe, une hésitation de l’autre côté de la nuit ou du  jour et la marche de l’aile boiteuse qui conduit le monde. Comme un rien du tout, j’en recueille un autre à la fourrure grise et le balance dans ma poche. On l’appelle le milieu, l’effroi, la pente, le perdu.

      D’identiques fleurs se reproduisent à l’infini. Dans le bourbier des dieux, les mottes de terre dégorgent des formes bovines effondrées de fatigue et les herbes apeurées coupent des bandes de paysage dans le lisier où s’embourbent le pauvre état de nos cœurs. Les nuances humides de la terre délivrent leur senteur de miracle pourri. L’île seule, trous d’eau d’être morts où baigne la couleur tuméfiée des yeux. Les corps effondrent leur matière murmurée et lèchent aux endroits réjouis de peur leur questionnement de chair. L’île seule, le corps violenté d’un enfant, une piste sous la flambée des astres impassibles, l’île seule, les mains défaites, coupables, meurtries, les mains mécaniques du mal. Les chagrins font alliance et violence, là tout en dessous de l’espace où les lames profondes renversent le sens de la pluie où l’amour s’enroule au vent violent de l’occident là, où de fond en comble, l’oiseau jamais ne reprend son vol.

      Notre amour est rond dit la-voix-dit, revient, complète et décomplète de quelques mots ce qui s’écrit. Des questions floconnent dans l’air, ravissantes, mais la neige brûle l’espace indécidable, l’irradie. Les miroirs de nos mots dans la gorge des oiseaux crachent dans le ciel surexposé nos obscurités. L’épreuve d’un cheval agenouillé disparait dans le vent, nos pas vers des banlieues d’oiseaux noircis, vers le bleu nuit meurtri de l’échine où se rompent les promesses.

       Cri cave, cri cave mur à cent lieux de la force de l’océan dans le ventre un coup de sabot une longue phrase d’excuses, inaudible concerto d’instruments arrachés à l’aveugle matière, corne caverne et cages, est-ce si exténué ? Si nu à ne jamais atteindre la délivrance ? Sans muse ni bible au fin fond des chairs asservies sans d’autres issues que l’éternelle nuit, le rugissement des grands fonds marins et les guirlandes d’entrailles offertes aux usines. Les beuglements ne déchirent aucun cœur, à bout de vie, laissent tomber les corps et délivrent à la terre tremblante leur résonnance. Les corneilles noires du jardin d’hiver s’envolent et criblent la toile du ciel. Javelot d’oiseau mort parce que mort qui rode dans les sommets du ciel, se plante dans l’échine, glace le dos du dedans, fait le froid animal où s’éprouve le cri d’âme d’amour.

     Elle annonce toujours la neige perdue dans le gravier des villes, ma petite toute gelée, qui avance. Sur un coin de peau, ma petite cabossée est le monde entier. L’innocence feinte des flocons blancs font vibrer son vide et triballent l’insu avec une certaine légèreté. Elle faisait en sorte que la forêt tienne tête au ciel. Oiseau de bois sec noué à mon doigt comme une bague, oiseau de peau morte, je fais un lieu à ton chant défait. Aile d’eau mauve, source du rêve où s’incarne l’humaine dissidence, je m’en remets à ta semblance. Lorsque je ferme les yeux, je vois un film où des morceaux de mer se tournent vers la lune et elle y avance comme dans un rêve, Bluejasmine, ta douceur effondre les vérités, ta joie s’empare du monde aussi vite que l’angoisse, Bluejasmine.

     Avec un petit bout d’oiseau, on a mis nos vies de rien l’une contre l’autre et on a formé une totale planète à s’enrouler l’une dans la longueur de l’autre à réconcilier nos courbes parlées, nos creux respirés. Aile d’eau mauve qui élargit le cœur d’un monde mauvais, âme chaude qui se glisse au bord des yeux avant de nous quitter. Que rien ne nous soit du était chose connue de ceux qui tissent nos existences avec le fruit bleu de leur cœur et reformulent comme un bonheur à partir d’une trouvaille, du souvenir d’un reste de fleur dans un fond de poche.

    Des boules d’âme d’amour roulent sur un monde de fleurs séchées, de mots de fleurs séchées à bâtons rompus.

 

La racine dans la gorge du réel

La fleur-image, silencieuse

 

     Boule d’âmes d’amour, les liens d’oiseaux que l’on trace avec les yeux forment dans le ciel des trajectoires cuivrées : jardin de robes et d’eaux où refleurissent les roses en commun et l’incroyable jasmin bleu. Le grand gris rejoint le ciel, en retient la couleur et le vent dépose la forme des fleurs au fond de nos mains ouvertes au livre des heures. Elle avance dans un film comme on entre dans la mer, dans un rêve, dans la réminiscence d’une vie antérieure ou la forme d’une blessure de l’espace. Passerelles et orages de verre balayés de rose taudis, plumes poudrées de cendres mélangées laissent faire l’écume. Tu lis le ciel à haute voix et il se brise en éclats de verre.  A être ici, presque toute dévastée, dans l’indifférence d’un jardin, dans la main, l’éclat et la coupure. Tout est recouvert de lourds draps d’herbes grasses, parfois cela s’appelle un paysage, une carte maléfique et c’est un coin sombre en soi où s’amoncelle une matière anonyme d’où aucun ange. Le monde se casse les chevilles. Quelle langue nous a fait perdre le sens de notre propre ciel ? Toi, tu te tiens comme une bague à mon doigt pendant que la guerre se continue. 

     Rétive, incompréhensible, l’oiseau endormi de rouge consent à mes yeux à mes mains à mes mots qui lui inventent des fruits, des branches, des arbres entiers. Nos vies fondues, malgré le si loin, la gorge tienne et la cheville mienne ligotées l’une à l’autre si fort. Et elle avance ainsi dans l’antériorité de sa vie, vie trouée de bouts de films, coupable de sa lumière, hantée par des séquences adverses, elle rentre dans la mer pour y mourir.

     Une petite lune rayonne au fond d’un tiroir abandonnée par un roi de porcelaine. Le grand jour qui l’oublie est une fête noire. Oiseau javelot d’un si tangent désir érafle la soie de l’œil traverse la lumineuse lune et perfore l’iris. Mais elle avance sous mes paupières dans le rêve du film qui se tourne. L’amour éclaire une image sur le cou, tatoo à l’envers du poignet. La mort sépare le temps de l’amour perdu qui se reperd toujours. Ne reste que l’allure des images déchirées, le temps ralenti sur des lèvres mortes d’orage. Sur le sentier blanchi, pas de bruit, pas de lettre, elle prie les herbes et le vent de son enfance de lui adresser quelques phrases.

Présentation de l’auteur

Muriel Couteau Mauger

Muriel Couteau Mauger est photographe, poète et psychanalyste. Elle vit en Normandie où elle est professeur à l’Ecole des arts et Médias Caen-Cherbourg. Elle a publié ses textes dans différentes revues : L’Act Mem, Traction-brabant, Néphanthès, Le Capital des mots, Paysages écrits, L’autobus, La page blanche.

Autres lectures




Narki Nal, Une femme

Chamane

     Le tambour comme un cœur
Fermer les yeux
Être arbre et pierre à lichen
Puis se laisser partir
Rencontrer bêtes et gens
Humains à tête de loup
     Le tambour comme un coeur
Alors devenir louve…
Courir à travers bois sans même toucher le sol
Ne pas redouter les griffures des branches
Vent ondulant les poils
Rencontrer la meute
     Le tambour comme un cœur
Courir sans perdre haleine jusqu’à cette falaise
Surplomber le fracas 
Respirer… Respirer 
Sauter
Être cascade et lac tranquille
     Le tambour comme un cœur
Miroiter
Nager nager nager
Se perdre à l'improbable frontière entre ciel et eau
Flotter dans l'air au-dessus
Un instant
Dans l’espace courbe d’après l’horizon…
Plonger 

 

***

La chaleur dis-tu ?

La chaleur blanche fait vibrer l’air
Ma vision se perd
Le sentier raide devient alors chemin buissonnier
Si bien que mes pas hésitent puis lévitent sur place
Comme le vol d’une libellule
            Reprennent
Je marche cherchant l’ombre vraie du végétal
Celle qui sent l’odeur de feuille froissée
                               J’ai espoir en cette beauté

Ailleurs
La chaleur blanche emprisonne la ville
La compresse exprimant un jus de poisse
Seule l’odeur miellée des tilleuls en fleurs
Me parle de la puissante fragilité de la vie
Je sens la menace chimique qui s’insinue
Mais les volutes de miel gagnent encore
Et parlent à mon cerveau d’une autre cité
Quelque part possible mais introuvable
J’ai peur en cette absence

La chaleur ne masque jamais le froid intérieur
Affrontement si peu original du dehors dedans
Notre lot humain d’incertitude
Notre fardeau magnifique d’être sensible pensant.

 

***

Mycélium

Je suis celle qu’on quitte, celle qui se noie

Je suis Ophélie au fil de l’eau
Vous êtes sur les berges endormies de brume
Où les hautes herbes traversées de vent
ondulent leur caresse
Je passe, je vous vois, vous êtes mon passé
Mon passé qui me regarde sans me voir
Mon passé qui défile comme je vais au fil de l’eau
Je suis celle qu’on quitte, celle qui se noie.

Je suis celle qui se révolte, je suis celle qui tue

L’envie de le toucher qui monte puis vole en éclats
Le baiser qui s’approche et qui devient morsure
Ce désir inconstant comme les herbes aux saisons
Cette brûlure qui se glace. Lumière blanche.
Lumière difractée. Fraction du temps. Lame miroir
Éblouissement bref de la rétine. Vois ma vie.
Bobine dévidée. Poitrine évidée.
Sanglot du sang qui afflue…  Pour rien.
Je suis celle qui se révolte, je suis celle qui tue.

Je suis celle qui part sans partir, celle qui reste-fuit

Écrire est une nuit. Mes pas dans cette nuit profonde.
Vertige.Tige de feu. Pensée morbide.Taire. Se taire.
Mycélium de pourriture répandu en soi, en silence.
Lancinant ce bruit sans bruit. Bouffée-désir de l’explosion.
Ma tête qui explose. Éclaboussures d’os brisés.
Mais où est le cerveau ? Dissous.
Violence du refus muet. Dernier voyage.
Le mycélium de pourriture gagne. Cerveau dix sous. Cerveau rien.
Je suis celle qui part sans partir, celle qui reste-fuit

Je ne suis plus qu’une enveloppe.

 

***

Entre elle et moi

Je marche
Elle marche
Elle marche
à mes côtés
Je ne veux pas la regarder
Je ne peux pas la regarder

Miroir
Le problème est le miroir
Devant le miroir
Le double apparaît
Le regard
Effroi Mon regard s’est vidé de moi

Le miroir me donne à voir        
MOI
Avec à l’intérieur de moi   
une AUTRE…

C’est là dans ce regard symétrique
Que je rencontre l’étrangère
L’échange aggrave l’effet l’altérité
Ce que j’y lis me bouleverse
Une part enfuie de moi, perdue ?
Je la toise, l’Autre, je me fais forte

Je suis dans un espace-temps étrange
ENTRE ELLE ET MOI
Elle étant moi quand même…
Je suis vacillante sur une route improbable
Entre deux mondes, un ancien, un nouveau
Et dans cet entre-deux je voudrais remonter mon temps
Je cherche la machine miraculeuse
…En vain
Peur du regard de l’étrangère dans le miroir
La peur aggrave le désarroi
Et mon corps oscille voulant choisir sa tête…
Vertige. Combat muet

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Et ces aveugles autour de moi
Ne comprennent pas
Ne voient pas
Ne savent pas
Ne sentent pas
S’aperçoivent de rien
Vivent autre réalité

Je marche à leur côté
Mais un indicible nous sépare
Avec la discrétion de l’indicible
La ténuité de l’indicible
Le POIDS de l’indicible

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Pensées flottantes
Toute une vie à chercher le feu
Devenir feu
Mais ne brûle pas tout bois
Mais ne danse pas dans les flammes tout corps

La tiédeur me répugne
Comme la faculté d’oubli

Ne rien perdre
Ne rien oublier
Horreur des portes fermées telle une chatte

Or vous fermez vos portes
Vous déclarez « tout passe »
Vous cultivez l’oubli
Mais rien ne passe jamais

Je ne veux dissoudre ni mes douleurs ni mes joies
Ce que j’ai vécu est à son poste
Quelque part en mon cerveau dans une somnolence légère
Un rien le ranime et le transmet à mon cœur, à mon ventre
Et ma poitrine exulte ou s’écrase à ces souvenirs

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Un être vivant devrait se laisser traverser par ses émotions
Et non les tenir à l’écart
Pas de pilule à effacer les ressentis
Ne savent plus supporter leur vie
Appellent la chimie à leur secours
Ainsi sont morts avant la mort

JE SUIS VIVANTE
je suis vivante

Pourvu que celle du miroir
Aux yeux d’absence
Ne fasse pas de moi une résignée
J’accepte la souffrance en la frottant au combat

je suis vivante
je suis vivante

Je suis celle qui marche
Qui arpente les rues
Mais l’Autre m’accompagne
Elle m’épouvante

Je suis celle qui marche
Qui arpente les rues
Je suis celle qui court
Pour perdre l’Autre moi

 

***

L’insoumise

Je suis-je suis une femme               
Un être maléfique                        
Un être puissant
Un être faible
Un être fort
Sanguinolent à la lune
Un être impur

Je suis-je suis une femme
Un être désirant
Un être mouillé
Un être muqueux
Je suis d’où vous êtes nés
Je suis un sexe troué
Je pue la mer
Je suis d’où vous venez

Je suis-je suis une femme
Je suis clitoris
Je suis orgasmique
Je suis désir
Je suis
Je suis trop

Vous voulez m’abaisser me réifier
M’infantiliser
Me modeler
M’exciser
Me dominer me prendre
Me tromper me laisser
Me souiller
M’humilier
Me violer me massacrer

Tous les dieux me détestent et me craignent

Je suis votre perte
Je suis votre salut
Je sais donner la vie
Vous pouvez me tuer
Mais pas me remplacer

Je ne me plierai pas  

Je suis-je suis une femme   
Je.

 

Présentation de l’auteur

Narki Nal

Comme beaucoup, j’ai eu plusieurs vies : enseignante mais scientifique, éditorialiste polémiste dans des journaux associatifs, comédienne puis metteuse en scène … Une constante, l’écriture, qu'elle soit pédagogique, politique, sur mon travail de mise en scène ou depuis très longtemps poétique. Des poèmes tristes ou violents, souvent tragiques, mais je suis une femme qui aime rire !

« En vrai » je suis née deux fois. La deuxième lors de ma participation au Collectif des Diables Bleus dans les années 2000, pendant l’occupation des casernes abandonnées des Chasseurs alpins à Nice. Ma vie y a pris un autre cours dans ce lieu agriculturel de poésie réalisée, d’expositions sans musée, de rencontres et d’échanges, de concerts et spectacles où il n’apparaissait pas étrange de s’occuper de jardins partagés, de distribution de paniers de légumes de producteurs du coin et de monter une pièce de théâtre tout en participant à la cuisine collective, de dire des textes lors de soirées appelées Mardis bleus… Ce lieu n’est plus.

Mais la tradition continue, d’une soirée mensuelle de lecture de textes, ouverte à toutes et à tous, ce que nous appelons « Banquet poétique », dans un lieu modeste mais chaleureux. Banquet de mots et de mets, que j’anime avec mon compagnon et artiste Zacloud, au 29 route de Turin à Nice, lieu nommé « Diables Bleus Le 29 ».

 

Nicole vers la haut.

Autres lectures




Jean D’Amérique, Notes sur un chant…

Pascale Monnin, Danser le chaos. 

notes sur un chant

 

si tu entends une voix

c’est la boue qui fait chant

il y a longtemps

que le mât des cœurs s’est couché

pour compléter la poussière

 

les fleurs sous l’orage des ombres

de vies et de rêves débordent les sébiles du néant

comptées ne peuvent être les plaies

pour une ville élue au bal des charognes

si tu entends une voix

c’est la boue qui fait chant

c’est la boue qui dicte

la tombée d’une dernière étoile

 

le petit point bleu là-bas

on veut bien encore l’appeler ciel

le petit point bleu là-bas

c’est l’espoir

nom vaillant de la lumière à venir par les routes barbelées

météo de l’aube prochaine à sortir des touffes d’épines

le petit point bleu là-bas

c’est l’espoir

regarde autour

les balles gravitent

 

 

 

 

le sang des règles

 

passeport invalide

je trace ma route du sang des règles

entre mes jambes c’est la discorde

la déraison coule à flot

à cheval sur trébuchement d'arrache-pied je travaille

sur la mise en marche

d'un pas incertain

 

être sur la même longueur d’onde que les autres

magnétisme étroit qui n’attire pas

mon corps plongé dans le grand large

 

barbelés réunis en bloc autour des ailes

les murs constituent une science dure

que tout humain doit faillir à pratiquer

 

semblable aux chiens de Port-au-Prince

ces infidèles

heureux enragés qui vont sans maître

saluer l’errance

 

tombent les panneaux

les feux se signalent à mon imprudence

comme une mosaïque à embrasser sans frein

patrie blessée à volonté

du sang des règles je trace ma route

 

 

 




Victor Malzac, Percussions

PERCUSSIONS

 

Complainte

Poésie PERCUTÉE – les vapeurs de Paris
S’encastrent – les cheminées – le toit qui s’effondre
Sur un échafaudage – c’était ma demeure.

Mes poumons étriqués dans la fumée respirent
– Ils ont rénové la gare.

Au pavé fume amour – incartade à la rue
Entre des passants fous. L’arcane à Notre-Dame
A ricané si fort que mes poumons se crispent. –

Mes poumons suffoquaient dans la joie qu’elle inspire
– A la lune, Notre-Dame.

Chaque attaque me vêt d’une angoisse moderne –
– C’est un manteau de cuir solide à l’arc prosterne.
Chaque monument fume et mon visage attaque –

Mes poumons colorés par les fumées s’allument
– Notre-Dame à genoux – j’ai besoin de repos.

 

Peur

        Ma tête FRACASSÉE
        Percute les pavés de sa ville —

        Sa pierre
        Avalait mon manteau
        Tombe –

        Partout percute
        Et coque
        Ma tête en fer poli
        La mare froide mon manteau – sur les pavés s’assèche
        Et mon manteau n’est pas autre chose qu’un lac 
de cuir un lac de pierre un sac à main pour étouffer ma peau ses pores je transpire 
et m’étouffe je transpire en marchant je marche et le soleil et le soleil 
anxiété
        – dans les anciens récits des épopées périmées.

        Percute mon passé
        Dans les pavés des villes –
        Ma tête s’y réverbère. –

 

Pneumonie

        Mes poumons
        se sont craqués dans ma jeunesse —
        Course trop rapide
        et pluie
        – EXPLOSION
        Dans mes alvéoles s'est aspiré un vent mauvais, – un 
vent si mauvais qu'on en soupira deux ans.

        J'ai cru mourir et
        Je n'avais pas treize ans.
        Que le malheur me suffoque – la tête
        Et je t'en serai reconnaissant – tramontane.

        Il pleut encore
        – c'est pas vrai
        il pleuvra donc aussi longtemps
        que ma poésie parle ?

        À peine ai-je craqué mes poumons
        que mon odeur s'en dégage et s'évapore –
        comme les mauvaises pensées qui m'avaient envahi 
dans mes douleurs les plus terrestres et les plus aiguës 
– piqûres et cachets d'aspirine pour cacher à mon corps 
son oubli –
        et l'empêcher d'en adonner les mots.

        Les mots s'emparaient de mes articulations
        Comme des os brisés craquellent –
        et m'ont donné la force insurmontable
        d'aller courir un peu. –

 

Soleil

Le soleil est trop près de moi –
Il me colle à la peau
Comme elle que j’attends depuis mille ans peut-être. –

– Peut-être à mille mètres
L’angle de chaque vague
Percute mes cheveux. –

C’est la force du monde autour de moi
Qui m’accroche la peau comme l’eau des tropiques
Et m’incite à valser.

Tout s’envole –
Sinon moi.

Tout est près
De moi – râle, ma belle mer,
A quoi bon les cris ?

Depuis trente ans j’attends déjà
Pectoraux blancs, chemise ouverte,
Face au vent que je nargue

Aux vagues qui prenaient le risque d’enrager
Et le soleil près de moi –

Râle, à quoi bon les cris ?

 

Pluie dispute

La nuit tombait sur toi sur la fenêtre tombe
En haut de ton immeuble – regarde les volets
Couleur lavande et les oiseaux qui s’envolaient
Du rebord de tes yeux tes cernes des colombes. –

Les bras en croix tu cries – qu’a-t-on fait de tes yeux
Bercés de solitude et fermés près de la
Fenêtre sur quoi tombe la pluie. Car il a
Plu sur Paris ce soir – persistent dans les cieux

Des étoiles. – Tes yeux tombent de la fenêtre
A l’approche du soir, puisque la pluie délave
Les vitraux fatigués de tes cernes. – L’eau claire

Et l’eau sombre ici-bas font des flaques. Peut-être
Est-ce là que la veille à la fenêtre grave
Tu as froissé puis mis à l’eau mes vers ? –

 

 

 

Présentation de l’auteur

Victor Malzac

Né en 1997, venu du Languedoc, Victor Malzac lit fort, parle bas, ronge ses ongles, marche vite. Il est peut-être drôle. Il codirige une revue de création (L'écharde), fait une thèse sur les animaux et crée des textes sur n’importe quoi. Il a également codirigé la revue Point de chute jusqu'en 2023.

Son premier texte, respire, a paru aux éditions de la Crypte en 2020. Chez Cheyne éditeur, il a publié Dans l’herbe (2021, prix de la Vocation) et Vacance (2022, finaliste du Prix Jean-Follain, du prix René-Leynaud de la Ville de Lyon, du prix Apollinaire-Découverte et du Prix Ganzo-Révélation) ; son prochain texte paraît chez Gallimard en janvier 2024.

© Eloi Céleste

Autres lectures

Nouvelles voix : Victor Malzac

PERCUSSIONS   Complainte Poésie PERCUTÉE – les vapeurs de Paris S’encastrent – les cheminées – le toit qui s’effondre Sur un échafaudage – c’était ma demeure. Mes poumons étriqués dans la fumée respirent – Ils [...]




Gabriel Okundji, Sahara

 

Pour Michèle et Pierre Latour,
de Villeneuve/Lot.

Pour Sylvie Dufranc
de Labrède-Montesquieu.

 

I

Désert !
Par quelle voix divine chanter ton nom divin qui se déplie à l’infini
vierge et majestueuse lumière d’or enroulée comme un turban
étendue de sable resplendit de l’aube au crépuscule, ô miracle !
l’horizon s’incline dune après dune, les cieux ensoleillent ton soleil.
 
Graine semée :
Il faut tout le silence possible des mots
pour dire ton nom

Désert !
Tu ne t’appelles pas, point n’est besoin de nommer le corps de ton âme
le puits spirituel dont le chameau est la corde a les reliefs de ton nom
le ciel n’a de signe que pour l’esprit visible de tes nuages sans larmes
tu es l’offrande bienfaisante, œuvre qui point ne désaccorde le silence.

Graine semée :
Ici, lorsque tu attends Dieu,
tu ne perds pas ton temps.

 

 

  
II

Désert !
A l’aune des commencements, Dieu créa ton visage noir et blanc
il te nomma dès l’instant où la lune, comblée, se retire dans le soleil
Sahhara, Ténéré, Sahel, ultimes vocables natifs des langues de ton sol
terre des hommes, tu connais l’énigme du silence des pierres.

Graine semée :
Qui ne connaît pas le silence du désert
ne sait pas ce qu’est le silence

Désert !
tu es mère des Garamantes, nos ancêtres maîtres des oueds
tu es mère des mers, océan des poissons de sable, mire des mirages
d’oasis aux rives blanches et noires : elles sont au nombre de tes fils
Sahara ! L’âme qui te contemple les yeux fermés tient de ton sang.

Graine semée :
C’est dès l’aurore que l’on reconnaît
la bonne matinée

 

III

Désert !
J’ignore le Tifinagh ! Mon chant qui te chante par ta voix l’entend 
quiconque est né sur ton sol reposera dans ton sol : me voici !
je m’incline, je t’évoque et j’écoute mon corps en ses veines ensablées
songe parmi les songes : à l’homme bien né, un signe suffit, je suis de toi ! 

Graine semée :
Peut-on blâmer un homme qui d’instinct
reconnaît sa terre ?

Désert !
Frères nomades des caravanes, du lac Tchad, et des lointains campements
Donnez-moi la patience d’être Bédouin, Toubou, Touareg, Sahraoui
et vous autres Maures, Haoussas, Arabes, Peuls et Berbères du Mzab
révélez la divination, faites que chaque trace trouve indice sur le sable.

Graine semée :
L’aveugle qui arrive parmi les siens
ne cherche pas le chemin. 

 

 

IV

Désert !
Pas un jour sans le souffle de vie au-dessus des  merveilles du monde
ballet du sirocco, tourbillon d’harmattan en bourrasque du khamsin
la vipère à cornes trace des alizés de sable en vagues de sable
vent du cosmos au destin des gueltas, montagnes, erg, reg et sebkas.

Graine semée :
Vent du désert au visage
rend l’homme sage

Désert !
Sous le toit de ton ciel, voici Monod le fou en quête de sa foi
marchant parmi les étoiles, défiant l’inquiétante passion des mirages
Monod désire le soleil, pas l’éclair ! pareille à la sève dans la tige
Monod baobab de l’homme dans l’âme du cosmos, ne bouge plus !

Graine semée :
Le sage sur terre
est comme l'or dans la mine. 

 

V

Désert !
Sahara désert des déserts, berceau des migrations séculaires
puisque que ton sable est éternel, la mémoire du monde est éternelle
depuis le Toumaï du Sahel, depuis Lucy, depuis le Ra des pharaons
tes montagnes qui soulèvent la foi délivrent l’espoir aux pèlerins.

Graine semée :
Celui qui a bonne mémoire
n’est jamais pauvre.

Désert !
Création des Dieux, te voilà par la main de l’homme devenue terre bafouée
d’enlèvements d’otages, de combats d’Amgala, de Tombouctou, ô Tibéhirine !
par quel doigt désigner cette épave échouée au massif de Termit, ô ma peine !
et qui dira le crime des essais nucléaires sur le sol d’Hamoudia, ô ma tristesse !

Graine semée :
Nul ne connaît
l'histoire de la prochaine aurore.

 

Bègles, le 19 février 2012




Perrin Langda, Poèmes beaufs

 

Fast blood

 

j’ai envie d’un macdo
j’ai envie d’un macdo
j’ai envie d’un STOOOOP
tu prononces encore ce nom
et l'horrible clown obèse
dégoulinant de sauce potatoes
va venir dévorer la viande
bouffie de tes grosses joues

Zapping

très chers téléspectateurs
##################
le corps du pangolin
#####################
payable en trois mensualités
###################
a fait au moins huit morts
################
et une tranche de céleri rave
#####################
qui tiiire juste au-dessus
######################
des normales de saison alors
#################
lâche vite ce flingue Bob

Popoème

elle avait un derrière
tellement parfait
que j'aurais pu marcher
derrière elle comme un âne
derrière sa carotte
jusqu'à la dernière heure
et sans arrière-pensée
mais elle prit à gauche

Bière-foot

allez les êtres humains
« allez les êtres humains ! »
la vie c'est pas un match
« la vie c'est pas un match ! »
y'a pas de maillots
« y'a pas de maillots ! »
y'a qu'une seule équipe
« y'a qu'une seule équipe ! »
soûlée à la mauvaise bière
« soûlée à la mauvaise bière ! »
et votre seul vrai supporter
« et votre seul vrai supporter ! »
c'est moi mais pour l'instant
« c'est moi mais pour l'instant ! »
on se fait bien laminer
« on se fait bien laminer ! »

Tune ta caisse

dans ma bagnole tunée
j'suis passé par la vie
130 km/h sur l'autoroute
yeux rivés à l’asphalte
j'ai suivi tous les panneaux
les carrosseries bien lustrées
mais à la fin du voyage
marche arrière impossible

 

 




Le Japon des Chroniques du çà et là n°18

Philippe Barrot met le cap vers le Japon pour ce dix-hitième numéro des Chroniques du çà et là. Un volume illustré par les photographies d’Anne Uemura, qui propose « une immersion dans une culture toujours proche de ses traditions ancestrales ».

Effectivement, l'article liminaire du numéro signé Edouard L'Hérisson propose un focus sur le rôle des itako, intermédiaires qui permettent d'entrer en contact avec le monde invisible. Puis suit une entretien avec Corinne Atlan, traductrice et auteure de plusieurs ouvrages et romans sur le Japon. Il y est question de roman japonais, et de l'évolution de celui-ci, panorama historique qui part du roman traditionnel et considère les métamorphoses qui l'ont mené vers la modernité, et vers ce qu'il est devenu aujourd'hui, à travers une approche d'auteurs contemporains, comme Murakami ou Ogawa.

C'est encore vers une analyse qui sous-tend la modernité littéraire japonaise, dont les structures semblent impossible à départir de ce socle ancestral, que nous convie la suite de ce numéro : une note sur l'esthétique japonaise, une analyse du roman policier "Les (r)évolutions de la Littérature criminelle japonaise", de Gérard Peloux, un regard sensible sur la ville d'Ozu, Onomichi, évoquée par Philippe Barrot, un pèlerinage à Kamakura, une séquence sur les sumos de Luc Drian avec de très belles photographies d'YMB, une histoire du manga signée Thomas Maksymowicz...

Chroniques du çà et là n°18, revue trimestrielle, PhB éditions, 2021 143 pages, 14€.

Ces articles consacrés à la thématique du n°18 des Chroniques du çà et là sont accompagnés de deux notes de lecture, une de Philippe Thireau sur le poème de Marilyne Bertoncini La Noyée d'Onagawa, l'autre signée par Makiko Tsuchiya-Matalon qui évoque le poème en prose d'Hishimure Mishiko écrit après la catastrophe du 11 mars. Ces deux poèmes interrogent l'écriture aussi, et cette question qui jalonne toute la littérature, comment écrire l'impossible.

Ce numéro très riche, mène vers la compréhension de cette société japonaise  qui n'a pas renoncé à ses mythes, à ses croyances et à ses traditions, tout entiers perceptibles dans une modernité littéraire qui s'est édifiée sur ce socle ancestral.