Rester présent aux pulsations du monde, vivre un corps à corps fébrile avec chaque instant, l’accueillir dans la subtilité de toutes ses nuances… Car chacun de nous appartient à cette vie, avec sa place, si éphémère soit-elle. Et donc il ne faut rien perdre, pas une seule des notes qu’elle nous donne à entendre. Dans Les lits du monde et Légère est la vie parfois, Catherine Pont-Humbert emportait déjà ses lecteurs dans une exploration de l’intime, avec les frôlements et les ravissements que procure tout ce qui se tisse d’heure en heure, où que nous soyons, pour peu que nous y prêtions attention.
La poète poursuit avec Noir printemps une quête menée sur un fil tout en acuité, où elle cherche à saisir l’en-deçà de nos pas. Château de signes /Assiégé de fissures / Le monde est vieux, écrit-elle, dans un regard qui embrasse ce qui nous a précédés. S’ouvrir à ce qui vient n’est pas simple abandon, mais plutôt un chemin recommencé dans la conscience de ce qui se franchit d’un être à un autre, d’une mémoire à une autre. Bras noués / Dos percé de mille flèches / Front barré / Pieds minés de crevasses
Si le monde est entassement de quêtes, d’espoirs et de blessures, il est d’abord le lieu que nous habitons ici et maintenant, en tant qu’êtres humains. Et c’est à l’intérieur de cet espace que la poète rejoint l’émotion de ce qui vit et palpite en chacun de nous. Sans épuiser cette fragilité qui nous fait / Nous avançons sur le fil commun de nos échanges Alléger le poids du monde et demeurer conscient de notre vulnérabilité préserve un émerveillement, dont l’expérience première remonte à l’enfance. Nous en gardons la mémoire, en même temps que l’aptitude à l’éprouver de nouveau, même si nous tendons souvent à l’oublier. La poète nous rappelle que nous sommes les danseurs du ballet d’un royaume millénaire. Notre refus d’en quitter la scène est aussi notre force, celle de tous ces désirs qui persistent en nous, êtres minuscules / Avides, têtus, violents / Installés dans leur souffrance Choisir de désirer, de garder intacte la capacité d’attendre et de recommencer sans faiblir est constitutif de notre humanité.
Catherine Pont-Humbert, Noir printemps, La rumeur libre, collection Plupart du temps, 2023, 64 pages, 14 €.
C’est dans ces profondeurs que nous puisons l’énergie de continuer, autant que d’éprouver aussi de la joie. Guetter les émois, les tremblements / Invincibles et lointains / Goûter les mots un à un / Les mâcher en silence, écrasés sous la langue / Matin et soir / Soir et matin Bien que nous soyons de minuscules humains, notre entêtement à vivre, la confiance placée dans un sablier du temps qui est dilué d’or peuvent nous sauver.
La poète nous rappelle à tous ces petits riens, grains de sable où mirer l’immensité, où balayer la somme des échecs et des déceptions pour apercevoir plus loin devant la beauté et tenter un bref instant de déchiffrer l’opacité qui enveloppe notre présence.
Un très beau recueil qui nous touche en plein cœur.
Présentation de l’auteur
- La poésie, une liberté à arracher à la langue : Rencontre avec Émilie Turmel - 6 septembre 2024
- James Sacré, Par des langues et des paysages - 7 juillet 2024
- James Sacré, Par des langues et des paysages - 6 juin 2024
- Louise L Lambrichs, Sur le fil, envolées - 6 mai 2024
- Habib Tengour, Consolatio - 6 avril 2024
- Jaume Pont, Miroir de nuit profonde - 6 décembre 2023
- Salah Oudahar, Les témoins du temps & Autres traces - 21 novembre 2023
- Catherine Pont-Humbert, Noir printemps - 6 septembre 2023
- Trois poèmes de Yin Xiaoyuan - 6 juillet 2023
- Béatrice Machet, Tourner, Petit précis de rotation - 24 janvier 2023
- Trois poèmes de Yin Xiaoyuan - 6 novembre 2021
- Max Alhau, Aperçus-Lieux-Traces - 5 juillet 2021